Le dimanche 16 décembre, un Journal de couleur jaune a été vendu à la porte de plusieurs églises vaudoises (ou de la plupart ?), au prix de 20 centimes au titre de « L’action Noël 73 », au profit des écoliers de la Guinée-Bissau.
L’opération a admirablement conçue et menée. Au cours de la semaine précédente, la presse avait préparé l’opinion en reproduisant le texte d’une pétition adressée su Conseil fédéral, plus particulièrement à M. Graber, en faveur de la reconnaissance par la Suisse de ce « nouvel État indépendant », pétition soutenue par le Centre œcuménique de recherche pour la paix créé à l’initiative des Églises en Allemagne et en Hollande, ainsi que par plusieurs organisations de gauche, le Centre Europe-Tiers Monde, la Ligue des droits de l’homme, la Ligue marxiste révolutionnaire, etc.
Conjonction normale par les temps actuels, le mouvement organisé chez nous par de « jeunes adultes groupés sans distinction de religion » a reçu l’appui des milieux protestants et catholiques qui patronnent cette « Action Noël 73 ». Je ne sais ce qu’en disent les feuilles catholiques, mais les messagers des paroisses vaudoises de décembre portent au bas de la première page, la même pour toutes les paroisses :
Dans le cadre de « l’Action Commune Tiers Monde », un groupe remet en question le Noël des festins en éditant un journal « Quel Noël ? » vendu en décembre dans toute la Suisse romande. Il présentera l’action : « NOËL = SOLIDARITÉ » : récolte de matériel scolaire, pour les enfants de la GUINÉE BISSAU, proclamée République indépendante le 24 septembre 1973. Ce nouvel État, que les pays riches ne veulent pas reconnaître, a besoin de notre soutien moral et matériel.
Accueillez favorablement ce journal et participez activement à la récolte de matériel scolaire le 15 décembre prochain.
Il est incontestable que les Églises ont le droit de solliciter des ions en nature ou en argent de leurs fidèles pour accomplir une œuvre de secours en faveur de ceux qui souffrent, quelles que soient la couleur de leur peau, leur race ou leur situation politique ; mais si elles choisissent délibérément un mouvement politique, au nom duquel elles forment leur appel, en excitant en outre – car cela est lié – le sentiment public contre les adversaires du parti soutenu, elles cessent d’accomplir une œuvre charitable pour mener une action politique déterminée, qui appartient à l’ordre de ce monde. Or, l’ordre de ce monde n’est pas celui du Christ. Joindre à cette entreprise la fête de Noël est une perversion.
Si une partie des indigènes de la Guinée portugaise estiment devoir s’insurger contre le pouvoir établi, c’est leurs affaires. Seuls ceux qui vivent sur place peuvent assumer la responsabilité de leur entreprise et surtout la responsabilité des modalités et moyens qu’ils utilisent. Que des missionnaires soient parmi eux pour leur apporter l’Évangile du salut, soigner les blessés et partager leurs difficultés, c’est une œuvre que les Églises peuvent accomplir, mais de là à prôner la libération politique au nom de l’Évangile, et pour un pays qui n’est pas le sien, il y a changement de plan qui transforme même l’évangélisation en un acte politique et, de plus, en un acte insurrectionnel.
Or, le Christ n’a jamais prononcé une. parole qui puisse être considérée comme un encouragement à la révolte. Il a enseigné exactement le contraire. Et pourtant, il était Juif parmi les Juifs courbés sous la domination romaine. Prétendrait-on que les temps ont changé et qu’il faut aller plus loin que ce que les Évangiles du premier siècle nous rapportent ? À nous de dire. « Quel Évangile ? » : Dans la deuxième lettre de Jean : « Quiconque ne demeure pas dans l’enseignement du Christ, mais va au-delà, n’a pas Dieu. »
Il est tellement patent qu’on se trouve en présence d’une action avant tout politique, qu’à l’intérieur de ce journal jaune, il n’est plus question des écoliers de la Guinée-Bissau, mais de la « Tragédie chilienne », du « développement fou » » de M. Biéler et des ouvriers saisonniers. Voyez plutôt : « L’unité populaire fut une tentative originale de réaliser la libération économique et politique du peuple chilien ». « La Suisse a participé au sabotage de l’expérience Allende. » Bref, sur huit pages, deux seulement traitent de la Guinée-Bissau, une troisième donne les adresses de ramassage et les cinq autres stigmatisent la société dont on sollicite les offrandes ; En d’autres termes, le cas de la Guinée est le prétexte à une vaste entreprise de subversion politique.
Relevons encore qu’en droit international on ne parle d’un État indépendant que lorsque cet État a reçu pacifiquement ou conquis d’une manière qui s’avère durable une indépendance qu’il n’avait pas. Si l’on se trouve en présence d’une révolte, on dit « un mouvement révolutionnaire » ou « un gouvernement révolutionnaire », tant que le pouvoir contre lequel il s’insurge maintient sa pression et que la situation ne s’est pas clarifiée. Certes, il arrive qu’une puissance reconnaisse prématurément un gouvernement révolutionnaire ; elle commet alors un acte délibéré d’hostilité envers le pouvoir légal.
C’est à cela que les promoteurs de l’ « Action Noël = Solidarité » veulent contraindre les autorités fédérales sous la pression d’une opinion publique que l’on émeut au nom de la charité, plus exactement de la solidarité, puisque le terme de charité est banni de l’esprit et du vocabulaire des chrétiens engagés.
Il s’agit donc bien d’une action et d’une propagande politique dans laquelle l’Évangile n’a rien à voir, qui lui est même fondamentalement contraire. Les braves femmes qui, au sortir de l’église, se fiant aux déclarations du pasteur et au titre du journal, ont cru qu’elles venaient su secours d’un État d’Afrique ayant accédé fraîchement à l’indépendance ont été sciemment trompées. Elles ont été égarées par des déclarations fallacieuses et victimes d’une escroquerie.
Que les groupuscules marxistes et révolutionnaires aient agi de la sorte, c’est pour eux de bonne guerre, de la part de gens qui utilisent tous les moyens pour saper les fondements de notre société occidentale, que le Conseil œcuménique patronne l’entreprise, nul ne s’en étonnera, mais que nos Églises, par leurs prêtres et pasteurs, apportent leur appui à cette œuvre malhonnête est un scandale.
L’empoisonnement de l’esprit public n’a sans doute jamais été aussi profond, et encore avec le concours actif des enfants de la lumière qui sont moins habiles que les gens du monde. De tels égarements ne sauraient tôt ou tard échapper à de terribles sanctions. Peut-être les temps de l’Apocalypse sont-ils proches.
A. Morel
Tiré de « La Nation », 22 décembre 1973. Avec l’aimable autorisation de la rédaction.