Nous sommes heureux de vous présenter cette étude remarquable du Dr John Byl sur l’évolutionnisme théiste. Nous signalons au lecteur que nous accompagnons ce texte de remarques qui figurent dans les notes en fin de texte. Ces commentaires de la rédaction cherchent à rééquilibrer la position du Dr John Byl sur un point précis : celui de la nature propre de la démarche scientifique et en particulier du rôle, certes en partie subjectif mais néanmoins absolument indispensable, que doit toujours jouer la théorisation dans la recherche scientifique. La théorisation, élément central dans la méthode expérimentale, ne doit en aucun cas être confondue avec cette spéculation à laquelle s’attaque avec tant de précision le Dr Byl et qui marque de manière si nette toute la pensée évolutionniste.
Jean-Marc Berthoud
La question de la relation entre l’évolutionnisme et le Christianisme n’est pas nouvelle. Elle se pose en fait depuis plus de cent ans. Vers la fin du XIXᵉ siècle, beaucoup d’Églises traditionnelles ont accepté la théorie de l’évolution. Le triste état de ces Églises aujourd’hui en est le résultat. Mais il existe aujourd’hui un phénomène nouveau : des Églises conservatrices qui ont longtemps tenu ferme face à la théorie de l’évolution sont en train de revoir sérieusement leur position à ce sujet. On peut citer comme exemple la situation du Calvin College à Grand Rapids, où les professeurs Davis D. Young et Howard Van Til[1] sont les principaux promoteurs de l’évolutionnisme. Tout a commencé avec un examen relativement innocent de questions telles que l’âge de la Terre, l’étendue du Déluge ou la nature des jours de la création. Plus récemment, cependant, d’autres questions bien plus importantes ont été soulevées, questions qui découlent essentiellement de la méthodologie et de l’herméneutique mises en œuvre dans les débats précédents. Ces nouvelles études abordent des sujets plus essentiels où, plus précisément, il est question de l’origine de l’homme. Dans son livre intitulé Le quatrième jour, Howard Van Til fait les déclarations suivantes, devenues aujourd’hui célèbres :
« Admettre la possibilité que nous serions des créatures, dont l’aptitude à la conscience de soi et de Dieu serait le fruit d’une évolution continue, me paraît être une idée ni inappropriée, ni incongrue, ni anti-biblique. Je ne vois aucune raison pour m’opposer à la conception selon laquelle la Création aurait eu une histoire évolutive, ou que des êtres moralement responsables puissent être le fruit d’un tel processus évolutif. »
Il est donc évident que Howard Van Til est accessible à l’idée selon laquelle l’homme aurait été formé dans sa totalité, corps, âme et esprit par un processus évolutif.
Or, un rapport d’Église paru en 1991 (le Rapport Nº 28 sur Création et Science) a examiné la position de Howard Van Til. Ce rapport, qui a été examiné lors d’un Synode de la Christian Reformed Church (Église Chrétienne Réformée des États-Unis), a déclaré de manière des plus nettes que Van Til avait une réflexion théologique tout à fait saine en ce qui concernait sa position face à la théorie de l’Évolution. En fait, Van Til n’était pas le premier professeur de l’Église Chrétienne Réformée à soulever de telles questions. En 1978 déjà, des plaintes avaient été enregistrées à l’encontre de John Steck (professeur à Calvin Seminary) qui, lui, émettait des doutes quant à l’historicité d’Adam. Le Synode de 1981 avait déclaré que la position de Steck contredisait les grandes Confessions de Foi. Cependant le Synode de 1983 affirma qu’il ne s’agissait pas là d’une affaire de discipline, mais simplement d’une question relative à la recherche scientifique. Ainsi a-t-on laissé tomber cette affaire.
Soulignons tout d’abord que nous ne cherchons aucunement ici à viser Calvin College. En fait, ce qui est en train de se passer au Calvin College se passe également dans beaucoup d’universités chrétiennes aux États-Unis, si ce n’est dans la plupart. Seulement, les professeurs dont il est ici question ont largement diffusé leurs opinions. Il est donc facile de connaître leur position précise sur le sujet qui nous intéresse. Il est, par conséquent, tout à fait pertinent de citer les écrits de ces hommes afin d’examiner quels genres de raisonnements ils utilisent.
Or, non seulement l’évolutionnisme théiste est en train de devenir une mode dans certains milieux réformés autrefois fidèles à la Bible, mais en plus ses défenseurs affirment que l’évolution théiste serait en réalité parfaitement conforme à la révélation biblique. Ils vont jusqu’à dire qu’il serait même plus fidèle à la Bible que le créationnisme. Ils prétendent être fidèles à la doctrine de l’infaillibilité de la Parole de Dieu ainsi qu’aux Confessions de la Foi Réformées. Dans un récent numéro de la Christian Scholars Review (la Revue du Chercheur Chrétien, juin 1993), Howard Van Til va jusqu’à publier un article avec le titre provocateur : Le créationnisme : une hérésie ? Il termine cet article en disant que, sans doute cette accusation d’hérésie est un peu exagérée, mais qu’il pense cependant que nous devrions rejeter la notion d’une création spéciale car, selon lui, elle ne se justifierait aucunement sur les plans bibliques et théologiques, ou celui de l’observation empirique. Il nous faut admettre ici qu’il se montre plus généreux envers le créationnisme que nous le sommes envers l’évolutionnisme.
Un rapport provenant du Pascal Center, à Redeemer College, contient un exposé abordant la question de l’origine de l’homme, dans lequel le Directeur de cet Institut laisse la question ouverte. Il y émet néanmoins un certain nombre d’affirmations. Tout d’abord il trouve que la Genèse est peu claire sur cette question. Il affirme ensuite que les diverses tendances théologiques partisanes de l’orthodoxie biblique n’interprètent pas toutes la Genèse de la même façon. Nous devons donc, pense-t-il, laisser ici une place au doute. Deuxièmement, il déclare qu’il ne connaît aucune doctrine théologique majeure qui serait remise en cause par l’acceptation de la position selon laquelle l’origine de l’homme procéderait d’un processus évolutif. Troisièmement, d’après lui, la révélation que Dieu fait de lui-même dans la création ne peut pas contredire les Écritures. Or, s’il admet que les diverses explications scientifiques de l’origine de l’homme ont leurs difficultés propres, il suggère cependant qu’il ne faut pas nous prononcer ici de manière définitive. Nous devons plutôt surseoir au jugement en attendant l’apparition de nouveaux éléments venant, on le suppose, du monde scientifique. Tout cela fait clairement ressortir les questions précises qu’il nous faut maintenant aborder.
Nous traiterons essentiellement dans cette étude les trois questions suivantes :
- La Bible est-elle vraiment imprécise dans ce qu’elle dit sur les origines ?
- Est-il vrai qu’aucune question d’ordre théologique ne serait remise en cause par l’adoption de l’évolutionnisme ?
- Peut-on vraiment mettre en parallèle l’évolution et la révélation générale ?
Qu’est-ce que l’évolution théiste ?
Avant d’aborder ces questions, quelques remarques préliminaires s’imposent. Tout d’abord, qu’est-ce que l’évolution théiste ? Nous désignons par le terme évolution toute théorie des origines qui, en essayant d’expliquer l’origine des structures complexes, évoque des processus naturels agissant sur des états initiaux simples et cela sur de longues périodes de temps. Or, le grand modèle de l’évolution spécifie que tout aurait évolué à partir d’un point initial dans l’espace, point qui aurait explosé dans le fameux Big Bang. À partir de cette explosion se seraient formées des étoiles, des galaxies et des planètes gravitant autour de certaines étoiles. Sur quelques planètes nous trouverions la vie. Notre planète aurait eu, comme point culminant de l’évolution de la vie, l’apparition de l’homme. Il faut noter que ce modèle général des origines englobe à la fois l’évolution astronomique (la constitution des étoiles à partir de gaz) et l’évolution géologique. Ces deux aspects du modèle évolutionniste ne sont peut-être pas sujet à controverses en eux-mêmes. Cependant, comme nous allons le voir, dès que l’on aborde la question de l’évolution biologique on se trouve confronté à des implications théologiques majeures.
Le terme évolution théiste désigne une approche de l’évolution qui fait appel à Dieu comme point de départ du processus évolutif : la puissance divine conduirait le processus évolutif à tout instant et présiderait à tout son développement. Ainsi, ceux qui soutiennent ce modèle des origines ont comme devise : Dieu créa le monde au moyen de l’évolution. Selon cette théorie, Dieu aurait lui-même déterminé les lois naturelles et les conditions initiales de l’évolution du monde en sorte que celle-ci se serait développée en fonction du plan divin. L’évolution théiste s’oppose ainsi à l’évolution athée sur un point précis : pour cette dernière l’évolution se serait développée seule, par le pur jeu des seules lois du hasard, n’ayant aucun but et ne poursuivant pas de dessein prédéterminé.
L’impossibilité de l’évolution
Comment répondre à de telles affirmations ? Les chrétiens abordent ce problème de différentes manières. La première est de démontrer l’impossibilité de l’évolution. Il faut souligner qu’il existe d’énormes lacunes dans le processus évolutif tel qu’il est décrit par les scientifiques évolutionnistes. Par exemple, comment passer de la non-vie à la vie ? Il y a là, semble-t-il, un fossé infranchissable. Puis, il existe un deuxième gouffre séparant les créatures vivantes, dépourvues de conscience, des êtres conscients capables de réflexion. Comment alors passer de la matière brute à la pensée ? Ces deux ordres de la réalité semblent totalement distincts.
Cependant, tout en reconnaissant ces difficultés et tout en constatant que l’évolution n’est rien d’autre qu’une impossibilité scientifique, il nous faut cependant hésiter à l’attaquer par ce côté-là. Car toute critique provenant de cet angle paraît aléatoire, soumise au hasard. Devons-nous nous appuyer sur des principes d’ordre scientifique, ou sur des principes d’ordre philosophique ? Comment alors savoir si ces principes-là sont réellement valables ? Comment savoir si la prochaine découverte scientifique, par exemple, ne parviendra pas à fabriquer la vie dans une éprouvette à partir d’une matière inerte[2] ? D’ailleurs, de telles objections ne posent guère de problèmes aux évolutionnistes théistes, parce qu’ils peuvent bien affirmer que les lacunes du processus évolutif correspondent à des interventions divines. Ils auraient ainsi recours au miraculeux pour combler des fossés dans la chaîne évolutive. Nous aurions alors à faire à une version quelque peu modifiée de l’évolution théiste.
