L’Église en danger

par | Résister et Construire - numéro 4

L’Église en danger : ce titre choc tient-il la route ?

La réponse est « non », si on vit hors d’Europe. Le christianisme connaît, en effet, une forte croissance en Afrique, en Asie et en Amérique latine ; en Amérique du Nord, malgré les problèmes que connaissent les Églises, le témoignage évangélique s’y fait entendre. Et là où l’Église a été persécutée, en Chine par exemple, elle résiste et se développe ; ailleurs on entend parler de réveils et de foules qui se tournent vers Jésus-Christ pour leur salut.

Exagération, alors ? Je ne le pense pas, car les déviations et les dérapages en tout genre qui ont miné les Églises d’Europe menacent les Églises en d’autres lieux. Aujourd’hui, les enjeux sont mondiaux !

La situation

Elle se caractérise par deux évolutions tout à fait remarquables. En premier lieu, l’équilibre démographique de notre planète se modifie très rapidement. En 1914, les pays du « Nord », comportaient 50 % de la population du monde, en 1928, 25 %; en 2008, ce pourcentage tombera à 15 %.

Ce changement s’accompagne, en second lieu, d’une sécularisation et d’une déchristianisation de l’Europe, tandis que les semences du christianisme répandues par elles pendant l’ère colonialiste, portent du fruit, et que le flambeau du christianisme se met à briller ailleurs.

Faut-il voir, dans ce renversement, l’œuvre de la providence mystérieuse de Dieu, qui fait surgir son peuple là où il le veut et qui juge ceux qui n’ont pas su reconnaître ses bienfaits ?

Cette question a deux volets. Quel est l’avenir des Églises d’Europe ? Vont-elles disparaître comme celles d’Afrique du Nord, à la suite de l’invasion islamique au VIlle siècle ? Ces dernières ont eu Augustin comme, nous, nous avons eu Luther et Calvin, et elles ont disparu, sauf de notre souvenir. Faut-il penser que si nous nous détournons de lui, Dieu ne se détournera pas de nous ?

Deuxième volet : le christianisme, qui est en plein essor dans les pays en voie de développement, y connaîtra-t-il une croissance assez vigoureuse pour irradier leur culture et écarter les catastrophes économique, sociale et politique ?

Nous considérerons brièvement ces deux questions à partir des problèmes que l’Église rencontre aujourd’hui compte tenu de ses attributs, c’est-à-dire compte tenu de ses caractères essentiels et distinctifs de peuple de Dieu.

A la recherche des attributs perdus

L’Église chrétienne a des caractères spécifiques. Elle est une, sainte, apostolique et catholique (universelle). Aussi le peuple qui la compose doit-il manifester ces caractères de façon visible. L’unité, c’est le rejet de tout individualisme sectaire ; la sainteté, la recherche de la sanctification ; l’apostolicité, l’adhésion à la doctrine biblique et la catholicité, la reconnaissance que Christ est l’unique chef de l’Église. Tous ces attributs ne s’entendent pas séparer les uns des autres. Une unité visible, par exemple, réalisée en dehors de la vérité ne peut pas être une vraie unité en Christ.

Pourtant, une communauté locale isolée ou une dénomination sont incapables de rendre totalement manifestes ces attributs. L’une comme l’autre n’y arrive que partiellement. L’unité, la sainteté, l’obéissance à Christ et l’accueil de la vérité ne sont jamais complets en cette vie. Cela n’existera parfaitement que dans l’Église céleste, invisible, rassemblée par le Seigneur à la fin des temps. Néanmoins, l’Église visible ne peut pas trouver là une excuse à son laxisme, car elle est appelée à tendre, dès maintenant, vers ces objectifs.

Le problème de l’unité

Chacun le sait : aujourd’hui, les Églises sont divisées. Ces divisions, dues en partie aux problèmes du passé, sont plus profondes qu’il n’y parait ; leurs racines sont culturelles et expriment les divisions de notre monde.

Le danger pour l’Église, ici, est double. D’abord, essayer de résoudre le problème de l’unité selon des critères étrangers à l’enseignement biblique, et créer une unité artificielle sans rapport avec la vraie unité biblique. Celle-ci est une unité de doctrine, rendue manifeste par une vie de sainteté partout où Christ est confessé. Le danger que courent les Églises divisées est celui d’adopter une politique d’unification administrative qui négligerait les autres exigences bibliques. Telle est, à mon avis, la tentation à laquelle est soumis le Conseil œcuménique des Églises.

Le deuxième danger réside dans le désir de concevoir l’unité de l’Église non comme une nécessité spirituelle, mais comme dictée par les événements. Ainsi, par exemple, il faudrait avoir des organisations ecclésiastiques internationales, de type ONU ou UNESCO, pour gérer les relations entre les Églises des différents pays, pour qu’il y ait dialogue, partage ou redistribution des biens. De tels organismes, qui ne rappellent en rien l’image de l’Église donnée dans le N.T., devraient donner le jour à des considérations plus humanistes que chrétiennes.

