Lors de la votation populaire récente sur l’initiative du délai en matière d’interruption de grossesse, question sur laquelle un principe moral essentiel était engagé, les cantons catholiques se sont montrés plus stricts et les cantons protestants plus larges.
Si nos réformateurs, les Calvin, Farel ou Viret, pouvaient voir cela, ils se retourneraient dans leur tombe. Car s’il y avait pour eux une évidence, c’est que le laxisme en matière de morale était le fait de ce que l‘on appelait alors le papisme, tandis que l’honneur de la réforme, était d’avoir opéré un redressement des mœurs. Non certes que le principe de leur réforme ait été du domaine de la morale. Son point de départ fut d’ordre religieux: la découverte qu’on ne.peut se sauver par ses œuvres, par sa piété ou la moralité de sa conduite, mais que c’est Dieu qui nous sauve par pure grâce. Seulement cette grâce engage et oblige. Elle a des conséquences morales incalculables. Elle stimule au bien, à l’honnêteté, à la pureté, beaucoup plus fortement que le désir de «faire son salut» et que la crainte de n’y pas parvenir. La grâce est un dynamisme extraordinaire qui pousse à rechercher la perfection dans tous les domaines.
Le protestantisme un peu mou et lâche de notre époque, à la remorque des idées et des mœurs environnantes, soucieux d’être dans le vent, est donc.en opposition totale avec le protestantisme de l’âge de la Réforme. Celle-ci voulait être le sel de la terre et la lumière du monde; celui d’aujourd’hui a perdu sa saveur et n’est plus qu’un feu clignotant. «Comment cet or en vil plomb s’est-il fondu ?» Chaque fois qu’il s’agit de lâcher du lest, d’accommoder le morale aux mœurs, de suivre le courant dominant et d’emboîter le pas aux entreprises démissionnaires et démobilisantes, on est sûr de trouver les protestants. Il est vrai qu’on y trouve aussi, depuis peu, des catholiques. Il y a un œcuménisme de la lâcheté et de la trahison.
Quelle différence y a-t-il, aujourd’hui, entre la morale enseignée dans certaines facultés de théologie réformée, et celle que véhiculent et répandent les mass-média ? Quelle différence entre une presse censée défendre les principes de la Réforme et une presse politique ou commerciale ? Entre un syndicat évangélique et un syndicat d’inspiration marxiste ? Entre un service social protestant et un service social confessionnellement neutre ou politiquement engagé ? Entre une association féminine protestante et un mouvement féministe quelconque ? Entre une mission protestante et un office d’aide technique au Tiers-Monde ? S’il y a une différence, elle n’est pas grande.
Il serait peut-être temps pour les fils spirituels de la Réformation, dont c’est demain l’anniversaire, de se ressaisir. Et de revenir à la source, qui est d’appeler mal ce qui est mal, pour pouvoir bénéficier de la miséricorde accordée à ceux qui reconnaissent qu’ils font le mal, mais refusée à ceux qui le nient. Et d’invoquer en eux cette dynamique incluse dans la miséricorde divine et qui seule donne le force de nager à contre-courant.
Roger.Barilier [1]
[1]Nouvelle Revue de Lausanne du 5.11.77. Reproduit avec l’autorisation de l’auteur.