Les airs, les temps, les ans, les doux mois,
Arbres, les prés, les quatre saisons,
les monts, les vaux, les terres et les bois,
Gens et bétail, les oiseaux et poissons,
Les semences, les vignes et moissons,
Tout ce qui est au-dessous de la lune
Change et se meut par diverse fortune,
En délaissant son propre mouvement ;
Dont chacun dit et aussi fait chacune,
Tout se détruit et ne sait-on comment.
L’air est chaud quand il dut être froid,
Et la froidure pour la chaleur avons,
Les jours sont courts et longs aucune[1] fois,
Et autrement que vu ne les avons ;
Arbres chétifs, les prés n’ont que chardons,
Et des saisons ne semble l’autre, l’une ;
Gens sont petits, mauvais, pleins de rancune,
Bêtes et oiseaux de pauvre fondement ;
Poissons menus, semences maigre et une[2].
Vignes valent petit et leurs explois[3]
Et elles n’ont pas profitables boissons ;
Les blés qu’on cueille s’abîment sous les toits
Ou en la grange, et peu en recueillons ;
Convoitise est entre nous trop commune,
Méprisé qui grand avoir n’aune[4]
Monter voulons jusques au firmament.
Sans foi grader, ni à aucun ni à aucune ;
Tout se détruit et ne sait-on comment.
L’envoi
Prince, certes les maux que nous faisons
Font diminuer les biens dont nous parlons
Pour nous punir, et c’est droit jugement.
A bien faire désormais entendons,
De notre cœur aimons Dieu et le servons
Tous se détruit et ne sait-on comment.
Eustache Deschamps (1346-1406)
André Chastel, Trésors de la poésie française, le Club Français du Livre, Paris, 1959, pp. 936-938.
[1] certaines
[2] unique, sans multiplication
[3] rapport
[4] n’amasse