Une analyse structurelle des diverses lois

par | Association Vaudoise de Parents Chrétiens

  1. UNE ANALYSE STRUCTURELLE
    DES DIVERSES LOIS :
    ÉTERNELLE, NATURELLE, HUMAINE
    ET DIVINE[1]

Jean-Marc Berthoud

D’après un sermon donné dans l’Église Évangélique Réformée de Sion le dimanche 8 juillet 2001 le jour suivant la manifestation de la « Gay Pride » à Sion.

Introduction

Il est possible de considérer l’analyse des divers aspects de la loi de différentes manières. Traditionnellement la théologie réformée a distingué les

I. Les trois usages de la loi divine révélée :

(a) Pour convaincre l’homme de son péché.

(b) Pour conduire l’action de l’autorité établie par Dieu sur la société.

(c) Pour diriger la marche du chrétien.

Cette même théologie, à la suite des distinctions établies apparemment pour la première fois par Thomas d’Aquin, distinguait parmi,

II. Les trois aspects de la loi divine révélée :

(a) La loi morale,

(b) la loi cérémonielle,

(c) la loi judiciaire.

L’ancienne théologie, celle de saint Augustin par exemple, n’opérait qu’une double distinction, entre la loi morale, d’une part, (qui incluait la différenciation qu’opéraient Thomas d’Aquin et Jean Calvin entre loi morale et loi judiciaire) et la cérémonielle, de l’autre.

Tout ceci est fort bien connu des milieux se réclamant de la théologie réformée classique telle qu’elle a été enseignée par le passé par des hommes tels Jean Calvin, Pierre Viret, François Turrettini ou Bénédict Pictet et par leurs successeurs du siècle passé, les Benjamin Warfield, Herman Bavinck, John Murray, Louis Berkhof, Rousas Rushdoony et Greg Bahnsen et, dans le monde francophone, par les figures de Pierre Marcel, Pierre Courthial, Aaron Kayayan et Paul Wells. Mais, par cette modeste étude, je souhaiterais brièvement attirer l’attention du lecteur sur une toute autre dimension de l’enseignement biblique relative aux divers aspects de la loi Divine, une dimension présente dans la théologie patristique et scolastique, mais souvent ignorée dans nos milieux évangéliques et réformés. D s’agit de,

III. Les quatre aspects de la loi :

(a) La loi éternelle.

(b) La loi naturelle.

(c) La loi humaine.

(d) La loi divine.

Les quatre aspects de la loi

(a) La loi éternelle

Il s’agit de la pensée intemporelle, étemelle de Dieu.

C’est son décret éternel.

Dans sa simplicité, la pensée de Dieu englobe d’un seul regard l’ensemble de la réalité créée.

Dieu voit tout d’un seul regard.

Notre pensée – un écho de la pensée divine – est toujours partielle et fragmentaire car nous sommes des êtres limités qui ne peuvent jamais voir toutes choses d’un seul coup d’œil.

Le grand danger pour l’homme est de vouloir penser que le fait qu’il soit créé à l’image et à la ressemblance de Dieu le place sur le même niveau épistémologique que son Créateur.

Rien ne saurait être plus faux.

C’était le problème essentiel de Job dans sa discussion avec Dieu, discussion où lui, homme reconnu juste par Dieu, demandait à son Créateur des comptes concernant les épreuves par lesquelles ce dernier le faisait passer.

Il ne tenait pas suffisamment compte de la vérité exprimée par ce texte du Deutéronome :

Les choses cachées sont à l’Éternel, notre Dieu ; les choses révélées sont à nous et à nos fils, à perpétuité, afin que nous mettions en pratique toutes les paroles de cette loi.

(Deutéronome 29 : 28)

La loi éternelle de Dieu contient à la fois les choses de Dieu qui demeurent cachées en lui et que nous ne pouvons pas atteindre, et les choses qu’il a cru bon de révéler aux hommes. Ces dernières nous donnent un aperçu, certes partiel, mais dans leur propre ordre vrai, de certains des attributs de Dieu.

