Nous pensons qu’il est de la plus grande importance de restaurer à sa juste place dans l’Église de notre époque la saine pratique de la controverse doctrinale si courante dans les siècles passés. Cette controverse nécessaire, voire salutaire, doit être pratiquée avec fermeté et rigueur, mais aussi dans un esprit de charité. On ne peut s’attendre à aucun assainissement de l’Église de Dieu et, en conséquence, à aucune cessation des fléaux qui affligent si cruellement notre monde, sans un retour à la Vérité. Un tel retour doit passer obligatoirement par la discussion, Bible en main, des erreurs qui affaiblissent et divisent l’Église de Dieu. Notre rubrique : Controverses et débats doctrinaux tentera d’être une modeste contribution à cette tâche d’éclaircissement et d’assainissement spirituel si urgente aujourd’hui. Nous remercions par avance nos lecteurs qui se donneront la peine d’y apporter leur contribution.
La Rédaction
Nous recevions, en date du 5 novembre 1991, la lettre suivante du pasteur Roger Barilier de Lausanne :
« Dans le dernier numéro de Résister et Construire, vous avez répondu très aimablement à ma remarque sur la conception baptiste du baptême.
Votre réponse porte sur un point d’histoire : il est vrai que la filiation du baptisme actuel par rapport à l’anabaptisme n’est pas établie avec certitude. Et il est sûr qu’entre les deux mouvements il y a de grandes différences.
Mais vous ne me répondez pas sur le fond de la question : le baptisme, même calviniste (bizarre anomalie à l’intérieur de la descendance réformée, et qui doit faire Calvin se retourner dans sa tombe) ne présente-t-il pas le risque d’accentuer le rôle des dispositions et de l’action humaine, et de faire passer au second plan l’œuvre de Dieu, seule salutaire ? Je ne dis pas que ce risque soit fatal, et qu’on ne puisse y échapper ; mais le danger est grand d’accorder, si peu que ce soit, une valeur au fait même de demander le baptême, d’accomplir un acte de foi, d’offrir à Dieu sa conversion, – danger qui est écarté par le baptême des petits enfants.
Quand le baptême précède la foi, il atteste que la grâce divine est première, et que nous sommes prédestinés au salut, sans que nos mérites y soient pour quelque chose. Mais quand le baptême suit la repentance, la foi et même la sanctification déjà commencée, on est « diablement » exposé à considérer la grâce comme l’estampille mise par Dieu sur les bonnes dispositions dont on a fait preuve. Comme vous l’avez dit vous-même, l’accent se déplace de l’œuvre objective de Dieu sur la réponse subjective de l’homme.
Vous me rassurez en disant que s’il vous fallait choisir entre le baptême et la théologie de l’Alliance, vous vous rangeriez sans hésiter dans le camp des pédobaptistes. Vous n’êtes donc pas un baptiste étroit ni inconditionnel. Il resterait à nous demander si le baptême à l’âge de raison des enfants nés et élevés dans la foi ne porte pas un coup à la théologie de l’Alliance. Ces enfants-là, tant qu’ils ne sont pas encore baptisés, sont-ils déjà dans l’Alliance ? Si oui, pourquoi ne pas les avoir baptisés ? Sinon, l’Alliance subsiste-t-elle ? »
Roger Barilier n’est pas reconnu par tous comme une autorité sur l’orthodoxie calviniste. Nous recevions, en date du 4 novembre 1991, la lettre suivante du pasteur Aaron Kayayan adressée à la revue. Le pasteur Kayayan est un théologien calviniste bien connu et l’auteur de nombreux ouvrages de théologie réformée de grande valeur. Il s’opposerait certainement, au moins aussi énergiquement que M. Barilier, à notre doctrine baptiste de l’Alliance. Nous publions ici un bref extrait de sa lettre. Nous laissons, évidemment, à son auteur l’entière responsabilité de ces remarques :
« Profitant de cette occasion permettez-moi de vous faire part d’une réflexion. Vous donnez souvent la parole à un certain M. R. Barilier, (pasteur réformé ?) et je me demande dans quelle mesure celui-ci souscrit à vos positions, telles que je les comprends. J’ai eu récemment entre les mains, acheté d’occasion lors de mon passage à Lausanne, un numéro de la Revue Réformée, revue que je ne reçois plus depuis plusieurs années. Un article signé par M. Barilier, sous le titre Évangile et Politique, m’a littéralement effaré ! (ce texte de la Revue Réformée a été repris par nous-mêmes dans les publications de l’Association vaudoise de Parents chrétiens. Réd.) Je ne comprends pas qu’on puisse se dire réformé et collaborer à une revue qui a la prétention d’être la seule revue réformée de langue française, et produire une telle pensée. Tous les clichés éculés de l’anti-engagement viscéral politique y étaient alignés, et ce dans un style de piété et de spiritualité évangéliques qui me paraissent plus proches d’un évangélicalisme arminien que d’une profonde réflexion réformée. Comment conciliez-vous une telle option, avec vos propres préoccupations de « reconstructioniste » chrétien ? Dans l’étude que je prépare actuellement sur la responsabilité politique du chrétien pour Perspectives Réformées, qui sera intitulée Polis, je tâcherai d’analyser cette prise de position. »
Nous répondions au pasteur Barilier le 16 novembre 1991 les pages suivantes :
« Je vous remercie de votre bonne lettre du 8 novembre. Votre intérêt, même critique, pour notre travail m’est toujours une source très vive d’encouragement, cela d’autant plus qu’une de mes préoccupations permanentes (en effet depuis le début de ce travail en 1972 !) est d’instituer un véritable débat doctrinal entre les responsables chrétiens des différentes tendances spirituelles établies dans nos régions.
Comme vous l’écrivez très justement dans votre lettre, ma courte réponse dans Résister et Construire à vos remarques sur les inconséquences théologiques auxquelles devaient forcément me conduire ma position baptiste réformée, n’abordait que l’aspect historique du problème des relations entre l’anabaptisme et l’arminianisme. Comme vous devez sans doute l’avoir compris, c’est de façon délibérée que j’ai ainsi limité ma réponse. Une véritable réplique à vos objections m’aurait entraîné trop loin. Et la correspondance que nous avions publiée était déjà, sans doute, bien trop longue. C’est pour ces raisons que je vous suis d’autant plus reconnaissant d’aborder à nouveau aujourd’hui ce thème si important de la signification du baptême.
Précisons d’abord que je me dissocie nettement, quelles que puissent être par ailleurs les qualités certains des meilleurs ouvrages de cette tradition, de l’enseignement courant des milieux évangéliques de nos pays francophones sur cette question. Car cet enseignement est, presque toujours, à la fois individualiste et arminien. Mais ce que je lui reprocherais surtout c’est que, par son nominalisme, son refus de l’unité foncière du signe et du signifié, il refuse la structure fondamentale qui sous-tend toute la Révélation divine, toute l’action de Dieu envers sa création, et plus particulièrement son œuvre de salut. Cette structure, qui est la clef véritable de l’Écriture toute entière, est la doctrine de l’Alliance.
Rappelons pour mémoire quelques ouvrages évangéliques baptistes, particulièrement ceux d’Alfred Kuen, Le baptême (Éditions S.P.B., Lille, 1970) et du regretté Gabriel Millon, Le Baptême Messianique : Préface au baptême chrétien ; Le baptême au nom du Seigneur ;, etc., (4 fascicules publiés par le Centre de Culture Chrétienne)
Cela ne vous surprendra guère de trouver chez moi un refus bien plus énergique encore du baptême catholique. Car il s’agit ici d’un véritable acte sacramentel quasi magique, qui prétend fallacieusement par un tel rite infuser la vie nouvelle dans le bébé et cela au moyen des pouvoirs spirituels imaginaires conférés par les évêques aux prêtres par le sacrement de l’ordre.
Il ne m’est guère possible non plus, vous l’imaginez bien, d’approuver le baptême tel qu’il se pratique de manière assez générale dans les milieux protestants multitudinistes. Car ce baptême est le plus souvent conféré automatiquement à tous les petits enfants dont les parents en font la demande, et cela quel que puissent être la condition spirituelle, le comportement ou les intentions ultérieures de ceux qui promettent d’élever dans la foi ces enfants ainsi baptisés.
Le débat réellement utile me paraît ici être celui que nous devons mener avec nos frères pédobaptistes véritablement calvinistes qui ne préconisent que le baptême des enfants de parents faisant une profession orthodoxe de foi, profession rendue crédible par leur comportement visiblement chrétien. Je pense, en particulier, à nos amis de la Faculté libre de Théologie réformée d’Aix-en-Provence, les professeurs Pierre Courthial et Paul Wells qui consacrèrent, il y a bien une dizaine d’années, une soirée mémorable dans notre appartement à tenter de nous convaincre par tous les arguments imaginables que le pédobaptisme était véritablement biblique. Nous sûmes par la grâce de Dieu résister à leurs assauts ! Vous vous rappellerez sans doute qu’il y a bien des années je dus faire face aux charges véhémentes du pasteur Pierre Marcel en votre présence dans les jardins de l’Hôtel Élite. C’était l’occasion où je m’étais arrangé à vous mettre en contact personnel avec cet éminent calviniste afin d’essayer enfin de relancer (avec succès) la publication de l’adaptation en français moderne des commentaires de Calvin si admirablement commencée par le pasteur Marcel qui vient de nous quitter dans sa 82ème année.
L’enseignement que nous nous devons de réfuter en tant que calvinistes baptistes est avant tout celui des réformateurs. Cette doctrine erronée nous la retrouvons, par exemple, dans l’Institution chrétienne (Livre IV, Ch. xv et xvi, p. 294-346, Genève, 1958) ou telle que l’a brièvement exposée le chanoine Bavaud dans son admirable ouvrage sur Pierre Viret : Le réformateur Pierre Viret, (Labor et Fides, Genève, 1986, Le baptême, p. 263-270), ou encore dans le livre XV traitant Des Sacrements de la si remarquable Théologie Chrétienne de Bénédict Pictet, (Genève, Tome II, 1721). C’est cet enseignement calviniste traditionnel que reprenait, par exemple, le pasteur du Réveil genevois du XIXᵉ siècle, César Malan, de manière remarquablement pédagogique dans son opuscule sous forme de dialogue intitulé : La Famille baptisée, ou recherche sur la condition des enfants dans l’Église chrétienne (Genève 1835). Mais ici l’ouvrage majeur reste toujours celui de Pierre Marcel : Le baptême, sacrement de l’Alliance de grâce (La Revue réformée, No. 2-3, 1950), aujourd’hui malheureusement introuvable en français, mais aisément disponible en anglais (Biblical Doctrine of Infant Baptism, James Clarke, Cambridge). Je rappellerai seulement encore votre importante étude parue dans les Cahiers Protestants, Le baptême des petits enfants. Défense et illustration.