L’unité de l’Église est spirituelle. Christ l’accomplira de cette façon, ou pas du tout.

La sainteté de l’Église

Cet attribut exprime la consécration du peuple de Dieu au service de Christ. Il en est ainsi dès l’A.T. où le peuple de Dieu est appelé à refléter la sainteté de Dieu, et à prendre ses distances vis-à-vis des pratiques des nations. Telle est la raison pour laquelle Dieu lui a donné sa loi. La sainteté est l’attribut éthique de l’Église.

Deux dangers existent, aujourd’hui, en ce domaine. Le premier est le refus de la loi. L’Évangile est une vie nouvelle, dit-on, et non un code. Sous prétexte de liberté, la Loi de Dieu est laissée de côté et la sainteté n’a plus de sens. L’éthique de l’Église n’est plus une éthique qui s’inscrit en opposition avec les usages du monde, mais un conformisme qui les singe. Ainsi bien des Églises ne marquent pas au plan individuel de désapprobation nette contre l’avortement, le refus du mariage, l’homosexualité et, dans le domaine social et politique, elles font écho aux idéologies courantes sans essayer d’acquérir une vision biblique de la culture. En Europe, la permissivité est à l’image de celle de tout le monde, et le discours chrétien est « politisé » au mauvais sens du terme dès que les questions de justice sont abordées. Les valeurs bibliques sont comme effacées.

L’autre problème tient au fait que l’attribut de la sainteté a été intériorisé au point que la spiritualité est subjective et centrée sur l’expérience personnelle, sans guère de lien avec la vie communautaire. Il en résulte un affaiblissement du témoignage de la communauté et le développement d’une spiritualité privée et individualiste, sans impact sur la vie, les chrétiens pouvant, à la fois, se réclamer de leurs expériences et continuer il vit comme les gens autour d’eux, La véritable sainteté de l’Église implique, il l’inverse, une pratique de vie différente.

Une Église qui calque sa conduite sur celle du monde, ou qui amène à fuir les réalités, ne manifeste plus la sainteté qu’exige le service de Dieu.

L’apostolicité de l’Église

La fidélité du peuple de Dieu à la doctrine que les apôtres ont consignée par écrit et qui expose la vérité au sujet de Christ, c’est-à-dire leur témoignage fondateur de l’Église, est la condition sine qua non d’une Église vivante.

L’Église a à faire face à trois grands dangers aujourd’hui.

Le premier n’est pas nouveau. Il consiste à confondre les traditions humaines avec la vérité de Dieu. Il y a là une différence capitale entre catholiques romains et protestants. Aucune concession n’est possible. La vérité apostolique est consignée seulement dans l’Écriture, et il n’y a rien à y ajouter. Toute tradition post-apostolique doit être examinée à la lumière de la Bible et reformée par elle.

Le deuxième danger est aussi bien réel. Il revient à dire que la vérité n’est pas un texte, mais uniquement une personne, celle de Christ que nous rencontrons de façon vivante. Aussi en ce qui concerne la formulation de la vérité, faudrait-il faire bon accueil à toutes les expressions qui « font référence à Christ ». Ultimement, à défaut de connaître la vérité, nous ne pourrions que la ressentir. Voilà pourquoi les théologiens modernes ont renié toutes les doctrines majeures du christianisme, de la création au retour de Christ, et leur ont conféré une signification subjective. « Dieu est éternel » veut dire non pas qu’il y a un Dieu qui est objectivement éternel, mais que « je ressens Dieu comme une valeur éternelle ». Beaucoup d’Églises, pour leur malheur, ont suivi ces fausses théologies et ont adopté un syncrétisme doctrinal qui obscurcit, sur bien des points, la clarté et la simplicité de la doctrine biblique.

Le troisième danger est celui de nier l’importance de la doctrine. Elle n’est pas importante. Beaucoup d’« évangéliques » sont dans ce cas. Pour eux, l’activité intellectuelle est suspecte. L’important, c’est la vie. Ce que l’on pense en tant que chrétien n’est pas vraiment central : ce qui est capital, en revanche, est ce que l’on expérimente, ce que l’on vit.

Dans les trois cas, il faut répondre énergiquement que c’est la doctrine, ce qui est cru, qui différencie les chrétiens des autres. Nous pouvons, souvent, partager les sentiments et défendre les causes de nos contemporains, car nous sommes de la même humanité qu’eux. Si nous changeons ou marginalisons la doctrine qui fonde notre foi, nous prenons de la distance vis-à-vis du christianisme. Il semble que bien des Églises respectées aujourd’hui aient adopté cette attitude et, de ce fait, se présentent comme des non-Églises ou des Églises apostates.

