Un homme foudroyé par Dieu

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Un homme foudroyé par Dieu

par Walter Weideli

Il est rare qu’une conversion soit aussi soudaine et brutale que celle de saint Paul. L’homme que nous rencontrons, dans ce troisième volet de notre série, fut lui aussi aveuglé, détourné de son chemin. Mais sa monture à lui avait pour nom Orgueil. Il perdit du jour au lendemain la vision assurée qu’il s’était faite de lui-même et des hommes. Universitaire promis à une brillante carrière, il dut retrouver l’équilibre, l’intelligence et l’identité. Voici donc, raconté par Walter Weideli, le destin hors-série de Jean-Marc Berthoud.

Un dimanche soir de printemps 1966, un jeune homme du nom de Jean-Marc Berthoud se tient avec son amie, sa fiancée presque, sur un quai de la gare de Neuchâtel. Il attend le départ de l’omnibus qui doit la ramener dans le bourg où elle enseigne. Il converse tranquillement avec elle. Il ne se doute pas que dans quelques secondes, Dieu le foudroiera.

Dieu, le jeune Berthoud n’y croit pas. Bien que fils de missionnaire, il ne se souvient pas d’avoir réellement adhéré, même enfant, à la foi de ses parents. Non qu’il soit hostile à ces choses : simplement, il s’en désintéresse. Ses maîtres à penser seraient plutôt du côté de Stendhal, de Nietzsche. Il est vrai qu’il jouit d’une redoutable intelligence. À vingt ans déjà, il remportait sa licence ès lettres dans son Afrique du Sud natale et se voyait offrir une bourse en Sorbonne par le gouvernement français.

À l’époque, il dénonçait dans le racisme le mal absolu. Quelques semestres à Paris, puis à Londres ont enrichi et affiné sa vision des choses. Retourné en Suisse, terre de ses ancêtres, il essaie depuis plusieurs années de mener à chef une thèse en histoire coloniale. Son sujet : l’affrontement de deux civilisations dans le bassin du Congo, livré à la rapacité des compagnies commerciales par les autorités belges et françaises. Un choc effroyable : cinq millions de morts entre 1884 et 1908. L’écrasement de l’antique culture tribale où toute activité humaine se voyait ordonnée par de hautes valeurs spirituelles. Le triomphe sanglant de la concurrence et de la rationalité.

Ce projet de doctorat s’est un peu perdu dans les dunes. Les recherches de Jean-Marc Berthoud tendent curieusement à proliférer. À mesure qu’il progresse dans l’étude de son sujet, il s’oblige à explorer de toujours nouvelles disciplines jugées indispensables : ethnographie, anthropologie, économie, éthique sociale, et cætera … L’affaire du Congo foisonne et déborde : ce conflit entre une vieille tradition rurale intuitive et un humanisme désintégrateur, l’Europe l’a, elle aussi, connu au XVIième siècle, et le connaît encore. Le sujet est illimité, inépuisable : Jean–Marc Berthoud se sent pris de vertige. Plus tard, il se soupçonnera lui-même de s’être complu dans une adolescence attardée. Que veut-il fuir ? La nécessité de s’intégrer dans une société qu’au plus profond des viscères, il déteste et méprise ? Réussir, n’est-ce pas jouer des coudes, forcer le chemin, écraser les autres ?

Sourde angoisse

Son amie, sa presque fiancée, ignore ces scrupules. Elle a pour lui de grandes ambitions. Professeur d’université ?, pourquoi pas : n’ en a-t-il pas l’ envergure intellectuelle ? Lui, cependant, ne peut se défendre d’une sourde angoisse. À l’école de commerce où il enseigne depuis peu, il s’est rendu compte qu’il y avait en lui «quelque chose de faible». Il lui est de plus en plus difficile de mener une classe. Ou il se montre trop familier, ou il conteste le programme. S’ensuivent des pétitions d’élèves et des mises en garde de la direction. Cette conscience honteuse de sa propre faiblesse, Jean-Marc Berthoud la compense par une philosophie orgueilleusement élitaire. Son amie, apparemment, la partage. Apparemment, car il se convaincra par la suite qu’elle jouait double jeu, l’entraînant à son insu vers les eaux troubles du marxisme abhorré. Un problème, cette fille. « Je décidais quelque chose, elle voulait le contraire, on discutait, et cinq minutes après je cédais contre mon gré, en rageant. » Envoûté, le pauvre Jean-Marc.