L’improbabilité totale de l’évolution
Il existe également une deuxième approche de ce problème qui démontre que l’évolution est si peu probable, que les chances qu’un tel processus ait eu lieu sont si minimes, que cela pourrait effective-ment ne jamais se produire dans la réalité. Même des scientifiques non-chrétiens sont arrivés à la conclusion que, vu l’immense complexité de la plus petite cellule vivante, la probabilité que les molécules (de l’ADN par exemple) puissent se former par le seul jeu des lois du hasard est si infime, qu’il est permis pratiquement de l’ignorer. Fred Hoyle, par exemple, et d’autres avec lui, en sont arrivés à la conclusion qu’il est impossible que la vie ait pu surgir spontanément sur terre. Ceci a conduit Francis Crick (Prix Nobel de Biologie, c’est lui qui a découvert l’ADN) à lancer l’idée que la vie que nous trouvons sur notre planète y serait venue par vaisseau spatial. On attribue à Mark Twain la phrase suivante : Il est étonnant de voir tout ce que peuvent croire les gens, pourvu que cela ne soit pas dans la Bible.
Les arguments fondés sur le calcul des probabilités sont, jusqu’à un certain point, tout à fait probants, mais ce que Francis Crick a l’air de dire c’est que, si l’on considère l’univers dans son ensemble avec ses planètes innombrables, il est permis de supposer que la vie doit y exister quelque part[3]. Ainsi les chances de l’existence de la vie sont bien plus grandes que si l’on ne tenait compte que de la Terre. Mais, une fois encore, ce raisonnement ne peut tenir contre l’argumentation évolutionniste théiste qui affirme que, dès le commencement, Dieu aurait établi les conditions conduisant à ce que les molécules complexes de la vie se soient formées et qu’ainsi la vie serait apparue. La question qu’il nous faut poser est donc non : « L’évolution a-t-elle pu avoir lieu ? », mais « Est-ce qu’elle a réellement eu lieu ? » Or, la seule façon de répondre à une telle question est de nous retourner vers le passé. Et notre unique moyen pour le faire est d’examiner le témoignage de la Parole de Dieu.
Mais que dit la Bible ?
Jusqu’au siècle dernier l’immense majorité des chrétiens a maintenu les idées suivantes : une création en six jours ayant eu lieu il y a quelque six mille ans ; un Déluge universel ; une création miraculeuse des diverses espèces, notamment de l’homme. Si l’on compare ces affirmations au schéma évolutionniste on se trouve confronté à un certain nombre de problèmes majeurs. Tout d’abord, il y a la question de la chronologie, parce qu’une création en six jours ne laisse pas assez de temps pour l’évolution. Même s’il était possible de transformer ces six jours en de longues périodes de temps on se trouverait devant d’autres problèmes. Car la séquence des événements donnée par le récit biblique ne correspond pas au schéma évolutionniste. Ainsi, par exemple, selon la Bible les arbres étaient présents dès le troisième jour, mais la vie marine n’apparaît qu’au cinquième. La biologie évolutionniste affirme la séquence inverse. La Bible affirme la création des oiseaux au cinquième jour et celle des insectes au sixième. L’évolution présente ici encore l’ordre inverse. Plus important encore, la lumière fut créée au premier jour mais le soleil et la lune ne sont pas créés avant le quatrième.
De plus, il faut considérer la manière dont tout a été créé. La Bible nous présente une série d’actes miraculeux : Dieu a parlé et la chose fut créée. Or, les évolutionnistes affirment que Dieu n’aurait pas créé les animaux à partir de rien, mais à partir d’une matière déjà préexistante au moyen de processus purement naturels. En effet, si l’on considère attentivement le récit biblique de la création de l’homme, on s’aperçoit qu’il fut fait à partir du sol, et non à partir de rien. À partir de là, il serait peut-être possible de suivre le raisonnement selon lequel Dieu aurait créé l’homme au moyen de l’évolution, en se servant pour le faire de formes de vie inférieures. L’inconvénient de ce raisonnement est que, après que Dieu eut formé l’homme et lui eut insufflé le souffle de la vie, nous lisons : « Alors, l’homme est devenu une créature vivante. » Nous avons affaire ici exactement au même mot que celui qui est utilisé pour désigner des formes de vie animales inférieures.
Ainsi, selon le récit biblique l’homme aurait été créé adulte et, en plus, il ne serait pas possible de postuler un processus évolutif pour son origine. En plus la création d’Ève à partir du côté d’Adam ne correspond aucunement à un processus évolutif. Il est intéressant de relever à ce propos le rapport étroit établi par l’apôtre Paul entre la création de la femme et l’interdiction du ministère féminin. Son argument principal en faveur de la primauté de l’homme en I Timothée, chapitre 2 est qu’Adam fut formé le premier et Ève ensuite. Du point de vue évolutionniste cela n’a pas de sens, mais cet enseignement s’accorde très bien avec une interprétation littérale du premier chapitre de la Genèse. Il est d’ailleurs intéressant de noter que chaque fois que dans le Nouveau Testament on trouve une référence aux onze premiers chapitres de la Genèse les auteurs acceptent comme allant de soi que les détails mêmes du récit soient historiquement vrais. De plus, la notion de chute de l’homme, selon laquelle l’homme aurait été créé à l’origine parfaitement bon et qu’il serait ensuite seulement tombé dans la désobéissance, est en totale opposition au système évolutionniste, selon lequel l’homme ne serait aucunement tombé dans le mal mais, au contraire, se serait graduellement développé en s’améliorant.
Passons maintenant aux problèmes de chronologie. Même s’il était possible de réinterpréter les six jours en termes symboliques et ensuite bousculer l’ordre des événements du récit biblique, les généalogies de Genèse 5 et 11 situeraient la création de l’homme à environ 6 000 ans avant Jésus-Christ, ce qui est bien sûr beaucoup trop tôt pour la chronologie évolutionniste. Or, certains ont cherché à étirer ces généalogies, prétendant qu’il s’y trouvait d’immenses lacunes. Mais le problème n’en est pas évacué pour autant, car l’évolution chercherait à situer les origines de l’homme à au moins un million, voire deux millions d’années en arrière. C’est à ce moment-là, dit-on, que la présence d’outils devient pour la première fois évidente, qu’on constate dans les fouilles des indices de cérémonies religieuses qui auraient accompagné les enterrements et d’autres choses de cette nature. L’inconvénient, c’est que tout cela ne s’accorde guère avec le reste de la Genèse vu que les fils d’Adam étaient des agriculteurs. Bien sûr, selon l’évolution, l’agriculture n’existait même pas à une époque antérieure à 10 000 ans avant Jésus-Christ. Ainsi les détails de la présentation biblique des origines ne s’accordent absolument pas avec le schéma évolutionniste.
Il y a aussi la question du Déluge. Comment l’expliquer ? Davis Young a déclaré qu’il n’existerait aucune preuve géologique favorable à l’idée d’un déluge universel. Selon lui, il s’agit d’un phénomène localisé. L’inconvénient, c’est que, selon Genèse 7 : 9 toutes les hautes montagnes furent recouvertes. Les montagnes de la région d’Ur culminent à environ 1 600 mètres. Donc, si elles étaient recouvertes nous avons incontestablement à faire à un déluge universel. Une façon de résoudre la difficulté serait, encore une fois, de postuler que ce déluge aurait eu lieu à une époque très éloignée, qu’alors il était peut-être universel mais qu’il daterait d’au moins 50 000 ans en arrière. La difficulté que présente cette interprétation est la suivante : la Bible affirme que l’invention de la fabrication de tentes, de la musique et d’objets en fer se serait produite avant le Déluge. Selon l’évolution, ces événements auraient eu lieu que vers 3 000 ou 4 000 ans avant Jésus-Christ. Ainsi, une fois de plus, les détails du système évolutionniste ne correspondent pas à l’interprétation traditionnelle de la Bible. Par conséquent, l’interprétation traditionnelle rend l’hypothèse d’une évolution théiste tout à fait impossible bibliquement. Mais la véritable question à poser est celle-ci : cette interprétation traditionnelle est-elle juste ? En suivant le raisonnement adopté par certains serait-il possible de remplacer cette interprétation traditionnelle par une autre qui s’accorderait mieux avec les enseignements de l’évolution ?
Accorder la Bible à l’évolution
Plusieurs stratégies ont été adoptées pour accorder la Bible à l’évolution. La première approche est celle des découvertes, puis des interprétations bibliques, qui s’accordent le mieux avec l’évolution. On appelle cette méthode le concordisme. Ce point de vue considère la Genèse comme étant en principe fiable sur le plan scientifique, mais qu’il faut se permettre une certaine flexibilité dans l’interprétation des textes afin de pouvoir mieux accorder la Bible aux données scientifiques. Un bon exemple de cette démarche se trouve dans le livre de Davis Young intitulé, La création et le Déluge, écrit en 1977. Il y affirme que les jours du récit de Genèse 1 représenteraient de longues périodes de temps. Il y présente des schémas très ingénieux pour inverser l’ordre des jours. Puis, il affirme que le Déluge eut un caractère purement local. Mais en dépit du fait que l’exégèse semble favoriser une traduction parlant de jours de 24 heures, il prétend qu’on n’est pas obligé d’accepter cette interprétation, à moins que la Bible ne l’enseigne sans la moindre équivoque. Il affirme que dans le cas où il existerait le moindre doute à ce sujet, on devrait donner suffisamment de liberté à l’exégète pour qu’il puisse adopter une autre interprétation s’accordant mieux aux données de la science. Or la difficulté de cette démarche provient, bien sûr, du fait que, si on insiste sur le fait que rien dans la Bible ne doive être enseigné s’il contient la moindre équivoque, alors n’importe quel texte, si l’on fait un effort de réflexion critique suffisamment poussé, peut donner lieu à une interprétation différente. On peut de cette façon toujours maintenir l’illusion d’un accord parfait entre la Bible et la science, peu importe ce que l’une et l’autre puissent en réalité dire.
Une chose est claire : nous ne pouvons nous contenter d’une interprétation simplement possible des Écritures. Nous devons rechercher l’interprétation la plus plausible du texte biblique. Il faut recevoir la Bible dans un esprit d’écoute, se soumettre à des principes herméneutiques objectifs qui s’accordent avec les Écritures et être prêts à en accepter les retombées exégétiques. Or la démarche concordiste peut aujourd’hui sembler assez innocente lorsqu’on se limite à des questions apparemment de moindre importance, telles la longueur des jours dans Genèse 1 ou l’universalité du Déluge. Mais, on l’a bien vu, de tels compromis ne suffisent pas pour satisfaire les exigences de la science évolutionniste. Il faut alors opérer d’autres changements, en particulier en ce qui concerne l’histoire de la création d’Adam et d’Ève et le récit de la chute. Et alors qu’on accommode la Bible de plus en plus à ces soi-disant données scientifiques, on en arrive au stade où la démarche concordiste devient si artificielle que toute la structure du système d’interprétation ainsi échafaudé s’effondre. Alors une démarche différente s’impose.
