Les dix Commandements lus par la Bible – 8e Cdt Tu ne voleras pas

Introduction

Jean-Pierre Graber

Les nombreux écrits de Jean-Marc Berthoud surgissent à la convergence de sa conversion radicale et profonde au Dieu Trinitaire – le Père, le Fils et le Saint-Esprit –, du courant théologique calviniste – baptiste auquel il se rattache, de sa théologie de l’alliance, de ses grandes capacités intellectuelles, de sa très vaste culture, de sa formation académique, de sa rigueur et de son courage.

Son livre le plus récent n’échappe pas à la règle.

« Le huitième commandement, Tu ne voleras pas » : tel est le titre principal de cet ouvrage. Cet intitulé est précédé par une annonce très évocatrice de l’attachement de l’auteur aux divines normes création­nelles : « Les Dix commandements lus par la Bible, Une Lumière divine pour notre temps ». Le titre général est suivi par un éclairage qui renseigne déjà sur l’étendue de cette œuvre et sur la vision théologique qui l’inspire : « L’Économie, le Vol et l’Ordre de la Création ».

La théologie systématique, spécifique et cohérente de Jean-Marc Berthoud inspire tous ses livres. C’est une théologie de l’alliance biblique fondée sur l’ordre créationnel antérieur à la chute de l’homme en Eden. Cet ordre, établi par Dieu lors de la Création, est immuable.

Dans le numéro 99 de la revue « Promesses », Jean-Marc Berthoud écrit que « si les dix commandements sont le condensé de l’ordre que le Créateur et Législateur divin a établi pour les hommes pris individuelle­ment, ils le sont également pour les hommes vivant en société. » La loi divine ne devrait pas s’appliquer uniquement aux chrétiens soucieux d’obéir à Dieu mais à tout homme. Selon Jean-Marc Berthoud, cette loi divine a cours pour tous les êtres humains, en tous lieux et cela dès la Création. Il montre de façon pertinente que la dîme était pratiquée par Abraham avant la rédaction des livres du Pentateuque et avant la révéla­tion des Dix commandements au peuple d’Israël par l’intermédiaire de Moïse. Le meurtre d’Abel par Caïn en était un avant même que l’inscrip­tion du 6^e commandement n’apparaisse sur les Tables de la Loi. Depuis toujours, les bénédictions et les malédictions – qu’elles concernent les personnes considérées individuellement, les chrétiens, les non-chrétiens, l’Église, les collectivités de toute nature ou encore les États-nations – dépendent, dans une large mesure, du respect des immuables lois divines.

En toute logique, Jean-Marc Berthoud s’oppose avec véhémence à la conception positiviste du droit selon laquelle la législation en vigueur doit constamment s’adapter aux évolutions culturelles, sociétales, sociales, politiques et économiques de la société. Cette conception du droit a été théorisée notamment par Hans Kelsen. Elle est aujourd’hui adoptée par tous les relativistes. Jean-Marc Berthoud estime, de manière parfaitement justifiée, que ce relativisme contribuera à l’effondrement de toutes les civilisations qui vivent sous son imperium. Cette lucidité sur notre temps est proche de celle du pape émérite Benoît XVI lorsque ce dernier évoque « la dictature du relativisme qui apparaît comme la seule attitude à la hauteur des temps d’aujourd’hui, attitude qui ne reconnaît rien de définitif et n’a comme mesure que son propre ego et ses propres désirs ».

Il faut garder présentes à l’esprit la théologie et la philosophie de l’histoire de Jean-Marc Berthoud pour bien comprendre la trame, les développements, la portée et les implications pratiques de son livre sur le 8^e commandement.

Comme il se doit, Jean-Marc Berthoud définit tout d’abord de manière claire ce qu’est le vol dans son sens le plus immédiat. Chacun sait que cette infraction au Décalogue prend la forme du vol du bien d’autrui, du cambriolage, de l’escroquerie, de la gestion déloyale, ainsi que des tricheries et tromperies de toute nature. Mais s’arrêter là serait évidemment banal. De manière attendue, Jean-Marc Berthoud franchit un pas de plus en affirmant justement : « Tant l’avarice, qui est de tout garder pour soi, que la prodigalité, qui est de gaspiller ce que Dieu nous a donné, sont autant de graves infractions à l’esprit de ce commande­ment. »

Mais sa grande capacité de réflexion, son attachement à la « Parole de Dieu – Loi » et son érudition le portent beaucoup plus loin.

Il met en lumière que les Dix commandements sont reliés, qu’ils sont en quelque sorte en interconnexion. « Quiconque observe toute la loi, mais pèche contre un seul commandement, devient coupable de tous » (Jacques 2 : 10). S’adonnant à l’exégèse de ce texte en partant du vol, l’auteur dit que l’infraction au premier commandement consiste à voler à Dieu la gloire et les attributs souverains qui lui appartiennent. On pourrait ranger dans cette catégorie toutes les folies prométhéennes de l’homme. Tuer quelqu’un revient à lui voler sa vie. Commettre adultère équivaut à voler le conjoint ou la conjointe d’une personne. La désobéissance à l’égard du dixième commandement – « Tu ne convoiteras pas … » – aboutit très souvent au vol. Dans cette optique, on comprend encore mieux que « l’amour de l’argent est la racine de tous les maux » (I Timothée 6 : 10).