Avant d’aborder brièvement ce qui me paraît être le fond de toute cette difficile question, il me semblerait utile de rappeler le témoignage des pierres, qui sans être décisif, devrait quand même être assez troublant pour un pédobaptiste convaincu. Je veux parler de la découverte émouvante de nombreux baptistères paléochrétiens. C’est à l’étude de ces vestiges éloquents que s’est consacré pendant ses loisirs le doyen des pasteurs baptistes, Frédéric Buhler, lui aussi disciple de Calvin. Voyez à ce sujet son petit ouvrage : Archéologie et Baptême. Evolution du baptême et des installations baptismales (Centre de Culture Chrétienne, Mulhouse, 1986). Lors de notre récent séjour à Aix-en-Provence l’été passé, ma femme et moi-même avons été vivement frappés par l’ampleur du baptistère mis en lumière par les fouilles menées dans la crypte de la cathédrale. Mais de tels arguments ne sont évidemment pas décisifs pour ceux qui veulent soumettre leur foi à la Parole de Dieu et à elle seule.
Quels sont les caractères distinctifs propres à l’Alliance que Dieu a établie avec les hommes sous des formes différentes depuis Adam jusqu’à sa consommation définitive en notre Seigneur et Roi, Jésus-Christ ? Bien des éléments pourraient être retenus mais tenons-nous-en à l’essentiel.
Il s’agit tout d’abord d’une Alliance souveraine, non d’un pacte ou d’un accord entre parties égales. Dieu est, lui, l’unique initiateur de cette Alliance qui, en conséquence, ne peut qu’être une Alliance gracieuse, une Alliance de grâce. C’est Dieu qui en établit les conditions, conditions définies par ses commandements, sa loi. L’obéissance à l’Alliance entraîne naturellement les bénédictions dont les modalités sont établies, elles aussi, par Dieu. Les infractions à l’Alliance entraînent elles aussi, inévitablement, les sanctions, les malédictions divines. Le signe même de l’Alliance est établi par Dieu. Mais il peut changer, ce qui n’est guère le cas des conditions de l’Alliance définies par la loi divine. Celle-ci demeure immuable, car la loi représente l’image même de Dieu, de sa sainteté, de sa justice et de son amour. C’est ce que montre très clairement la prophétie de Jérémie 31 qui annonce explicitement la venue d’une Nouvelle Alliance où la Thora, la loi de Moïse toute entière, sera inscrite dans le cœur de l’homme. L’homme sera ainsi intégré à nouveau dans une étroite communion avec son Dieu par le renouvellement définitif de l’Alliance en Jésus-Christ. Ainsi nous voyons que l’Alliance est, de bout en bout, une Alliance divine, une Alliance de grâce, une Alliance où toutes les initiatives reviennent à Dieu, et à lui seul. La part de l’homme est de répondre par la foi, elle aussi don de Dieu, et par l’obéissance de la foi aux conditions de l’Alliance. Mais là aussi la grâce de Dieu, qui suscite en lui tant le vouloir que le faire, est encore première.
Ce schéma, ici sommairement esquissé, est vrai autant pour Adam avant la chute qu’après ; pour Noé ; pour Abraham et surtout, insistons sur ce point à cause de l’antinomisme qui prévaut partout, pour Moïse. Cette universalité de l’ordre de l’Alliance explique la colère divine qui repose encore aujourd’hui sur la race humaine toute entière. Car l’humanité paie en quelque sorte toujours le rejet originel du pacte créationnel par Adam, père de tous les hommes. Il est vrai pour David, pour le Nouveau Testament, même pour l’Apocalypse.
Le célèbre texte de Lévitique 18:5, utilisé par les adversaires de Paul pour défendre leur fausse interprétation d’un salut par les œuvres de la loi et que l’apôtre cite au dixième chapitre des Romains, « L’homme qui la mettra en pratique vivra par elle » (Romains 10:5), ou encore les passages de Deutéronome 30 qui suivent immédiatement cette citation, ne peuvent servir à conforter la thèse juive (thomiste et arminienne) d’une possible propre justice de l’homme. Car il s’agit ici de paroles (comme toute la Loi, d’ailleurs) adressées au peuple de Dieu à l’intérieur du contexte de l’Alliance elle-même. Elles ne peuvent être comprises comme une espèce de Loi naturelle religieusement neutre adressée à tout homme en dehors du cadre de l’Alliance. L’Alliance avec Adam, comme celle avec Noé, englobant, comme elles le font toutes les deux, l’humanité toute entière, rien, absolument rien, dans la vie des hommes et de la création ne peut échapper aux conditions établies par Dieu dans son l’Alliance. La volonté d’échapper à ce cadre divinement établi, volonté acharnée dont témoigne toute notre civilisation depuis la Renaissance, n’est qu’une pure insanité, un leurre, une impossibilité.
Ainsi les paroles de la loi définissant les conditions de l’Alliance ne peuvent être accomplies qu’à l’intérieur de l’Alliance. Car Jésus-Christ est lui-même l’aboutissement parfait de la loi et la clef de voûte de l’Alliance toute entière. C’est ainsi que la justice de la loi, pour employer ici le vocabulaire de Paul, ne peut aucunement être opposée, (comme le voulaient les juifs) à la justice de la foi. Car Jésus-Christ n’est aucunement venu pour abroger la loi mais pour l’accomplir. C’est en Christ que l’enfant de Dieu, que le chrétien, peut accomplir la justice de la loi (Christ) par la justice de la foi (Christ encore). Car il n’y a qu’une seule justice, celle définie par la loi de Dieu, justice parfaitement accomplie par le Fils de Dieu, par Jésus-Christ, pour notre justification et notre sanctification. Paul le résume admirablement dans un de ses raccourcis remarquables :
Car – chose impossible à la loi, parce que la chair la rendait sans force – Dieu, en envoyant à cause du péché son propre Fils dans une chair semblable à celle du péché, a condamné le péché dans la chair ; et cela, pour que la justice prescrite par la loi soit accomplie en nous, qui marchons non selon la chair, mais selon l’Esprit. (Romains 8:3‑4)
Ainsi est démontrée l’unité admirable des interventions divines à l’égard de son peuple. C’est cette unité de l’Alliance, de l’Ancien et du Nouveau Testament, que récusent les apôtres sentimentaux et antinomiens de la civilisation de l’amour, tel Jean Paul II, de cette politique de l’amour de Michael Cassidy ou de cette fausse théologie de l’amour de Ceslas Spicq qui est à la racine antinomienne funeste de tous ces maux. (Voyez de cet auteur : Connaissance et Morale dans la Bible, Éditions Universitaires, Fribourg, 1985, Théologie morale du Nouveau Testament, Gabalda, Paris, 1970 2 vols. Agape dans le Nouveau Testament, Gabalda, Paris, 3 vols.).
C’est sur cette unité de l’Alliance que se basent nos amis pédobaptistes calvinistes pour établir leur parallèle rigoureux entre la circoncision et le baptême, clef de voûte de toute leur argumentation. Mais il n’existe pas uniquement une continuité dans l’Alliance. Il existe aussi des étapes dans la Révélation des desseins de Dieu. Ces étapes sont marquées par des modifications, non dans le fond, non dans la condition immuable de la justice de la loi, mais dans la mise en œuvre temporaire, dans les signes et dans les marques de l’unique Alliance. C’est une nouvelle manifestation de la manière dont le Dieu Trinitaire marque de son sceau propre, celui de l’unité dans la diversité, tous les aspects de son œuvre. Nous voyons la marque de cette diversité dans le dessein de Dieu dans le signe de l’arc-en-ciel, sceau de l’Alliance créationnelle adamique renouvelée avec Noé et sa descendance au travers du déluge et, par elle, avec toute la création. Nous le voyons également avec le sceau nouveau de la circoncision, marque visible de l’Alliance établie avec Abraham. Nous le voyons avec l’onction royale, sceau de l’Alliance davidique, signe de la royauté, préfiguratrice du règne du Roi des rois, de Jésus-Christ. Nous le voyons finalement avec le baptême, signe de l’Alliance définitive scellée dans le sang de l’Agneau de Dieu.
Ainsi nous trouvons un développement entre le signe de l’Alliance de la promesse, celle avec Abraham, et celui de l’Alliance définitive, celle avec l’Église de Dieu, alliance pleinement accomplie par Jésus-Christ, en sa mort et en sa résurrection. Un des changements marquants est que le sceau ne s’applique plus qu’aux seuls hommes, comme avec la circoncision. Tous les membres de la Nouvelle Alliance y participent, hommes et femmes. Nous voyons un changement pareil avec le remplacement du sabbat par le dimanche. L’aboutissement de l’ancienne création, l’attente hebdomadaire du sabbat, du Royaume, par les Juifs est remplacée par la venue du Royaume dans la victoire de la croix et de la résurrection et dans l’attente de la manifestation complète du règne de Dieu, victoire finale totale avec le retour du Christ en gloire. Prenons quelques exemples où nous voyons plus clairement et cette continuité et cette discontinuité dans une seule et unique Alliance.
Le Nouveau Testament nous parle de la semence d’Abraham de trois manières bien différentes.
- Dans Galates 3:16 Paul nous parle d’une semence unique d’Abraham, Christ lui-même. C’est lui la semence d’Abraham, l’accomplissement de la promesse. « Or les promesses ont été faites à Abraham et à sa descendance ( semence). Il n’est pas dit : et aux descendances, comme s’il s’agissait de plusieurs, mais comme à une seule : à ta descendance. » Ainsi seuls ceux qui sont en Christ sont les véritables enfants d’Abraham, les vrais enfants de la promesse
- Il est aussi question de la semence littérale d’Abraham. Dans Romains 7:9 nous lisons : « Parce qu’ils sont la descendance (littéralement semence) d’Abraham, tous ne sont pas ses enfants. » Le mot semence veut ici dire toute la descendance physique d’Abraham. Cette descendance (Ismaël et Esaü inclus) devait obligatoirement porter le signe de l’Alliance de la Promesse, la circoncision, sans pour autant être nécessairement les véritables enfants spirituels d’Abraham.
- En troisième lieu, le Nouveau Testament nous parle de la semence véritable d’Abraham, qui est une semence spirituelle (Galates 4:21-31). « Pour vous, frères, comme Isaac, vous êtes enfants de la promesse. Mais comme autrefois celui qui avait été engendré selon la chair persécutait celui qui l’avait été selon l’Esprit…» (Galates 5:28-29).
Et dans les Romains Paul le dit encore plus clairement :
« Donc c’est par la foi, pour qu’il s’agisse d’une grâce, afin que la promesse soit assurée à toute la descendance (lit. semence), non seulement à celle qui a la loi (celle de la race juive, de la semence physique) mais aussi à celle qui a la foi d’Abraham notre père à tous. » (Romains 4:16)
C’est bien cela que nous dit le prologue de Jean :
« Elle (la Parole) est venue chez les siens, et les siens ne l’ont pas reçue, mais à tous ceux qui l’ont reçue, elle a donné le pouvoir de devenir enfants de Dieu, à ceux qui croient en son nom et qui sont nés, non du sang, ni de la volonté de l’homme, mais de Dieu. » (Jean 11-13)
Seuls ceux, juifs et gentils, qui croiront en Jésus-Christ, semence unique d’Abraham, sont des fils véritables d’Abraham, des fils de la promesse. Sans la Foi qui nous rend fils d’Abraham, on ne devient pas membre de la Nouvelle Alliance.
Nous pouvons tirer exactement les mêmes conclusions de l’usage biblique de l’expression circoncision. Nous y retrouvons les trois mêmes significations.
