Comme suite à tout ce qui a été dit dans l’article précédent il nous paraît nécessaire d’étudier maintenant d’un peu plus près l’Église (ou Mouvement) de la « Triple Indépendance », dont le régime entend se servir pour encadrer les protestants de Chine,
L’évêque Ding
A la tête de cette Église fut placé K.H. Ding, évêque anglican qui avant les années 1950 a fait des études de théologie au Canada et aux U.S.A. Actuellement il est également directeur de l’Institut de Théologie de Nankin, vice-président de l’Institut de recherches sur les religions à l’Université de cette ville, et, comme il se doit, membre du Comité permanent de l’Assemblée Nationale Populaire. Ce personnage offre toutes les garanties pour le régime. Avant la « Révolution Culturelle », il était déjà actif dans l’Église de la « Triple Indépendance » de l’époque et, avec d’autres dirigeants de celle-ci, il a pris part à des « jugements » (parfois dans des temples) au cours desquels on a condamné des pasteurs ayant refusé d’adhérer à cette Église officielle.
Ces dernières années il a effectué plusieurs voyages en Europe et il a notamment pris contact avec le Conseil Œcuménique des Églises. Et chaque fois il s’est efforcé d’apporter la « bonne parole » selon les directives de Pékin. Interviewé à Stockholm en octobre 1981 il a, par exemple, affirmé qu’à cette époque il n’y avait pas de pasteurs en prison et il a d’ailleurs ajouté : « Au sujet des pasteurs et prédicateurs qui ont été en prison au cours de ces 30 dernières années, je ne connais aucun cas où un délit sérieux n’en ait été la cause, c’est-à-dire une activité subversive contre l’État ». Et en octobre 1982, il eut l’audace d’affirmer que le pasteur et héros de la foi Watchman Nee, qui mourut en prison, n’avait pas été condamné pour sa foi : « C’était un criminel, qui combattait le parti communiste. »
Et, toujours en Europe, il affirmait fin 1983, devant des oreilles complaisantes, que les protestants de Chine étaient unis autour de la « Triple Indépendance ». Certes, il concédait qu’il existait d’autres groupes (Églises de maison), mais il prétendait qu’il s’agissait là d’une « minorité d’extrémistes », alors que la vérité est tout autre. Bref, le comportement de ce personnage évoque pour nous celui des dirigeants baptistes officiels d’URSS au cours de leurs voyages en Occident. Et, tout comme ces derniers, il semble hélas y être pris au sérieux. Par ailleurs il a été interviewé en juin 1984 par le bulletin « Beijing information » (édition française) et bien entendu, fait preuve d’un conformisme total (cette interview ressemblait étrangement à celle que la presse soviétique exige de temps à autre du Patriarche de Moscou). « Nous autres chrétiens continueront à nous unir politiquement autour de la cause du socialisme. » Les chrétiens de Chine ne voient aucune incompatibilité entre l’amour pour notre patrie socialiste et l’acceptation de la direction politique du parti communiste d’une part, et l’amour de Dieu et de l’Évangile d’autre part ».
Restrictions et interdits
Cette « direction politique » assurée par le Parti se traduit par toute une série de restrictions et d’interdits dans l’activité des Églises de la « Triple Indépendance ». Nous récapitulerons ici celles qui sont parvenues à notre connaissance :
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Les principes du Parti sont au-dessus de la religion. Il en est de même pour les questions relatives à la famille et au contrôle des naissances, sur lesquelles la famille ne doit avoir aucun droit de regard.
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Rien ne doit s’opposer aux directives du Parti (par exemple le travail jours de fêtes chrétiennes)
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Aucune communauté chrétienne ne peut être constituée sans l’accord des autorités.
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Les jeunes de moins de 18 ans ne peuvent être ni baptisés ni confirmés, ils ne peuvent assister aux cultes. Il est interdit de leur donner une instruction religieuse.
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Aucun office ne peut être célébré en dehors des lieux de culte officiels, Les étrangers ne peuvent y prêcher. Interdiction de pratiquer l’évangélisation itinérante.