La catholicité de l’Église

Cet attribut n’est pas la propriété de l’Église romaine ! Il exprime la souveraineté de Christ sur l’ensemble de son peuple. Si les autres attributs que nous venons d’analyser ne sont pas respectés, l’Église ne manifestera pas non plus son allégeance envers son Seigneur.

Le danger pour l’Église, aujourd’hui, est de nier ce principe et de mettre d’autres facteurs à la place de Christ : la race, les idéologies, les questions secondaires, ou nos particularités culturelles qui divisent l’Église.

La catholicité n’implique aucune hiérarchie, ou bureaucratie, qui seraient propres à assurer la cohésion du peuple de Dieu. Celle-ci n’est assurée que par une confession commune de Christ et par la soumission à son autorité. Elle suppose aussi que les membres de l’Église se soumettent les uns aux autres dans une discipline réciproque. Ceci est l’œuvre non des hommes, mais de l’Esprit.

Une vocation modifiée

Ne pas comprendre clairement les caractères distinctifs de l’Église conduit à lui faire perdre de vue sa vocation. La démarcation entre l’Église et le monde se trouve effacée. Considérez ce qu’écrit Harvey Cox : « Aujourd’hui la théologie doit être essentiellement une réflexion qui mène à l’action, faisant savoir à l’Église ce que fait le Dieu-politicien, afin qu’elle se joigne à Lui dans son œuvre… la métaphysique fait place à la politique dans le langage de la théologie. » Ou encore la définition du salut donnée par le Conseil œcuménique à Bangkok : « être sauvé, c’est tout simplement être pleinement homme, libéré de tout ce qui opprime… »

Le vrai danger pour l’Église se trouve ici. Si ses attributs ne sont plus considérés comme la manifestation de réalités spirituelles, ils se transforment en réalités matérielles et pragmatiques. L’Église n’est plus qu’un instrument d’action parmi d’autres dans le monde.

Le lien qui unit les Églises d’Europe à celles des pays en voie de développement devient politique : la libération. Et l’Église se lance dans une redéfinition de ses attributs : l’unité du peuple de Dieu devient la lutte commune, la sainteté l’action de libération, l’apostolicité la vérité trouvée dans la libération, et la catholicité la réponse universelle à l’oppression.

Au lieu de fournir une aide réelle aux Églises du Tiers-Monde, l’Occident exporte des préceptes humains, des idéologies politiques qui n’ont jamais marché jusqu’ici, et qui ne marcheront jamais nulle part, là où le christianisme aurait besoin de la vérité de l’Écriture. Les principes sécularistes qui ont sapé le christianisme occidental sont proposés comme des théologies capables d’aider au développement de l’Église. Comme un directeur de Mission me l’a dit récemment, « nous ne pouvons pas priver les Africains de la critique biblique, ils ne sont pas inférieurs à nous et ils ont besoin de la science comme nous. »

Mais de quelle science s’agit-il ? Comment ne voit-on pas que cette pseudoscience qu’est la critique a décimé nos Églises ? En vérité, les Églises africaines vivantes n’ont rien à envier aux nôtres, dont les lieux de culte sont bien souvent vides…

La menace imperceptible

Le danger pour l’Église aujourd’hui est de s’imaginer que des solutions non bibliques peuvent l’édifier, et d’accepter de « changer de peau », en adaptant ses attributs aux situations humaines, au lieu de rechercher à se conformer mieux à la Parole de Dieu.

En Occident, l’Église se sécularise. Ailleurs on reçoit d’elle des idées inutilisables pour l’édification de l’Église, via des organismes comme certaines Facultés de théologie et le Conseil œcuménique qui ont souvent perdu une vision théologique et spirituelle de l’Église.

Ainsi la pollution se répand. L’Église en Europe touche, peut-être, à sa fin en tant qu’institution. Elle a dérapé dans tous les domaines, théologiques et éthiques. Elle porte la semence de sa propre disparition, et non celle de sa résurrection. Pour la plupart, ses responsables et ses membres n’en sont même pas conscients. Le malheur est qu’elle influence fortement et infecte les autres Églises. Que les Églises dans les pays en voie de développement prennent garde ! Si elles suivent les modèles théologiques, politiques et sociaux des Églises d’Europe, elles ne vont pas réaliser l’enracinement des valeurs chrétiennes indispensables à l’avenir de leur pays.

L’Église doit retrouver, partout, le message de l’Évangile, ses grands faits, ses doctrines, ses promesses, ses avertissements, pour être une véritable Église de Christ. C’est seulement en retrouvant un christianisme doctrinal que l’Église redécouvrira qu’elle est une communauté une, sainte, apostolique et catholique.

Paul Wells[1]

[1]      Paul Wells est Professeur de dogmatique à la Faculté libre de théologie réformée d’Aix-en-Provence. Auteur de plusieurs livres dont : « Quand Dieu a parlé aux hommes », Éditions L.L.B » Guebwiller, 1985.