- En Colossiens 2:11, il est question de la circoncision du Christ : « En lui aussi vous avez été circoncis d’une circoncision qui n’est pas faite par la main des hommes ; c’est-à-dire le dépouillement du corps de la chair ; la circoncision du Christ. » Pour montrer que par cette circoncision du Christ il ne s’agit de rien de moins que de notre identification avec le Christ dans sa mort et dans sa résurrection, il ajoute : « Ensevelis avec lui par le baptême, vous êtes aussi ressuscités en lui et avec lui, par la foi en la puissance de Dieu qui l’a ressuscité d’entre les morts. » (Colossiens 2 :12)
Si la semence d’Abraham est d’abord Christ lui-même, la circoncision véritable est celle qu’il a subie pour nous à la croix. La circoncision spirituelle du chrétien par laquelle il se défait de « l’incirconcision de sa chair » (v. 13) se fonde ainsi sur la circoncision préalable de son Seigneur à la croix. L’unique semence d’Abraham, Jésus-Christ, a subi la véritable circoncision, celle de sa mort à la croix.
- En deuxième lieu le Nouveau Testament nous parle d’une circoncision faite de main d’homme. « Souvenez-vous donc de ceci : autrefois, vous, païens dans la chair, traités d’incirconcis par ceux qui le sont dans la chair et par la main des hommes, vous étiez sans Christ, privés du droit de cité en Israël, étrangers aux alliances de la promesse, sans espérance et sans Dieu dans le monde. » (Éphésiens 2:11-12) Il s’agit ici manifestement de la circoncision physique, signe de l’Alliance de la promesse établie avec Abraham et qui était le privilège de tout israélite (qu’il ait la foi ou non) et dont tous les gentils (hormis les prosélytes) étaient exclus.
- Troisièmement, il nous est parlé d’une circoncision spirituelle. Paul est encore ici très clair :
« Le Juif, ce n’est pas celui qui en a les apparences ; et la circoncision, ce n’est pas celle qui est apparente dans la chair. Mais le Juif, c’est celui qui l’est intérieurement ; et la circoncision, c’est celle du cœur, selon l’esprit et non selon la lettre. » (Romains 2 :29) Dans son épître aux Philippiens Paul est plus catégorique encore : « Prenez garde aux chiens, prenez garde aux mauvais ouvriers, prenez garde aux faux circoncis (aux juifs seulement circoncis dans la chair et non spirituellement). Car les vrais circoncis, c’est nous (Paul le juif), qui rendons à Dieu notre culte par l’Esprit de Dieu, qui nous glorifions en Christ Jésus et qui ne mettons pas notre confiance dans la chair. » (Philippiens 3 :2-3)
Tirons maintenant quelques conclusions de ces textes.
- Comme la vraie semence et la véritable descendance d’Abraham est Jésus-Christ lui-même, la vraie circoncision (dont celle dans la chair d’Abraham et de tout le peuple juif n’était qu’un type) est celle qui fut opérée sur le Messie par sa mort sur la croix.
- De même, les véritables descendants d’Abraham sont ceux (tant juifs que gentils) qui sont nés de Dieu, ceux qui ont été l’objet de la vraie circoncision, celle qui les identifie à la circoncision du Christ, à sa mort et à sa résurrection.
- La semence physique est le type. La réalité est la semence spirituelle : le Christ et ceux qui sont greffés en Christ par la foi.
- La circoncision physique est le type. La réalité est la circoncision spirituelle : la mort de Jésus-Christ à la croix et la mort en lui de tous ceux qui sont identifiés à cette mort par la foi.
- Ce qui opère ce véritable ensemencement, cette véritable circoncision, c’est le Saint-Esprit qui applique à l’appelé, à l’élu, l’œuvre de la croix et de la résurrection. C’est ce que Paul appelle le Baptême dans le Saint Esprit. « Car nous avons tous été baptisés dans un seul Esprit, pour être un seul corps. » (I Corinthiens 12:13)
- Le signe visible de cet ensemencement spirituel qu’est la régénération, de cette circoncision faite de la main de Dieu qu’est de ce baptême dans l’Esprit, est le baptême d’eau. Le sens de ce baptême d’eau est l’identification par Dieu de celui qu’il appelle, à la mort et à la résurrection de Jésus-Christ.
- Le signe de la circoncision était pour le peuple charnel tout entier. Le signe du baptême d’eau est pour ceux qui ont été baptisés dans le Saint Esprit.
De même, le pain et le vin de la cène sont seulement pour ceux qui ont été préalablement identifiés à Jésus-Christ par la justification, œuvre de la souveraine grâce de Dieu envers ceux que Dieu s’est choisis avant la création du monde. L’acte volontaire de se faire baptiser ne diminue pas plus la souveraine grâce de Dieu, que celui de s’approcher personnellement et consciemment de la cène du Seigneur. C’est encore ce que Paul nous dit dans l’épître aux Romains.
Ignorez-vous que nous tous qui avons été baptisés en Jésus-Christ, c’est en sa mort que nous avons été baptisés ? Nous avons donc été ensevelis avec lui dans la mort par le baptême, afin que, comme Christ est ressuscité d’entre les morts par la gloire du Père, de même nous aussi nous marchions en nouveauté de vie. (Romains 5:3-4)
Cependant, s’il existe en effet une doctrine des baptêmes (Hébreux 6:2) – baptême d’esprit et de feu (i.e. de vie et de mort) et baptême d’eau – nous savons, par ailleurs, qu’il ne se trouve en réalité qu’un seul baptême dans l’œuvre de Dieu : « Il y a un seul corps et un seul Esprit, comme aussi vous avez été appelés à une seule espérance, celle de votre vocation ; il y a un seul Seigneur, une seule foi, un seul baptême, un seul Dieu et Père de tous, qui est au-dessus de tous, parmi tous et en tous. » (Éphésiens 4 :4-6) C’est-à-dire que le baptême véritable n’est autre que le Baptême d’Esprit. Le baptême d’eau n’en est que le signe, comme la cène est le signe, le sacrement, de la mort de Jésus-Christ à la croix pour son peuple, pour ses élus, pour son Église.
Ainsi le baptême ne peut pas simplement être identifié à la circoncision physique de la nation d’Israël et appliqué sans autre universellement à tous ceux qui naissent de parents chrétiens. Certes, l’œuvre accomplie par Dieu n’est aucunement une œuvre atomisée ou purement individualiste. Selon de nombreux exemples du livre des Actes et de cet héritage de foi dont témoignent tant de lignées chrétiennes, les enfants de chrétiens et leurs familles sont au bénéfice des promesses spéciales de Dieu, tant de la Loi (Exode 20:5-6), que de l’Évangile (I Corinthiens 7:14). Mais l’entrée dans la Nouvelle Alliance ne se fait pas par atavisme racial, par la naissance physique, comme c’était automatiquement le cas pour le peuple d’Israël sous l’Ancienne Alliance. Cette entrée dans l’Alliance renouvelée se produit uniquement par la foi – don de Dieu – d’une personne consciente de l’œuvre de Dieu et par sa naissance spirituelle. Comme le faisait remarquer il y a déjà fort longtemps Tertullien, l’on ne naît pas chrétien, on le devient. À un tel développement, un tel changement dans l’Alliance de Dieu avec son peuple il fallait bien un signe nouveau. C’est ainsi que le baptême de tous les croyants remplace dans la Nouvelle Alliance la circoncision physique de tous les juifs qui prévalait dans l’Ancienne.
Voici comment s’exprime David Kingdon dans un ouvrage auquel je dois beaucoup : Children of Abraham. A Reformed Baptist View of the Covenant, Baptism, and Children (Walter and Carey, Haywards Heath, 1973) :
Si les croyants sont la semence spirituelle d’Abraham il s’ensuit qu’ils sont circoncis spirituellement. On ne peut pas appartenir à la semence spirituelle, la vraie semence d’Abraham, sans recevoir la circoncision spirituelle. Les deux aspects ne peuvent être séparés. Le baptême a été institué comme la marque de tous ceux qui sont la semence d’Abraham. Dans sa signification spirituelle et éthique le baptême chrétien reprend et approfondit la signification spirituelle et éthique de la circoncision pratiquée dans l’Ancien Testament sans pour autant adopter son sens national et charnel… (p. 54)
De son côté Paul King Jewett s’exprime comme suit dans son livre Baptism and Confirmation (1960) :
Maintenant, si dans l’âge typologique de l’Ancien Testament, toute la semence d’Abraham devait se faire circoncire… alors, dans l’époque d’accomplissement, tous ceux qui correspondent au type, comme enfants véritables d’Abraham, devront être baptisés. Mais qui sont-ils ? Le Nouveau Testament nous donne une réponse des plus nettes : Ce sont ceux qui ont la foi qui sont les fils d’Abraham. (Galates 3:7). En conséquence, ce sont ceux qui sont de la foi qui doivent être baptisés, ce qui n’est rien d’autre que le baptême des croyants. (p. 409)
Un défenseur plus ancien de la position Baptiste réformée écrivait dans son ouvrage, Paedo-baptism examined :
Prenant en considération les situations différentes qui prévalaient dans l’Ancienne et dans la Nouvelle Alliance, ainsi que la distinction établie par l’apôtre entre la semence charnelle et la semence spirituelle d’Abraham, l’argument qu’il tire de l’analogie va ainsi : Comme la circoncision sous l’ancienne alliance appartenait à tous les descendants charnels mâles d’Abraham, de même, sous l’alliance nouvelle, le baptême appartient à toute la semence spirituelle d’Abraham, descendance que l’on ne peut connaître que par une profession crédible de repentance et de foi. (Kingdon op. cit. p. 265)
Un tel point de vue rend impossible l’idée même d’une Église multitudiniste, même si la profession crédible de repentance et de foi ne peut garantir que tous ceux qui font une telle profession soient de véritables chrétiens. Paul lui-même ne pouvait garantir dans les Églises fondées par lui une pareille impeccabilité, d’ailleurs parfaitement utopique ici-bas. Car Dieu seul connaît les cœurs. L’homme déchiffre les apparences. Il applique les critères bibliques à la profession de foi et aux mœurs des chrétiens, afin éloigner de l’Église loups et hypocrites. Dans une telle perspective biblique une Église qui cherche ainsi à se sanctifier ne peut être assimilée au champ de la parabole de l’ivraie. Ceci est d’autant plus vrai que le Christ nous dit lui-même que le champ c’est le monde (Matt. 13:38). Est-il alors étonnant que des Églises, (multitudinistes ou de professants, peu importe), qui, par principe, refusent de se sanctifier, d’extirper le mal du milieu d’elles, arrivent à ne plus être la lumière du monde, le sel de la terre ? Une telle Église est en fait devenue le champ de la parabole.
Avant de conclure permettez-moi de faire une dernière remarque. Cette position nous permet de maintenir à la fois la continuité de l’Alliance et la diversité de la révélation biblique.
- Bien des problèmes théologiques, et en conséquence ecclésiastiques et même politiques, proviennent du fait que l’on refuse cette continuité de l’Alliance. Le dispensationalisme, par exemple, coupe ainsi la Bible en morceaux, où l’antinomisme individuel et social n’a plus de place pour la loi de Moïse. Est-il alors surprenant de voir dans des Églises qui tolèrent un tel mépris de la loi tant de pasteurs homosexuels, adultères, drogués, etc. et que les paroissiens imitent leurs bergers ? L’Église infidèle devient ainsi non le sel purificateur de la terre mais la pourriture du monde.