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Les sacrements ne peuvent être administrés que dans un de ces lieux de culte (mais pas la nuit) et cela seulement par un pasteur reconnu par les autorités.
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Interdiction de prier pour guérir les malades, ou pour chasser les mauvais esprits au nom de Jésus. Ces pratiques sont contraires à la science !
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Interdiction d’imprimer sans autorisation des Bibles ou autres livres religieux, ou d’en faire venir de l’étranger.
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Il faut garder sa religion pour soi, et ne pas prier chaque jour, seulement le dimanche.
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Les communautés ne peuvent utiliser librement l’argent provenant des offrandes.
En outre les fidèles sont sans cesse mis en garde contre les contacts avec les étrangers, qui sont en général des espions sous couvert de la religion, et qu’il faut dénoncer. Par ailleurs, comme le signale « Frère David » dans « Le contrebandier en Chine », la liberté de prédication des pasteurs est limitée par les autorités. Il existe en effet toute une série de sujets qu’ils doivent éviter : la dîme (cela affecterait l’économie), le jour du repos (cela affecterait la production), les guérisons et exorcismes, les mariages entre chrétiens et non-chrétiens, la seconde venue du Christ (cela pourrait saper les efforts du peuple en vue des « quatre modernisations »).
Selon la « Mission Slave » (Suède) il serait également interdit de prêcher sur les livres de la Genèse, de Daniel et de l’Apocalypse. Et le contenu de certaines prédications ne manque pas d’étonner. C’est ainsi qu’en 1982, dans un culte célébré dans une Église officielle, le pasteur commenta ainsi le « Notre Père » : « Donne-nous aujourd’hui notre pain quotidien » fut pour lui l’occasion d’exprimer sa reconnaissance au parti communiste qui fournissait à tous leur pain quotidien, et de manifester son inquiétude pour les habitants des pays capitalistes, que l’on prive de ce pain ! « Ne nous soumets pas à la tentation » l’entraîna à mettre en garde les fidèles contre les influences exercées depuis l’étranger afin de « créer la division au sein de l’Église de Chine » !
Répression depuis 1981
Le « dégel » survenu après la mort de Mao fut en fait de courte durée, car un document confidentiel du Parti, envoyé en mars 1981 à toutes les instances de celui-ci, précisait que le but à atteindre était que « la religion disparaisse, conformément à l’ordre naturel des choses ». Pour cette raison toutes les activités religieuses doivent être soumises au contrôle du Parti et du gouvernement. Contrôle qui concerne notamment toutes les « organisations religieuses patriotiques » (donc les Églises de la « Triple Indépendance ».) Ce document montrait qu’en Chine la notion de liberté religieuse excluait toute liberté d’annoncer l’Évangile ouvertement, et il interdisait aux organisations religieuses, et aux croyants pas isolément, de prêcher, ou même de parler de Dieu, en dehors des églises et temple. De ce fait, les Églises de maison, tolérées jusqu’ici, perdaient tout droit à l’existence : « En principe elles ne doivent pas être autorisées. » Il fallait donc mettre fin à leur existence, et pour cela « les membres des organisations religieuses patriotiques doivent persuader les masses religieuses », de sorte que « l’on puisse prendre d’autres dispositions convenables. »
On devait bien vite voir ce qu’il en était de cette « persuasion » et de ces « dispositions convenables. » Comme il était impossible de faire disparaître du jour au lendemain ces Églises de maison, ou de les intégrer de suite dans la « Triple Indépendance », on les « persuada » au moyen de pressions sans cesse croissantes. En 1981, on leur imposa diverses restrictions : interdiction de prêcher devant des jeunes de moins de 18 ans, interdiction d’aller prêcher l’Évangile de village en village (tout prédicateur itinérant apparaissant dans une localité devait être arrête), interdiction de recevoir des Bibles de l’étranger et d’écouter à la radio des émissions chrétiennes.