Mais ce dimanche-là, tout s’est merveilleusement passé. « Nous parlions de nous marier, se souvient Jean-Marc Berthoud. Une très agréable journée. Nous avions eu la joie de revoir une personne que nous aimions beaucoup, une tante que j’avais a` Bienne et qui, à nonante ans, gardait un esprit de jeune fille. Nous sommes descendus du train à Neuchâtel où je restais, tandis que mon amie devait rentrer à Orbe. Nous voilà donc sur le quai de la gare en train de nous dire au revoir : une situation tout à fait paisible, normale. Nous restons un moment silencieux et tout à coup, sans aucun avertissement, j’ai fait l’expérience du néant absolu. Je n’avais plus aucune sensation physique, comprenez-vous ? aucun sentiment, même pas d’angoisse. Simplement la conscience du néant. La conscience extrêmement nette que c’était fini, que j’étais mort. Je ne sentais plus mes pieds, plus mon corps, plus ma propre personne. À cet instant, mon amie se retourne, elle me regarde et me dit : « où est-tu ? », et moi je lui réponds : « je ne sais pas, mais je suis foutu. Je ne sais pas ».

« Puis le train est venu, elle est montée dans le train et moi je suis rentré chez moi. J’avais une chambre près de l’hôpital Pourtalès, une mansarde que me louait une famille d’Italiens. Un coin à moi, avec un fourneau à bois, un lit, une table, une petite bibliothèque toute simple. Je suis rentré chez moi et j’ai téléphoné à mon frère, qui faisait des études de théologie. Il n’a rien su me dire. D’ailleurs je ne m’intéressais pas à la religion, je vous l’ai dit. Tout cela me paraissait ridicule. Ridicule et angoissant. Mais qu’est-ce qui t’arrive ? me répétais-je continuellement, car j’étais toujours dans le même état de néant. »

Tandis qu’il s’interroge ainsi, Jean-Marc Berthoud laisse tomber son regard sur un livre resté ouvert sur sa table. Le « Traité des scandales » de Calvin, qu’il étudiait ces jours pour des raisons purement littéraires, dans l’optique toujours de sa fameuse thèse.

« J’avais trouvé cet ouvrage dans la bibliothèque de mon père, décédé entre-temps. Je m’assieds et lis cette phrase : « Quiconque, dans la détresse, crie à Dieu, Dieu ne le délaissera jamais ». J’ignorais que c’était une citation de l’Écriture. Je lis ça et je n’en crois pas mes yeux. Mais qu’est-ce ça veut dire ? ; je ne crois pas en Dieu : Il n’existe pas. Et je n’arrête pas de relire cette phrase, et ce livre est resté ouvert là environ deux semaines. Je ne connaissais pas du tout Pascal, mais j’ai fait un peu son pari. J’ai dit ceci : attention soyons tout à fait au clair, je te prie sans croire en Toi. Ce n’est pas à moi de Te chercher : c’est à Toi de Te révéler si Tu existes. »

« Le lendemain de ce dimanche, j’avais évidemment à reprendre mes cours. J’en étais bien incapable dans l’état de délabrement où je me trouvais. J’ai trouvé du travail dans le jardin de l’hôpital de Pourtalès, juste à côté de l’endroit où j’avais ma mansarde. J’y ai travaillé, ou plutôt essayé de travailler pendant plusieurs mois. Je m’en souviens très clairement : c’était au printemps, il fallait laver de petites caissettes de semis, et je devais prier continuellement pour pouvoir le faire, si grande était ma désarticulation physique. Heureusement que le jardinier était ivrogne ! »