- D’autres problèmes nous viennent d’une négation de la discontinuité des signes ainsi que de certains autres aspects (tels, par exemple le don de faire des prodiges ou ceux de révélation) de l’Alliance dans l’histoire des relations entre Dieu et son peuple. Ainsi les charismatiques ne peuvent concevoir que les dons spécifiquement apostoliques n’étaient valables que pour la période fondatrice de l’Église et cessèrent avec la venue complète de la Révélation, la fermeture du canon. La conséquence d’une telle convoitise des dons apostoliques est que ces charismatiques s’ouvrent aux contrefaçons nombreuses de ces dons révolus et livrent l’Église à la pollution spirituelle de démons religieux déguisés en anges de lumière. Une telle pollution spirituelle du Temple de Dieu n’est pas moins grave que celle provoquée par nos pasteurs homosexuels.
Le renouveau d’intérêt pour la doctrine de l’Alliance dans les milieux anglo-saxons et néerlandais me semble prometteur de solutions neuves et fructueuses à de nombreuses querelles et impasses théologiques dues au non-respect, tant de l’unité de l’Alliance, que de la discontinuité de ses caractéristiques passagères. Sur cet immense sujet il est utile de consulter quelques ouvrages récents : à Cornelis van der Waal nous devons des études remarquables : The Covenantal Gospel, (Inheritance Publications, Neerlandia, Canada, 1990) ; Het Nieuwe Testament : Bœk van het Verbond, (Oosterbaan, Gœs, 1978) ; il faudrait aussi lire les beaux livres d’O. Palmer Robertson : The Christ of the Covenants, (Presbyterian and Reformed, Philipsburg, 1980) et Covenants. God’s way with his people (Great Commission Publications, Philadelphia, 1987) ; d’auteurs réformés plus anciens nous avons : William Hendriksen : The Covenant of Grace (Baker Book House, Grand Rapids, 1978 (1932)) et John Murray : The Covenant of Grace (Tyndale Press, London, 1954) ; nous devons à des auteurs catholiques romains des études très remarquables sur l’Alliance. Voyez en particulier : Dennis J. McCarthy : Treaty and Covenant. A Study in Form in the Ancient Oriental Documents and in the Old Testament, et Edward Malatesta : Interiority and Covenant, (Biblical Institute Press, Rome, 1978). De l’école reconstructioniste nous pouvons citer les études suivantes : Stephen C. Perks : The Christian Philosophy of Éducation Explained, (Avant Books, Whitby, Angleterre, 1992) et James B. Jordan : The Law of the Covenant, (Institute for Christian Economics, Tyler, 1984).
Pour conclure voici ce qu’écrivait Charles Haddon Spurgeon, le célèbre prédicateur baptiste calviniste anglais du XIXᵉ siècle, dans son sermon intitulé, La consécration à Dieu illustrée par la circoncision d’Abraham, publié dans le Metropolitan Tabernacle Pulpit en 1868 :
« Il est souvent affirmé que l’ordonnance du baptême est une analogie de celle de la circoncision. Je ne veux pas ici réfuter une telle affirmation, bien qu’il soit possible de la discuter. Quoi qu’il en soit, je voudrais ici vivement encourager tous les croyants qui m’écoutent de faire tout ce qui est en leur pouvoir pour comprendre le sens spirituel véritable, tant de la circoncision que du baptême. Seulement après un tel examen pourront-ils utilement s’occuper de ces rites extérieurs. Car ce qui est ici signifié importe bien plus que le signe lui-même.« Très bien », répondrait alors quelqu’un, « il se dresse ici une difficulté, car on tire souvent argument du fait qu’Abraham étant devant l’obligation de faire circoncire toute sa descendance, nous devrions nous aussi également baptiser tous nos enfants.
Observez maintenant soigneusement le type et interprétez-le, non selon les préjugés couramment admis, mais d’après le sens de l’Écriture. Dans le type, on circoncit la semence d’Abraham. Vous en tirez la conclusion que tous ceux dont la semence d’Abraham est le type doivent être baptisés. Je ne discuterai pas votre conclusion, mais je me permettrai seulement de vous demander : qui donc constitue la semence véritable d’Abraham ? Paul répond des plus clairement à cette question dans Romains 9:8 : « Ce ne sont pas les enfants de la chair qui sont les enfants de Dieu, mais ce sont les enfants de la promesse qui sont comptés comme descendance ». Tous ceux qui croient au Seigneur Jésus-Christ, qu’ils soient Juifs ou Gentils, sont la semence d’Abraham. Que leur âge spirituel soit de huit jours, plus ou moins, peu m’importe. Tous ceux qui sont de la semence d’Abraham ont droit au baptême. Mais je nie catégoriquement qu’un non-régénéré, qu’il soit un enfant ou un adulte, puisse faire partie de la semence spirituelle d’Abraham…
La personne qui répond au type de la semence d’Abraham, tous le reconnaissent, ne peut être qu’un croyant. Et le croyant devrait, vu qu’il est spirituellement enseveli avec Christ, confesser ce fait ouvertement en se faisant publiquement baptiser dans l’eau, selon l’ordonnance et l’exemple du Sauveur. » (p. 695-696)
Un tel sujet mériterait certes un travail plus approfondi. J’espère vous avoir du moins convaincu que les baptistes qui fondent leur doctrine du baptême sur la base de l’Alliance de Dieu ont des arguments bibliques et théologiques qui méritent au moins d’être pris en considération et auxquels il serait heureux de donner réponse. »
Le pasteur Barilier nous répondait le 6 décembre 1991 par une très longue lettre dont nous reproduisons le passage suivant traitant plus particulièrement du baptême.
« J’ai lu avec beaucoup d’intérêt l’exposé de votre point de vue calviniste-baptiste, et, bien que ces deux étiquettes me semblent contradictoires, je me sens en plein accord avec vous sur les trois premiers quarts de cet exposé.
Je me réjouis de vous voir vous distancier du baptisme en quelque sorte classique, professé par les Assemblées évangéliques dissidentes de chez nous, qui négligent la structure biblique de l’Alliance de grâce. De même, j’approuve vos réticences à l’égard du baptême catholique, du moins tel que vous le comprenez, comme un acte quasi magique. (Mais la conception calviniste du sacrement – « une image, mais une image inséparable de la réalité » – ne vous paraît-elle pas aussi un peu magique ? Et votre idée du baptême ne serait-elle pas simplement symbolique, comme celle du libéralisme protestant ?)
D’autre part, je suis bien conscient du problème que pose un pédobaptisme généralisé, et un baptême donné à des enfants dont les parents, apparemment, n’ont pas la foi. C’est même cette question douloureuse qui m’a poussé, personnellement, à étudier d’un peu plus près la doctrine du baptême : je pense seulement que la solution du pédobaptisme généralisé se trouve dans une discipline baptismale, plutôt que dans un refus de principe. Cela demanderait des développements qui nous éloigneraient du sujet précis que j’aimerais aborder ici, bien que cela n’y soit pas étranger.
Si ni M. Wells, ni M. Courthial, ni M. Marcel ne sont parvenus à vous convaincre de l’excellence du pédobaptisme, je n’espère pas y parvenir à mon tour, et j’y renonce. Mais je suis heureux de voir que vous reconnaissez franchement que cette position était celle des Réformateurs – d’ailleurs unanimes – et que vous n’êtes donc pas réformé, ni plus précisément calviniste, sur ce point.
Il me plaît aussi que vous souligniez que l’Alliance de Dieu avec son peuple n’est pas entre deux contractants égaux, mais que toute l’initiative et toute la gloire en revient à Dieu seul : cette Alliance est une alliance de grâce. Je me demande seulement si vous êtes conséquent avec cette affirmation, et si votre pratique ne l’infirme pas. Nous en reparlerons.
Je me sépare de vous sur le point de la circoncision, préfiguration du baptême. Votre raisonnement tendant à rompre au moins sur ce point le parallèle fait par saint Paul en Col. 2 entre la circoncision et le baptême me semble emprunter des chemins de traverse, qui n’aboutissent nulle part. Car si vraiment Dieu avait voulu que le baptême, signe de la Nouvelle Alliance, ne soit pas donné aux enfants, comme la circoncision, signe de l’Ancienne Alliance, ne croyez-vous pas qu’il aurait fait en sorte que la chose soit dite clairement dans sa Parole ? Or nulle part saint Paul, ni un autre Apôtre, ne fait cette réserve, alors même que les judéo-chrétiens, habitués à la circoncision le huitième jour, devaient inévitablement transférer sur le baptême, circoncision du Christ, la même manière de faire.
Argument e silentio, non déterminant, direz-vous peut-être. Mais il y a plus : la circoncision, comme le baptême, n’était pas seulement le signe d’une appartenance nationale ou raciale mais celui d’une alliance de foi, « le sceau de la justice obtenue par la foi » (Rom. 4:11 ; cf. Eph. 4:30). Et bien que cela ait été valable, à la lettre, d’abord et seulement pour Abraham, qui était en âge de croire personnellement, l’Ancien Testament n’en a pas déduit que ce sceau ne pouvait pas être appliqué aux petits enfants, puisqu’au contraire, après Abraham, et sur l’ordre de Dieu, tous les Israélites furent circoncis au berceau (Gen. 17:9-14). Le circoncis était membre d’un peuple par sa naissance, mais agrégé au peuple élu par sa circoncision, mis personnellement au bénéfice de l’élection divine dont ce peuple était l’objet.
Et ce qui atteste aussi que cette circoncision n’était pas seulement une affaire de nationalité ou de race, c’est le fait que les fils d’étrangers étaient circoncis comme les fils d’Israël :« De génération en génération, tout mâle parmi vous sera circoncis à l’âge de huit jours, qu’il soit né dans la maison ou qu’il ait été acquis à prix d’argent d’un étranger quelconque et ne soit point de ta race. » (v. 12)
Il n’y a donc pas de différence de nature entre la circoncision et le baptême. L’une comme l’autre a un sens spirituel et pas seulement « physique », comme vous le dîtes de la circoncision (mais n’est-ce pas aussi le cas du baptême ?) L’une comme l’autre marque une sorte de nouvelle naissance, de sanctification, de mise à part, de consécration à Dieu et une rupture avec le paganisme ambiant, avec ce que le Nouveau Testament appellera « le monde ». Et l’une comme l’autre ont beau impliquer en principe une repentance et une foi personnelles, il n’empêche que les enfants y ont part comme les adultes. Pourquoi ? parce que l’Alliance de Dieu est un fait qui préexiste de toute façon à l’existence individuelle de chaque Israélite comme de chaque chrétien, et que, d’autre part, chaque enfant d’israélite ou de chrétien baigne dès son enfance dans une ambiance familiale et collective de foi et s’en trouve imprégné. La foi de ses parents et de son Église supplée et engendre la sienne. Il y a là, dans cette analogie profonde et quasi parfaite entre circoncision et baptême, un fait qui me paraît capital, et dont vous n’avez pas tenu compte, involontairement sans doute, parce que vous ne l’avez pas remarqué. Je vous invite à le considérer maintenant et à réfléchir à ses conséquences.
Vous citez avec raison Tertullien :« On ne naît pas chrétien, on le devient. » Mais cela était vrai déjà sous l’Ancienne Alliance : on ne naissait pas circoncis dans son cœur, mais la circoncision physique contenait la promesse de cette circoncision morale, et marquait le commencement du processus intérieur qui, avec le temps, ferait de chaque enfant né au milieu du peuple de Dieu, un enfant de Dieu. Ainsi en est-il du baptême.