Puis les autorités insistèrent pour que ces Églises de maison se soumettent à un contrôle de la part de la « Triple Indépendance », et en septembre 1982 le bureau des Affaires religieuses promulgua à leur intention trois prescriptions très restrictives (sans doute les « dispositions convenables » mentionnées plus haut) :
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les communautés de maison devaient désormais tenir leurs réunions dans des endroits fixés par les autorités communistes. Les réunions dans les maisons devenaient illégales ;
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seuls des pasteurs approuvés par les autorités pouvaient prêcher, c’est le Mouvement de la « Triple Indépendance » qui devait effectuer la sélection. Ceux qui prêcheraient sans cette autorisation devraient être arrêtés. Tous les prédicateurs itinérants étaient mis hors la loi ;
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les pasteurs autorisés ne pouvaient exercer leur ministère que dans une certaine zone.
On notera en particulier l’acharnement déployé contre les prédicateurs itinérants, qui sont vraiment la bête noire des communistes chinois, ce que l’on peut comprendre si on se souvient du rôle joué par eux (voir article précédent). Aussi la police, assistée parfois par des membres de la « Triple Indépendance », ira-t-elle jusqu’à dresser contre eux des embuscades de nuit !
Dès 1982 de nombreuses arrestations de croyants eurent lieu dans le Honan, de juillet à octobre. En juin 1983 une centaine de pasteurs non autorisés furent arrêtés dans cette même province, tandis qu’une trentaine d’autres durent entrer dans la clandestinité et aller évangéliser ailleurs, bravant toutes les interdictions. De janvier à septembre 1983 furent arrêtés à Kunming, 37 responsables d’Églises de maison, et condamnés à des peines allant de 2 mois à 15 ans. Ailleurs d’autres, arrêtés en juin 1983, furent condamnés à des peines de 3 à 5 ans.
En 1982 le Mouvement de la « Triple Indépendance » procéda d’autorité à la dissolution de certaines Églises de maison, et en 1983 il exigea partout que ces communautés cessent leur activité, ou bien se soumettent à ses directives, mais comme on le verra, il est loin d’avoir réalisé la tâche confiée par les autorités.
À cette époque on signalait que dans certaines villes les Églises de maison étaient en danger, leurs cultes devenaient impossibles, ou bien elles étaient dispersées, de sorte que leurs membres devaient à nouveau se réunir dans la clandestinité, par petits groupes de cinq à dix croyants. Mais dans certaines régions ces Églises jouissaient encore d’une grande liberté en 1983 : c’est ainsi qu’à Shandong un pasteur pût tenir dans la même journée trois assemblées groupant chacune de 500 à 1000 personnes. Ce qui confirme qu’il est bien difficile de brosser un tableau d’ensemble pour cet immense pays.
On doit relever avec tristesse un certain nombre de cas où des représentants de la « Triple Indépendance » ont collaboré avec la police dans la répression contre les Églises de maison, et parfois même ont fait appel à elle. Les 14, 15 et 16 février 1982, deux dirigeants de ce mouvement se sont présentés à Dongyang (province littorale de Zhejiang, au sud de Shanghai) pour y organiser une Église officielle, mais les 7 à 8000 croyants refusèrent d’obtempérer et se mirent à jeûner et prier. Mais le 28 février les représentants de la « Triple Indépendance » incitèrent les habitants de la localité et la police à attaquer les chrétiens réunis pour le culte – ce fut un spectacle sanglant.
De même, des membres de la « Triple Indépendance », accompagnés d’agents du Service de Sécurité, vinrent interrompre un culte à Yiwu (même province). Ils s’adressèrent ainsi aux croyants « Votre refus de vous laisser enregistrer dans la « Triple Indépendance » il prouve que vous n’aimez pas votre pays. Vous n’êtes pas des patriotes, vous êtes contre la Révolution ! »
Certains croyants tentèrent d’entamer une discussion honnête, mais ils furent frappés avec des matraques chargées d’électricité ; l’un d’entre eux fut frappé si violemment qu’il saignait. Certaines femmes traitées de la sorte s’évanouirent, elles furent totalement déshabillées par les assaillants.