Cet effet n’a pas manqué de se produire dans la pensée de Davis Young. Il est très significatif de constater que dans des écrits plus récents, il a carrément rejeté son ancienne méthode concordiste. Il écrit ceci dans le Westminster Theological Journal (la revue théologique du Séminaire de Westminster à Philadelphie) :
« Toutes les variations sur le thème concordiste ne font que nous donner une Bible qui est devenue l’otage des dernières théories scientifiques. Les textes sont en conséquence tordus, outrepassés, poussés çà et là et déformés afin de mieux s’accorder aux conclusions de la science. Il en résulte que le concordisme aujourd’hui sape à la base une exégèse chrétienne honnête. »
Quelle déclaration magnifique ! Il est intéressant de constater que Young arrive à la conclusion que, si on laisse de côté des considérations extra-bibliques, alors une interprétation littérale des chapitres 1 à 11 de la Genèse est celle qui est la plus acceptable sur le plan purement exégétique.
Il est remarquable de constater que Howard Van Til arrive, de son côté, à exactement la même conclusion. Lui aussi critique l’approche concordiste. Il ajoute que les “jours” de Genèse 1 sont manifestement des jours solaires ordinaires. Le Rapport Nº 28 de la Christian Reformed Church, cité plus haut, dit exactement la même chose. La lecture traditionnelle des onze premiers chapitres de la Genèse est, en effet, une lecture simple et claire du texte. En parcourant la littérature à ce sujet on peut constater qu’il existe actuellement un large consensus parmi les chercheurs qui abordent ces textes de la Genèse. Ils affirment que l’interprétation traditionnelle est, en effet, celle voulue par l’exégèse, si on considère la Bible seule, sans tenir compte des données extra-bibliques. Ainsi, Davis Young affirme on ne peut plus clairement que sa difficulté avec l’interprétation littérale de la Bible n’est pas d’ordre exégétique mais provient du fait qu’elle ne s’accorde pas avec les données scientifiques actuellement acceptées. Il déclare que les données géologiques nous forcent à la conclusion qu’il n’a pas pu y avoir de déluge universel et que le monde lui-même est extrêmement ancien. Ainsi, le véritable problème à affronter n’est pas celui d’un manque de clarté dans le texte de la Genèse. Il est en effet parfaitement clair ; il ne contient pas la moindre ambiguïté. Le véritable problème est que la Genèse ne s’accorde pas avec une science animée par des présupposés non-chrétiens. Or, si une lecture simple de la Genèse contredit aussi nettement l’évolution, comment alors la concilier avec la science évolutionniste ?
Limiter la portée de la Genèse
Ceci nous amène à la deuxième ligne d’attaque des évolutionnistes théistes : limiter la portée du message de la Genèse. Young, par exemple, propose qu’il ne faut pas essayer de répondre à des questions scientifiques par des données bibliques. Il écrit ceci : « Je suggère que nous serons sur la bonne piste si nous cessons de traiter Genèse chapitre premier et le récit du Déluge comme des rapports de faits scientifiques et historiques. » Il affirme que l’histoire que raconte la Bible pourrait s’exprimer en termes non objectifs. Mais qu’est-ce qu’une histoire non objective ? Ce n’est rien d’autre que de la fiction ! Young considère que ces passages particuliers des Écritures fournissent des aperçus essentiellement théologiques, plutôt que des connaissances scientifiques. Ainsi, il adopte une lecture littéraire des jours de la création, par exemple, et une approche similaire pour le reste de Genèse chapitres 1 à 11. Le point fort de cette approche consiste donc en la tentative de limiter la nature de l’autorité biblique. La méthode de Howard Van Til est donc très proche de celle de Davis Young. Howard Van Til essaie de résoudre les conflits qui opposent la science à la Bible en disant que les deux ne se contredisent pas, mais se complètent. Il affirme que la science se préoccupe des questions du comment et du quand alors que, de son côté, la Bible se préoccupe des questions du qui et du pourquoi. Ainsi, la science nous dira comment le monde est venu à l’existence et quand cela s’est passé et la Bible nous dira pourquoi cela s’est passé et que Dieu était derrière tout cela.
Or, il est important de souligner que Howard Van Til et Davis Young prétendent tous les deux prendre la Bible au sérieux. Mais, selon Van Til, prendre la Bible au sérieux ne nous oblige pas à traiter des informations non-rédemptives comme étant le fruit d’une révélation divine. Ainsi Van Til distingue entre le contenu divin de la Bible et son emballage, conditionné par la culture ambiante, dans lequel il nous est livré. Voici une citation tirée de son livre Le quatrième jour :
« Nous devons, dans la prière, chercher à exercer une sagesse studieuse afin de faire un tri dans le contenu de la Bible : les enseignements de Dieu qui sont dignes de confiances, d’un côté ; les moyens qu’il utilise et l’emballage, de l’autre. Négliger cette distinction capitale serait aussi insensé que d’essayer de manger un bonbon sans au préalable en enlever le papier ».
Ainsi, ce que dit Van Til c’est que, si vous croyez tout ce que vous lisez dans la Bible vous êtes un insensé, ou tout au moins aussi insensé que celui qui mangerait un bonbon avec son papier. Nous sommes donc confrontés à la curieuse situation d’une Bible qui n’est pas la Parole de Dieu, mais qui la contient[4]. En ce qui concerne la Genèse, Howard Van Til parle des chapitres 1 à 11 en termes d’histoire primitive :
« Ces récits, sont-ils véridiques ? » demande-t-il. Il écrit ceci : « Les actes particuliers décrits dans le récit de la création ne sont pas les événements d’une action créatrice rapportée avec le réalisme d’une photo, mais plutôt des illustrations pleines d’imagination décrivant la relation qui existe entre Dieu et sa création. Les récits de l’histoire primitive ressemblent beaucoup plus à des paraboles qu’à des reportages faits par des journalistes. Ils démontrent le caractère et l’attitude de Dieu. Leur but n’a jamais été de répondre à des questions concernant ce qui se serait précisément passé. »
Howard Van Til va plus loin encore. Dans un de ses écrits, il affirme que si vous avez peur d’abandonner une lecture littérale de la Bible pour y rechercher des interprétations figurées, vous êtes même pire qu’un insensé. Il écrit ceci :
« Je dois insister sur le fait qu’une pareille crainte d’abandonner une lecture littérale de la Bible est non seulement infondée, mais elle fait preuve d’un manque de confiance en l’Auteur des Écritures. »
Ainsi, selon Howard Van Til, ceux qui osent encore accepter la Parole de Dieu avec une foi toute simple, comme le ferait un enfant, sont non seulement des insensés, mais font, en réalité, preuve d’un manque de confiance en Dieu. Voilà ce qu’on appelle tout mettre sens dessus dessous. Or, Howard Van Til affirme qu’en disant ceci il ne rejette d’aucune façon l’autorité de la Bible, mais qu’il ne fait que la traiter dans le cadre précis et limité que Dieu lui a lui-même imposé. Cependant, après une lecture des écrits de Howard Van Til, il devient évident que ce cadre est déterminé, non par les critères contenus dans la Parole de Dieu elle-même, mais par ceux d’une science évolutionniste.
Il faut faire ici remarquer qu’il n’est certainement pas possible de limiter la Bible à de simples questions de pourquoi et de qui, parce que si c’était le cas comment pourrions-nous aborder la question de la Résurrection du Christ ? Voilà assurément un cas de comment et de quand. Ensuite, que peut-on dire de la vie après la mort ? Doit-on croire la science, comme représentant l’autorité répondant des domaines du comment et du quand, lorsqu’elle affirme qu’il n’y a pas de vie après la mort ? Et devons-nous laisser à la Bible le soin de nous expliquer le pourquoi de la vie après la mort, nous fournissant ainsi le sens de quelque chose qui n’existerait en fait ni scientifiquement, ni historiquement ? Cette distinction ne peut évidemment pas être maintenue partout, ce que Howard Van Til semble lui-même admettre, car il souhaite la restreindre aux seuls premiers chapitres de la Genèse. La question se pose alors : où donc mettre des limites, quels en seraient les critères ?
Encore une fois, on peut avoir l’impression que les détails de Genèse 1 n’ont pas, en eux-mêmes, une grande importance et qu’il n’y a, par exemple, pas de mal à adopter la grille de lecture d’une structure littéraire pour le récit des jours de la création[5]. L’ennui ici c’est que si on laisse une telle herméneutique opérer en Genèse 1, pourquoi ne pas l’utiliser également pour le reste de la Bible ? Pourquoi pas en Genèse 2, par exemple, dans le récit de la création de l’homme ?
Dans un récent article paru dans la revue The Banner qui a comme titre L’homme et la personnalité, on suggère que Genèse 2 n’est, en réalité, qu’un récit poétique qui souligne avant tout le caractère indépendant des personnalités de l’homme et de la femme. Mais on ne peut s’arrêter à Genèse 2. Car si Adam et Ève n’ont pas en fait été créés de la manière décrite par la Bible, comment devons-nous alors expliquer la chute ? Il faut bien noter l’endroit où la création d’Ève a eu lieu : dans le Jardin d’Éden, après que Dieu ait commandé à Adam de ne pas manger de l’Arbre de la Connaissance du Bien et du Mal. Et, après la chute, Adam se plaint à Dieu de « la femme que tu m’as donnée. » Bref, la création d’Ève fait partie intégrante de l’histoire de la chute. Ainsi, si nous rejetons l’historicité de la création d’Adam et Ève, il nous sera très difficile de maintenir celle de la chute.
Séparer le texte de son emballage faillible
Genèse 3 devient logiquement le texte suivant à modifier. Dans le numéro d’avril 1993 de la revue Familias (revue qui, selon un texte figurant à l’intérieur de la couverture, serait consacrée à la défense de la foi chrétienne historique), on trouve un article qui traite de ce chapitre de la Genèse. Cet article examine trois points de vue. Le premier affirme que Genèse 3 est en réalité une allégorie dont le but serait de promouvoir la domination du monde par Israël et qui, en plus, condamne le désir d’indépendance de la classe paysanne. Le deuxième point de vue affirme que Genèse 3 est une polémique contre la religion cananéenne. Selon le troisième, Genèse 3 est le récit de la lutte menée par Israël pour s’installer dans les montagnes. L’auteur de cet article rejette ces trois interprétations en faveur d’une quatrième qui, selon lui, s’accorderait mieux avec la pensée biblique. Son opinion est que Genèse chapitre 3 est, en réalité, une histoire concernant une société agricole primitive qui soulignerait son besoin de main d’œuvre et la valeur de celle-ci. Il nous parle aussi de la condition humaine qui fait que, laissés à nous-mêmes, nous ne pouvons qu’être séduits par l’idée qu’il nous est possible de devenir comme des dieux. Or, aucun des auteurs cités ne maintient l’idée d’une chute historique ; pourtant, cette revue se prétend être consacrée à la défense de la foi chrétienne historique ! Il paraît ainsi que bien des chrétiens pensent pouvoir se dispenser de la chute historique, tout en prétendant garder ce qu’ils considèrent être l’essentiel de la foi chrétienne. Mais dans Romains 5 nous trouvons un parallèle direct entre Adam et Jésus-Christ. Il nous y est dit que le péché est venu par le premier Adam et la rédemption par le second Adam. Tous deux sont traités comme des personnages historiques. Si l’on se débarrasse de l’un, il n’est pas possible de maintenir l’autre.
