Publié en première version dans la Documentation Chrétienne, Nº XVII, septembre 1977 sous le titre Du pouvoir dans la vie chrétienne. Ce texte fut rédigé à Lausanne en septembre-octobre 1973 ; janvier-avril 1976 ; janvier-juin 1977. La plus grande partie de cette étude fut donnée en conférences dans l’Église Évangélique Indépendante, à Lausanne, au début de l’été 1976. Je dois ici remercier le pasteur Jean de la Harpe qui m’a donné l’occasion d’y présenter ce travail.
Ce texte fut entièrement revu pendant l’été 2010 et la bibliographie mise à jour. Il constitue la première partie de mon ouvrage, Le règne terrestre de Dieu. Du gouvernement de Notre Seigneur Jésus-Christ : Politique, Nations, Histoire et Foi chrétienne, L’Âge d’Homme, Lausanne, 2011.
Il a été mis à jour en août-septembre 2020 pour tenir compte de la situation présente et sa bibliographie complétée. Le troisième chapitre, « La puissance des émeutes violentes et la désintégration de l’autorité » est entièrement nouveau.
L’auteur de ce travail a reçu les encouragements du regretté pasteur Frédéric Buhler et de feu le doyen Jean Cadier. Nous leur exprimons ici bien tardivement notre reconnaissance la plus vive.
Il me faut aussi reconnaître ici publiquement ma grande dette envers les écrits du pasteur calviniste Rousas J. Rushdoony et adresser mes remerciements à tous ceux qui se sont donné la peine de lire et de critiquer ce travail avant sa publication.
L’écriture de Jean-Marc Berthoud se caractérise tout à la fois par son ancrage dans l’héritage du Christianisme historique ainsi que par sa grande attention à la réalité contemporaine dont il confronte la pensée jusque dans ses racines. Il est tout particulièrement attentif aux déviations de la modernité par rapport à la réalité biblique. Ce travail consacré à l’autorité accomplit ces deux tâches de manière claire et utile.
En ce faisant, il dévoile ce qui se passe vraiment dans les modes de pensée, tant populaires que chez celles de l’« élite », qui toutes deux cherchent à rendre compte de la réalité. Ce qu’il dit sur la « bureaucratie » (p. 35), et sur la « violence légitime » (p. 90) devrait être lu par tous ceux qui sont préoccupés par ce qui se passe autour de nous. Considérant les troubles qui se produisent dans bien des villes américaines, ses considérations sur les « foules d’émeutiers et les idiots utiles » éclairent ce qui se trouve à l’arrière-plan de ce qui paraît bien être des émeutes et destructions fort bien organisées. Il examine la question du droit du croyant à résister au mal (p. 73-74), sans chercher, en ce faisant, à « démanteler tout le système » (p. 79-81). Il montre la permanence de l’exigence biblique d’une direction masculine dans les divers aspects de la société (pp. 113-116) et présente une discussion éclairante sur une relation juste entre la loi et l’amour (chapitre 5). Ses remarques sur les questions militaires (p. 88-95), et sur les enseignants chrétiens professants dans les écoles d’État (pages 95 et suivantes) sont d’une grande valeur pour ceux qui sont engagés en ces domaines. Contrairement à cette théorie en vogue prônant « le conflit d’intérêts » dans la vie de la société, il montre que c’est l’harmonie des intérêts qui se trouve au cœur de toute culture (p. 121-124).
En fin de compte, il ramène toutes ces questions à cette bataille spirituelle invisible qui fait rage dans tous les domaines (p. 117-118) et montre par conséquent à quel point la régénération du chrétien est absolument nécessaire pour remporter dans cette guerre la victoire (p. 123-124).
Douglas F. Kelly, Ph. D.
Professeur Émérite, Reformed Theological Seminary
Si vous n’avez pas peur d’être confrontés dans vos positions et opinions touchant à l’exercice du pouvoir et à votre rapport avec les autorités civiles et ecclésiales, ce livre est pour vous. Sur le ton du prophète, l’auteur, qui s’adresse à une Église errante, utilise un langage direct et ne ménage pas son lecteur. Les thèses qu’il avance mais aussi plusieurs exemples qu’il utilise peuvent déranger le citoyen du XXIe siècle, mais c’est bien l’objectif : Comment toucher les consciences dans un contexte édulcoré et consensuel ? Son exposé théocentrique est fondé sur les textes bibliques dont il utilise le langage, par moment on croirait lire un Réformateur. Il démonte morceau par morceau les erreurs qu’il discerne — et elles sont légion — et y apporte un éclairage argumenté. Certains passages ayant été écrits dans les années 1970, on mesure d’autant plus leur pertinence prophétique un demi-siècle plus tard. En historien, il sait prendre le recul nécessaire par rapport aux modèles politiques et éthiques adoptés particulièrement depuis l’ère moderne. En théologien, il trace avec vigueur la trame du combat spirituel qui se joue dans notre monde, montrant l’impact d’une Église ignorant ses responsabilités face aux enjeux actuels.
