Tout ce que je pourrai écrire pour préfacer ce deuxième volume de l’Histoire alliancielle de l’Église dans le Monde de Jean-Marc Berthoud serait insuffisant pour susciter une attente chez le lecteur qui arriverait au niveau de ce qu’il découvrira à la lecture de ces grandes fresques impressionnantes.
Ce n’est pas une autre histoire de l’Église que présente l’auteur, avec un récit d’événements, de faits exaltants ou déplorables, d’acteurs dignes ou des loups qui ravagent les brebis. Son projet est beaucoup plus ambitieux. Avec une vision du monde qui attribue à Dieu, le Seigneur, la gloire qui lui revient, il examine les agissements des êtres humains qui discernent leur juste raison d’être sur cette terre, ou qui, au contraire, agissent comme petits dieux et maîtres, et qui sont finalement destinés à disparaître, la vie de l’homme sur terre étant comme l’herbe qui sèche, alors que la gloire de Dieu est éternelle, comme le rappelle le Psalmiste (Psaume 90).
L’histoire n’est donc pas neutre, et les faits ne sont pas bruts, comme une pâte à modeler entre les mains de l’historien. Ils doivent être interprétés dans le cadre du plan de Dieu qui est en train de s’accomplir. L’histoire de la rédemption du monde – ordonnée par Dieu – est destinée à la transformation finale, qui fera paraître la nouvelle création de Dieu, comme l’Apocalypse biblique nous la présente.
Cette vision bouleverse les idées reçues du modernisme, avec la déification du progrès, et les espoirs de nouveauté par la révolution. Ces espoirs, toujours déçus, ne sont pas l’espérance biblique, les sauveteurs du monde ne sont pas le Sauveur, leur gnose n’est pas la sagesse, et leurs rédemptions ne sont que la déconstruction de l’ordre créé par Dieu et réglementé par sa Loi. Leur fin est le néant.
La réalité est qu’aujourd’hui — car l’homme moderne, comme l’a rappelé l’éminent théologien réformé, Pierre Marcel (1910-1992) il y a un demi-siècle, n’est pas un scientifique mais un technique, — nous vivons une période de régression et de désarroi, où les repères de la création et de la rédemption sont ensevelis sous les sables de l’opinion, et où les nouveaux habits des empereurs sont des loques. Nous sommes témoins des derniers paroxysmes du mouvement contre la transcendance, mis en marche par le nominalisme et l’humanisme d’Érasme, comme Jean-Marc Berthoud le présente ici.
Post tenebras lux ! Il faut que la lumière brille. L’auteur nous présente cette lutte entre les ténèbres et la clarté, entre le mensonge et la vérité. Il fait œuvre de sentinelle prophétique qui se demande « Sentinelle, qu’en est-il de la nuit ? Le matin vient, et la nuit aussi. Si vous voulez interroger, interrogez ; convertissez-vous et venez. » (Ésaïe 21 : 11-12).
De Thomas d’Aquin à Bullinger et Viret, en passant par les dérapages du nominalisme (à la dérive comme la linguistique moderne en remplaçant le signifiant par des signes et en en perdant la signification), les tentatives de réforme, le débat central entre Érasme et Luther, l’auteur nous brosse un tableau théologique et culturel de ces grands moments. Si les sujets présentés sont « lourds » à cause de leur complexité et de leurs conséquences, la lecture de cet ouvrage est accessible, car Jean-Marc Berthoud sait présenter l’essentiel, et il le fait de façon vivante. La bibliographie et les index impressionnants complètent heureusement sa présentation et sont preuves d’un esprit cultivé et avide de discerner… la vérité. Cette vérité est que si l’Église, peuple de Dieu, est dans le monde, elle perd ses qualités d’Église quand elle est du monde.
Paul Wells
Professeur émérite de la Faculté Jean Calvin
Aix-en-Provence
9780244426927