Nous avons cité l’exemple de Genèse 3 afin de souligner le large éventail de messages théologiques que l’on prétend pouvoir trouver cachés dans un seul passage biblique. Une fois admise la dissociation entre un message normatif infaillible et son emballage contextuel faillible ; entre des questions essentielles et des questions sans importance ; entre des questions touchant à la rédemption ou n’y touchant pas ; ou, enfin, entre le texte tel qu’il est et les buts théologiques sous-jacents que l’on imagine être voulus par l’auteur ; une fois que l’on commence à jouer avec de telles distinctions il est alors clair que la définition du contenu de la Bible devient une affaire très subjective, en perpétuelle mutation, livrée aux vents académiques dominants du moment[6]. Le problème, c’est que nulle part dans la Bible ne trouve-t-on de telles distinctions. Par exemple dans 2 Timothée 3 : 16 nous lisons : « Toute Écriture est inspirée de Dieu ». La Bible ne suggère jamais que son message serait restreint à d’étroites limites. Ainsi ceux qui cherchent à établir de telles distinctions se trouvent confrontés à un problème énorme : celui des critères à appliquer. Comment trancher entre la véritable Parole de Dieu et celle qui ne l’est pas ? Personne n’a trouvé de critère valable. En tout cas, il n’existe certainement pas de critères fondés sur la Bible.
Cette démarche crée un problème de taille : si nous ne pouvons croire tout ce que la Bible dit, pouvons-nous alors croire ce qu’elle dit sur quoi que ce soit ? Si nous admettons ce genre d’herméneutique, nous sapons à la base toute l’autorité de la Bible[7].
Deux révélations ?
Cela nous conduit à la considération suivante. Le dynamisme propre à de tels changements exégétiques et théologiques provient du fait que Dieu aurait révélé certaines vérités infaillibles au moyen de la science, que l’évolution est une de ces vérités et, qu’en conséquence, elle fait partie de la vérité divine. On est en droit de se demander : Pourquoi tout ce remue ménage ? Pourquoi ne pas tout simplement rejeter les prétentions de la science partout où elle s’oppose à la Bible ? Or, le Rapport Nº 28 déjà cité nous dit qu’il ne nous est pas permis de le faire et que, si nous le faisons, nous sommes des fondamentalistes. Ce Rapport fait la déclaration suivante :
« Puisque des chrétiens réformés reconnaissent l’autorité de la révélation générale et la légitimité de la démarche scientifique comme tâche confiée par Dieu aux hommes, nous rejetons cette alternative (de choisir entre la science et la Bible) avec la plus grande fermeté. L’autorité de la révélation générale, pas moins que celle de la révélation spéciale, est une autorité divine qu’il faut reconnaître sans réserve. »
Ainsi, le moteur, la dynamique du changement, provient de ce qu’il existerait deux révélations, deux sources de vérité absolues : que Dieu se serait aussi révélé à travers la nature, à travers la science, et que nous devrions en conséquence interpréter notre Bible de façon à ce que ces deux révélations puissent s’accorder mutuellement.
Une telle vision des choses s’accorde-t-elle avec ce qu’affirme la Bible ? La Bible nous dit en effet que Dieu se révèle à travers la nature. Mais, si on examine ce qu’elle nous dit exactement à ce sujet, on découvre que cette vérité a une portée très limitée. Le texte principal à ce sujet est Romains 1:20 et suivants :
« En effet, les perfections invisibles de Dieu, sa puissance éternelle et sa divinité, se voient comme à l’œil nu, depuis la création du monde, quand on les considère dans ses ouvrages. Ils sont donc inexcusables. »
Selon ce texte il est donc évident que Dieu se révèle à travers la nature de telle façon qu’aucun homme ne peut éviter de devenir réellement conscient de l’existence du seul vrai Dieu. Il faut cependant noter que cette connaissance de Dieu ne dépend ni des preuves apportées par un raisonnement logique philosophique, ni de celles provenant d’un raisonnement proprement scientifique. Il s’agit ici de quelque chose de beaucoup plus direct. L’homme a été créé à l’image de Dieu, et l’homme est ainsi fait qu’il lui est impossible de regarder la création, la beauté des fleurs, la majesté des étoiles, sans reconnaître qu’il existe derrière tout cela un Dieu qui en est le créateur. C’est à travers notre contact sensible direct avec la nature que la majesté et la puissance éternelles de Dieu nous apparaissent comme une évidence immédiate[8].
Mais l’homme pécheur refuse obstinément d’honorer ce Dieu. C’est pourquoi l’Épître aux Romains poursuit son argumentation en nous disant comment, après le rejet de Dieu par Adam, la pensée de tous les hommes a été plongée dans les ténèbres et leur connaissance du vrai Dieu en est devenue déformée. Il en résulte que ce n’est qu’à travers la prédication de l’Évangile et par l’action du Saint-Esprit que l’homme peut à nouveau accéder à une connaissance authentique de Dieu. Comme nous le confessons dans la Confession de Foi des Pays-Bas (1571) à l’Article 2 :
« Nous connaissons Dieu par deux moyens : premièrement, par la création, le maintien et le gouvernement de l’univers, qui se présente à nos yeux comme un beau livre, dont toutes les créatures, petites et grandes, servent de lettres pour nous faire contempler les choses invisibles de Dieu, à savoir sa puissance éternelle et sa divinité, comme dit l’apôtre saint Paul (Rom. 1 : 20), toutes ces choses étant suffisantes pour convaincre les hommes et les rendre inexcusables. Deuxièmement, il se fait connaître à nous plus clairement et plus pleinement par sa Parole sainte et divine, en fait aussi clairement qu’il nous est nécessaire en cette vie pour sa propre gloire et le salut des siens. »
Ce texte nous dit clairement que c’est la Bible, en fin de compte, qui doit interpréter ce que nous voyons dans la nature. Il faut bien noter que la connaissance que donne la révélation générale, celle manifestée dans la nature, n’est pas une connaissance de la science ou de l’histoire, mais uniquement une connaissance de Dieu. La révélation générale de Dieu sert à rendre l’homme conscient de la puissance et de la force de Dieu ; elle ne sert pas à nous communiquer des renseignements sur les origines.
Ainsi, la révélation générale, dans le sens voulu par la tradition réformée, et telle qu’elle est définie par la Confession des Pays-Bas, ne correspond aucunement à ce que nous appelons la science. Des théologiens ont néanmoins proposé que nous devrions élargir la notion de révélation générale afin d’y inclure un certain nombre de conclusions scientifiques solidement fondées. Ils affirment que de telles conclusions scientifiques sont si bien établies qu’elles en sont devenues des vérités ; que toute vérité, où qu’elle se trouve, est la vérité de Dieu ; que, par conséquent, ces vérités étant toutes d’origine divine ne peuvent se contredire ; qu’il faut donc interpréter notre Bible en fonction de ces vérités scientifiques. On ne peut, bien sûr, qu’approuver l’idée selon laquelle Dieu serait l’auteur de toute vérité. Mais la difficulté contenue par l’affirmation que toute vérité est vérité de Dieu, où qu’on puisse la trouver, provient de la difficulté de savoir comment reconnaître la vérité, en tant que vérité, quand on la trouve. À moins de connaître la vérité d’avance, par quel critère pourrons-nous séparer le vrai du faux ?
Statut épistémologique de la connaissance scientifique
Cela nous amène à examiner toute la question du statut épistémologique de la connaissance scientifique[9]. Comment distinguer entre les faits scientifiques et la spéculation scientifique[10] ? Est-il effectivement exact qu’il nous soit possible d’accepter les conclusions de la science relatives à un passé lointain comme autant de vérités ? Or, il faut noter qu’il s’agit ici d’événements provenant d’un passé très reculé. La science repose sur l’observation. Or, la difficulté est de passer d’observations faites dans le présent à des conclusions relatives à des événements situés dans un passé lointain. En voici un exemple. Supposons que nous cherchons à étudier le mouvement de la lune et que nous souhaitons extrapoler les mesures actuelles en arrière pour voir ce qui serait arrivé à la lune dans le passé. Alors, la première chose à faire est d’observer la lune à des moments différents afin d’établir les variations de sa position. Après la prise d’un certain nombre de mesures, on peut essayer de formuler une équation mathématique rendant compte de toutes les données, puis d’essayer d’extrapoler cette formule dans le passé.
Cependant, cette démarche entraîne quelques difficultés. Tout d’abord, on peut comparer un certain nombre d’observations de la position de la lune et marquer un nombre équivalent de points sur un graphique, où chacun des points correspondrait à une observation. Trouver une formule mathématique exprimant le mouvement de la lune équivaut au fait de relier ces points entre eux en traçant des courbes. Seulement il est possible de relier un nombre fini de points par un nombre quasi infini de courbes. De même, dans le domaine scientifique, il est également possible de trouver un nombre infini de formules mathématiques, qui, toutes, représentent de manière satisfaisante les données à notre disposition[11].
L’extrapolation des données actuelles vers le passé présente une deuxième difficulté. En fait, comment savoir si les lois scientifiques qui ont opéré dans le passé étaient exactement les mêmes que celles que l’on observe aujourd’hui ? Quelques scientifiques ont suggéré, par exemple, que la loi de la gravitation était en réalité plus forte dans le passé. D’autres ont affirmé le contraire. Philippe Velikovski a présenté l’hypothèse selon laquelle le mouvement actuel de la lune aurait en fait été influencé par des collisions manquées avec les planètes Vénus et Mars. Comment, par exemple, savoir si tout n’aurait pas été instantanément créé il y a 6 000 ans, et cela dans l’état que l’on trouve aujourd’hui ? À ce propos, la théorie d’une création achevée a un certain nombre d’éléments en sa faveur. Même un scientifique non-chrétien a écrit que, même d’un point de vue scientifique, cela serait parfaitement concevable. Cette hypothèse en fait correspond à toutes les observations dont nous disposons. Mais il n’est pas possible d’en fournir la preuve, car on ne peut pas remonter dans le passé. En plus elle a l’avantage d’être simple puisqu’elle ne postule pas d’histoire préalable.
Or, une des grandes difficultés que présente la démarche scientifique provient du fait que la science peut nous fournir des observations, mais une fois dépassé le cadre précis de ces observations, il n’est plus possible d’avoir la certitude que l’univers passé (qu’on ne peut évidemment plus observer) fonctionnait exactement de la même manière que celui duquel nous avons tiré nos mesures[12]. C’est ce que les scientifiques appellent le problème de l’apport des preuves. Bertrand Russell le décrit de la manière suivante. Il évoque l’image d’une poule dont l’esprit aurait une tournure scientifique. Elle est bien nourrie par le paysan auquel elle appartient. Chaque jour on lui donne trois bons repas. Elle grandit et se fortifie et, extrapolant vers le futur, s’imagine qu’elle va vivre éternellement. Mais un jour le fermier lui coupe la tête, prouvant par là (on peut le supposer) que la poule aurait dû avoir une théorie plus sophistiquée de l’apport des preuves. Mais Bertrand Russell ajoute les réflexions suivantes : comment pouvons-nous savoir qu’en tant qu’êtres humains nous ne sommes pas dans une situation identique à notre poule ? On n’a aucune raison d’affirmer que les lois de la nature doivent demain fonctionner de la même manière qu’aujourd’hui. Ainsi, il est impossible, pour prendre un exemple, d’apporter des preuves purement logiques comme quoi le créationnisme serait faux. On ne peut pas non plus prouver que le créationnisme soit faux par observation, puisqu’il n’est pas possible de faire des observations pour un passé révolu. On n’a pas non plus encore observé demain. Il est donc tout à fait concevable que la fin du monde puisse arriver demain. Voici pour ce que dit Russell. Mais bien sûr, en tant que chrétiens, nous savons que Bertrand Russell a parfaitement raison dans ce qu’il dit.
