L’Église unijambiste du piétisme qui ne considère que le rapport vertical du chrétien et de l’église locale avec Dieu, rapport juste et indispensable à toute vie chrétienne individuelle ainsi que collective, est une Église qui s’est amputée de l’autre jambe, celle du rôle qu’elle et chaque chrétien doivent jouer par un rapport horizontal, dans le monde : l’Église dans la cité. À la place de cette deuxième jambe qui est celle qui devrait lui permettre d’être le sel de la terre et la lumière du monde, il se trouve une prothèse faite du bois de la compromission avec les points de vue du monde, afin de ne pas déplaire, autant aux païens en général qu’à certains chrétiens en particulier. Certes, le degré de cette compromission n’est pas le même dans chaque église locale et dans le cœur de chaque chrétien. Il est fortement tempéré par la proportion de volonté de fidélité à la Parole infaillible de Dieu, la Bible, qui avec l’aide du Saint-Esprit doit conduire chaque église locale et chaque chrétien à corriger tout ce qui déplaît à Dieu dans sa vie comme dans son fonctionnement. C’est-à-dire extirper le mal qui s’y trouve encore et intégrer le bien qui ne s’y trouve pas déjà. Il s’agit du bien et du mal tels que révélés par la Parole-Loi de Dieu, et qui ne sont pas fluctuants en fonction de « l’air du temps », de la mode vestimentaire et de pensée, des circonstances, de la culture, de la politique ; bref qui ne sont pas des notions relatives, mais absolues.
Or ce qui est hélas ! évident, même les églises locales qui sont actuellement les plus aptes à marcher à la lumière des commandements de Dieu, qui ne séparent pas la justification du chrétien de la nécessité absolue de sa sanctification, qui s’attachent à annoncer publiquement l’Évangile du salut par la grâce de Dieu, la repentance et le moyen de la foi dans le nom du Fils de Dieu, qui cherchent une véritable communion avec Dieu par le seul et unique Médiateur, le Seigneur et Sauveur Jésus-Christ et qui incitent également chaque chrétien à le faire, qui dispensent un enseignement théologique conforme à l’intégralité des Saintes Écritures (tant l’Ancien Testament que le Nouveau) et en adéquation avec les Pères de l’Église, même ces églises locales-là n’ont pas un réel rayonnement dans le monde. Elles ne sont ni la lumière du monde, ni le sel de la terre ! Elles marchent sur une jambe, en vivant dans un cocon, en gardant la lumière sous le boisseau et le sel dans la salière.
Nous avons tous, et moi le premier, dans ce désert d’un monde déchu irrigué par l’espérance du salut, cette tendance à ne vouloir regarder que vers la terre promise de la vie éternelle avec Dieu, sur une nouvelle terre où la création tout entière sera guérie de la lèpre du péché. En attendant cela, il est juste et indispensable que les chrétiens s’appliquent, par la conduite de l’Esprit de Christ qui vit en eux, à marcher de progrès en progrès sur le chemin de la sanctification en se dévêtant de leur ancienne nature par l’obéissance croissante aux commandements de Dieu afin de répondre à son amour, Lui qui nous a sauvés, justifiés. Pour cela, il est nécessaire d’apprendre à Le connaître de plus en plus à travers les moyens de grâce par lesquels Il se révèle à nous : sa Parole, ses commandements qui tracent une ligne claire, précise ainsi qu’immuable entre le bien et le mal, sa création (l’ensemble des ordres de la réalité qu’elle contient) dans laquelle Il se reflète. L’Église a également le devoir de proclamer publiquement l’Évangile et chaque chrétien ne peut faire l’économie de cette diffusion autour de lui.
Voilà pour la jambe sur laquelle marche l’Église aujourd’hui ; mais qu’en est-il de l’autre jambe qui est négligée depuis trop longtemps ? Dieu appelle son Église à marcher sur le chemin de la vérité et de l’amour, en mesurant toute chose à l’aune de sa Parole.
Dans le monde spirituel, la lumière est totalement séparée des ténèbres ; les choses sont soit blanches, soit noires. Il en va autrement dans le monde séculier que nous habitons : rien n’est absolument blanc ou noir, tout est gris ; cela va du gris très clair au gris très foncé, car la lumière et les ténèbres s’y mélangent en des proportions variables dans le cœur de chacun, même le nôtre, ce qui donne des motivations et des actions humaines une perception souvent floue si elle n’est pas éclairée par la lueur de la Parole de Dieu et de ses commandements en particulier. C’est là que l’Église devrait utiliser son autre jambe, celle qui la ferait marcher dans et vers ce monde où règne l’obscurité pour lui apporter la lumière victorieuse de Jésus-Christ. Ce n’est pas seulement la lumière de la grâce de Dieu envers le pécheur qui se repent, mais la lumière de la vérité dans tous les domaines de la réalité : relationnelle, anthropologique, philosophique, politique, économique, scientifique, culturelle, judiciaire, historique, etc. La vérité va de pair avec l’amour, car peut-il y avoir d’amour sans vérité ?