A Biyang (Honan) les représentants de la « Triple Indépendance » firent attaquer le 3 avril 1982 une réunion de 5000 personnes organisée par 14 jeunes évangélistes, qui furent ligotés et durent rester couchés par terre pendant trois jours.
D’autres évangélistes non autorisés sont aussi la cible de la police. C’est notamment le cas d’un vieux pasteur de la région d’Anhweï (Ouest de Shanghaï), actuellement âgé de 80 ans et qui avait été emprisonné plus de 20 ans pour sa foi. Libéré il y a quelques années, il se déplace avec quelques jeunes assistants pour annoncer l’Évangile, et des foules nombreuses viennent l’écouter. Mais en 1982 la police vint assaillir une de ses réunions, et il fut arrêté, ainsi que ses collaborateurs. La foule refusa de se disperser tant que ce pasteur ne serait pas libéré, et sous cette pression la police promit de relâcher les détenus au bout de 3 jours, ce qui eut lieu. Entre temps ce vieux pasteur avait été gravement blessé par les nombreux coups qu’il avait reçus, et dans cet état il fut présenté, à titre d’avertissement, sur le trottoir devant le Bureau des Affaires religieuses, puis à l’entrée d’un temple de la « Triple Indépendance ».
Situation en 1984
Les persécutions ont continué pendant toute l’année 1984, comme le montrent des informations parvenues à Hong-Kong de tous les coins du pays, mais celles dont nous disposons ne permettent pas de dresser la comptabilité des pasteurs et autres croyants incarcérés.
Un pasteur de la province du Henan (au Sud-Est) a signalé au début de 1984 qu’il avait été arrêté en compagnie de 29 autres croyants, mais plus tard libéré sous caution ; un des croyants de ce groupe a été cruellement torturé, et il a complètement disparu depuis.
Pendant un interrogatoire un autre de ces croyants est resté longtemps attaché avec des cordes, et par la suite il ne pouvait plus bouger les bras ; un autre encore a été battu avec la crosse d’un pistolet ; blessé, il a dû être hospitalisé. « Les nuages s’amoncellent déjà. L’affliction est grande, et le cœur des hommes est rempli de crainte. Les saints sont confrontés à la tribulation » écrivait ce pasteur en janvier 1984, avant son arrestation.
L’Église de la « Triple Indépendance » (du moins ses dirigeants et certains membres) continue à jouer son triste rôle dans cette tribulation, en insistant pour que toutes les Églises de maison se soumettent à son contrôle, Une lettre du Heilongjiang (Mandchourie du Nord) datée de juillet 1984 signale notamment que les croyants ne peuvent se réunir que dans le cadre de la « Triple Indépendance », les cultes à domicile sont interdits, les jeunes doivent être tenus à l’écart de toute vie religieuse et tout contact avec les prédicateurs itinérants est interdit.
Même son de cloche dans la province littorale de Fuyang (entre Shanghai et Canton) : les réunions en dehors des Églises de la « Triple Indépendance » sont interdites. Ceux qui ne veulent pas fréquenter ces Églises peuvent se réunir uniquement en famille, mais deux familles voisines ne peuvent se réunir, car elles constitueraient déjà une Église de maison !
A la suite de toutes ces pressions, une partie des Églises de maison se sont rapprochées de la « Triple Indépendance » sous une forme ou une autre, tandis que d’autres refusent toujours tout contact, car elles condamnent les restrictions imposées par le pouvoir et elles ne veulent pas être utilisées dans un but politique (endoctrinement communiste, contrôle des opinions des fidèles).
Des précisions intéressantes ont été fournies en 1984 par le pasteur d’une Église de maison de l’Est du pays, qui a pu se rendre à Hong-Kong, et selon lequel les Églises protestantes de Chine peuvent être classées comme suit :
- Églises officielles de la « Triple Indépendance », au nombre de 1600 en 1984 ouvertes dans les villes.
- Communautés autonomes du même type que ci-dessus : elles sont autorisées par la« Triple Indépendance » et par les autorités locales. Une fois par mois l’Église officielle leur délègue un pasteur pour présider le culte.
