Nous avons ici affaire à une « Introduction éthique et apologétique au Septième commandement. Tu ne commettras pas d’adultère ».
Ce livre est le fruit d’une méditation sur les assauts d’une modernité révolutionnaire, sans Dieu ni Loi, contre la famille et contre l’école. Ces travaux furent suscités par les aléas de ce combat. On y réfute les attaques contre la famille, puis contre une école, jadis assise sur des fondements anciens, naturels et chrétiens.
Sa première partie – la plus longue et la plus ancienne – débute par une étude approfondie sur la nature de la famille biblique, établie une fois pour toutes dans son ordre stable par le Créateur du monde.
S’ensuit l’évocation du mariage chrétien, le rôle qu’y joue le culte de famille, la place créatrice de la mère au foyer et la guerre qui lui est faite. Cette guerre se dresse contre la vie, celle l’enfant à naître par avortement, légal et aseptisé.
Nos utopistes cherchent de longue date à déstabiliser le système éducatif publique, en centrant leur pédagogie, non sur ce que l’enfant doit apprendre pour assumer son rôle d’adulte dans la société, mais sur un « puérocentrisme éducatif » divinisation de l’écolier devenu le centre du monde scolaire. Nous y trouvons, entre autres, l’analyse décapante d’une « Déclaration des droits de l’écolier ».
La deuxième partie, d’une ampleur moindre, traite d’une réalité capitale largement oubliée aujourd’hui : non pas celle d’une pensée erronée ; ni des infractions morales à la Loi de Dieu ; mais à ce que la Bible appelle l’« impureté », défaillance à la fois morale et spirituelle source de graves dérapages – entre autres sexuels – que notre rationalisme nous empêche souvent de percevoir.
C’est par ce biais que nous revenons, à notre première bataille, celle de : « L’éducation sexuelle : L’affaire de l’école ou celle des parents ? »
Préface à la première édition [1]
« J’ai fait la connaissance d’un curieux personnage. Il a suivi la Sorbonne, sa culture est encyclopédique, il connaît à fond les Écritures […] et il gagne sa vie comme porteur de bagages, comme facchino ! » C’est ainsi, succinctement décrit par Marcel Regamey, que j’ai entendu parler pour la première fois de Jean-Marc Berthoud.
C’était en 1973. Durant neuf années, jusqu’à la mort de Marcel Regamey, ils ont disputé, chez celui-ci, à la Cabolettaz ou dans les courants d’air de la gare de Lausanne, sur des questions de théologie, de politique et de morale. À première vue, tout les opposait. Marcel Regamey représentait l’État au Synode de l’Église évangélique réformée du Canton de Vaud, Église multitudiniste dont le statut était des plus officiel, Jean-Marc Berthoud était membre professant de l’Église évangélique baptiste de Lausanne ; l’un, dans la perspective synthétique d’Église et Liturgie, s’inspirait, tant dans le domaine de la doctrine que dans celui de la liturgie, des positions de l’Église catholique romaine, l’autre n’était pas loin de considérer celle-ci comme une secte ; l’un distinguait les domaines du temporel et du spirituel, l’autre s’efforçait de les unir le plus possible ; ils se reprochaient, l’un le monisme de l’autre, l’autre, le dualisme de l’un. Surtout, l’un incorporait à sa réflexion, même dans les matières “universelles”, le souci constant du bien commun du Pays de Vaud concret, tandis que l’autre voyait dans la politique un moyen de pouvoir destiné à faire respecter les exigences de Dieu dans la société.
Ils se contrepointaient surtout sur les questions “mixtes”, à cheval sur la morale et le droit pénal, comme celle de la répression de l’avortement. Les arguments fusaient de part et d’autre. Jean-Marc Berthoud défendait que le pouvoir vient de Dieu – ce que Marcel Regamey ne contestait pas – et que le glaive du magistrat est à son service. M. Regamey lui opposait l’idée que la loi doit se conformer aux mœurs. “Relativisme”, répondait Jean-Marc Berthoud. “Expérience à l’appui, les mœurs sont un passage obligé entre la morale et le droit. Il faut commencer par les corriger plutôt que se bercer d’illusions en promulguant hâtivement des lois aussi idéales qu’inapplicables”. “Ne vaut-il pas mieux avoir des lois imparfaites que pas de lois du tout ?” “Les lois imparfaites, présentant comme résolue dans les faits une question qui ne l’est que sur le papier, vont en général à fins contraires.” “N’en va-t-il pas de même avec le respect excessif des mœurs ?”, etc.