Jean-Marc Berthoud évoque également les réparations claires mais aussi subtiles dues en cas de vol. Il poursuit avec les implications morales, économiques et sociales de l’enseignement biblique sur les fausses balances et les fausses mesures.

Selon l’auteur, l’interdiction de dérober présente une dimension positive encore plus ample que sa dimension négative.

Cette dimension positive doit d’abord inciter les chrétiens à être généreux de leur temps et de leur argent en réponse à l’immense valeur que revêt pour eux la grâce du salut offert par la repentance et la foi dans le sacrifice expiatoire de Jésus-Christ. Les chrétiens sont aussi appelés à refléter la générosité incommensurable de Dieu et à offrir leurs personnes elles-mêmes, leurs forces et leur argent « en faveur de Dieu et de son Église, l’épouse du Seigneur ».

Plus avant, Jean-Marc Berthoud fait sienne, en la développant, la pensée du grand réformateur Pierre Viret qui, après avoir précisé que le fait de ne pas voler résidait aussi dans le comportement de ne faire aucun tort aux biens de son prochain, décrivait la portée positive du 8^e commandement comme suit. Tout d’abord, travailler à conserver à son prochain ses biens et, si possible, à les lui augmenter. Ensuite, avoir de quoi – par une certaine accumulation de réserves – secourir son prochain dans le besoin. Cette attitude noble, généreuse et socialement très utile découle de l’amour dû à Dieu et à autrui.

Après avoir traité du vol sous l’angle de la morale personnelle, Jean-Marc Berthoud aborde la thématique fondamentale du 8^e com­mandement dans une optique collective ou communautaire.

Tout d’abord, dans une transition réussie entre la morale person­nelle et la morale collective qui devrait prévaloir pour les entreprises, les banques et des grandes institutions financières interna­tionales, Jean-Marc Berthoud condamne l’usure qui révulse beaucoup de gens.

Il stigmatise de surcroît le principe même du prêt à intérêt, cela d’une manière que l’on peut sans autre qualifier de prophétique dans le contexte historique actuel caractérisé par une forte financiarisation de l’économie. Ce faisant, il s’inscrit dans la droite ligne des positions dépourvues d’ambiguïté adoptées à cet égard par Aristote, la première Église, les Pères de l’Église, l’Église catholique formellement jusqu’au début du XX^e siècle et Luther. Thomas d’Aquin, l’un des deux plus éminents Pères de l’Église, a été jusqu’à écrire que « recevoir un intérêt pour l’argent prêté est en soi injuste, car c’est faire payer ce qui n’existe pas. » Pour Calvin, au contraire, l’argent est une marchandise comme une autre. Il en déduit que le prêt à intérêt, contrairement à l’usure, est légitime. Jean-Marc Berthoud se réfère à plusieurs textes du Pentateuque, notamment au livre du Deutéronome, pour justifier son point de vue.

Avec beaucoup de force et de pertinence, l’auteur indique ensuite que le marxisme-communisme aussi bien que le capitalisme sans régu­lation sont des systèmes économiques qui impliquent intrinsèquement un vol collectif. Il met aussi en cause les incidences délétères de l’État-Providence inspiré par la social-démocratie.

S’agissant du collectivisme marxiste, Jean-Marc Berthoud démontre sans peine qu’il repose originellement sur le vol de la propriété privée, un vol sauvage et brutal intervenant presque toujours par la confiscation violente, souvent même au travers d’assassinats de masse ou par le biais d’expropriations sans dédommagements. Le vol originel est ainsi constitutif de ce système à la fois idéologique, politique et économique. La planification communiste de l’économie contrevient gravement à l’ordre créationnel de Dieu qui englobe notamment la propriété privée ainsi que la libre initiative économique orientée vers la satisfaction des légitimes besoins personnels et vouée au bien commun.

Mais l’auteur s’oppose tout autant à un capitalisme débridé dont les acteurs principaux ne poursuivent que la maximisation de leurs revenus et de leurs gains spéculatifs sans aucun souci de l’intérêt général et au mépris de toute distribution un tant soit peu équitable des richesses générées au travers de l’effort de tous. Comme Pierre Viret, il désapprouve fortement les comportements des nouveaux riches qui « se glorifient de façon arrogante de leur nouvelle prospérité » et qui accumulent au détriment des personnes plus défavorisées. Ici, Jean-Marc Berthoud se souvient très vraisemblablement de cette vigoureuse parole du Fils de Dieu : « Malheur à vous riches … » (Luc 6 : 24).

L’auteur met en cause les prémisses philosophiques du capitalisme débridé. Il récuse à juste titre la pensée d’Adam Smith selon laquelle la prospérité pour tous résulterait de « la main cachée », d’un mécanisme scientifique autorégulateur, cela indépendamment des motivations des acteurs de l’économie. Jean-Marc Berthoud persuade sans peine lorsqu’il affirme que les actes économiques moralement mauvais ne sauraient produire des biens et des services de qualité en abondance et répartis équitablement par la simple vertu aveugle des mécanismes du marché.