L’Église peut-elle laisser le monde s’asphyxier dans les fumées opaques du mensonge sans lui apporter l’air pur de la vérité, sans dénoncer le mensonge publiquement, et cela dans tous les domaines ? L’Église devrait avoir en horreur le mensonge en général ; mensonge spirituel, fausses doctrines, hérésies, mais également, lorsqu’il s’y trouve, le mensonge politique, médiatique, scientifique, économique, judiciaire, etc. Et cela par amour pour Dieu et pour son prochain, par amour pour la vérité (peut-on prétendre aimer son prochain alors que l’on le laisse s’irradier par le mensonge ?) Sinon c’est une Église bien fade, qui conserve un peu de saveur parce qu’elle proclame publiquement l’Évangile, mais fade parce que sa volonté de fidélité à Dieu et à sa parole est privée, elle reste bien peu visible de l’extérieur. Une Église qui laisse la lumière sous le boisseau et le sel dans la salière. Une Église d’île déserte.
C’est à croire qu’il existe deux mondes physiques : l’un dans lequel évolue l’Église qui, en ne considérant que son rapport avec Dieu, ne s’occupe que de développer sa relation, certes nécessaire, avec Lui ; et l’autre dans lequel elle se contente de proclamer l’Évangile de manière ponctuelle et régulière, mais néanmoins limitée. Cela revient à affirmer que Dieu ne se sert pas de son Église pour faire avancer son royaume, pour faire entendre sa voix dans la sphère publique et démasquer les œuvres des ténèbres dans tous les domaines, spirituels et séculiers, mais utilise uniquement les païens pour le faire à la place des chrétiens. Dieu nous appelle à sortir spirituellement du monde, c’est-à-dire à nous préserver des souillures du monde, mais aucunement à laisser le monde dans l’aveuglement. Lorsque l’Église ne sort plus dans le monde, alors c’est le monde qui entre dans l’Église, ou plutôt dans les églises locales. D’abord par capillarité, ensuite comme dans un saloon de western aux portes à deux battants.
Sauf erreur de ma part, il ne peut se trouver que deux raisons, parfois distinctes et parfois entremêlées, pour expliquer cette situation. L’ignorance, au mieux candide et au pire volontaire, de la manière dont fonctionnent les différentes sphères de l’activité humaine dans ce monde. La seconde est la lâcheté. L’être humain étant une créature sociale, il vit en famille, en communauté, en association par convergence d’intérêts, d’objectifs. Par conséquent, le péché peut être également et délibérément collectif et, s’ajoutant au péché individuel, ainsi affecter le fonctionnement d’institutions, de communautés organisées, de corporations, d’entités politiques, etc. Le mensonge aussi peut être collectivement délibéré. Afin de ne pas se laisser abuser soi-même par cela, d’abord par le péché qui agit encore dans nos membres, et de démasquer les œuvres des ténèbres, il faut étudier et méditer la Parole de Dieu, mais également avoir une culture d’Église capable de comprendre comment s’articulent et progressent ces mensonges collectifs, dont une partie de ceux qui les répercutent ne sont pas conscients qu’ils sont également les victimes, qu’utilise le diable pour nuire encore davantage à l’humanité. En bref, il s’agit de comprendre (et non d’approuver) le fonctionnement de l’ennemi. S’il y a un corps du Christ, il y a également un corps (un cadavre) de Satan ; s’il y a une Église, il y a également une contre-église. Comprendre l’ennemi permet de distinguer ses manœuvres, ses manigances, ses stratégies qui peuvent être utilisées au détriment de l’Église de Christ en s’attaquant aux églises locales par des fausses doctrines, des hérésies, des renoncements, des reculades, des doutes quant à la souveraineté de Dieu, par la lâcheté.