Voilà donc le genre de problème que nous présente la science. La distinction que l’on établit entre les observations d’un côté, et les théories échafaudées pour expliquer ces observations et extrapoler au-delà de ces observations de l’autre côté, donne naissance à un nombre infini de théories pour expliquer n’importe quel phénomène. Les chances que votre théorie soit vraie sont une sur l’infini, ce qui équivaut à zéro[13]. Ainsi, il faut insister sur le fait que les observations ne peuvent en elles-mêmes donner naissance à des théories scientifiques. Les données, en elles-mêmes, ne conduisent nulle part. Elles doivent être interprétées dans le cadre d’une théorie bien définie. Au cours des 50 dernières années, ceci a été reconnu par des philosophes scientifiques non-chrétiens. Sir Karl Popper, philosophe scientifique très célèbre, tire la conclusion suivante : « Nous devons considérer toutes les lois et toutes les théories comme des hypothèses, c’est-à-dire, comme des spéculations. » Selon lui, les théories scientifiques sont la libre création de notre esprit. Ainsi, les théories scientifiques, en réalité, ne nous sont pas données par nature, mais sont plutôt imposées par nous sur la nature. Elles ne sont pas le fruit d’une pensée rationnelle, mais la création de nos intuitions irrationnelles. Nous contraignons les données de rentrer dans un schéma théorique fixé au préalable[14]. Si tel est le cas, comment choisir entre les différentes théories ?
Comment alors savoir si telle théorie a plus de chances d’être vraie qu’une autre ? On pourrait penser, par exemple, que si une théorie réussit à prédire certains éléments qui s’accordent ensemble, elle a beaucoup de chances d’être vraie. Mais tel n’est pas le cas. Un exemple bien connu de ce phénomène de caducité d’une théorie universellement reconnue est celle de la mécanique de Newton. Parmi toutes les théories scientifiques inventées par l’homme, ce sont certainement celles-là qui ont connu le succès le plus large. Elles furent conçues vers la fin du 17ᵉ siècle. Au 18ᵉ et 19ᵉ siècles certains philosophes, et parmi eux Emmanuel Kant, considéraient les lois de la mécanique de Newton comme une vérité indiscutable. Et pourtant au 20ᵉ siècle avec les théories de la relativité d’Einstein, plus aucun physicien ne croit que la théorie de Newton soit vraie[15]. Or, puisque Newton a été détrôné, personne n’est sûr au sujet des théories d’Einstein non plus. Qui sait ce que l’avenir nous réserve ? Ainsi, on peut privilégier des théories utiles, simples, belles, ou celles que nous pouvons facilement tester. De tels critères peuvent sembler assez probants, mais comment savoir, par exemple, que des théories simples ont plus de chances d’être vraies que des théories complexes ? On ne peut pas le savoir[16].
Ainsi, à moins de prouver que notre critère particulier, ou notre règle particulière, utilisés pour juger des théories scientifiques soient vrais, nous nous livrons à un jeu philosophique[17]. Puisque nous ne pouvons remonter dans le passé pour voir ce qui s’est réellement produit, on ne peut que se lancer dans des conjectures. Seul Dieu sait pour sûr ce qui s’est fait lors des origines. Ainsi, ce qui compte (encore une fois, chose que les scientifiques non-chrétiens reconnaissent) quand on doit choisir entre des théories qui rivalisent entre elles, ou dans notre élaboration de nouvelles théories, c’est notre choix subjectif. Notre préférence ira aux théories qui s’accordent le mieux avec nos présupposés religieux et philosophiques[18].
La malhonnêteté intellectuelle de l’évolution théiste
Nous devons constater qu’alors que des scientifiques non-chrétiens soulignent la nature très subjective de l’élaboration de nos théories scientifiques ainsi que le rôle important joué par nos idéaux et présupposés, Davis Young et Howard Van Til adoptent l’approche selon laquelle la science serait elle-même neutre. Young et Van Til accusent les créationnistes d’avoir des préjugés religieux, mais ils ne voient pas que la science évolutionniste a, elle aussi, un fondement religieux. Leur conclusion est que la science évolutionniste est, en réalité, neutre. Relevons un détail intéressant. En 1984, l’Académie Nationale des Sciences américaine, dans une déclaration publique contre le créationnisme, rejeta celui-ci d’abord parce que les créationnistes s’appuyaient sur la Bible comme source de connaissance, mais plus encore, parce qu’ils s’appuyaient sur la notion d’une origine surnaturelle de l’univers. Pour ces raisons ils ont déclaré que les scientifiques créationnistes étaient animés par des préjugés religieux dans leurs recherches. Ils en déduisirent qu’en fonction de leurs préjugés religieux, leurs conclusions scientifiques ne pouvaient être valables. Mais, bien sûr, ils ne voient pas qu’ils se fondent eux-mêmes sur autant de préjugés religieux non démontrés. Car, en rejetant la Bible comme source de connaissance et en niant la possibilité d’une quelconque action ou intervention divine tant pour l’origine de l’univers que dans son fonctionnement, ils manifestent, eux aussi, un choix d’ordre religieux.
Relevons ici un autre détail intéressant. Alors que des scientifiques non-chrétiens ont attaqué l’idée d’une création spéciale, ils ont réagi exactement de la même façon avec l’évolutionnisme théiste. Pour prendre un seul exemple, le Professeur William Provine de l’Université de Cornell déclara dans un de ses écrits que la notion d’évolution théiste n’a en soi aucun sens. Selon lui, la biologie évolutionniste nie à la nature toute possibilité de sens. Tout serait le fruit d’un hasard aveugle et ainsi l’idée selon laquelle Dieu exécuterait ses desseins au moyen de l’évolution est en opposition totale à l’idée centrale du système évolutionniste. Dans ce texte, il affirme que, même si nous pouvions toujours croire qu’il y a un Dieu derrière tout ce qui existe, une telle notion de Dieu serait essentiellement sans valeur. Je le cite :
« Un Dieu qui agit uniquement et exclusivement à travers les lois de la nature n’a rien à voir avec la morale, ne répond à aucune prière, n’accorde aucune vie éternelle, bref, ne fait absolument rien que l’on puisse détecter. »
Autrement dit, on ne peut comparer la religion à la biologie évolutionniste moderne que si cette religion ne se distingue pas, dans la pratique, de l’athéisme. Il poursuit en accusant ceux qui nient l’existence d’un conflit entre l’évolution et la religion de malhonnêteté intellectuelle.
Or, cette réaction négative à l’égard de l’évolution théiste est très remarquable, vu que l’un des buts déclarés des évolutionnistes théistes n’est en réalité autre que celui de rendre la foi chrétienne plus acceptable à l’homme moderne. Il y a quelques années, le Dr Harry Boer a écrit ceci dans la revue The Banner : « Une interprétation littérale du récit de la création est le plus grand obstacle à une foi intelligente. » Mais nous constatons ici que, même si nous acceptions l’évolution théiste, nous ne rendrions pas pour autant le Christianisme plus crédible. En fait nous remarquons que pour l’incroyant la notion de la résurrection de Jésus-Christ ou celle de son retour imminent ne sont pas moins ridicules que celle du créationnisme. Ainsi, le souci de Harry Boer de rendre le Christianisme plus respectable intellectuellement est voué à l’échec. Si, aux yeux du monde, on nous considère de toute façon comme des insensés, il vaut mieux que nous soyons des insensés conséquents. Nous devons garder à l’esprit que la folie de Dieu est plus sage que les hommes.
Pour revenir à Howard Van Til et au Rapport Nº 28, qui tous deux acceptent l’évolution comme foncièrement vraie, la question à leur poser est la suivante : pour quelle raison pensez-vous cela ? En effet, comment peuvent-ils savoir que cette théorie en particulier soit vraie ? Au nom de quels critères ? La plupart des théories scientifiques émises jusqu’à présent se sont révélées fausses. Comment peuvent-ils alors être sûrs que l’hypothèse de l’évolution soit différente des autres[19] ? Ils ne peuvent présenter aucune preuve en sa faveur, sinon dire que la majorité des scientifiques l’acceptent. Mais la vérité scientifique exige davantage qu’un vote à la majorité. Il faut obligatoirement des critères valables bien définis par lesquels on peut juger des théories scientifiques… mais personne n’a trouvé de tels critères. Beaucoup de philosophes scientifiques non-chrétiens sont très réservés concernant la capacité de la science de nous dire quoi que ce soit qui dépasse le cadre de ses observations sur l’univers, cela à cause de l’élément subjectif qui existe dans l’élaboration des théories scientifiques[20].
Au début du siècle, le célèbre théologien libéral Rudolf Bultmann était convaincu que la science avait prouvé que les miracles étaient une impossibilité. Donc, pour rendre la Bible acceptable pour l’homme moderne, il a réinterprété tous les miracles bibliques, même celui de la résurrection du Christ. Ainsi, par exemple, Bultmann considère la croix comme un symbole de la maîtrise de l’homme sur ses passions. Il est clair qu’avec une telle façon d’aborder le problème il ne reste plus grand-chose de l’Évangile. Sans doute, Howard Van Til ne voudrait-il pas aller aussi loin. Mais comment, en dernière analyse, distinguer sa position de celle de Bultmann ? Tous les deux sont convaincus qu’ils ne font que réinterpréter la Bible en accord avec ce qu’ils considèrent comme des faits scientifiques incontournables. Mais ni l’un ni l’autre ne propose de critères qui permettent de distinguer entre un fait scientifique et une spéculation scientifique. Ainsi, on peut considérer la différence entre Howard Van Til et Rudolf Bultmann comme étant simplement une différence de degré. Ils ont le même principe herméneutique. Seulement, Bultmann va un peu plus loin que Van Til. Établir une distinction entre un fait et la spéculation est une démarche hautement subjective[21]. La chose essentielle dans le travail scientifique est de distinguer soigneusement entre, d’un côté des observations – données astronomiques, géologiques, etc., données que l’on peut accepter sans autre – et, de l’autre côté, des spéculations théoriques relatives à ces observations qui sont fortement conditionnées par nos présupposés[22]. La controverse qui oppose le créationnisme à l’évolution ne porte pas sur les phénomènes que l’on peut observer, mais seulement sur l’interprétation correcte de ces phénomènes. Bref, on peut seulement accepter comme faits scientifiques les données de base que l’on peut observer[23]. À partir du moment où on essaie d’expliquer ces données dans le cadre d’une théorie, on quitte le terrain d’entente et chacun entre dans son propre univers théorique, guidé par ses choix religieux[24]. Or, limiter ainsi les faits scientifiques aux observations n’a pas l’air d’être du goût des scientifiques chrétiens. Le défi leur est lancé : si cela ne vous plaît pas, alors, trouvez un autre critère clair qui permette de fixer les limites. Mais personne ne l’a fait[25]. Un tel critère n’existe pas. Une seule conclusion s’impose : en matière de science, comme ailleurs, chacun est conduit principalement par ses croyances[26].