À vingt-six ans, Jean-Marc Berthoud voit chavirer son univers. Tous ses projets sont anéantis. Il ne peut se concentrer sur une lecture plus d’un quart d’heure par jour. L’amie, voyant s’effondrer son ascendant, ses ambitions, devient malade : elle ne reviendra plus. C’est la nuit, le vide. Il songe d’abord à consulter, malgré sa répugnance, un psychiatre : les circonstances, mystérieusement, l’en empêchent. Il réalise alors que le travail manuel est nécessaire à son salut, que tout son être doit être reconstruit et que cela prendra du temps. Il lit la Bible ; les Évangiles lui restent fermés. Ils s’ouvriront plus tard. Mais il trouve dans Jérémie l’écho de sa propre détresse. Saint Paul lui révèle son indignité, son désordre. Il s’écrase de douleur sous le jugement de Dieu. « J’avais idolâtré le sexe ». Peu a` peu, le sens de ses épreuves s’éclaire. Il reconnaît subitement dans la question de son amie ce dimanche-là – Mais où es-tu ? – celle que Dieu posait à Adam dans le jardin d’Éden.

Et moi !

« Cela voulait dire : où es-tu, qu’as-tu fait de ta vie sans Moi ? Tu es fier, orgueilleux, sûr de toi : Je vais te montrer qui tu es. Et Il a tiré le rideau, et j’ai découvert ma mort spirituelle. Ainsi, les racines du mal contre lequel je m’étais révolté, Dieu me révélait qu’elles n’étaient ni sociales, ni politiques, mais en moi. J’étais « mort dans le péché » comme dit saint Paul, et maintenant, je me mettais à revivre dans ce travail de jardinier, d’aide-jardinier, que lentement j’apprenais à faire toujours mieux. »

Jardinier, Jean-Marc Berthoud le restera pendant cinq ans, jusqu’au moment où une connaissance lui proposera de la remplacer comme porteur en gare de Lausanne. Plus tard encore, quand les chariots à bagages auront coulé le métier, il se repêchera comme auxiliaire à la poste, emploi précaire s’il en est qu’il occupe toujours, alors qu’il a charge de cinq enfants. Ce qui ne devait être a` l’origine qu’un expédient, une thérapie temporaire dure maintenant depuis presque vingt ans. L’homme, cependant, a retrouvé toutes ses forces intellectuelles. Quand a-t-il vraiment compris que le travail manuel serait désormais son lot ?

La question le trouble. « Quand j’ai su que cette amie ne reviendrait pas », répond-il en balbutiant un peu. Puis aussitôt, il se corrige : cet état d’insécurité et d’inconsidération, Jean-Marc Berthoud l’a voulu, assumé, choisi pour témoigner de sa foi.

Je lui demande si ce choix fut difficile. « Oui », fait-il simplement.

Pourquoi ?
– Parce que c’était une humiliation.

Les Béatitudes

L’aveu, visiblement, lui a coûté. J’insiste ; je veux savoir comment il a surmonté cette humiliation, lui, brillant universitaire comment assume-t-il des tâches que le monde méprise. « En regardant au Christ », répond-il avec un rire affaibli, un peu saccadé. « Si le Christ s’est humilié pour nous, comment des chrétiens peuvent-ils montrer tant d’empressement à fuir les humiliations, l’obscurité, le dénuement ? Dans ma chute il y avait une leçon : je ne l’ai pas comprise en un jour. En même temps il y avait en moi une forte résistance, et en même temps le sentiment croissant que c’était vraiment le chemin qu’il fallait que je suive. Quand je l’acceptais, je trouvais la paix et la joie : quand je m’insurgeais, je retombais dans mes tourments. »

À la gare de Lausanne, Jean-Marc Berthoud connaît les Béatitudes. Son salaire est dérisoire : pas de fixe, 1 franc 50 centimes la valise. Entre deux trains, il s’assied sur un char, sort un livre de sa poche, prend des notes, rédige des articles. Il accumule non seulement une vaste culture théologique, mais développe une capacité de concentration peu commune. En même temps, il découvre que le principe d’Archimède s’applique aussi en morale. Par le levier de la prière, les faibles sont appelés à confondre les forts. À la salle des porteurs règne le langage le plus ordurier. Sans remontrances, par la seule vertu du silence, Jean-Marc Berthoud change le pli : les histoires obscènes disparaissent. Un jour, il reconnaît un voyageur qu’il a vu en photo dans un journal. C’est le Père Bruckberger. Il l’interroge sur Thomas d’Aquin tout en transportant ses valises.