Job ne tenait pas assez compte de la différence de mesure et d’ordre qui existe entre Dieu et l’homme. La fin du livre nous montre Job commençant à mieux comprendre la vérité que l’apôtre Paul cherchait à expliquer aux Chrétiens de Rome :

Que dirons-nous donc ? Y a-t-il en Dieu de l’injustice ? Certes non ! Car il dit à Moïse : Je ferai miséricorde à qui je ferai miséricorde, et j’aurai compassion de qui j’aurai compassion. Ainsi donc, cela ne dépend ni de celui qui veut, ni de celui qui court, mais de Dieu qui fait miséricorde. Car l’Écriture dit à Pharaon : Je t’ai suscité tout exprès pour montrer en toi ma puissance et pour que mon nom soit publié par toute la terre. Ainsi, il fait miséricorde à qui il veut, et il endurcit qui il veut.

Tu me diras donc : Qu’a-t-il encore à blâmer ? Car qui résiste à sa volonté ? Toi plutôt, qui es-tu pour discuter avec Dieu ? Le vase modelé dira-t-il au modeleur : Pourquoi m’as-tu fait ainsi ? Le potier n’est-il pas maître de l’argile, pour faire avec la même pâte un vase destiné à l’honneur et un vase destiné au mépris ? Et si Dieu, voulant montrer sa colère et faire connaître sa puissance, a supporté avec une grande patience des vases de colère formés pour la perdition ? Et s’il a voulu faire connaître la richesse de sa gloire à des vases de miséricorde qu’il a d’avance préparés pour la gloire ?

(Romains 9 : 14-24)

Nous voyons ainsi à quel point l’intelligence divine dépasse celle des hommes. C’est à cette intelligence incomparable que se réfère la loi éternelle. Nous le voyons fort bien, comme nous venons de le dire, dans les rapports de Job avec Dieu, et en particulier dans les questions que Dieu adresse à son serviteur Job :

L’Éternel répondit à Job du milieu de la tempête et dit :

Qui est celui qui obscurcit mes desseins

Par des propos dénués de connaissance ?

Mets une ceinture à tes reins comme un (vaillant) homme ;

Je t’interrogerai, et tu m’instruiras.

Où étais-tu quand je fondais la terre ?

Déc lare-le, si tu le sais avec ton intelligence.

Qui en a fixé les mesures, le sais-tu ?

Ou qui a étendu sur elle le cordeau ?

Dans quoi ses bases sont-elles enfoncées ?

Ou qui en a posé la pierre angulaire,

Alors qu’ensemble les étoiles du matin éclataient en chants de triomphe,

Et que les fils de Dieu lançaient des acclamations ?

Qui a fermé la mer avec des portes,

Quand elle s’élança et sortit du sein maternel ;

Quand je fis de la nuée son vêtement,

Et de l’obscurité ses langes ;

Quand je lui fixai mes prescriptions,

Et que je lui mis des verrous et des portes ;

Quand je dis : Tu viendras jusqu’ici, tu n’iras pas au-delà ;

Ici s’arrêtera l’orgueil de tes flots ?

Depuis que tu existes, as-tu commandé au matin ?

As-tu fais connaître sa place à l’aurore,

Pour qu’elle saisisse les bords de la terre,

Et que les méchants en soient secoués ?

(Job 38 : 1-13)

Dieu continue à questionner Job ainsi pendant près de quatre chapitres. Au milieu de son discours, Dieu dit à Job :

L’Éternel reprit la parole et dit à Job :

Le discutailleur va-t-il faire un procès au Tout-Puissant ?

Celui qui conteste avec Dieu a-t-il une réponse à cela ?

Job répondit à l’Eternel :

Je mets la main sur ma bouche.

J’ai parlé une fois, je ne répondrai plus ;

Deux fois, je n’ajouterai rien.

(Job 40 : 1-5)

Au Psaume 104 nous lisons les paroles du psalmiste qui reconnaît la grandeur de Dieu, paroles qui auraient été bienvenues dans la bouche de Job :

Mon âme, bénis l’Éternel !