La lâcheté, voilà la deuxième raison que je mentionnais précédemment. La peur des chrétiens d’être ringardisés par le nombre, par ceux qui sont hypnotisés par la religion scientiste d’un monde matérialiste qui rejette toute notion collective du bien et du mal pour la reléguer à la sphère privée et ainsi confier la gestion de la société non plus à des institutions guidées par une moralité commune, mais à deux mécaniques : la mécanique du marché qui prétend que chacun, en poursuivant ses intérêts égoïstes, contribuera au bien commun par la production, la vente et la consommation de biens et de services ; la mécanique du droit qui est là afin d’équilibrer toutes ces « libertés » qui sont sans cesse en concurrence dans cet hypermarché qu’est devenu le monde. Une telle conception du monde a également séduit, aveuglé, anesthésié de nombreux chrétiens et, avec eux, de nombreuses églises locales. Mais déjà bien avant d’aboutir à cette conséquence d’un monde qui a perdu le sens de toutes choses, qui transforme les êtres humains en tubes digestifs considérant la liberté comme étant l’absence de contraintes et la contemplation de son propre nombril comme l’horizon indépassable, cette peur d’être ringardisé et cette séduction étaient déjà à l’œuvre dans les siècles précédents. Ces derniers ont été le berceau (dès le XIVe siècle) de la modernité, de la volonté de l’homme d’être lui-même sa propre mesure en toutes choses, puis de dominer la nature, la création, par la science et la technique, mais sans Dieu. L’Église que Dieu veut combative et victorieuse en Jésus-Christ est devenue naïve, molle et peureuse. Intimidée par l’arrogance d’une science qui prétend que le monde n’existe que par la conjonction de « rien » et du « hasard » (rien + le hasard = tout), les fameuses Lumières du XVIIIe siècle. Christianisme accusé d’obscurantisme par les ouvriers des ténèbres, quelle inversion accusatoire ! Il est a noter que seuls les catholiques romains traditionalistes ont encore une culture collective de la compréhension du monde, de tous les domaines de l’activité humaine, du fonctionnement de l’ennemi et cela bien qu’ils entretiennent des défauts théologiques non négligeables. Nous devrions prendre exemple sur eux, nous qui souvent les critiquons et qui sommes totalement dépourvus de ces connaissances que nous avons laissées au mépris.
Combien de pasteurs, combien d’anciens, dans nos milieux réformés, comprennent le monde dans lequel nous vivons ? Combien d’entre eux possèdent la sagesse et la volonté de discerner la hauteur du mal dans le monde, dans le pays et dans l’Église, dans leur église, et le courage de se positionner contre ce mal par des prédications et auprès des autorités ? Combien d’entre eux refusent d’aborder certains sujets de peur que cela n’amène des personnes à quitter leur église ? Combien d’entre eux rangent des choses sous le tapis pour ne pas avoir à trancher, prendre position au risque d’en fâcher certains et préfèrent tolérer que des personnes constituent des mauvais exemples, des occasions de chute pour les autres et cela sous couvert d’amour, de patience, de sauvegarde de l’unité, en relativisant la Parole de Dieu ? Combien d’entre eux prennent le sentimentalisme et la mièvrerie pour de l’amour du prochain ?
Le travail admirable de pertinence, d’exactitude, de clairvoyance que Jean-Marc Berthoud a réalisé au cours des cinquante dernières années, à travers ses prédications, ses études bibliques et ses livres, outre le fait d’arriver à comprendre la Parole de Dieu en l’expliquant par ce que dit le texte lui-même et en exposant ce qu’il dit des circonstances présentes, actuelles, voire même historiques, est un travail qui est comparable, à mon avis, à celui d’un détective. Ses connaissances en théologie, en histoire, en philosophie, en littérature, en science, lui ont permis de traquer jusque dans leurs tanières les plus dissimulées et éloignées tous les ferments de racine d’absinthe, tous les poisons qui ont contaminé l’Église de Jésus-Christ depuis le début et surtout depuis l’entrée en scène morbide, voire mortifère, de la modernité dont le venin a gangréné l’être humain au point de ne plus avoir la notion d’un monde spirituel, quand bien même païen, mais uniquement matériel.
C’est cette œuvre unique, négligée et peut-être même méprisée, que j’essaie modestement de faire connaître à d’autres chrétiens parce qu’elle représente l’outil le plus adapté et le plus efficace pour permettre à nos églises locales de sortir de ces vapeurs qui entravent le discernement et qui les ont amenées à être centrées certes sur Dieu, mais aussi, de plus en plus, sur elles-mêmes et à ne plus être que bien partiellement le sel de la terre et la lumière du monde. Pour combattre le mal, il est nécessaire de savoir d’où il vient, comment il a progressé, comment il s’est incrusté, comment il se nourrit, quels visages il a pris au fil du temps et la gueule qu’il a aujourd’hui afin de l’identifier et de le mettre dehors sans aucun compromis.
Que Dieu, dans sa grâce et sa bonté infinie, permette que le travail de Jean-Marc Berthoud puisse servir à sortir l’Église de Jésus-Christ de sa torpeur et de sa timidité. D’enfin remarcher sur ses deux jambes.
Stéphane Pauletto,
Lausanne, le 19 février 2022
Texte publié avec l’aimable autorisation du site La Lumière du monde