Le Père est frappé par son intelligence, sa douceur, sa discrétion. Il ignorera pendant des années l’identité de ce jeune homme aux yeux si désarmants qu’il revoit au hasard de ses voyages. « Il n’a rien d’un courtisan, écrira-t-il dans une chronique reprise par le « Reader’s Digest » [voir le texte complet ici], il ne se prévaut auprès de moi d’aucun privilège, il n’a pas la moindre honte de sa condition, il prend un soin exact de mes bagages. »

C’est au début de cette activité de porteur que Jean-Marc Berthoud rencontre une infirmière, Rose-Marie Monot, qui deviendra sa femme l’année suivante.

Née comme lui dans une famille de missionnaires, et qui plus est au Congo, elle a fait elle aussi sa conversion. Un verset de l’Évangile l’a plus particulièrement interpellée ; elle aura mis des années à en comprendre pleinement le sens. « Venez à moi vous tous qui êtes fatigués et chargés, car mon joug est facile et mon fardeau léger. » Depuis trois ans, elle évangélise ses camarades infirmières dont la plupart ont de gros problèmes de solitude. Jean-Marc et Rose-Marie fréquentent le même groupe biblique. Ce n’est pas précisément le coup de foudre.

Rose-Marie Berthoud : « Je l’ai trouvé original, intéressant, sans penser plus loin. Seulement, j’ai remarqué que chaque fois que je voulais prier, mes pensées étaient dirigées vers lui. J’ai trouvé cela bizarre et j’ai eu un sentiment d’énervement. Je me suis dit : alors non, surtout pas lui ! J’étais libre comme l’air : je n’avais aucune envie de voir quelqu’un diriger mes affaires, et encore moins mes sentiments. Mais Dieu ramenait toujours mes pensées a` lui. Voyant ça. je me suis écriée : « Mais alors, Seigneur, si c’est vraiment lui, alors donne-moi beaucoup d’amour et de patience ! » Et l’amour est venu, j’en ai été toute étonnée moi-même, lui, bien sûr, ne voyait rien. Mais un jour que je l’appelais « mon cher frère » pour le taquiner, il s’est vexé. Cela lui a ouvert les yeux et il m’a fait sa déclaration en me lisant une poésie du XVIième siècle. »

Cela commence comme une histoire pour enfants sages. Ferait-on le premier pas si l’on connaissait la suite ? Rose-Marie se souviendra souvent de cette parole du Christ à Pierre : « Plus tard un autre te conduira où tu ne voudras pas. » Elle rêvait de partir avec Jean-Marc, de devenir missionnaire. Mais déjà Natacha est là, puis Micaël, puis Valérie, puis Marie-Madeleine, puis Marc-Olivier : cinq enfants en sept ans. Les filles d’aujourd’hui ne sont pas préparées à être mères. Infirmière, Rose-Marie était libre, responsable : la voilà prisonnière. Même si Jean- Marc ramène certains soirs des personnes intéressantes, comment en profiter, fatiguée de ses journées comme elle l’est ? Et puis Jean-Marc, les premières années, est encore bien fragile : ses réactions sont violentes, imprévisibles. « Je me disais parfois que j’aurais préféré un mari bien stable, avoue-t-elle avec simplicité. Alors Dieu me rappelait qu’il ne faut pas regarder aux apparences, que le Christ avait été méprisé, abandonné des hommes. En voyant Jean-Marc prêt il reconnaître ses torts, et nous sachant tous deux si désireux de progresser avec le Christ, je me sentais délivre de de ma peur, et je retrouvais l’espoir. »

Et la pauvreté, l’incertitude du lendemain, en souffre-t-elle ?

Non, Rose-Marie Berthoud n’en est pas autrement angoissée, sauf peut-être certains soirs de grande fatigue. À quoi bon se faire d’éternels soucis comme Jean-Marc ? Dieu ne les a-t-Il pas miraculeusement tirés d’affaire chaque fois que tout semblait à vues humaines perdu ?

Ce qui est plus dur, c’est le mépris, l’isolement. Les dames qui vous traitent d’irresponsable dans le bus parce que vous avez cinq enfants. Les amis chrétiens qui se détournent parce que Jean-Marc refuse de s’élever avec des moyens intellectuels comme les siens.