Conclure de votre démonstration que le baptême des croyants doit supplanter celui des enfants, c’est exactement comme si vous vouliez que tous les descendants d’Abraham attendent d’avoir l’âge de leur ancêtre pour se faire circoncire. Seulement, ce serait vouloir réécrire la Bible à notre manière.
Vos prémisses étant fausses, votre conclusion, empruntée à Paul King Jewett, David Kingdon et Charles Spurgeon, est fausse elle aussi. Parce qu’il n’y a pas d’opposition entre un rite charnel, qui serait la circoncision, et le rite spirituel, que serait le baptême, mais que tous les deux sont à la fois charnels et spirituels, la règle de la transmission de la foi de père en fils et de mère en fille est la même sous la Nouvelle Alliance que sous l’Ancienne. Et le multitudinisme en découle tout naturellement, dans un cas comme dans l’autre.
La foi n’est pas un phénomène purement individuel : vous l’avez reconnu, mais sans en voir toute la portée. Il y a une foi familiale ou collective, une foi vicaire : la foi de l’Église, dans laquelle les enfants de parents chrétiens sont baptisés. Une foi vicaire qui n’est pas une invention ecclésiastique, mais dont il y a des exemples tant dans l’Ancien Testament que dans le Nouveau.
Dans l’Ancien Testament, outre cette multitude de circoncisions qui ont été faites dans la foi du peuple élu, on peut citer plus spécialement le cas du petit Moïse, sauvé des eaux par sa mère et préservé pour l’exercice de sa vocation de libérateur, celui de Jérémie, appelé dès avant sa naissance à être prophète, celui de Samuel, consacré à Dieu par sa mère avant même qu’il fût conçu. Ces enfants-là ont été mis à part pour Dieu, appelés, régénérés, bien avant d’être parvenus à une foi consciente. Quant au Nouveau Testament, il nous présente l’enfant épileptique, la fille de la Cananéenne, le petit serviteur du centenier romain, et le paralytique porté par quatre hommes qui ont été guéris – et la guérison est, dans les Évangiles, le signe du salut, le lieu de l’irruption du Royaume à venir – sur la foi de leurs parents ou de leurs amis. Joignons-y la famille de Lydie et celle du geôlier de Philippes, qui ont été sauvés – et baptisés – sur la foi de leur chef : « Crois (verbe au singulier) au Seigneur Jésus, et tu seras sauvé, toi et tous les tiens !« (apposition au pluriel).
Parvenu à ce point, je me permets de vous poser à nouveau les deux questions auxquelles vous ne m’avez pas encore répondu, si ce n’est, pour l’une des deux, indirectement et contradictoirement.
La première est celle-ci : les enfants de parents chrétiens sont-ils inclus dans l’Alliance de grâce, ou non ? Si vous me répondiez oui, je vous demanderais : pourquoi ne pas leur donner le signe de cette Alliance, autrement dit le baptême ? Comment les parents peuvent-ils avoir la confirmation visible de l’appartenance de leur progéniture au peuple de Dieu, à l’Église ? Le rôle du sacrement est de rendre certain de l’amour du Seigneur. Mais je dois déduire de vos propos – « l’entrée dans l’Alliance nouvelle se produit uniquement par la foi d’une personne consciente de l’œuvre de Dieu en elle » – que ces enfants sont exclus de cette Alliance. Ils sont donc des petits païens, même si bien avant leur baptême « conscient » ils baignent dans une atmosphère de piété et pratiquent la prière, l’écoute de la Parole et l’obéissance à cette Parole. Une famille chrétienne ne l’est qu’en partie : les parents et peut-être de grands enfants baptisés, appartiennent à Dieu, et des enfants plus jeunes, non encore baptisés, appartiennent au monde : belle unité familiale !
Il est vrai que votre déclaration ci-dessus entre en conflit avec l’affirmation de Paul, que vous citez et à laquelle vous adhérez, concernant les enfants d’un foyer dont l’un des parents est chrétien :« Vos enfants sont saints. » Ils sont donc dans l’Alliance ? Y sont-ils ou n’y sont-ils pas ? Y sont-ils sans en être encore tout à fait ? Mais s’ils y sont déjà sans avoir été baptisés, à quoi bon les baptiser plus tard ? Cela n’a plus guère de sens, ou alors ce baptême n’est plus que la confirmation après coup d’une vie chrétienne déjà commencée, ce qui n’est pas du tout conforme au sens qu’a le baptême dans le Nouveau Testament.
Cela m’amène à vous poser ma seconde question, à laquelle je n’ai pas trouvé dans votre lettre ne fût-ce qu’un début de réponse : le baptême tardif d’enfants nés et élevés dans un foyer chrétien – baptême très différent du baptême d’adultes dont parlent les Actes, qui intervient tout au début de leur vie en Christ, dans l’heure qui suit la toute première audition de l’Évangile – le baptême « baptiste » n’apparaît-il pas comme un aboutissement, un couronnement, ou tout au moins une étape, mais non comme un commencement, comme les premiers pas dans la foi, ce qu’il est toujours dans l’Église primitive ? Cela dit, ne dissimule-t-il pas le caractère absolument gratuit, immérité, du salut, et ne risque-t-il pas de passer pour une réponse divine, un certificat donné au converti en récompense de sa conversion ? Le baptême des croyants ne marque-t-il pas l’invasion de l’intellectualisme (il faut atteindre l’âge de raison) et du moralisme (il faut avoir fait ses preuves) et l’effacement de la conviction que la vie chrétienne, dès son origine comme dans sa croissance, est uniquement donnée d’en haut, uniquement vie de la Grâce ?
Alors que le baptême des nourrissons souligne la pure initiative divine – l’enfant n’est strictement pour rien dans son salut –, le baptême des croyants oriente la pensée vers une collaboration du baptisé à son propre salut, vers sa participation active – ô paradoxe ! – à sa naissance spirituelle ? Vous dîtes bien que « toute propre justice est exclue devant Dieu », mais voici que cette propre justice montre le bout de l’oreille dans ce baptême qui n’est plus le signe incontestable de l’amour dont Dieu nous aime le premier, mais qui pourrait faire croire que c’est la décision de l’homme qui est la première, et la grâce de Dieu seconde. À vouloir absolument que la foi précède le baptême, ne renversez-vous pas l’ordre normal des choses, où le baptême est le signe de l’appel de Dieu qui précède toute réponse de notre part, qui produit notre conversion mais n’est pas produit par elle ? Faut-il être régénéré pour être baptisé, ou être baptisé pour être régénéré ? En contradiction avec l’affirmation centrale de l’Évangile et des Réformateurs – sola gratia – ne faites-vous pas de la foi une œuvre, et une œuvre, pour comble, méritoire ?
Je ne doute pas que vous repoussiez vivement une telle supposition. Mais prenez garde : ce qu’on dit n’est pas toujours ce qu’on pense vraiment, ce que très sincèrement on est persuadé de croire n’est pas toujours ce qu’on croit en réalité. Notre cœur abrite parfois des contradictions et des sophismes dont nous pouvons mettre des années à devenir conscients. »
À cette longue lettre nous répondions comme suit :
« Je vous remercie de vous être donné tant de peine à me répondre. Cette correspondance a au moins l’avantage de nous permettre de percevoir plus exactement où se trouve le différend théologique qui nous sépare. Voyons d’abord sur quels points nous sommes déjà tombés d’un avis commun.
Nous sommes entièrement d’accord sur la primauté de la doctrine de l’Alliance, bien que je serais fort intrigué de savoir quel rôle vous accordez à la doctrine biblique de la responsabilité humaine dans le cadre de l’Alliance de Dieu, tant votre accent se porte unilatéralement sur la grâce divine.
Il est également certain que nous sommes entièrement d’accord en ce qui concerne la primauté de l’action divine dans l’œuvre du salut. L’homme pécheur est incapable de plaire à Dieu, ni en pensée, ni dans ses sentiments, ni dans ses actes. Il est mort dans ses péchés et seule la Parole recréatrice de Dieu, lui appliquant par l’action du Saint-Esprit l’œuvre active et passive de Jésus-Christ, peut rétablir l’homme perdu dans une communion vivante avec Dieu.
Pour ma part je pense que nous disposons ici d’un accord capital qui nous place tous les deux dans la lignée de l’héritage fondamental de la Réforme. C’est là, et non dans la doctrine des sacrements, que se trouve le cœur de l’enseignement de la Réforme. C’est pour cette raison, pour ne prendre qu’un exemple, que la distance entre calvinistes pédobaptistes et calvinistes baptistes est, à mon sens, beaucoup moins grande que celle qui sépare les réformés confessants des réformés barthiens. Les différences qui subsistent entre ceux qui confessent ces grandes doctrines de la Réforme, pour importantes qu’elles soient, doivent d’abord être examinées dans la perspective de tout ce qui les unit.
Il m’est manifestement impossible, dans le cadre d’une réponse qui se doit d’être relativement brève, d’aborder toutes les questions que vous soulevez, particulièrement en ce qui concerne l’exégèse des passages bibliques que vous invoquez pour appuyer votre position. Peut-être que nous pourrions un jour les examiner de vive voix, Bible en main. Mais il est un certain nombre de points sur lesquels il me faut sans tarder répondre.
Notre désaccord me semble reposer sur une manière différente d’interpréter les rapports entre l’Ancienne Alliance et la Nouvelle Alliance. Cette Nouvelle Alliance est le renouvellement définitif de l’Alliance, renouvellement manifesté par l’Incarnation de Jésus-Christ, sa vie d’obéissance parfaite à la loi de Dieu, son expiation pour les péchés de son peuple, sa Résurrection, son Ascension et la venue définitive du Saint-Esprit à la Pentecôte, Esprit de Dieu qui applique aux élus l’œuvre merveilleuse de leur Sauveur.
Là où vous ne voyez que parfaite continuité entre les deux Alliances – le baptême reprenant pour vous exactement les mêmes vertus et la même signification que la circoncision – il me semble bien plutôt que la Bible nous enseigne une progression dans l’œuvre de Dieu, un développement dans l’unique Alliance, une croissance dans la lumière divine et dans l’efficacité de l’œuvre de Jésus-Christ envers les hommes perdus. Là où vous ne voyez que continuité, la Bible enseigne à la fois, continuité et croissance. D’où les changements dans le signe et dans les personnes spécifiques auxquelles s’applique ce signe. C’est là, me semble-t-il, tout l’enseignement de l’épître aux Hébreux.
Partons encore une fois de notre point d’accord. Pour moi le parallèle entre circoncision et baptême est évident et entièrement justifié bibliquement. La circoncision, rite extérieur et charnel (physique) opéré par la main des hommes, est le signe, le sacrement, de la circoncision du cœur, qui elle est une réalité intérieure opérée par la seule action de l’Esprit de Dieu. De même le baptême est, lui aussi, un rite extérieur, matériel, opéré par les responsables de l’Église. Il est le signe d’une réalité intérieure, le baptême du Saint-Esprit, qui applique à l’appelé, à l’élu, à celui que Dieu a connu de toute éternité, toute la réalité de l’œuvre salvatrice de Jésus-Christ. J’adhère entièrement à ce parallélisme établi dans toute sa clarté par les docteurs de la Réforme, à partir des données de l’Écriture.