Connaissance et présupposés
Ceci nous amène à la question suivante : celle de la connaissance, parce que l’enjeu principal dans le débat qui oppose le créationnisme à l’évolution concerne la connaissance : l’épistémologie. Comment accédons-nous à la connaissance ? Comment évaluer les sources différentes de la connaissance ? Si l’élaboration de théories scientifiques dépend fortement de nos présupposés, alors le point le plus important est le point de départ, celui des présupposés : celui de la façon dont on évalue les différentes sources de la connaissance. Or, le non-chrétien situe ce point de départ en lui-même. Il croit en l’autonomie de la raison humaine. Bien sûr, comme chrétiens, nous savons qu’il existe une source supérieure de la vérité, que Dieu sait tout et que Dieu nous a révélé la vérité. Ce qu’il faut retenir c’est qu’une théorie chrétienne de la connaissance doit, évidemment, souligner la primauté de la Parole de Dieu sur les raisonnements humains. Voilà l’élément principal, sur lequel il faut insister, élément qui est très fortement souligné dans les écrits de Cornélius Van Til et de Gordon Clark, deux maîtres à penser qui établissent avec beaucoup de force la distinction cruciale entre la connaissance non-chrétienne et la connaissance chrétienne[27].
Bien sûr, il faut garder à l’esprit que lorsqu’on lit la Bible, on la scrute, on l’examine, on en fait l’expérience et, enfin, on doit l’interpréter. Les choses sont moins simples qu’on pourrait au premier abord le croire. Il nous faut reconnaître que le Dieu qui a fait l’univers est également celui qui a inspiré la Bible. Par conséquent, on peut s’attendre à ce que la Bible soit cohérente tant avec elle-même qu’avec l’ordre de l’univers. Bien sûr, en plus nous sommes faits par Dieu. Il a fait l’homme à son image. À cet égard, il nous faut être prudents, car tout en étant créés à l’image de Dieu et dotés par lui de la capacité d’une pensée logique, nos pensées ont cependant aussi une tendance spéculative et imaginative. Notre intelligence est donc un instrument apte à être manipulé par nos motivations intimes et court le risque de s’abuser. C’est ce que nous lisons par exemple, dans Mt 15:19, « Du cœur procèdent les mauvaises pensées ». Il est évident que dans ce contexte nos mauvaises pensées ne proviennent pas de Dieu. Nous en sommes nous-mêmes responsables. La Bible nous exhorte à amener toutes nos pensées captives à l’obéissance du Christ. Il faut souligner que l’on ne pouvons pas faire de la souveraineté de Dieu la justification des déviations de notre imagination, ni des théories scientifiques fausses qui en découlent. Par conséquent, il est impossible de mettre la spéculation scientifique sur un pied d’égalité avec la révélation divine[28].
Ainsi, une théorie chrétienne de la connaissance devrait souligner, en premier lieu, que la Bible, la Parole de Dieu, détient un caractère proprement divin ; ensuite que le monde a été créé par Dieu stable, donc que nos observations de ce monde normalement sont fiables ; enfin, que la logique déductive est elle aussi un don de Dieu[29]. En second lieu, bien loin derrière, on devrait placer nos raisonnements spéculatifs d’hommes faillibles. Il faut bien noter que le conflit opposant Bible et science ne se situe pas au niveau de ce que la Bible dit précisément au sujet de l’univers actuel. En fait, elle ne nous donne que peu de renseignements sur ce qui se passe dans l’univers physique actuel. Mais elle aborde largement la question des origines, celle de notre destinée éternelle ainsi que la réalité du monde spirituel. Ce sont là des questions sur lesquelles la science ne détient aucune donnée directe. Par conséquent, sur de telles questions il nous faut adapter notre démarche scientifique aux lumières fournies par la Bible. Ce ne sont donc que des questions de ce genre ainsi que les spéculations pécheresses de l’homme qui mettent en question la Parole de Dieu. Il importe donc de souligner, que lorsqu’on parle de conflits opposant Bible et science, il ne s’agit aucunement d’un conflit qui opposerait la Bible à des faits scientifiques ou à la logique, mais d’un conflit qui met au prise la Bible et la spéculation humaine. Il est ici clairement question d’un conflit entre la croyance et l’incroyance, la foi et l’incrédulité.
Or, une telle opposition est clairement prévue par la Bible qui émet de grandes réserves quant à la possibilité d’une véritable connaissance humaine détachée de la révélation divine, surtout en ce qui concerne la question des origines. À maintes reprises les Écritures se moquent de l’orgueil de l’homme qui prétend, par ses seuls efforts, parvenir à une telle connaissance. On peut, par exemple, lire à ce sujet les derniers chapitres du livre de Job où Dieu répond à Job en disant :
« Qui est celui-ci, dont les paroles sont dépourvues de connaissance ? Où étais-tu quand j’ai créé l’univers ? »
Ou cet autre passage tout aussi pertinent d’Ésaïe 41 où nous lisons :
« Présentez votre cause, dit l’Éternel, produisez vos preuves… qu’ils nous annoncent ce qui doit arriver. Les événements du début, déclarez-nous ce qu’ils ont été, et nous y prêterons attention pour en connaître la suite. Annoncez les événements derniers, et nous saurons que vous êtes des dieux… Voici : vous êtes moins que rien, et votre œuvre est moins que le néant ; c’est une horreur que de vous choisir. »
Bref, une vision chrétienne de la connaissance souligne la priorité épistémologique de la Parole de Dieu sur tous les raisonnements simplement humains. Nous pouvons considérer la Bible, notre expérience directe de la nature et la logique déductive comme portant toutes trois la marque d’une origine divine[30]. Ces trois éléments doivent en conséquence s’accorder. Mais le raisonnement humain et l’élaboration de théories scientifiques sont placés dans une catégorie à part et doivent par conséquent se soumettre aux trois premiers. La question centrale concerne ainsi l’épistémologie, la soumission de notre intelligence à Dieu. Car il nous faut amener toute pensée captive à l’obéissance du Christ et à l’écoute de sa Parole. Cela entraîne obligatoirement un certain nombre de conséquences. C’est ce que nous allons maintenant voir.
L’inerrance des Écritures
Tout d’abord, si on se soumet à la Parole de Dieu en l’acceptant comme vérité suprême, il s’ensuit qu’il nous faut accepter cette Parole divine comme inerrante. Cependant, elle est inerrante, non parce qu’il nous est possible de la prouver telle (cela accorderait au raisonnement humain la décision finale), mais c’est parce qu’elle est la Parole même de Dieu qu’elle est inerrante. Nous devons ainsi simplement l’accepter comme telle en tant que Parole de Dieu, car elle nous provient de la part de Celui qui est lui-même la Vérité. Elle est ainsi notre source suprême de vérité. Comment nous serait-il alors possible de nous mettre à la juger pour savoir si elle est véritablement inerrante ou non ? Ainsi, nous acceptons l’inerrance comme notre présupposé de base. De ceci découle tout naturellement le caractère propre de notre apologétique, ou plutôt, de notre épistémologie chrétienne qui place les Écritures au-dessus de tout raisonnement humain. Il en va de même pour l’autorité de la Bible. Il s’ensuit tout naturellement de ce que nous venons de dire que nous devons accepter la Bible comme étant revêtue d’une autorité absolue en tout ce qu’elle affirme. Encore une fois, si nous ne pouvons croire à tout ce qu’elle affirme, comment alors peut-on être sûr de la moindre de ses affirmations ? Lorsque l’on se décide contre la Bible dans un domaine ou dans un autre, c’est la raison humaine qui dictera ce qu’il nous faudra croire ou ne pas croire.
Il en va de même pour l’herméneutique. Car si la Bible est l’ultime source de vérité, alors, on doit s’assurer que notre lecture de la Bible tienne effectivement compte de ce fait. Ceci implique que l’on ait des principes d’interprétation valables et objectifs. Nous devons, par exemple, nous assurer que c’est l’Écriture elle-même qui, en dernier ressort, soit l’interprète des Écritures. Autrement dit, il faut que notre interprétation ait un caractère conséquent, bibliquement parlant, et qu’elle respecte rigoureusement le contexte du passage que nous étudions, afin que les textes les plus clairs en viennent à expliquer ceux qui le seraient moins. Cela implique également qu’il nous faut, de manière générale, adopter une méthode littérale d’interprétation, à moins que des preuves internes indiquent clairement l’obligation d’utiliser une autre méthode. Il faut enfin souligner que des connaissances extra-bibliques ne doivent pas entrer de façon prioritaire en ligne de compte dans notre herméneutique. Au contraire, il nous faut toujours nous assurer que nos connaissances extra-bibliques soient évaluées à la lumière des seules Écritures, plutôt que de suivre la démarche inverse qui serait de laisser les Écritures subir les modifications que leur imposeraient nos connaissances extra-bibliques.
L’évolution théiste et les Confessions de Foi réformées
L’évolution théiste est-elle en accord avec la foi réformée ? En effet, des évolutionnistes théistes prétendent souvent qu’ils sont fidèles à la foi réformée. Howard Van Til nous accuse d’être des fondamentalistes et non des réformés. Van Til et Young citent parfois pour leur défense les noms de grands théologiens réformés du passé, notamment celui d’Abraham Kuyper (1837-1920). Il est vrai qu’Abraham Kuyper a donné une conférence en 1898 dans laquelle il examinait les présupposés de l’évolutionnisme athée. Cette conférence se terminait par l’affirmation que les suppositions qui fondent l’évolutionnisme étaient toutes anti-bibliques. Mais, dans cette conférence, Kuyper donne l’impression de faire quelques remarques qui sembleraient laisser la question de l’évolution théiste ouverte. Mais si l’on examine d’autres écrits de Kuyper, notamment ses derniers ouvrages, on trouve que sa position à l’égard des onze premiers chapitres de la Genèse demeure en réalité très conservatrice. Il accepte que les jours du récit de la création soient des jours d’une durée ordinaire. Sa manière d’aborder ce passage est donc très traditionnelle.