Dominique-Antonio Troilo
Théologien, Historien, Pasteur (Suisse),
auteur de Pierre Viret et l’anabaptisme.
Un Réformé face aux dissidents protestants
et L’œuvre de Pierre Viret :
L’activité littéraire du Réformateur mise en lumière
Le livre de Berthoud sur l’autorité a l’effet d’un jet d’eau froide, giclé en pleine figure : il vous choque, vous réveille et vous nettoie. Qu’il s’adresse à l’autorité dans l’État, l’Église ou la famille, Berthoud nous fournit l’eau de la Parole avec une clarté intrépide. Il n’est pas nécessaire d’être d’accord avec chaque détail de sa vision pour profiter de son exhortation à se soumettre à l’autorité divine, racine de toute autorité.
Dr. Joel R. Beeke,
President, Puritan Reformed Theological Seminary.
Deux erreurs à éviter
Si nous voulons parler justement du pouvoir dans la vie chrétienne, il nous faut d’abord bien définir les termes ; puis noter deux écueils à éviter soigneusement.
Il faut se garder de confondre pouvoir et autorité. Le pouvoir – en grec exousia, en latin potestas – est une délégation par Dieu de son droit sur l’homme. L’autorité, elle, est l’exercice de ce pouvoir. Il ne faut pas non plus confondre pouvoir et puissance. La puissance – dynamis en grec, potentia en latin – est la possibilité d’agir, en bien ou en mal. L’autorité étant la source et l’expression du pouvoir, le pouvoir est l’incarnation de l’autorité [1].
Venons-en aux deux écueils.
Le premier est celui de la contestation du pouvoir légitime existant, de la révolte où les hommes, par une réaction charnelle, cherchent à faire disparaître les « injustices » qu’ils s’imaginent observer [2]. Ils luttent ainsi contre le mal par le mal et ne font qu’accroître le mal. Une telle attitude est entièrement réprouvée par l’Écriture sainte. Il est en effet absurde de combattre les œuvres de l’injustice par les moyens de l’injustice.
Le deuxième écueil qu’il nous faut éviter est celui de ce qu’on appelle le « piétisme [3] ». C’est la vision d’un salut réservé aux âmes seules, qui a trop souvent remplacé le glorieux Évangile du Royaume de Dieu. Le piétisme, s’il affirme avec raison que nous devons être justifiés, régénérés et réconciliés personnellement avec Dieu, oublie très largement que les effets de cette bonne nouvelle reçue par la foi doivent s’étendre à toute la vie du chrétien, à toutes les pensées et à toutes les actions de celui qui, en Jésus-Christ, a été recréé à l’image de Dieu. Car le but du salut qui lui a été accordé par pure grâce est qu’il produise des fruits à la gloire de Dieu. Ces œuvres d’obéissance à la Loi de Dieu manifestent sur la terre les prémices de Son règne.
Par piétisme nous entendons donc une tendance, caractéristique d’une partie du protestantisme depuis la fin du XVIIe siècle, à limiter la foi chrétienne à la vie privée du croyant. Il est évident que ce que nous appelons « piétisme » ne résume aucunement le protestantisme des trois derniers siècles ni que de pareilles tendances seraient absentes du catholicisme romain, en particulier dans sa forme « quiétiste ». Dans notre critique du piétisme, nous nous dissocions cependant totalement des attaques que portent contre lui des théologiens libéraux ou néo-orthodoxes (tel Karl Barth), car ces critiques sont en fait dirigées contre la doctrine du salut que défendent encore ces piétistes. Ceux-ci sont parfois bien plus fidèles dans leur vie chrétienne pratique que ne le laisserait supposer leur doctrine.