Eternel, mon Dieu, tu es infiniment grand !

Tu es revêtu d’éclat et de magnificence !

Il s’enveloppe de lumière comme d’un manteau ;

Il étend les deux comme une tenture.

Il fixe sur les eaux ses hautes demeures,

Il prend les nuées pour son char, Il s’avance sur les ailes du vent.

Il fait des vents ses messagers, Des flammes de feu ses serviteurs.

Il a établi la terre sur ses fondements, A tout jamais elle est inébranlable.

Tu l’avais couverte de l’abîme comme d’un vêtement, Les eaux se tenaient sur les montagnes ;

Elles fuyaient devant ta menace,

Elles se précipitaient à la voix de ton tonnerre.

Des montagnes s’élevaient, des vallées s’abaissaient

Au lieu que tu leur avais établi.

Tu as posé une limite que (les eaux) ne doivent pas franchir,

Afin qu’elles ne reviennent pas couvrir la terre.

(Psaume 104 : 1-9)

Nous voyons ici le psalmiste exalter la toute-puissance et l’infinie intelligence du Dieu créateur, de Celui qui dirige l’histoire du cosmos. Il évoque sous nos yeux du point de vue de Dieu les événements du Déluge. Ceci nous conduit aux réflexions du prophète Ésaïe qui s’écrie en évoquant la joie de l’Éternel à faire miséricorde :

Car mes pensées ne sont pas vos pensées,

Et vos voies ne sont pas mes voies,

– Oracle de l’Éternel.

Autant les deux sont élevés au-dessus de la terre, Autant mes voies sont élevées au-dessus de vos voies Et mes pensées au-dessus de vos pensées.

(Ésaïe 55 : 8-9)

Voyons maintenant quelques indications bibliques concernant le caractère de cette intelligence divine incommensurable. Voici ce que le prophète dit de son Dieu :

Qui a mesuré les eaux dans le creux de sa main, Fixé les dimensions des deux avec la paume, Celle de toute la poussière de la terre dans un tiers de mesure ?

Qui a fixé une mesure à l’Esprit de l’Éternel, Et qui a fait connaître son avis ?

Avec qui a-t-il délibéré,

Pour en recevoir de l’instruction ?

Qui lui a appris le sentier du droit ?

Qui lui a enseigné la sagesse

Et fait connaître le chemin de l’intelligence ?

(Ésaïe 40 : 12-14)

Plus loin dans le même chapitre nous lisons :

A qui me comparerez-vous, Pour que je lui ressemble ? Dit le Saint.

Levez les yeux en haut et regardez !

Qui a créé ces choses ?

C’est celui qui fait sortir leur armée au complet.

Il les appelle toutes par leur nom,

Par son grand pouvoir et par sa force puissante :

Pas une qui fasse défaut.

Pourquoi dis-tu Jacob,

Pourquoi répètes-tu, Israël :

Ma destinée est cachée à l’Éternel,

Mon droit passe inaperçu de mon Dieu ?

Ne l’as-tu pas reconnu ?

C’est le Dieu d’éternité, l’Éternel,

Qui a créé les extrémités de la terre ;

Il ne se fatigue ni ne se lasse ;

Son intelligence est insondable,

Il donne la force à celui qui est fatigué

Et il augmente la vigueur de celui qui est à bout de ressources.

Les adolescents se fatiguent et se lassent, Et les jeunes hommes trébuchent bel et bien ;

Mais ceux qui espèrent en l’Éternel renouvellent (leur) force.

Ils prennent leur vol comme les aigles ;

Ils courent et ne se lassent pas,

Ils marchent et ne se fatiguent pas.

(Ésaïe 40 : 25-31)

Jérémie ne dit pas autre chose :

Il a fait la terre par sa puissance,

Il a fondé le monde par sa sagesse,

Il a étendu les deux par son intelligence.

Lorsqu’il donne de la voix,

Les eaux s’amassent dans le ciel ;

Il fait monter les nuages du bout de la terre, il produit les éclairs pour la pluie, Il fait sortir le vent de ses réservoirs.