- Communautés de maison, qui existent surtout dans les petites villes ou à la campagne, et qui se sont fait enregistrer au plan local. Le mouvement de la « Triple Indépendance » se contente de convoquer leurs responsables, une fois ou deux par an, pour des réunions de quelques jours.
- Communautés de maison indépendantes et non enregistrées, qui se réunissent secrètement. Leurs responsables s’opposent à toute collaboration avec la « Triple Indépendance ». On les trouve aussi bien dans les villes qu’à la campagne.
Le pasteur en question, qui appartient au troisième groupe, estime que les premier et second groupes comptent au total 13 millions de fidèles, tandis que les troisièmeᵉ et quatrième groupes en comptent 17 millions. Ce qui donnerait, selon lui, un total de 30 millions de protestants en Chine.
En avril 1984 la « Triple Indépendance » a édicté des règles très strictes en ce qui concerne les contacts avec les étrangers, et en particulier les Bibles et livres religieux venant de l’étranger. Les pasteurs ont reçu l’ordre d’accepter éventuellement les livres remis par des visiteurs étrangers, mais de ne pas les distribuer. Un étranger qui avait remis tout à fait ouvertement des Bibles dans un temple de la « Triple Indépendance » a pu constater qu’elles furent toutes confisquées à l’issue du culte. Par ailleurs une chrétienne de Shanghai a signalé qu’en 1981 les responsables d’une des Églises officielles de cette ville acceptaient certes les Bibles remises par des étrangers, mais qu’ils les détruisaient ensuite, ou bien les enfermaient dans un endroit interdit aux fidèles. D’une façon générale le pouvoir veut obliger les croyants à ne lire que des Bibles et livres religieux imprimés en Chine par la « Triple Indépendance », et cela est très grave à cause de la pénurie presque catastrophique de Bibles qui règne en Chine.
Que penser de la « Triple Indépendance » ?
En 1981 un protestant de Pékin a dépeint succinctement cette Église officielle devant un représentant de l’organisation « Portes Ouvertes ». Selon lui, elle est de composition très hétérogène, car on y trouve :
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des gens qui sont certainement des imposteurs, placés là par le pouvoir pour espionner les autres ;
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des pasteurs qui ont succombé aux pressions du pouvoir, et ont laissé compromettre leur foi en agissant dans l’intérêt du Parti ;
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d’autres enfin, qui font réellement de leur mieux, dans une situation de compromis, pour adorer le Seigneur et servir son troupeau,
Mais un tableau plus détaillé a été brossé plus tard, en 1983, par David Wang, directeur du centre « Asian Outreach », à Hong-Kong, qui est un des meilleurs connaisseurs de l’Église de Chine, son pays natal, où il a fait de très nombreux voyages. Selon lui, le mouvement de la « Triple Indépendance » est une organisation à trois niveaux :
- A la base, des chrétiens sincères qui veulent pouvoir adorer leur Seigneur ouvertement, et dont la plupart sont vraiment fondés sur la Bible. Ils veulent participer aux cultes et aux sacrements, même si cela entraîne leur enregistrement à côté de dirigeants désignés par le pouvoir. Peu de chrétiens comprennent pleinement les suites politiques qui en résultent, peu se rendent compte des contacts politiques qu’ont ces dirigeants. En fait ils ne se préoccupent pas vraiment de cet aspect de la question. Ce sont tout simplement des croyants qui aiment leur Dieu et la Bible.
- Puis vient un deuxième groupe, celui des dirigeants au niveau intermédiaire. Il s’agit des pasteurs, qui ont été rappelés de leurs usines ou de leurs Communes Populaires (agriculture) pour exercer un ministère dans les Églises officielles. La plupart sont, ou ont été, des fidèles prédicateurs de la Parole, fondés bibliquement et qui considèrent leurs ministères au sein de la « Triple Indépendance » comme une possibilité de proclamer la Vérité. Peut-être n’approuvent-ils pas l’activité politique du Mouvement, mais ils pensent que, du moment que la Parole de Dieu est annoncée, cette annonce est en soi une bonne chose. Pour cette raison on peut entendre souvent des messages sains et fidèles à la Bible dans les temples de l’Église officielle. Bien entendu, on trouve aussi dans ce groupe des pasteurs que les chrétiens chinois pourraient appeler « Judas », car ils ont renié leur foi pendant les troubles de la « Révolution Culturelle », mais ils ne représentent qu’un faible pourcentage par rapport aux autres pasteurs, qui sont des chrétiens fidèles et consacrés, mais qui n’en doivent pas moins se plier aux restrictions imposées par le régime.