Mais, quelle que soit la position de Kuyper à ce sujet, ce qui permet de déterminer ce qui est conforme à la foi réformée de ce qui ne l’est pas, est l’examen des déclarations précises des confessions de foi réformées. Et les confessions de foi réformées sont à ce sujet on ne peut plus clair. La question centrale concerne l’autorité que détient la connaissance d’origine divine par rapport à celle qui provient de l’homme. La Confession de Foi des Pays-Bas affirme en son Article 5 :
« Nous croyons sans réserve le contenu tout entier de l’Écriture Sainte »
Son septième Article est encore plus pertinent :
« Nous ne devons prendre en considération aucun écrit humain comme étant d’une valeur égale à celle de l’Écriture divine. Nous ne devons pas non plus prendre en considération, ni traditions, ni l’opinion du plus grand nombre, ni les déclarations des conciles, ni les décrets comme étant de valeur égale à la vérité de Dieu, puisque la Vérité est au-dessus de tout. Car tous les hommes sont des menteurs et plus légers qu’un souffle. Ainsi, nous rejetons de tout notre cœur tout ce qui ne s’accorde pas avec cette règle infaillible. »
Il est donc des plus clairs que, puisque les théories scientifiques sont le fruit de l’imagination des hommes, elles font partie de ces écrits humains dont parle notre confession de foi. Par conséquent, selon les confessions de foi réformées, on ne doit pas considérer les théories scientifiques comme étant d’un poids égal à celui des Écritures. Donc, il faut évaluer les théories scientifiques à la lumière de la Bible, et non faire le contraire, juger la Bible à la lumière de la science.
Cependant, les évolutionnistes théistes contestent une telle conclusion. Ils affirment que l’Article 7 de la Confession de Foi des Pays-Bas ne s’adresse pas du tout au problème de l’élaboration de théories scientifiques. Selon eux cet article s’adresse au statut de la pensée humaine en général, alors que la science, elle, aurait découvert certaines vérités qui dépassent un tel cadre simplement humain. Ils prétendent, par conséquent, pouvoir en toute liberté se lancer dans une réinterprétation évolutionniste de la Bible. Il faut admettre que les confessions de foi réformées ne font pas spécifiquement mention de la science. Il est évident qu’à l’époque où ces confessions furent adoptées par les Églises réformées (à la fin du 16ᵉ et au début du 17ᵉ siècles) la science ne détenait pas la position importante qu’elle a aujourd’hui. De nos jours il est devenu indispensable d’expliquer de façon très claire quel est le statut véritable de la connaissance scientifique. On peut le faire de deux façons différentes.
Premièrement, on peut fixer certaines limites au-delà desquelles la science n’aurait plus de droit de cité. Par exemple, on pourrait déclarer comme inacceptable l’idée de l’origine de l’homme par un processus évolutif ; ou bien que les jours du récit de la création devraient obligatoirement être considérés comme des jours ordinaires ; ou encore que la chute doit être perçue, sans discussion possible, comme constituant un événement historique dans le sens courant du terme. Or, tout en reconnaissant la validité d’un tel désir de protéger l’interprétation fidèle de certains passages des Écritures, on doit reconnaître que par ce moyen on n’arrive pas vraiment à la racine du problème.
Une meilleure façon d’aborder la question – méthode que l’on peut adopter en même temps que la précédente – est celle qui permet de saper à la base, l’herméneutique erronée des évolutionnistes théistes, ainsi que les méthodes douteuses qui fondent le raisonnement menant au rejet de l’interprétation traditionnelle. Il faut insister sur le fait que l’élaboration de toute théorie scientifique relève de la spéculation humaine et se trouve, par conséquent, dans une position d’infériorité épistémologique par rapport à la Parole de Dieu. On pourrait, par exemple, affirmer que toute conclusion scientifique qui prétendrait dépasser le cadre des données de l’observation n’est pas autre chose que de la spéculation et, en conséquence, ne peut être considérée comme de valeur égale aux Écritures Saintes. De plus, il nous faudrait exiger que la Bible soit interprétée selon des principes s’accordant à son statut spécifique de Parole infaillible de Dieu, statut qui lui donne une solidité inébranlable face à la fragilité des raisonnements faillibles des hommes. Il faudrait également envisager une déclaration doctrinale relative à la révélation générale qui préciserait et soulignerait le fait que cette révélation générale doit être conçue strictement dans les limites étroites de notre expérience directe ; qu’elle ne concerne que la connaissance de Dieu ; qu’elle ne nous apporte aucune information sur la question des origines et, finalement, qu’elle ne peut servir à confirmer les théories scientifiques.
Conclusion
Voici quelques remarques en guise de conclusion. L’évolution théiste est-elle, en fin de compte, en accord avec la Bible ?
- Tout d’abord, la Bible se déclare ouvertement contre l’évolution, surtout en ce qui concerne l’origine de l’homme.
- Deuxièmement, l’évolution théiste a des implications théologiques très sérieuses qui conduisent à nier la réalité de la chute. Elles minent l’autorité de la Bible tout entière en élevant les raisonnements humains au-dessus de la révélation divine.
- Troisièmement, pour ce qui concerne la révélation générale il faut souligner que les vérités concernant les origines nous ont seulement été révélées par Dieu uniquement dans la Bible et absolument pas au moyen d’une quelconque révélation générale et que l’élaboration des théories scientifiques relève de la plus pure spéculation.
Bref, la question essentielle est très simple : nous devons nous incliner devant Dieu dans un esprit d’adoration, lui obéir de tout notre cœur et nous efforcer de soumettre notre intelligence à sa Parole en amenant toutes nos pensées captives à l’obéissance du Christ. Enfin il nous faut nous efforcer avec détermination et persévérance à agir en conséquence.
Dr John Byl
Le Dr John Byl enseigne les mathématiques dans la Trinity Western University à Langley dans la province de Colombie Britannique au Canada
[1] Howard Van Til, du même nom de famille que le célèbre Professeur d’Apologétique du Séminaire de Westminster, Cornelius Van Til (1895-1987). Davis Young, fils de E.J. Young le célèbre Professeur d’Ancien Testament au Séminaire de Westminster qui a été l’avocat d’une interprétation littérale et anti-évolutionniste des trois premiers chapitres de la Genèse.
[2] Nous voyons déjà poindre ici chez Byl le problème du statut véritable de la pensée scientifique. Ni les principes scientifiques ni ceux de la philosophie ne sont nécessairement livrés (comme le pense Byl) à l’arbitraire de l’homme. Il existe une philosophie vraie et une science vraie qui peuvent toutes les deux être distinguées d’une philosophie fausse et d’une science fausse.
[3] En fait Crick a ici tort. Ses planètes innombrables sont d’un nombre ridiculement insuffisant pour produire de manière vraisemblable l’effet qu’il suggère.
[4] Nous avons ici affaire à une position kantienne qui sépare le religieux, (le sens, le noumène) du scientifique, (le technique, le pratique, les phénomènes). C’est exactement celle de Karl Barth que nos auteurs néo-calvinistes reprennent presque mot pour mot.
[5] Il faut ici faire remarquer qu’un texte littéral peut parfaitement avoir une forme littéraire. L’erreur consisterait à faire de la forme, littérale ou littéraire, le critère de vérité. La Bible contient une grande variété de formes littéraires qui doivent toutes être interprétées selon leur genre – historique, symbolique, allégorique, parabolique proverbial, eschatologique, etc. – si l’on ne veut pas fausser le sens du texte. Il serait faux d’opposer un genre à un autre. Il s’agit de déterminer le genre spécifique du texte déterminé, puis de l’interpréter correctement. Quelle que soit la forme utilisée, la question est toujours celle de la vérité de ce qui est affirmé, de l’adéquation des mots de la Bible aux réalités auxquelles ils se rapportent. Dans les premiers chapitres de la Genèse nous avons clairement à faire à un texte historique écrit dans une forme littéraire précise, forme qui ne fait que renforcer la vérité littérale du récit des origines. Voyez à ce sujet notre débat avec le professeur Henri Blocher (Positions Créationnistes Nº 12 et la correspondance qui s’y rapporte).
[6] Nous avons ici affaire à ce qu’on peut appeler une attitude foncièrement nominaliste à l’égard du langage et plus spécifiquement du rapport entre les mots et les réalités qu’ils nomment. Cette attitude sépare arbitrairement le mot de la réalité qu’il désigne. La Bible est, elle, réaliste dans son usage du langage. Cet usage manifeste une analogie réelle entre le mot et la réalité qu’il nomme, quelle que soit par ailleurs la forme littéraire utilisée, sens littéral, image, symbole, type, parabole, etc.
[7] Ceci implique une discipline herméneutique (d’interprétation de la Bible) saine qui respecterait le caractère propre de la Révélation écrite de Dieu et la nature d’une lecture intelligente des textes. On ne peut se dispenser d’un tel effort de lecture vraie qui, avec le secours de l’Esprit de Dieu, seul permet l’établissement du sens véritable des textes bibliques. La lecture correcte des textes sacrés ne peut se dispenser d’une véritable sanctification de l’intelligence humaine.
[8] Cette notion d’évidence immédiate (comme celle de faits bruts) témoigne chez notre auteur d’une conception peu précise et par trop simple de l’acte de connaissance. Toute évidence comme aussi le moindre fait nécessitent, pour être compris par l’homme, à être interprétés. Une évidence immédiate (comme des faits bruts) dépourvus de toute interprétation de la part de l’observateur n’existent tout simplement jamais. L’observation est toujours accompagnée d’une interprétation. La vraie question est la suivante : l’interprétation proposée est-elle correcte ou est-elle fausse ? Il n’est pas juste de séparer, comme le fait Byl, ce qu’il appelle le raisonnement logique philosophique et le raisonnement proprement scientifique, d’une part, de ce qu’il nomme, d’autre part, quelque chose de beaucoup plus direct, comme s’il existerait chez l’homme deux formes de pensée diamétralement opposée.
[9] Épistémologie : théorie de la connaissance, discipline philosophique cherchant à définir comment, et dans quelles conditions, il est possible de connaître.
[10] Il ne faut pas seulement distinguer entre faits scientifiques et spéculation scientifique. Nous devons, avant tout, distinguer entre une théorisation légitime, sans laquelle il ne peut y avoir de science, et une théorisation proprement spéculative qui est entièrement illégitime parce qu’elle ne tient pas compte des faits qu’étudie la science. La réalité incontournable des faits limite de manière très rigoureuse la tendance théorique du savant à tomber dans la spéculation. Comme, dans l’exégèse de la Bible, il faut respecter une herméneutique saine, de même dans la recherche il faut respecter les règles et la discipline propres à la méthode scientifique. Nier la légitimité, certes modeste mais néanmoins réelle, de la méthode scientifique ouvre la porte au scepticisme qui, à son tour, attaquera la possibilité même d’une saine lecture de la Bible. Il ne faut pas affirmer l’impossibilité de la connaissance scientifique mais chercher à définir les conditions particulières à la découverte de vérités spécifiques adaptées aux différentes exigences appropriées à chacune des disciplines humaines.