Ce qui les poussait à continuer, c’était une estime réciproque et aussi l’évidence pour chacun des deux que l’autre était disposé à s’incliner devant une vérité. Au fil des années, Marcel Regamey et Jean-Marc Berthoud se sont rapprochés. On ne fréquente pas durablement une personne, même pour se colleter avec elle, sans que ne finisse par s’établir une certaine forme d’amitié. “Jean-Marc Berthoud nous rappelle que nous sommes quand même des protestants” disait le premier. Et le second pouvait répondre : “Marcel Regamey nous rappelle que nous sommes des chrétiens en situation”. L’ouvrage auquel ces quelques lignes servent de préface montre que ce difficile dialogue n’a pas été vain.
* * *
“L’École et la Famille contre l’Utopie” est un recueil, non un ouvrage conçu d’un jet. On y trouve des études, des exposés, des prises de position politiques ou théologiques, des recherches historiques, des considérations sur les sciences. Ce sont, comme il est dit en sous-titre, les Annales d’une action opiniâtre, constamment et frontalement à contre-courant. Sur certains points, en particulier dans le domaine philosophique, il n’est pas sûr que Jean-Marc Berthoud trouve un soutien sans faille dans sa propre Église ! Certains milieux évangéliques ne sont d’ailleurs pas épargnés par ses piques.
Ces Annales ne sont pas l’occasion de contempler avec satisfaction l’œuvre accomplie. C’est une mise à jour, les premiers textes éclairés et nuancés par les derniers. C’est une façon de reprendre son souffle, de rassembler ses forces. C’est une conclusion provisoire, un manifeste qui servira de point de départ pour la suite du combat.
Dans la première partie, consacrée à la famille, la défense de l’institution ne prend jamais le tour idéologique et récurrent qui fait si souvent la faiblesse et l’ennui de ce type d’apologie. En la matière, Jean-Marc Berthoud ne théorise rien qu’il n’ait expérimenté. C’est de sa famille qu’il s’agit.
La famille, chrétienne ou non chrétienne, est le reflet d’un ordre divin, à la fois personnel et communautaire. Elle est le lieu privilégié de l’accomplissement de la personne humaine, éminemment par le culte qu’elle rend au Créateur. Le chapitre consacré à ce dernier point est remarquable de nouveauté et d’équilibre : Le culte de famille tient une place intermédiaire indispensable entre le culte personnel du chrétien et le culte de l’Église. […] Sans le premier, le culte de famille dégénérera en routine, car il a besoin d’être nourri de la communion personnelle intime des parents (et des enfants) avec la Sainte Trinité. Mais sans la direction doctrinale et spirituelle donnée par le culte de l’Église, le culte de famille risque de dévier […] Une autre remarque pourrait intéresser ceux qui désespèrent de voir la jeunesse assister au culte dominical : Les difficultés qu’expérimentent bien des Églises avec leurs jeunes proviennent tout d’abord de l’atrophie, du dépérissement, de la disparition de cette magnifique institution biblique qu’est le culte de famille. Si les jeunes dans les Églises sont tellement réfractaires à la Parole de Dieu, s’ils sont si marqués par l’esprit du monde, cela ne viendrait-il pas en premier lieu de l’abandon par les chrétiens de nos Églises de cette prédication quotidienne de la Parole de Dieu dans leurs foyers ?
La deuxième partie [2] affronte le sujet le plus susceptible de réveiller les passions vaudoises : l’école. La pédagogie est notre péché mignon et notre méchante vertu. Les campagnes de vote touchant l’école et les réformes scolaires sont les plus agressives, les plus pénibles, les plus coûteuses qui soient.
Jean-Marc Berthoud a pris la mesure de la tâche et s’est efforcé de reprendre l’ensemble de la question. Il examine les courants de pensée et les personnalités qui sont à l’origine de l’évolution actuelle de l’École, notamment Georges Panchaud, prophète dans le Pays de Vaud des vertus de “l’école suédoise”, devenue pour lui le modèle d’une transformation de notre société en paradis socialiste, cela au moyen d’une pédagogie à but explicitement révolutionnaire. La lecture des propositions d’Édouard Claparède au Congrès d’Hygiène mentale de Paris, en 1922 est écrasante. Ce sont, mot pour mot, les litanies niaises et sirupeuses des partisans d’EVM 96. On lira aussi, avec consternation, la “Déclaration des droits de l’Écolier” adoptée en 1986 lors des assises nationales de l’école catholique, à Nogent-sur-Marne et, avec plaisir, les contestations éclairantes que leur oppose l’auteur.