Il y a quelque chose de presque monastique dans ce renoncement de toute une famille à ce qui agite et pervertit le monde. La maison même qu’elle habite a l’air d’un petit couvent cistercien caché dans un vallon en plein Lausanne. Un grand sapin en abrite l’entrée. L’escalier a l’odeur oublié des immeubles populaires d’autrefois. La porte, au dernier étage, est grande ouverte pour vous accueillir. Ici, l’on n’entend jamais la télévision, et rarement la radio. Chacun joue d’un instrument, qui le violon, qui la flûte, qui le piano. Le soir on lit et commente la Bible en famille. Les repas sont économiques, les vêtements décents. Les enfants se tiennent poliment à table : ils répondent avec une modestie paisible et réfléchie. Certes, il ne leur est pas toujours facile de voir leurs camarades s’offrir tout ce qu’ils veulent. Il faut alors leur montrer ce qu’ils ont eux-mêmes d’irremplaçable : des parents présents, attentifs, unis. Et quand Natacha, l’aînée, se voit en butte à de petites calomnies envieuses, ou qu’on lui vole ses crayons et ses gommes, sa mère lui révèle que c’est cela la malédiction des richesses : plus on a et plus on convoite.

« Je suis persuadé, observe Jean-Marc Berthoud, qu’ils comprennent le sens de mon combat. Une de leurs prières du soir qui m’étonne et m’émeut toujours, c’est que plus de gens s’intéressent au travail de papa. »

Le « travail de papa », l’autre, le bénévole, celui qui donne un sens à tous ces renoncements, remplit au bout de dix ans un énorme colis de brochures polycopiées que le facteur m’apporte en ployant sous le faix. De 1973 à 1978. Jean-Marc Berthoud a publié avec quelques amis dix-neuf numéros d’une re- vue doctrinale et apologétique intitulée « Documentation chrétienne ». L’année suivante, il fondait l’« Association vaudoise de parents chrétiens », dont il est toujours le secrétaire et rédige les cahiers.

Le moins qu’on puisse dire. C’est que ces écrits vont à contre-courant. Ce que Jean- Marc Berthoud dénonce avec une obstination pathétique et parfois déroutante, c’est l’effritement par l’intérieur de la foi réformée. Gangrénée par la philosophie des « Lumières » et son héritier, le marxisme, elle finit selon lui par se réduire à un piétisme craintif, rétréci, sans prise sur le réel. Les professeurs à l’entendre, sont les premiers à trahir la foi des apôtres. Comment s’étonner que l’influence chrétienne sur la cité s’amenuise de jour en jour ? Or Jean-Marc Berthoud entend y rappeler, sinon y rétablir, la loi de Dieu. Ses flèches théologiques fusent en tous sens : elles n’épargnent ni le transformisme, ni l’école moderne, ni la réforme du code pénal, ni l’émancipation de la femme, ni le nudisme public, ni la musique rock. C’est se faire beaucoup d’ennemis à la fois. Passe encore s’ils ripostaient, mais le plus souvent les médias font silence : il faut se résigner à l’audience incertaine et ponctuelle du samizdat (de l’autoédition).

Comme je lui rappelle qu’il y a quatre ans, il s’efforçait d’obtenir une bourse d’étudiant en théologie, « Je suis heureux qu’on me l’ait refusée pour raison d’âge, répond superbement Jean-Marc Berthoud. C’eût été comme si Soljénitsyne recevait l’appui du parti communiste. »

Une erreur, cette démarche. Une tentation dans un moment de désarroi. « Je ne voyais plus de quelle façon m’en sortir », confesse Jean-Marc Berthoud.

Mais aussi comment ne pas douter, fléchir, murmurer par instants quand la besogne alimentaire épuise vos forces, et que les tâches se multiplient, et que les appuis restent avares, et qu’il faut se garder à chaque pas des alliances impures, et que l’intransigeance en vous est insatiable, et que Dieu vous met depuis tant d’années à l’épreuve ?

 « Il y a un grand danger, soupire Rose-Marie. C’est que la parole soit étouffée par les soucis de la vie. »

Construire, Numéro vingt-sept du 4 juillet 1984.