Si nous devons toujours préserver l’unité de l’Alliance il nous faut également tenir compte de la diversité des signes et des manifestations de cette unique Alliance. Toute la dernière partie de mon exposé, à laquelle vous ne faites guère référence dans votre réponse, cherche à tenir compte de ce développement dans l’Alliance de Dieu avec son peuple. Je le répète : avec le Nouveau Testament il y a changement dans le signe et dans la pratique du sacrement.
Dans l’Ancienne disposition toute la nation devait être circoncise. Tous les mâles du peuple élu recevaient, dès le huitième jour après leur naissance – et les prosélytes dès leur adhésion à la foi d’Israël – le signe extérieur de l’Alliance de Dieu. Mais ce qui établissait une communion véritable avec Dieu était la circoncision du cœur. Dans l’Ancienne disposition cette circoncision du cœur, qui est l’Alliance véritable, paraît avoir été le fait de quelques rares privilégiés. Il s’agissait presque toujours d’un reste, des élus, et entre bien d’autres, de ceux que vous citez : les Jérémie et les Moïse, les sept mille fidèles du temps d’Élie, les David, les Ésaïe, etc.
Mais ce qui était exceptionnel sous l’ancienne disposition deviendra normal, courant, sous la nouvelle. C’est ce que nous laisse entendre l’annonce d’une Alliance Nouvelle dans le chapitre 31 de la prophétie de Jérémie, dans les chapitres 36 et 37 du prophète Ézéchiel et dans bien d’autres passages. Ainsi le salut annoncé dans l’Ancien Testament n’est pas différent de celui manifesté dans le Nouveau, mais l’ampleur et l’efficacité de ce salut deviendront bien plus grands avec le plein accomplissement de l’œuvre du salut en Jésus-Christ et avec la venue du Saint-Esprit envoyé pour nous communiquer tout ce que le Christ a fait pour son peuple.
C’est là qu’interviennent le changement et la modification dans l’application du signe témoignant de l’entrée dans la Nouvelle Alliance. C’est ce que j’ai tenté d’expliquer dans la dernière partie de mon texte. Je me permets de vous y renvoyer.
L’accomplissement parfait et définitif du sacrifice propitiatoire de Christ conduit à l’envoi par le Père et le Fils du Saint-Esprit à la Pentecôte. Cette venue du Saint-Esprit rend la circoncision du cœur, qu’est le baptême du Saint-Esprit, beaucoup plus générale que sous l’ancienne disposition. En conséquence de cet approfondissement des effets de l’Alliance, le signe change ainsi que son mode de réception.
Il est évident qu’un tel changement ne peut que conduire à un changement d’ordre ecclésiastique. L’Église de multitude de la nation juive, faite d’un mélange du reste fidèle et de la masse apostate, cède la place à cette Église de professants, qui provient à la fois des juifs et des gentils et dont témoignent abondamment les Actes des Apôtres, les Épîtres et l’Apocalypse. Il ne s’agit certes pas d’une Église parfaite, mais d’une Église qui se veut fidèle, Église qui cherche à se sanctifier, à se séparer de ceux qui ne manifestent pas les œuvres par lesquelles nous pouvons discerner la foi véritable et dont les deux marques sont la fidélité doctrinale, retenir l’enseignement des Apôtres tel qu’il a été donné (1 Corinthiens 15:2) et la marche croissante dans l’obéissance aux commandements de Dieu. (Voyez les remarques de l’épître de Jacques à ce sujet.) C’était vers une telle Église non-multitudiniste, bien que pédo-baptiste, que tendaient tous les efforts du réformateur vaudois Pierre Viret.
Votre argumentation tend à établir un lien mécanique et automatique entre la circoncision et le baptême physique des nourrissons d’une part et la circoncision de leur cœur et leur baptême spirituel, de l’autre. Vous écrivez ces paroles surprenantes :
«… la circoncision physique contenait la promesse de cette circoncision morale, et marquait le commencement du processus intérieur qui, avec le temps, ferait de chaque enfant né au milieu du peuple de Dieu, un enfant de Dieu. Ainsi en est-il du baptême. »
La circoncision, signe de l’Ancienne Alliance, n’était aucunement le signe infaillible de l’élection. De même, nous n’oserions jamais dire dans notre Église baptiste que le baptême est le signe absolument sûr de la nouvelle naissance du baptisé. Dieu seul connaît les cœurs ! Calvin était assez réaliste pour dire que tout chrétien ne prouvait sa prédestination que par sa persévérance. Nous exigeons qu’il faille donner des signes crédibles de foi et de vie chrétienne pour faire partie de notre Église locale, mais il ne nous viendrait jamais à l’esprit d’affirmer que de tels signes soient des indications certaines de la régénération de celui qui les manifeste. L’avenir seul prouvera la réalité de la foi professée. Par ailleurs le chapitre 18 d’Ézéchiel nous montre que dès cette époque il était devenu clair que la bénédiction ne se reportait jamais automatiquement de la fidélité des parents à celle des enfants.
Votre position semble nier la possibilité de l’apostasie des enfants de chrétiens, ou encore la possibilité de s’illusionner sur sa propre foi. Examinons-nous, nous-mêmes, pour savoir si nous sommes dans la foi ! Car l’on peut être infidèle à ses propres promesses de baptême et montrer ainsi que, tout en appartenant extérieurement à l’Alliance, nous n’en sommes pas véritablement des membres. Certes, il y a des promesses pour les familles des chrétiens fidèles. Mais l’accomplissement de ces promesses n’est pas garanti d’avance.
Car ici se pose toute la question si pénible et tragique du rapport dans l’Alliance entre l’élection d’un reste fidèle et l’apostasie, la perdition éternelle de la masse infidèle, que vous semblez vouloir esquiver. Il y a une Alliance extérieure à laquelle participent tous ceux qui se trouvent au bénéfice de l’œuvre de Dieu. Dans ce peuple saint – mis à part pour Dieu – de l’Alliance extérieure l’on trouvera le peuple tout entier des véritables élus de Dieu ; mais on y verra aussi ceux qui font partie du peuple infidèle et qui sont voués au jugement éternel. Le premier sera au bénéfice des bénédictions de l’Alliance ; le second, s’il ne se repent pas, sera finalement frappé par les malédictions de cette même Alliance.
Ceci nous ramène à la situation de la famille chrétienne. La famille de parents pieux et craignant Dieu fera partie de cette Alliance externe et sera au bénéfice des promesses de cette Alliance. Les parents pourront apporter la Parole de Dieu avec confiance aux enfants que Dieu leur aura donnés, sachant que s’ils accomplissent fidèlement leur part dans l’obéissance à l’Alliance ils pourront s’attendre avec confiance que Dieu, dans sa souveraine grâce, introduira leurs enfants en temps voulu dans la plénitude de l’Alliance du Royaume de Dieu. Dieu fera d’eux ses enfants. De manière toute personnelle ils pourront appeler Dieu leur Père. Selon Jérémie 31 c’est cette inscription générale de la Loi de Dieu dans le cœur de chaque membre de son peuple qui constitue la nouveauté essentielle de la Nouvelle Alliance.
Mais le texte de I Corinthiens 7:14, nous dit, «… le mari non-croyant est sanctifié par la femme, et la femme non-croyante est sanctifiée par le frère, autrement, vos enfants seraient impurs, tandis qu’en fait ils sont saints. » Il n’est aucunement dit ici que ces maris ou ces épouses non-croyants sont membres du Royaume de Dieu, sont entrés dans la Nouvelle Alliance, puisqu’il est affirmé plus loin que ces conjoints saints ont besoin d’être sauvés. Et la Nouvelle Alliance n’est autre que celle du salut. De même, les enfants dont il est ici question sont au bénéfice de la sainteté de leurs parents tout en n’étant eux-mêmes pas encore sauvés. Il leur faut être personnellement et effectivement appelés de Dieu par l’action de la Parole et de l’Esprit de Dieu. Il faut que Dieu les justifie et les régénère pour qu’ils puissent faire réellement partie de l’Alliance nouvelle. Mais ces enfants de familles chrétiennes ne sont aucunement des petits païens comme vous l’écrivez si joliment. Ils font partie du cercle extérieur de l’Alliance, étant au bénéfice des privilèges de cette Alliance, sans y être encore entrés à titre personnel. Pour leurs parents il existe de grandes promesses selon lesquelles le Dieu de leurs pères sera aussi le Dieu de leurs propres enfants.
Mais comme nous ne connaissons aucunement les desseins secrets de Dieu nous ne pouvons pas affirmer, comme vous semblez vouloir le faire, leur élection certaine. S’ils ne marchent pas selon les conditions de l’Alliance faite avec leurs parents (c’est-à-dire si leur révolte définitive manifeste tout simplement qu’ils ne sont pas des élus, comme Ésaü) ils seront des apostats au bénéfice des malédictions du Deutéronome. Car la famille chrétienne est solidaire dans les bénédictions de l’Alliance comme dans ses malédictions. Le sort des enfants qui ne marchent pas dans la fidélité de leurs parents est particulièrement grave, certainement beaucoup plus grave que celui de ces païens qui n’ont rien connu de l’Évangile. Car à celui qui aura beaucoup reçu il sera beaucoup redemandé en retour.
Pour ce qui en est de faire du baptême un acte volontaire, une œuvre de salut, une telle imputation pourrait être vraie si nous mettions l’accent sur la décision de l’homme de se convertir ou sur le fait de se faire baptiser comme étant moyen de salut. Mais nous enseignons constamment dans notre Église baptiste réformée que nous dépendons entièrement et uniquement de l’œuvre du Christ pour notre salut. La foi elle-même pour nous n’est qu’un don de Dieu, don pour lequel nous sommes entièrement redevables au Saint-Esprit.
Car en fin de compte le baptême véritable n’est autre que le baptême du Saint-Esprit, action de Dieu par laquelle le Saint-Esprit nous applique l’œuvre de Jésus-Christ. C’est ainsi que nous sommes justifiés et sanctifiés en Jésus-Christ. Cela ne vient pas de nous, c’est l’œuvre de Dieu. Ainsi le baptême d’eau n’est rien d’autre que le témoignage public que nous rendons de ce que Dieu lui-même a fait pour nous. C’est une obéissance de foi, un pas dans notre sanctification. L’apôtre Pierre le dit fort bien dans son texte classique où il parle du baptême, «… par lequel on ne se débarrasse pas de la souillure de la chair (ce qui est l’œuvre de Jésus-Christ seul), mais qui est l’engagement d’une bonne conscience devant Dieu. » (1 Pierre 3:21)
Si ce texte parle de bonne conscience, c’est uniquement en Christ que nous pouvons l’avoir. Si, comme ce texte le dit plus haut, le baptême nous sauve le sens n’en est pas celui de la justification mais celui de notre sanctification pour laquelle le mot salut est souvent aussi employé.