L’ouvrage fait œuvre de contrepoison en disséquant les idéologies scolaires de l’épanouissement, de la non-directivité, de la neutralité morale de l’école, de la table rase, du puérocentrisme et en dénonçant leur angélisme athée. Il montre le caractère essentiellement destructeur de l’introduction des mathématiques modernes dans les petites classes, du français renouvelé et de l’histoire sans dates.
Remontant plus haut dans l’histoire, à l’usage de ceux qui penseraient que le mal est récent, Jean-Marc Berthoud clôt cette partie avec une étude fouillée de la vie et de la philosophie de “Jean Amos Comenius (1592-1670) et les sources de l’idéologie pédagogique”.
Dans la troisième partie, notre auteur examine les règles générales du fonctionnement des sociétés. Invité à s’exprimer sur la question par le Renouveau Rhodanien, mouvement fondé par des catholiques traditionnels valaisans, il commence par énumérer ce qui les unit et ne craint pas d’examiner la “jonction des traditions réformées et catholiques romaines de doctrine sociale chrétienne”. De la part d’un évangélique, il y faut pas mal de liberté intellectuelle !
Les deux derniers chapitres de l’ouvrage sont aussi les deux chapitres les plus surprenants : “Les différentes formes de causalité et la pensée de la Bible”, où Jean-Marc Berthoud discerne mille points de convergence entre les Écritures et la doctrine aristotélicienne des causes ; et la “Lettre ouverte adressée à Florent Gaboriau Philosophe et théologien thomiste” répondant à “L’Écriture seule ?” ouvrage que celui-ci venait de publier. Il y a dans ce dialogue interconfessionnel les prémices d’une attitude œcuménique vraie, qui ne transige ni sur l’exigence d’unité, ni sur l’exigence de vérité [3].
Comme on le verra dans la dernière annexe, Jean-Marc Berthoud a connu la grâce particulière de ceux qui sont venus à Dieu après l’avoir rejeté dans l’indifférence. Converti, il n’en mesure que mieux l’importance vitale de la foi. Cela donne à tout ce qu’il dit et écrit une passion qui effarouche beaucoup de chrétiens de ce pays, même s’ils ne sont pas forcément en désaccord sur le fond. Nous avons chez nous une tendance presque incoercible à transformer la foi en Christ en une adhésion tout à la fois ratiocinante et sentimentale à des conseils de morale. Pour Jean-Marc Berthoud, la foi est une relation foudroyante avec le Maître de toutes choses, un cheminement à travers les ombres et la lumière d’un sentier bordé d’abîmes.
C’est dans cette perspective qu’il faut comprendre, plutôt que de s’en offusquer, ses outrances occasionnelles de plume et de parole : il s’agit concrètement et immédiatement d’une question de vie ou de mort ! Une réponse qu’il m’a faite le dépeint tout entier. Au printemps 1997, nous avions organisé un séminaire sur des questions touchant la vie de l’Église vaudoise. Nous y entendîmes un pasteur chargé du dialogue avec les autres religions. Lors de la discussion, Jean-Marc Berthoud l’attaqua violemment. Après la séance, je lui reprochais son agressivité, l’estimant inefficace et portant préjudice à tout ce que son argumentation contenait de fondé et que nous défendions nous aussi…
Alors Jean-Marc Berthoud, l’œil flamboyant : “Et l’honneur de Dieu ? qui défend l’honneur de Dieu ?”
Olivier Delacrétaz
[1]. Les indications relatives aux Annexes se rapportent à la première édition de notre ouvrage : Jean-Marc Berthoud, L’École et la Famille contre l’Utopie, Les Annales d’un combat, L’Âge d’Homme, Lausanne, 1997.
[2]. La première édition de cet ouvrage contenait 3 parties et des annexes : La Première Partie, « La famille » ; La Deuxième Partie, « L’École » ; La Troisième Partie « Les Fondements de la Société ».
[3]. Ces deux derniers chapitres mentionnés ici ne figurent pas dans cette réédition. On peut les lire dans L’école et la famille contre l’utopie […], op. cit., pp. 227-269.
9781471001444