Tout homme devient stupide par sa connaissance, Tout orfèvre est honteux de sa statue ;

Car ses idoles ne sont que fausseté,

Il n’y a pas en elles de souffle,

Elles ne sont que vanité,

Une œuvre ridicule ;

Elles disparaîtront,

Quand viendra leur châtiment.

Celui qui est la part de Jacob n’est pas comme elles ;

Car c’est lui qui façonne tout, Et Israël est la tribu de son héritage. L’Éternel des armées est son nom.

(Jérémie 10 : 12-16)

Enfin, voyons ce que nous dit Daniel de cette sagesse, de cette ineffable lumière divine, lorsque Dieu lui révéla le songe de Nébukadnetzar et sa signification :

Alors le mystère fut révélé à Daniel dans une vision pendant la nuit.

Et Daniel bénit le Dieu des deux. Daniel prit la parole et dit :

Béni soit le nom de Dieu,

D’éternité en éternité !

A lui appartiennent la sagesse et la force. C’est lui qui change les temps et les circonstances, Qui renverse les rois Et qui établit les rois, Qui donne la sagesse aux sages Et la science à ceux qui ont de l’intelligence.

C’est lui qui révèle ce qui est profond et caché, Qui connaît ce qui est dans les ténèbres, Et la lumière demeure avec lui.

Dieu de mes pères, Je te célèbre et je te loue Pour la sagesse et la force que tu m’as données, Car tu m’as fait connaître ce que nous t’avons demandé, Et tu nous as fait connaître ce qui concerne le roi.

(Daniel 2 : 19-23)

Face à une telle sagesse et une pareille puissance nous pouvons nous écrier avec l’apôtre Paul :

O profondeur de la richesse, De la sagesse

Et de la connaissance de Dieu !

Que ses jugements sont insondables Et ses voies incompréhensibles ! En effet,

Qui a connu la pensée du Seigneur, Ou qui a été son conseiller ?

Qui lui a donné le premier, Pour qu’il ait à recevoir en retour ? Tout est de lui, Par lui

Et pour lui !

A lui la gloire dans tous les siècles. Amen !

(Romains 11 : 33-36)

C’est cela la loi éternelle de Dieu, la sagesse et la Providence absolue de notre Dieu sur toutes ses œuvres. C’est à partir de cette loi éternelle divine que se déploieront les différents aspects de la loi : la loi naturelle, la loi humaine et la loi divine révélée. Commençons par la loi naturelle.

(b) La loi naturelle

Cette loi éternelle se manifeste aux hommes dans ce qu’on appelle la « loi naturelle ». Cette loi naturelle a souvent été fort dénigrée dans la tradition évangélique et réformée, bien que cet aspect de la loi ne posait guère de problème aux Réformateurs du XVIe siècle. Ce rejet moderne de la loi naturelle est en effet le fruit de ce qu’on appelle le « piétisme ».

Le piétisme est une réaction subjective de chrétiens de la fin du XVIIe et du début de XVIIIe siècles soucieux de retrouver une vraie piété personnelle dans un contexte où la foi se manifestait souvent par une théologie orthodoxe sans lien avec une vie spirituelle véritable. L’accent fut alors mis presque exclusivement sur la piété intime, ceci aux dépens des aspects publiques et cosmiques de l’ordre créationnel. La loi naturelle se réfère alors à ce que l’on peut appeler l’ordre de nature, ou l’ordre de la création.

Cet ordre créationnel fut progressivement déployé par Dieu lors des six jours de la création. L’ordonnance divine de son oeuvre créée commença avec une terre « informe et vide » pour aboutir à la création de l’homme, vice-roi de Dieu sur toutes ses œuvres qui, par l’exercice de ce qu’on appelle le « mandat créationnel » devait parachever l’œuvre divine d’organisation de la terre. Voici ce que nous en dit le récit de la Genèse :

Dieu créa l’homme à son image :

Il le créa à l’image de Dieu,

Homme et femme il les créa.