L’auteur décrit remarquablement les limites et les fondements erronés de l’État-Providence dans ce passage magnifique du livre qu’il vaut la peine de citer intégralement : « Nous voyons bien ici à quel point l’observation générale, tant des aspects négatifs que positifs de ce commandement (l’interdiction de dérober), pourrait sans peine remplacer la bienveillance administrative, froide et inhumaine – mais en réalité très fragile – qu’est la bonté factice de cet État Providence qui aujourd’hui prend la place que devrait tenir dans la société l’amour concret des hommes et des femmes les uns envers les autres. Ce que nous appelons l’État social, ou l’amour pseudo-providentiel de l’admi­nistration publique et des services sociaux est, dans la réalité, une réponse boiteuse, fragile et facilement détruite aux misères de notre monde qui tient toute sa force, avant tout de la disparition de cet amour fraternel que représenterait l’obéissance de cœur des chrétiens et des Églises à notre huitième commandement : Tu ne voleras pas. Ceci n’est pas un accident, mais une substitution consciente de la part des hommes cherchant à remplacer la Providence de Dieu par un État providentiel : le paradis révolutionnaire qui n’attend plus une espérance future. »

Jean-Marc Berthoud s’inscrit même dans une forme de modernité inattendue, aux accents écologiques, lorsqu’il s’exprime ainsi au sujet de la croissance : « L’idée d’un progrès constant et illimité de la production économique, cela dans tous les domaines, est le contraire même du bien et la source de déstabilisations de tous ordres. La croissance du bien-être matériel comme finalité absolue de l’activité humaine est un mirage autodestructeur. »

Cela dit, l’auteur insiste sur le fait que le marché relève lui aussi, à l’instar de la propriété privée et de la monnaie en tant que moyen d’échange, de l’ordre créationnel de Dieu.

Toutefois, pour que le marché, la propriété privée et la monnaie déploient leurs effets positifs pour tous les êtres humains, et notamment pour les plus défavorisés, ces institutions créationnelles doivent être assujetties « aux exigences économiques et financières de la Loi de Dieu ». Jean-Marc Berthoud précise en particulier que les êtres humains jouissent de leurs propriétés privées uniquement par délégation, Dieu demeurant le propriétaire premier et ultime de tous les biens. Cela implique que les propriétés privées peuvent certes être utilisées pour satisfaire les besoins légitimes de leurs titulaires mais qu’elles doivent aussi l’être en vue du bien commun et pour permettre aux plus pauvres d’en profiter indirectement comme le prescrit la Bible elle-même.

Jean-Marc Berthoud subordonne le bon fonctionnement d’un système économique selon l’ordre créationnel divin à une ultime et importante condition : que les propriétaires des moyens de production œuvrent avant tout au bien commun et que les personnes moins favorisées matériellement n’envient pas la fortune et les revenus des plus riches.

Il ne fait aucun doute que respect du 8^e commandement aussi bien au niveau individuel que sur le plan collectif déploierait des incidences bénéfiques immenses ! On ne trahit certes pas la pensée de Jean-Marc Berthoud en affirmant que s’il abhorre le capitalisme spéculatif, il reconnaît les bienfaits du capitalisme productif ou encore en prétendant que s’il regrette avec véhémence les conflits sociaux issus des envies et des égoïsmes des uns et des autres, il salue au contraire la paix sociale entraînée par le contentement et par la recherche du bien commun de tous les acteurs de la vie économique et sociale.

Jean-Marc Berthoud termine ses développements sur le 8^e com­mandement par des considérations bibliques très importantes sur la dîme. Ce souci de conclure par des réflexions qui tiennent de la théologie pratique l’amène à exhorter le peuple de Dieu à s’acquitter de la dîme pour trois raisons foncièrement bibliques.

L’auteur appelle les chrétiens à donner d’abord pour exprimer leur consécration personnelle à Dieu. Il s’agit de l’équivalent de l’exercice de la dîme de la fidélité, la dîme des fêtes. Ensuite pour maintenir le culte communautaire. C’est l’équivalent de l’exercice de la dîme de justice, du droit lévitique. Ils donnent ainsi pour soutenir les apôtres, les pasteurs et docteurs, les anciens – évêques. Finalement pour soulager les besoins sociaux de la communauté des croyants. C’est l’exercice de la dîme de miséricorde.

Dans ses réflexions, Jean-Marc Berthoud se réfère à la Somme théologique de Thomas d’Aquin. À considérer l’ampleur, la profondeur et la pertinence de ses réflexions sur le 8^e commandement, on dira que l’auteur dont nous venons de dégager brièvement la pensée y relative a commis ici un livre remarquable. Cet ouvrage représente une véritable Somme théologique sur le vol, sur ses motivations spirituelles, sur ses implications à la fois individuelles et collective ainsi que sur la nécessité de s’en détourner au travers d’une véritable repentance.