Le baptême n’est en fait rien d’autre qu’une obéissance à la Parole de Dieu et, comme telle, un acte par lequel nous sommes sanctifiés. Et dans tout cela il ne peut aucunement s’agir d’une œuvre méritoire. Vous avez entièrement raison d’écrire que « le baptême est le signe de l’appel de Dieu qui précède toute réponse de notre part, qui produit notre conversion mais n’est pas produit par elle », si par le baptême vous entendez l’œuvre de Dieu, le baptême du Saint-Esprit. Mais s’il s’agit du baptême d’eau, peu importe qu’il soit administré à des nourrissons ou à des croyants, cela devient un acte sacramentel de type catholique où l’Église et ses clercs se substituent à Dieu, où les pasteurs et les prêtres prennent la place du Saint-Esprit qui, Lui seul, est habilité à nous communiquer les réalités de la Nouvelle Alliance. Car en réalité, le catholicisme, dont vous vous approchez ici dangereusement, n’est rien d’autre qu’une sorte d’Arminianisme ecclésiastique.
Que Dieu dans sa miséricorde nous garde tous de nous approprier, en quelque manière que ce soit, la moindre parcelle de sa gloire. « A lui soit la gloire dans tous les siècles. » (Romains 11:36) »
Nous recevions la réponse suivante – dont nous ne reproduisons que le début – du pasteur Barilier le 28 février dernier. C’est avec ce texte que nous terminerons cette correspondance.
Le temps a passé depuis votre réponse de 4 février sur le baptême, et ce n’est qu’aujourd’hui que j’ai eu le loisir de la lire attentivement. Et c’est pour m’apercevoir d’un énorme malentendu entre nous, malentendu dont je suis responsable pour m’être mal exprimé. Ce malentendu une fois dissipé, notre accord paraîtra beaucoup plus important qu’il ne paraissait.
Sans donc chipoter sur quelques points secondaires où j’aurais envie de vous contredire, je vais d’emblée à l’essentiel. La phrase de moi qui vous a fait bondir, à juste titre, devait être comprise ainsi : « La circoncision physique contenait la promesse d’une circoncision morale, et rendait possible le processus intérieur qui, avec le temps, pourrait faire, au moins de quelques enfants nés dans le peuple de Dieu, des enfants de Dieu. Ainsi en est-il du baptême. »
Autrement dit, pas plus que vous, je n’établis un lien automatique et forcé entre le baptême (ou la circoncision) et une vie chrétienne authentique. À plus forte raison entre la sanctification, la mise à part dont le baptême est le signe, et le salut éternel. (Le baptême, selon Paul, est d’abord le signe de la justification et non en premier lieu de la sanctification. Par le baptême nous sommes identifiés par la foi, don de Dieu, à la mort et à la résurrection du Christ (Rom. 6). Selon Paul encore l’enfant d’une famille chrétienne est sanctifié, mis à part, par la fidélité de ses parents, qu’il soit baptisé ou non, comme c’est le cas pour le conjoint non croyant. Réd.) Je ne prétends pas que tous les baptisés seront infailliblement de bons croyants, ni davantage qu’ils seront sauvés. Le baptême place le baptisé dans les conditions favorables à sa nouvelle naissance, l’agrège à la communauté de l’Église, le situe dans la sphère d’action du Christ vivant ; mais encore faut-il que le baptisé s’approprie par la foi cette possibilité de vie nouvelle.
Aussi puis-je prendre absolument à mon compte ce que vous dîtes après avoir cité ma phrase malheureuse : « La circoncision, signe de l’Ancienne Alliance, n’était aucunement le signe infaillible de l’élection. De même, nous n’oserions jamais dire dans notre Église multitudiniste (je puis remplacer sans problème l’adjectif baptiste par celui qui caractérise mon Église) que le baptême est le signe absolument sûr de la nouvelle naissance du baptisé. Dieu seul connaît les cœurs… Tout chrétien ne prouve sa prédestination que par sa persévérance, etc. »
Je ne nie donc pas du tout la possibilité de l’apostasie des enfants chrétiens (pas plus d’ailleurs que celle des baptisés adultes : voir Ananias et Saphira). Et je dis avec vous, et je l’ai prêché bien souvent, que tout en appartenant extérieurement à l’Alliance, on peut très bien ne pas en être véritablement membre. Et il n’est pas question pour moi d’« esquiver » la question tragique de la perdition éternelle des infidèles. Comme vous, je pense que « celui qui ne se repent pas, sera finalement frappé par la malédiction de l’Alliance ».
De même, encore je contresigne votre alinéa suivant, sur le rôle bénéfique de la famille chrétienne et sur l’espoir qu’elle peut nourrir que ses enfants parviendront à une foi personnelle. Et je partage aussi le contenu de la distinction que vous faites entre être saint et être sauvé. Peut-être seulement insisterai-je plus que vous sur le privilège considérable que représente déjà, pour les enfants de parents chrétiens, cette sainteté que saint Paul leur reconnaît…»
Voici une discussion qui, même si elle ne fait pas tomber l’hypothèque pédobaptiste et multitudiniste – équivoque dont les conséquences ecclésiastiques sont particulièrement graves – permet du moins un certain degré d’accord théologique, particulièrement sur la doctrine capitale de l’Alliance. Nous remercions le pasteur Barilier de s’être si aimablement prêté à cette discussion fraternelle.
La transsubstantiation et le culte de la Vierge
Nous recevions en date du 19 novembre 1991 une lettre du Pasteur Germain Nicole d’Orbe, rédacteur de la revue « Catholicité Évangélique ». Nous en reproduisons les extraits suivants :
« Mais si je vous écris, c’est surtout à propos de ce que vous dîtes sur la présence réelle dans la Cène par quoi vous vous distancez heureusement de la plupart des évangéliques. Je ne ferai à cet égard que deux remarques. Ce que vous dîtes de l’aspect sacrificiel est juste, mais insuffisant ; surtout, c’est sur le point de la transsubstantiation que je reste sur la réserve. Vous partagez l’opinion habituelle sur la doctrine de Saint Thomas et qui est une contre-vérité, comme l’a établi mon ami Henry Chavannes. C’est pour cela que je vous envoie une photocopie d’un article que ce dernier a écrit pour Catholicité Évangélique (nᵒ 6, 1985). Vous verrez que la position issue du nominalisme, et qui est malheureusement devenue celle du catholicisme officiel, doit être singulièrement corrigée. »
Voici l’essentiel de ce qu’écrivait le pasteur Henry Chavannes. Nous tenons son texte complet à la disposition de nos lecteurs qui désireraient en prendre connaissance :
« Si l’on veut être fidèle à saint Thomas, il faut soutenir complémentairement :
- que la manducation (l’action de manger) est réelle. Le Christ n’est pas présent dans le sacrement de l’eucharistie seulement selon une signification mystique. C’est véritablement sa chair et son sang qui sont présents dans ces choses que sont le pain et le vin.
- que la manducation est spirituelle. Le corps et le sang sont présents dans les éléments d’une manière invisible et par la vertu du Saint-Esprit. Ils y sont présents selon le mode de la substance, la substance étant l’essence en tant qu’elle supporte les accidents et les accidents étant les déterminations sensibles de la chose, couleur, grandeur, etc.
C’est pour nier une présence matérielle que Saint Thomas affirme que le corps et le sang du Christ sont présents par transsubstantiation du pain en la substance du corps du Christ et par conversion de la substance du vin en la substance du sang du Christ. […] Or si jamais un sujet crée ne peut aller au-delà (de ce qu’il est, réd.), Dieu, qui est tout-puissant, peut modifier un être dans ce qu’il est. »
Nous répondions le 19 novembre 1991 au Pasteur Nicole :
« Je vous remercie de votre lettre du 9 octobre relative à mon article sur la présence réelle de Jésus-Christ dans la cène. J’ai lu avec beaucoup d’intérêt l’article du pasteur Chavannes. Il me poussera, je l’espère, à examiner la doctrine de Thomas d’Aquin avec plus d’attention. Mais il me semble que contrairement à ce qu’affirme le pasteur Chavannes la doctrine du Concile de Trente exprimait assez bien ce qu’enseignait le docteur angélique. C’est cette position qu’attaquait Calvin.
Citons ces quelques extraits du Catéchisme du Concile de Trente qui faisait autorité dans l’Église catholique romaine à l’époque de Calvin. Cet enseignement n’a pas, à ce que je sache, été abrogé depuis.
« Car la Foi catholique enseigne et croit, sans hésitation aucune, que les paroles de la Consécration produisent spécialement trois effets admirables.
Le premier c’est que le vrai corps de Notre-Seigneur Jésus-Christ, Celui-là même qui est né de la Vierge Marie, qui est assis à la droite du Père, est contenu dans l’Eucharistie.
Le second c’est que dans le Sacrement il ne reste rien de la substance des deux éléments, quoique cela semble tout à fait opposé et contraire au rapport des sens.
Le troisième, qui se déduit aisément des deux autres, et qui est positivement exprimé par les paroles de la Consécration, c’est que par une disposition inexplicable et toute miraculeuse, les accidents qui apparaissent aux yeux, et que les autres sens perçoivent aussi, se soutiennent sans le secours d’aucun sujet. Ils présentent encore toutes les apparences du pain et du vin. Mais ils ne tiennent à aucune substance ; ils subsistent par eux-mêmes. Quant à la substance même du pain et du vin, elle est tellement changée au Corps et au Sang de Jésus-Christ, qu’il n’en reste absolument rien, et qu’il n’y a réellement plus ni substance du pain, ni substance du vin. » (Catéchisme du Concile de Trente, Itinéraires, Paris, 1969, nᵒ 136, p. 217-218).
Voici ce qui a au moins la vertu d’être sans ambiguïté. La réfutation la plus forte de cette innovation doctrinale et philosophique qu’est la théorie de la transsubstantiation nous vient, sans doute, du grand théologien scolastique et philosophe réaliste, John Wyclif. Entre 1380 et sa mort à la fin de 1384 Wyclif ne consacra pas moins de six traités à la question de l’Eucharistie. Voici ce qu’en dit le professeur Arthur Kenny dans sa récente étude sur Wyclif (Oxford University Press, Oxford, 1985).
« Les objections de Wyclif à l’enseignement courant à son époque sur l’Eucharistie sont à la fois philosophiques et théologiques. Sur le plan philosophique la théorie selon laquelle des accidents peuvent exister sans une substance qui les sous-tendrait conduit à de nombreuses absurdités. Du point de vue théologique la doctrine de la transsubstantiation est une nouveauté imposée aux fidèles depuis fort peu de siècles. Il s’agit non seulement d’une adjonction superflue aux crédos, mais cette nouveauté contredit l’enseignement des pères et tout particulièrement celui de St. Augustin. » (p.82)
Voici comment Wyclif exprimait son sens de l’absurdité de l’idée qu’une substance puisse exister sans accidents :
« Parler d’accidents privés de substance est contradictoire. Tout accident qui est formellement inhérent à une substance n’est rien d’autre que la vérité de la substance sous tel ou tel aspect accidentel. Mais une telle vérité ne peut pas plus subsister privée de substance qu’une créature sans Dieu. En conséquence, il ne peut exister une telle chose : un tas d’accidents privés d’un sujet que serait l’hostie consacrée selon la théorie de la transsubstantiation. » (p. 83-84)
Pour Wyclif l’affirmation de la possibilité d’accidents sans substance conduisait tout droit à une épistémologie imaginaire telle qu’elle est apparue plus tard dans la forme du subjectivisme de Descartes et de l’idéalisme de Kant. En fait, pour lui, une telle séparation des accidents de leur substance nous conduit directement à la négation de l’existence des substances matérielles elles-mêmes.