[11] Ceci est une simplification de la démarche véritable du savant. Le choix entre les formules mathématiques disponibles sera strictement limité par les données expérimentales concrètes. Une connaissance scientifique modeste (et toujours rectifiable) du mouvement de la lune, par exemple, est possible pour autant que nous possédons des données fiables et que nous soyons en mesure de découvrir des formulations théoriques capables d’en rendre compte de manière satisfaisante.
[12] La science n’a que faire d’une certitude absolue, certitude qu’elle ne pourrait de toute façon jamais atteindre. Elle affirme des choses qui sont vraies dans les limites de sa propre méthode de vérification et d’infirmation. Les résultats de la science sont affirmés comme étant corrects, c’est-à-dire hors de tout doute raisonnable, et cela jusqu’à preuve du contraire. La notion de certitude doit être adaptée aux règles spécifiques de vérification propre aux diverses disciplines particulières auxquelles elle s’applique. Les preuves admises dans un tribunal, par exemple, ne sont pas les mêmes que celles exigées par une expérimentation en laboratoire. Elles n’en sont pas moins probantes.
[13] Cette position est insatisfaisante. Son adoption conduit inévitablement à un scepticisme scientifique extrême. Dans les limites établies par la méthode scientifique d’observation, de mesure et de contrôle expérimental, certaines théories (tant qu’elles n’ont pas été infirmées, c’est-à-dire contredites par de nouvelles observations) rendent compte plus adéquatement que d’autres des faits observés. Elles n’ont évidemment pas le statut de certitude, ni des faits concrets observés directement par nos sens, ni, surtout, de la Révélation écrite de Dieu, la Bible. La qualité de l’observation est certes étroitement liée à la vérité de nos présupposés, mais également à une théorisation qui cherche à être adéquate aux faits observés, cela dans le cadre des appareils de mesure et de contrôle expérimentaux. Il faut remarquer que ces appareils (sans lesquels il ne peut y avoir de recherche scientifique dans le sens moderne) fournissent déjà un cadre théorique très concret aux faits observés. Les faits bruts n’existent tout simplement pas. Leur sens scientifique, donné par le Créateur, préexiste à l’observation et à la théorisation du savant. Mais il faut ajouter que l’entreprise scientifique n’est possible que sur la base d’une vision créationnelle du cosmos où Dieu donne sens à toutes choses, sens que l’homme peut seulement découvrir, jamais inventer.
[14] Si tel est le cas toutes nos théories sont parfaitement arbitraires, et constituent la pire des spéculations. C’est en fait le cas pour toute la pensée évolutionniste qui ne tient aucun compte des réalités observables, des innombrables faits qui détruisent de fond en comble le bien fondé de cette hypothèse. Mais dans la science légitime, science qui conduit à une connaissance modeste, mais réelle, de l’univers et de ses lois, les hypothèses bien ajustées aux faits étudiés peuvent, si rien dans l’expérimentation et dans l’observation ne vient les infirmer, devenir des théories, c’est-à-dire une connaissance, certes provisoire mais vraie, des phénomènes étudiés.
[15] Cette affirmation est fausse. Toute la physique moderne (et la technique qui en découle) est fondée sur les lois newtoniennes de la mécanique. Ce que les théories physiques modernes auraient démontré c’est que dans certains cas limites (de l’excessivement petit et de l’excessivement grand) les lois newtoniennes ne rendent pas compte de tous les phénomènes observés. Dans tous les autres cas (sauf preuve du contraire) les lois de la mécanique newtonienne demeurent entièrement valables.
[16] Le critère essentiel est l’adéquation des théories aux données expérimentales observées, ceci jusqu’à preuve du contraire.
[17] Chaque discipline humaine développe ses critères de vérification. Ils peuvent être respectés, comme dans l’application habituelle de la méthode expérimentale, ou bafoués, comme dans la spéculation évolutionniste ou dans les fabulations de l’astrophysique. Il faut distinguer expérimentation scientifique et spéculation pseudo-scientifique.
[18] Le rôle de nos préjugés philosophiques et religieux est certes essentiel. C’est sur un tel préjugé chrétien – celui d’un cosmos ordonné par un Dieu intelligent et correspondant à une intelligence humaine capable d’en comprendre les lois – que se fonde toute l’entreprise scientifique. Le travail des savants non chrétiens repose lui-même, certes inconsciemment, sur ce préjugé éminemment positif. Il faut ajouter que la qualité (c’est-à-dire la capacité de tendre vers la vérité) de nos présupposés philosophiques et religieux ne sera pas sans rapport avec la qualité (c’est-à-dire la capacité de tendre vers la vérité) de notre travail scientifique. L’argumentation de Byl ne tient pas compte de la différence capitale entre théories non fondées et non vérifiées (ce qui caractérise toute l’entreprise évolutionniste) et les théories bien ajustées aux faits étudiés (qui sont un instrument capital et indispensable de toute recherche scientifique) et confirmées ou falsifiées par la méthode expérimentale. La science véritable est loin de n’être qu’une spéculation vaine. Il faut ici également reconnaître le caractère largement subjectif de la première formulation des hypothèses (ainsi que des postulats, des principes, des axiomes) du savant. Dans ce domaine beaucoup va dépendre de facteurs irrationnels, de la qualité de l’intuition, du flair, du génie et aussi de la vision du monde, chrétienne ou non chrétienne, du savant. Il tente d’établir une convergence progressive entre son hypothèse de départ et les faits dont il cherche à rendre compte. Ainsi à travers ce travail expérimental de vérification et d’infirmation le but du savant est de parvenir à une convergence entre son hypothèse de départ et les faits mesurés. Le résultat final de ce va-et-vient constant entre hypothèse et expérimentation est ce qu’on appelle une théorie, une formulation mathématique reconnue alors comme vraie, et cela jusqu’à preuve du contraire. La découverte éventuelle de la solution du problème étudié revêt, elle aussi, bien souvent un caractère apparemment irrationnel, intuitif, même créatif dans le sens artistique du terme. Comme toujours l’essentiel se trouvera dans la qualité (facteur subjectif s’il en est) du chercheur.
[19] Comme nous l’avons indiqué, l’hypothèse de l’évolution est en fait radicale-ment différente des autres hypothèses scientifiques en cela qu’elle ne se soumet jamais au test de la vérification (ou de l’infirmation) par les faits.
[20] Nous nous trouvons ici en face d’une négation radicale – tout à fait excessive à notre avis – de toute apologétique scientifique. De nouveau Byl confond, d’une part, les spéculations purement subjectives et arbitraires de l’évolutionnisme, et, de l’autre, les théories légitimes, voire indispensables de la science expérimentale. Toute discipline (droit, histoire, archéologie, exégèse, esthétique, physique, biologie, etc.) contient, dans la sphère propre à son activité et dans un cadre inévitable de pré–jugés religieux dans lequel elle exerce inévitablement son activité – c’est le cadre présuppositionnel si bien mis en évidence par Byl – des critères internes propres de crédibilité. Chaque discipline doit graduellement élaborer ses propres critères de crédibilité, critères qui varient d’une discipline à une autre. Dans les sciences dures (physique, chimie, biologie, etc.), par exemple, il s’agit essentiellement d’observation, de mesure, de théorisation mathématique et de vérification–falsification expérimentale. L’évolutionnisme théiste ou athée (peu importe), par son caractère spéculatif, se place en dehors de ces critères scientifiques précis de crédibilité. L’apologétique scientifique chrétienne reconnaît une immense différence entre cette spéculation et le travail scientifique légitime. Les évolutionnistes confondent travail scientifique et spéculation. Le à tendance à ne pas mettre à sa juste place la démarche épistémologique légitime, et tout à fait conciliable avec la Révélation écrite de Dieu, des diverses sciences.
[21] Encore une fois nous devons constater la faiblesse de l’argumentation de Byl qui provient de son incapacité de distinguer entre faits, spéculation abusive et théorisation nécessaire en science.
[22] La position épistémologique de Byl nous paraît trop simple. La science expérimentale moderne (en gros depuis Galilée) ne peut être séparée de la théorisation. C’est même les théories justes qui permettent d’inventer les instruments de mesure si indispensables à l’expérimentation. Ces instruments ne sont rien d’autre que la concrétisation matérielle de théories scientifiques. Ce sont ces instruments qui permettent d’observer des faits qui seraient autrement tout à fait inatteignables.
[23] En science (comme ailleurs) les faits bruts n’existent tout simplement pas. La théorisation joue déjà un rôle capital dans l’observation des faits.
[24] Les présupposés religieux et philosophiques entrent déjà en ligne de compte dans l’observation des faits. Voyez des faits scientifiques tels la datation par les couches géologiques de l’âge de la terre ou celle de l’âge de l’univers au moyen de mesures de la lumière. Ces faits sont réputés neutres (même par Byl) mais ils sont en fait indiscutablement orientés.
[25] Tout la démarche méthodologique de la science expérimentale constitue, de manière assez modeste il est vrai, un tel critère.
[26] Cette simplification abusive de la démarche scientifique ne peut qu’ouvrir la voie au scepticisme qui ensuite ne manquera pas d’attaquer toutes les autres formes de connaissance humaine. Il est évident que l’exégèse et l’herméneutique (à la fois fidèles à la Bible et se servant d’une raison humaine soumise à la Révélation), avec leurs méthodes propres de vérification et d’établissement de la crédibilité de leur lecture des textes Bibliques, passeront elles aussi dans le moulinet d’un tel scepticisme.
[27] Il faut ici noter, comme le fait très bien remarquer Byl, que le critère de la Révélation écrite doit nécessairement avoir la première place dans une démarche apologétique chrétienne. Mais cette place première accordée à la Bible ne doit pas être affirmée aux dépens de l’ordre établi par Dieu dans sa création. Car il nous faut également prêter attention à l’ordre, même partiellement déformé, des formes substantielles de la réalité créée. Tant Cornelius Van Til que Francis Schaeffer, qui s’attachent tous les deux à une apologétique foncièrement présuppositionnaliste, affirment sans ambages que le savant non chrétien peut parfaitement atteindre des vérités dans le domaine qui lui est propre parce qu’en pratique il réfléchit comme s’il se plaçait, sans le savoir, sur des bases créationnelles, c’est-à-dire chrétiennes. Ceci est vrai même s’il ne tire pas les conséquences d’une telle attitude pour sa vie toute entière. Heureusement que dans sa pensée le savant non chrétien n’est pas entièrement conséquent avec ses présupposés humanistes. S’il l’était cela rendrait effectivement sa pensée entièrement subjective et arbitraire.
[28] Ce qu’il faut dire c’est que ni la théorisation légitime de la science ni, encore moins, les spéculations parfaitement illégitimes de ces pseudo-sciences spéculatives que sont l’évolutionnisme et l’astrophysique, ne peuvent être placées sur le même pied de véracité et d’autorité que l’est la Bible.
[29] La logique déductive est la même chose que le raisonnement humain.
[30] Nous plaçons la Parole de Dieu à un niveau épistémologique incomparablement au-dessus même de ce que Byl appelle « notre expérience directe de la nature et la logique déductive ».