Dieu les bénit et Dieu leur dit :

Soyez féconds,

multipliez-vous,

remplissez la terre

et soumettez-là.

Dominez sur les poissons de la mer,

sur les oiseaux du ciel

et sur tout animal qui rampe sur la terre.

(Genèse 1 : 26-28)

Dans le deuxième chapitre de la Genèse, la portée de ce mandat divin adressé à tous les hommes est précisée :

L’Éternel Dieu prit l’homme, et le plaça dans le jardin d’Éden pour le cultiver et pour le garder.

L’Éternel Dieu donna ce commandement à l’homme :

Tu pourras manger de tous les arbres du jardin ; mais tu ne mangeras pas de l’arbre de la connaissance du bien et du mal, car le jour où tu en mangeras, tu mourras.

(Genèse 2 : 15-17)

Comme nous le voyons, l’ordre établi par cette loi naturelle a deux aspects, l’un cosmique, se rapportant à la création en général ; et l’autre, moral, se rapportant au comportement de l’homme, à sa vie active, moralement agissante.

(i) L’ordre créationnel (ou « naturel »)

Chaque aspect de la création a son ordre propre. Il n’y a pas de méthode unique qui permet d’étudier de la même manière tous les domaines du créé. Si Dieu embrasse toutes choses d’un regard simple et un, il n’en est pas de même pour les hommes. Chaque domaine demande une méthode qui lui est propre. On n’étudie pas la gastronomie comme la chimie. La physique répond à d’autres lois que la peinture. On ne peut pas étudier la Bible comme de la littérature profane. Ici l’objet inspiré que l’on cherche à comprendre demande qu’on le prenne comme tel. Ceci exige la présence de la foi au cœur de la méthode appropriée à l’objet étudié, la Bible[2]. Une étude purement rationnelle de la Bible passe littéralement à côté de son objet car l’aspect divin de ce livre lui est inhérent. C’est la lumière de Dieu (le Logos, la Parole) qui doit être le fondement de notre raison.

Car auprès de toi est la source de la vie ;

Par ta lumière nous voyons la lumière.

(Psaume 36 : 10)

Et encore ces paroles qui fondent la raison humaine sur la lumière divine :

Tout a été fait par elle (la Parole), et rien de ce qui a été fait n’a été fait sans elle. En elle était la vie, et la vie était la lumière des hommes.

(Jean 1 : 3-4)

Et, comme la lumière une et blanche contient en elle-même toute la diversité des couleurs, diversité qui se fragmente dans la réalité sensible en les différentes teintes que nous connaissons, de même la lumière une et simple de la raison divine (la loi étemelle) se diversifie dans nos esprits en des méthodes de réflexion et d’analyse bien diverses, chacune adaptées à l’objet spécifique qu’elles étudient Ce sont les divers aspects de la loi naturelle. Cette pensée, si admirablement diversifiée, a été développée par le philosophe calviniste néerlandais, Herman Dooyeweerd, dans la première moitié du XXe siècle. Mais il n’inventait rien par cette façon si juste de définir la méthode à utiliser par l’objet étudié et non l’inverse, forcer l’objet dans le carcan d’une méthode universelle – ici la méthode physico-mathématique des sciences dites expérimentales – qui ne lui serait pas appropriée. Forcer une méthode d’analyse unique sur tous les objets si divers de la création, comme le fait le réductionnisme scientiste des siècles modernes, est une aberration intellectuelle. La méthode d’analyse de ces différents aspects de la réalité que Dooyeweerd appelle les « sphères de lois » avait déjà, sous une forme certes bien différente, été développée par le célèbre philosophe grec Aristote. Cela se voit particulièrement dans sa volonté de conformer les méthodes des diverses sciences, non à un modèle abstrait unique, mais à la nature créée immuable de chaque objet Cette méthode d’analyse du réel, à la fois si diverse et si précise, fut reprise et fortement développée au Moyen Age par Thomas d’Aquin et son école.