« Sur la base de cette théorie aucun intellect ne peut prouver l’existence d’une quelconque substance matérielle car quelle que soit l’expérience sensible ou l’acte de connaissance il devient possible et logique d’affirmer que l’univers créé tout entier n’est qu’un ensemble d’accidents ; dans cette perspective celui qui affirme des objets matériels est obligé de faire dépendre son affirmation de la seule foi en l’Écriture. » (p.85)
Ainsi ceux qui croient à la transsubstantiation sont réduits au phénoménalisme, sauf là où l’Écriture déclare le contraire, car il se pourrait que l’univers soit en fait uniquement constitué d’apparences, comme le pain et le vin de l’eucharistie, privées du substrat de la moindre substance. Une telle théorie aboutit à nous faire croire que Dieu nous trompe, nous ment, quand il nous laisse comprendre que le témoignage de nos sens a un rapport véritable à la réalité substantielle de la création. C’est tout autrement que le Christ accomplissait ses miracles. Sa transsubstantiation de l’eau en vin aux noces de Cana ne séparait pas la substance du vin de ses accidents ! Non, tant la substance de l’eau que ses accidents étaient transformés en la substance et en les accidents du vin. Le miracle livrait aux invités étonnés un vrai vin et même de qualité supérieure, non un vin fantôme, fait d’accidents sans substance.
Wyclif continue son explication ainsi :
« Vu que les sens de l’homme, tant ses sens intérieurs qu’extérieurs, jugent que ce qui reste (après la transsubstantiation) est du pain et du vin exactement comme c’est le cas avec des objets non consacrés, il nous paraît indigne du Seigneur de Vérité d’introduire une pareille illusion dans son offrande gracieuse d’un don si honorable. » (p.86)
Kenny nous fait ici remarquer,
« Un philosophe qui lit de tels passages de Wyclif ne peut éviter de penser à Descartes. Descartes, comme l’adversaire imaginé par Wyclif, considère que les témoignages autant des sens intérieurs qu’extérieurs de l’homme sont en eux-mêmes parfaitement compatibles avec l’inexistence du monde extérieur. Seule la véracité de Dieu, affirme Descartes, peut nous convaincre de la réalité tant de notre corps que de notre intelligence. » (p.86)
Pour Wyclif la théorie de la transsubstantiation était une innovation doctrinale des plus imprudentes et de plus parfaitement contraire à l’Écriture. Wyclif montre qu’il n’existe aucune preuve contraignante de la transsubstantiation dans l’Écriture et que les Pères de l’Église, en particulier Augustin, n’hésitaient pas à parler du sacrement après la consécration comme étant véritablement du pain et du vin. C’est ainsi que parlaient, par ailleurs, Paul et Jésus-Christ lui-même. Kenny définit le point de vue de Wyclif comme suit :
« La position de Wyclif est la suivante : le pain demeure du pain après la consécration ; les accidents visibles et tangibles, après comme avant la consécration, sont ceux du pain. Néanmoins le sacrement consacré devient véritablement le corps du Christ. »
Wyclif expliquait cette double réalité ainsi :
« Lorsqu’un auteur écrit des lettres, des mots et des phrases, le papier et l’encre demeurent sous les symboles. Mais par habitude et habileté ceux qui peuvent lire font bien plus attention, contrairement à un illettré, au sens des symboles qu’aux qualités naturelles des signes. Bien plus, l’habitude de la foi conduit le fidèle à saisir au travers du pain consacré le corps véritable du Christ. » (p.88-89)
Et il ajoute,
« Christ ne s’y trouve pas seulement comme dans un signe mais autrement plus efficacement que dans un signe ; il n’est cependant pas incohérent, mais plutôt parfaitement cohérent, d’affirmer que la même chose puisse être tout à la fois vérité et figure ou signe. » (p.89)
Il est évidemment dangereux pour la foi de vouloir, comme le font les défenseurs de l’explication du mystère de l’eucharistie par la transsubstantiation, trop expliquer les mystères révélés par le Saint Esprit dans la Bible. La foi conduit le fidèle à accepter les données de la Révélation, à y soumettre son intelligence. C’est par cette démarche toute faite d’humilité qu’il découvre en la communion réelle avec son Seigneur et Sauveur, Jésus-Christ mort pour son rachat et ressuscité pour sa justification, la vie véritable et une saine raison. »
Le pasteur Nicole nous répondait le 27 novembre :
« En ce qui concerne la question de la transsubstantiation chez Thomas d’Aquin, je ne puis que déplorer que vous en restiez à votre point de vue, car, pour tout argument, vous prenez justement ce qui est en question. Que Calvin ait eu en face de lui des gens qui croyaient à une transsubstantiation matérielle, c’est probablement vrai, car tout le monde, catholiques romains compris, s’était mis à donner au mot substance le sens de matière, signification qui est demeurée jusqu’à aujourd’hui, mais ce n’est pas le sens que lui donne le docteur angélique. »
Nous recevions la lettre suivante datée du 16 octobre 1991 de la part du Pasteur Henry Chavannes de la Tour-de-Peilz :
« J’ai parcouru votre article sur Marie. Il y aurait beaucoup à dire sur ce sujet. Peut-être aurai-je l’occasion d’y revenir. Pour aujourd’hui, je m’en tiens à ce que vous dites en p. 4 :« Marie appelle son Fils Seigneur et reconnaît ainsi sa divinité. Mais elle le nomme aussi Sauveur, reconnaissant par ce titre son propre état de péché, son besoin d’être sauvée. » (Luc 1:47) Vous avez mal lu le texte : il n’est nulle part question de l’état de péché de Marie. Dieu est le Sauveur de Marie parce qu’Il l’a tirée de sa pauvreté ; elle le dit elle-même. Or cette pauvreté n’est pas le péché, mais, d’une part sa condition de créature fragile et éphémère et d’autre part la pauvreté des Béatitudes (Mt. 5:3), qui consiste à ne pas mettre sa confiance dans les biens matériels mais à s’en remettre pour tout à Dieu. Précisément, parce que, là où on attendrait que la Vierge confesse son péché, elle ne le fait pas, elle parle comme celle en qui Dieu a accompli jusqu’au bout (c’est le sens du parfait grec que l’on traduit par « pleine de grâce » en Luc 1:21) son œuvre de miséricorde, en sorte qu’en vue des mérites du Christ et à cause d’eux, elle a été préservée de tout contact avec le péché. Cela ne fait pas d’elle une déesse. Elle reste du commencement à la fin une créature, mais une créature en qui Dieu a accompli de « grandes choses », pour que le Seigneur de gloire s’incarnant parmi nous, trouve en elle une demeure ornée et préparée pour le recevoir. La sainteté de la Vierge ne lui vient pas de sa nature, mais du choix de Dieu, pour qui le temps n’existe pas, si bien qu’à l’Annonciation, Marie est déjà au bénéfice du sacrifice du Christ, qui l’a sanctifiée dès sa conception. C’est dans ce sens que Jésus-Christ est le Sauveur de sa mère également. »
Nous répondions ainsi au Pasteur Chavannes,
« Je vous remercie pour votre lettre du 16 octobre qui a retenu toute mon attention. Vous soulevez des objections à ma critique de la doctrine romaine de l’impeccabilité et, en conséquence de la conception immaculée, de Marie, mère de notre Seigneur Jésus-Christ. Le fait que Marie ait appelé Dieu son Sauveur (Luc 1:47) me semble en soi décisif. Le salut biblique ne peut en aucun cas se réduire au fait d’être tirée de l’état de pauvreté, de sa bassesse, pour être exaltée par le Tout-Puissant, comme ce fut effectivement le cas pour Marie. Son cantique n’est évidemment pas une confession de péché, mais l’utilisation du terme Sauveur à un tel endroit de la Révélation ne peut couvrir un sens coupé de son utilisation habituelle, sens éminemment sotériologique. Ceci est surtout frappant si l’on pense qu’il s’agit ici de l’instant où vont s’accomplir toutes les promesses de salut de l’Ancienne Alliance. Ceci est d’autant plus vrai que le terme Sauveur suit directement l’utilisation par Marie de celui de Seigneur :
« Mon âme exalte le Seigneur et mon esprit a de l’allégresse en Dieu, mon Sauveur. » La juxtaposition des termes Seigneur et Sauveur a pour effet de résumer toute l’œuvre de Dieu à l’égard de son peuple racheté. Il s’agit même du sens des deux noms de l’unique Médiateur, Christ et Jésus.
Il y aurait bien d’autres choses à dire ici. Pour que Jésus-Christ naisse sans péché il n’était aucunement nécessaire que sa mère soit obligatoirement sans péché elle aussi. Le Saint-Esprit qui engendra le Fils de Dieu dans le sein de Marie sa mère était Lui parfaitement capable de garder Jésus-Christ de tout péché, de toute souillure, sans le concours de la parfaite sainteté d’une créature marquée par le péché originel.
Différents incidents montrent également le comportement de Marie sous des aspects pécheurs. Son incompréhension à plusieurs reprises de la vocation divine de son Fils montre fort clairement qu’elle n’avait pas une communion parfaite avec Lui, ce qui est une des marques des effets du péché sur l’homme. Jamais son impeccabilité n’est affirmée dans la Bible, ni implicitement ni explicitement. Par contre, l’impeccabilité complète de son Fils est, elle, marquée à plusieurs occasions de la manière la plus explicite.
« Car nous n’avons pas un souverain sacrificateur incapable de compatir à nos faiblesses ; mais il a été tenté comme nous à tous égards, sans commettre de péché » (Héb. 4:15).
« Celui qui n’a pas connu le péché, il l’a fait péché pour nous, afin que nous devenions en lui justice de Dieu. » (II Cor. 5:21).
Du point de vue théologique l’impeccabilité de Jésus-Christ est fondamentale pour toute la doctrine de la sainteté de Dieu et, en ce qui concerne notre sort éternel, pour toute la doctrine du salut. L’impeccabilité de Marie n’a aucune espèce de signification théologique. Bien au contraire, si Marie est sans péché, l’apôtre Paul est un menteur, lui qui dit : « … tous, Juifs et Grecs, sont sous (l’empire) du péché » (Rom. 3:9), « … tout ce que dit la loi, elle le dit à ceux qui sont sous la loi, afin que toute bouche soit fermée, et que tout le monde soit reconnu coupable devant Dieu » (Rom. 3:19), « … ainsi la mort a passé sur tous les hommes, parce que tous ont péché… » (Rom 5:12) « … Dieu a enfermé tous les hommes dans la désobéissance… » (Rom. 1 :32). Évidemment dans chaque cas le texte devrait dire tous les hommes sauf Marie !
La raison profonde de cette déviation romaine doit sans doute être trouvée dans le semi-pélagianisme qui est sa doctrine dominante, au moins depuis l’acceptation par le Magistère de la théologie de Thomas d’Aquin comme doctrinalement normative. On en est ainsi venu à diminuer la gravité du péché et à rendre l’homme participant à son propre salut. Nous voyons à quel point l’autonomie de la tradition catholique romaine outrage la vérité et l’autorité que devrait avoir la seule Sainte Écriture sur tout chrétien fidèle. On en vient ainsi à faire dire aux textes le contraire même de ce qu’ils affirment. »