Pierre Viret 1511-1571
Héraut d’une science réaliste :
physique et biologique, théologique et morale
d’un univers créé et ordonné par Dieu
Après un premier tome consacré à brosser le tableau de la Foi chrétienne à travers une série de Catéchismes d’ampleur croissante, tome qui se termine par l’évocation du combat que les hommes livrent contre leur propre salut ; puis, avec un second nous décrivant la vision du monde qui est celle du Christianisme à travers l’une des plus belles et des plus complètes expositions des Dix Commandements, connue de l’histoire de l’Église ; nous vient maintenant le troisième tome de cette Instruction chrétienne en la Loi de l’Évangile, l’incontestable chef d’œuvre de ce Réformateur vaudois, cet admirable écrivain et ce théologien magnifique qu’est toujours Pierre Viret.
Dans ce troisième tome, nous découvrons la première partie (qui sera complétée dans le quatrième) d’un très ample Commentaire du Symbole des Apôtres. Ce tome est presque entièrement consacré à l’évocation de la connaissance de Dieu, tout ensemble à travers l’Écriture sainte, Sa révélation spéciale, et Sa révélation générale, cette dernière contenue dans le livre de la création par lequel, comme nous le montre si bien notre auteur, Dieu dévoile aussi sa nature et ses attributs.
Ce thème prend une ampleur extraordinaire lorsque Pierre Viret se met à évoquer, dans de savoureux dialogues, la manière dont le monde de la nature, l’univers créé par Dieu, livre à celui qui veut bien le regarder autrement qu’à travers les lunettes abstractives d’une science qui se veut « moderne », la plus extraordinaire des théologies naturelles. Cette théologie nous parle du monde créé, à la lumière de la Parole écrite de Dieu, Parole vivante qui, au commencement, le fit venir tout entier à l’être.
Car pour Viret il ne faut considérer les œuvres matérielles de Dieu, son œuvre créatrice et ordonnatrice de l’univers ainsi que la Providence par laquelle II soutient et dirige toutes choses, qu’à travers la révélation qu’elles nous donnent de la puissance et de l’ordre qui sont en Dieu. C’est une pareille focalisation sur la seule puissance et efficacité matérielle du cosmos (les causes matérielles et efficaces) – et, en conséquence, l’attention exclusive portée à ces attributs spécifiques de son Auteur – qui conduira dorénavant l’orientation des sciences mathématiques expérimentales de la nature. Ce sont elles qui, quelques décennies après la mort de notre théologien, ont soumis l’étude du cosmos de Dieu au seul langage du mesurable et de l’utile.
Toute l’œuvre divine doit, pour Viret, être perçue dans l’esprit des paraboles, des symboles et des images issus de l’ordre créé, manière de saisir le monde qui perce de toutes parts dans la langue familière et concrète des saintes Écritures. C’est bien ce langage proverbial ordinaire des hommes que reflétaient les fables d’Ésope comme, bien plus tard, celles de son imitateur, le dernier fabuliste de notre Europe, Jean de la Fontaine. C’est ainsi qu’en cette fin de chrétienté qu’était le XVIe siècle, Pierre Viret se détourna des abstractions d’une modernité naissante pour retrouver la sagesse des bestiaires et des animaliers de la science médiévale. Tout dans la nature porte sens car, en ses moindres détails, nous montrera Viret, elle manifeste le reflet de son Créateur, de cette plénitude de signification et de sagesse qu’il lui a Lui- même conférée. Comme Aristote, Viret ne cesse de méditer l’ordre de nature ; comme Platon, il y voit toujours le témoignage d’une réalité qui dépasse nature; mais par sa soumission à l’Écriture, il y trouve un sens spirituel, théologique, moral que le paganisme antique ne faisait qu’entrevoir de loin.
L’œuvre majestueuse de Viret est bien la réponse divine apte à assouvir la soif qui nous hante d’une intelligence du monde autre qu’issue du désert des sciences de l’unique mesurable ; autre que celle d’une jungle panthéiste, qui idolâtre une nature informe et sauvage. Ce troisième tome de l’instruction chrétienne vient à son heure, comblant l’attente de ceux qui cherchent à percevoir, dans la bonne et bienfaisante création de Dieu lue à la lumière de Sa révélation écrite, la plénitude de sens et de beauté dont, par notre folle rage d’abstraction, nous l’en avons, depuis bientôt cinq siècles, privée.
Que l’Association Pierre Viret, les Éditions L’Âge d’Homme et le pasteur Arthur-Louis Hofer, sans le labeur savant, et parfois truculent, duquel ces trois tomes n’auraient jamais revu le jour, soient remerciés de nous rendre à nouveau l’accès à cette œuvre immense qui, de manière si familière et attachante, ouvre tout à nouveau les portes pour nous au sens théologique, spirituel et moral concret de la création divine ; œuvre édifiée par Pierre Viret au moment même où s’apprêtait l’étouffement – que l’on affirmait définitif – de cette vision créationnelle immémoriale si vraie et si vivifiante du monde, cela sous le fatras des abstractions d’une nouvelle perception du cosmos d’où allaient être exclus tout à la fois Dieu, tout sens et toute beauté.
Jean-Marc Berthoud, Lausanne, le 21 janvier 2014