L’attitude « piétiste », cantonnant le salut dans l’âme, incite souvent les chrétiens, par l’effet de son antinomisme (son ignorance de la Loi-Parole de Dieu), à obéir sans réserve et sans discernement au pouvoir existant. Ces chrétiens oublient ainsi que si tout pouvoir vient effectivement de Dieu, l’exercice de ce pouvoir peut facilement devenir illégitime, soit par abus, soit par opposition à l’ordre de Dieu, à la Loi divine. Lorsque le pouvoir se livre à de tels abus, le chrétien fidèle, tout en gardant une attitude de respect à son égard, doit alors obéir à Dieu plutôt qu’aux hommes. En obéissant dans de telles circonstances aux exigences des hommes plutôt qu’à celles de Dieu, les chrétiens infidèles s’abandonnent imprudemment aux sanctions correctrices de l’Alliance divine. Cette erreur de type « piétiste » provoque souvent, par réaction, la faute contraire de la révolte charnelle contre l’autorité légitime. Il nous faut nous maintenir à la fois dans une réelle soumission au pouvoir et dans l’obéissance première que nous devons à Dieu si nous voulons demeurer dans une réelle fidélité à l’Évangile du Royaume de Dieu. C’est ainsi que le chrétien cherchera à tout restaurer dans le Christ [4] avec l’assistance de l’Esprit Saint, afin d’accomplir sur la terre, par la foi en Jésus et l’obéissance à ses commandements, la volonté céleste du Père telle qu’elle est révélée dans sa Loi-Parole.
L’expression hupotasso en grec est un terme militaire ayant comme sens « prendre son rang dessous » (hupo-dessous, tasso-arranger, ordonner). Nous le traduisons par être soumis. Littré définit être soumis par « se ranger sous l’autorité », « reconnaître l’autorité », « accepter la dépendance ». Littré définit aussi la soumission comme étant « la disposition à obéir ».
L’expression ktisis en grec, creatura en latin, qu’utilise l’apôtre Pierre (I Pierre 2 : 13-14) qui est traduite ici par « institution de droit divin », signifie littéralement « créature de Dieu », c’est-à-dire institution établie par Dieu [5]. Il s’agit d’institutions dont l’origine est divine et non pas d’institutions simplement humaines, comme le voudrait la traduction habituelle. La royauté, comme tout autre pouvoir légitime (c’est-à-dire conforme à l’ordre créationnel et soumis à la Loi de Dieu) – tel celui du père de famille, du patron, du maître d’école ou de l’agent de police –, ne peut être qu’un pouvoir de droit divin. Nul homme, en effet, et nulle collectivité n’a le droit de s’arroger un tel pouvoir sur un autre homme. Précisons que tout droit tire son origine, ou de Dieu ou de l’homme. Nous n’adorons justement Dieu qu’en fondant notre droit en Lui, en Sa Loi. Les droits de l’homme, ainsi que tout droit positif fondé sur l’autonomie de l’homme par rapport à Dieu, Sa Loi et à cet ordre créationnel qu’elle révèle, manifestent le culte de l’homme, celui de l’homme devenu lui-même la « mesure de toutes choses ».
Le vrai chrétien a une disposition surnaturelle à obéir à Dieu, car il se sait soumis au pouvoir de Dieu. Il se range sous son autorité, la reconnaît et accepte sa dépendance envers Lui et envers les pouvoirs établis par Dieu pour autant que ces pouvoirs ne lui imposent pas de désobéir à Dieu et à sa Loi.
Le païen, lui, a une disposition naturelle à désobéir à Dieu et à ses Lois, ainsi qu’aux pouvoirs qui se conforment à la Loi de Dieu. Il obéira par contre plus volontiers que le chrétien fidèle aux pouvoirs révoltés contre Dieu et contre Sa Loi, car il est lui aussi un révolté.
Être soumis ne signifie en aucun cas être disposé à une obéissance inconditionnelle envers un pouvoir humain.
Jean-Marc Berthoud
[1]. Les mots français pouvoir et autorité n’ont pas la même force que les expressions anglaises, power et authority. C’est pour cette raison que nous avons traduit le titre français Du pouvoir dans la vie chrétienne par Authority in the Christian Life en anglais.
[2]. Les seules vraies injustices sont les infractions à la Loi de Dieu. « Ce que donne la Loi c’est la connaissance du péché » (Romains 3 : 20).
[3]. Sur ces questions voyez les développements contenus dans le livre de E. et A. Kayayan, Le chrétien dans la cité, L’Age d’Homme, Lausanne, 1995 et, en particulier, le chapitre III, « Dualisme et vision non chrétienne dualiste du monde ». Voyez aussi Heinrich Heppe, A History of Puritanism, Pietism and Mysticism and their Influences on the Reformed Church, CreateSpace Independent Publishing Platform, 2015 [1879].
[4]. Mot d’ordre du Cardinal Pie, Évêque de Poitiers, repris pour son compte par le pape Pie X.
[5]. Voyez de Jean-Marc Berthoud, Une religion sans Dieu. Les Droits de l’Homme contre la Bible, Messages, Lausanne (Lulu.com), 2018. Première édition, L’Âge d’Homme, Lausanne, 1993.
9781716450761