Il faut ici faire une remarque sur la manière différente dont les traditions thomistes et réformées considèrent l’ordre de la nature, l’ordre créationnel. Si le thomisme privilégie constamment dans sa réflexion l’ordre d’une création indemne, telle qu’elle existait avant la chute en sortant parfaite de la main de Dieu, reflétant ainsi fidèlement les perfections de son Créateur, par contre – et sans doute ici en réaction contre la tentation « naturaliste » et optimiste » propre à la pente courante de la pensée thomiste – la tradition réformée considère que l’ordre de nature n’est autre que celui que nous constatons à présent dans le monde, monde évidemment d’après la chute. Ce qui ici attire l’attention du théologien réformé ce sont les imperfections de cette nature, sa fragilité, son besoin même de rédemption. C’est cette orientation qui donne à la pensée cosmologique du calvinisme son côté plutôt pessimiste. Ce sont là deux points de vue, non pas opposés les uns les autres mais parfaitement complémentaires car traitant, sous des angles différents de l’ordre créationnel. Ce sont là à vrai dire deux aspects d’une seule et unique réalité : la création parfaite de Dieu, aujourd’hui abîmée par les conséquences cosmiques du péché de l’homme. Il nous faut en effet d’abord bien connaître l’ordre parfait de la création, tel que nous la décrit admirablement Thomas d’Aquin ; mais nous devons aussi soigneusement tenir compte, tel que le fait la pensée réformée classique, de l’état actuel de cette création, ordre déformé d’une nature originellement parfaite, mais aujourd’hui faussée par les effets du péché de l’homme. C’est cet aspect que nous présente le plus souvent la pensée réformée, telle que nous la trouvons chez un Jean Calvin, un Pierre Viret ou un Martin Luther. La Sainte Écriture nous parle évidemment avec abondance de chacun de ces deux aspects et ici il ne nous faut pas choisir ; nous devons tout retenir de ce qu’elle nous dit à ce sujet.

La Bible en effet nous parle souvent de cet ordre créé stable et durable car, s’il a été troublé par le premier péché, la chute ne l’a pas aboli. Cet ordre créé (naturel, selon l’ordre des natures créées par Dieu dès le commencement) se tient toujours fermement dans le cadre originellement établi par Dieu pour lui. Illustrons notre propos par deux textes de l’Ancien Testament qui parlent des lois de la nature établies par Dieu pour la durée de cette création :

Les deux racontent la gloire de Dieu, Et l’étendue annonce l’œuvre de ses mains. Le jour en donne instruction au jour, La nuit en donne connaissance à la nuit.

Ce n’est pas un langage, ce ne sont pas des paroles, Leur voix n’est pas entendue.

Leur trace apparaît sur toute la terre, Leurs accents vont aux extrémités du monde, Où il a placé une tente pour le soleil.

Et celui-ci, semblable à un époux qui sort de sa chambre, Se réjouit, comme un héros, de parcourir sa route ;

Il s’élance d’une extrémité du ciel

Et achève sa course à l’autre extrémité, Rien ne se dérobe à sa chaleur.

(Psaume 19 : 2-7)

Le psalmiste évoque manifestement ici la régularité de ce que nous appelons aujourd’hui les « lois de la nature ». Jérémie montre pour sa part que cette stabilité de la création est liée à l’Alliance de Dieu avec son peuple Israël, dont l’Église est la continuation spirituelle.

La parole de l’Éternel fut adressée à Jérémie, en ces mots : Ainsi parle l’Éternel :

Si vous pouvez rompre mon alliance avec le jour

Et mon alliance avec la nuit,

En sorte qu’ils ne soient plus jour et nuit en leur temps, Alors, elle sera rompue aussi mon alliance Avec David mon serviteur,

En sorte qu’il n’ait pas de fils régnant sur son trône, Et avec les Lévites-sacrificateurs qui sont à mon service. De même qu’on ne peut compter l’armée du ciel, Ni mesurer le sable de la mer,

De même je multiplierai la descendance de David, mon serviteur,

Et les Lévites qui sont à mon service.

La parole de l’Éternel fut adressée à Jérémie, en ces mots : Ne vois-tu pas de quoi parle ce peuple ?