- Au niveau supérieur on trouve les dirigeants du Mouvement dont certains voyagent de par le monde en dépeignant la « Triple Indépendance » sous un jour lumineux. Souvent leur message est encore plus gauchissant que ceux envoyés sans cesse par le parti communiste. Les statistiques et informations qu’ils fournissent sont souvent malhonnêtes, et basées sur des idées préconçues. À en juger selon leur pratique, leur théologie de l’évangélisation semble être : « pas d’évangélisation » et leur théologie de la mission : « pas de mission » (au sens évangélique). La meilleure définition de ces dirigeants est peut-être celle qui en a été donnée par un pasteur chinois, lui-même membre d’une Église de la « Triple Indépendance » : « Ils sont plus politiciens que chrétiens ! »
Situation actuelle (Mars 1987)
Diverses informations montrent que la répression contre les communautés (ou Églises) de maison n’a pas cessé. Nombre de ces communautés ont été fermées au cours des trois dernières années, certaines ont dû suspendre leurs réunions provisoirement et d’autres se réunissent moins souvent, et par groupes moins nombreux. Les arrestations de chrétiens évangéliques continuent, notamment celles d’évangélistes itinérants, car cette activité est strictement interdite. Mais nombreux sont ceux qui bravent cette interdiction. Actuellement au moins 38 évangéliques seraient en prison, condamnés en 1983 à des peines de 10 à 15 ans. 21 d’entre eux sont des responsables de communautés de maison. Malgré tout, l’éveil religieux continue, mais les communautés de maison doivent faire face à d’importants problèmes :
- Tout d’abord le nombre de pasteurs ou de responsables est très insuffisant, et leur formation théologique est souvent insatisfaisante elle aussi.
- Ces chrétiens manquent de Bibles et de littérature religieuse. Divers moyens sont mis en œuvre pour résoudre ces problèmes :
- Ces dernières années on a créé des « séminaires de campagne », clandestins bien entendu (on en connaît une dizaine), dans lesquelles des jeunes chrétiens viennent par centaines suivre des cours intensifs de trois mois. Puis ils prennent la route comme évangélistes itinérants (certains sont arrêtés, d’autres sont tués ou disparaissent).
- Des Bibles et de la littérature religieuse sont introduites en Chine, mais cela est considéré par les autorités comme de la contrebande.
- Plusieurs organisations chrétiennes ont organisé depuis l’étranger des émissions d’évangélisation radio, complétées par la diffusion de véritables programmes de formation chrétienne pour les Chinois.
- En outre elles introduisent en Chine des cassettes et lecteurs de cassettes ; ces cassettes de formation chrétienne sont par la suite reproduites en très grand nombre, et diffusées dans les communautés de maison.
L’avenir des chrétiens chinois paraît plutôt incertain. Songeons en effet que le « Drapeau Rouge » (journal du parti communiste chinois) écrivait le premier juin 1986 : « La propagande en faveur de l’athéisme doit être poursuivie et intensifiée, notamment auprès des jeunes. » Mais il y a pire : en effet, à la suite des manifestations d’étudiants chinois, qui en décembre 1986 réclamaient une véritable libéralisation, le pouvoir a durci son attitude, appelant à lutter contre le « libéralisme bourgeois ». Et le No 1 chinois, Deng Xiaoping a même été jusqu’à déclarer : « Sans la dictature rien ne marche ». Que deviendra alors dans tout cela la véritable liberté religieuse en Chine ?
Frédéric Goguel
30 mars 1987