Ils disent :

Les deux familles que l’Éternel avait choisies,

Il les a rejetées.

Ainsi ils méprisent mon peuple,

Pour eux, ce n’est même plus une nation.

Ainsi parle l’Éternel :

Si je n’avais pas fait mon alliance (avec) le jour et la nuit, Si je n’avais pas établi les lois des deux et de la terre, Alors je pourrais rejeter la descendance de Jacob et de David, mon serviteur,

Et ne plus prendre dans sa descendance ceux qui domineront

Sur les descendants d’Abraham, d’Isaac et de Jacob.

Car je ferai revenir leurs captifs, Et j’aurai compassion d’eux.

(Jérémie 33 : 19-26)

(ii) L’ordre moral, celui de la conscience de l’homme

Paul, dans l’épître aux Romains, nous parle très explicitement de l’ordre naturel en tant qu’ordre moral intérieur qui, parce que l’homme est créé à l’image de Dieu (et qu’il le reste malgré la chute), ne pourra jamais être extirpé du cœur de l’homme. C’est la conscience de la différence entre le bien et le mal qui a été inscrite dans la nature même de l’homme dès la création et qui, si elle peut être étouffée par le péché, même cautérisée par l’endurcissement dans le mal, ne peut jamais être totalement éradiquée de l’homme. Cet ordre, imparfaitement perçu par l’homme, correspond très exactement à la révélation de la loi divine, telle qu’elle est contenue sous une forme résumée dans les Dix Commandements.

Quand les païens, qui n’ont pas la loi, font naturellement ce que prescrit la loi – ils sont une loi pour eux-mêmes ; ils montrent que l’œuvre de la loi est écrite dans leurs cœurs [comme règle – réd.] ; leur conscience en rend témoignage, et leurs raisonnements les accusent ou les défendent tour à tour. (C’est ce qui paraîtra) au jour où, selon mon Evangile, Dieu jugera par le Christ-Jésus les (actions) secrètes des hommes.

(Romains 2 : 14-16)

Ce texte nous conduit à faire quatre remarques.

1/. Cette conscience est le reflet terrestre de l’ordre moral éternel de Dieu, de cette « la loi éternelle » constitutive de son Être même. Cette conscience était parfaite chez Adam avant la chute. Elle persiste dans le cœur de tous les hommes pécheurs jusqu’à la fin du monde. C’est cet ordre moral qui est infailliblement révélé à Moïse dans les Dix Commandements et dans les explications et précisions qu’on trouve de ces Dix Paroles dans la Thora, les Prophètes, la Sagesse, chez le Christ et les apôtres. Il est frappant de remarquer que l’on trouve des références à chacun des Dix Commandements dans les textes bibliques de la Genèse et de l’Exode qui précèdent la révélation du Sinaï[3]

2/. Cette loi naturelle parle au cœur de tous les hommes de la différence entre le bien et le mal. Elle se trouve inscrite comme règle dans le cœur de tous ceux qui n’ont jamais entendu parler de la révélation biblique de la loi de Dieu.

3/. Elle est cautérisée – rendue insensible – dans le cœur de ceux qui ont entendu ses avertissements et ont persisté à ne pas vouloir y prendre garde. C’est tout particulièrement le cas pour les nations qui ont, à un moment de leur histoire, reçu l’Évangile et qui l’ont par la suite rejeté.

Mais l’Esprit dit expressément que, dans les derniers temps, quelques-uns abandonneront la foi, pour s’attacher à des esprits séducteurs et à des doctrines de démons, par l’hypocrisie de faux discoureurs marqués au fer rouge dans leur propre conscience. Ils prescrivent de ne pas se marier et de s’abstenir d’aliments que Dieu a créés pour qu’ils soient pris avec actions de grâces par ceux qui sont fidèles et qui connaissent la vérité. Car tout ce que Dieu a créé est bon, et rien n’est à rejeter, pourvu qu’on le prenne avec actions de grâces, car tout est sanctifié par la parole de Dieu et par la prière.

(I Timothée 4 :2)

C’est un semblable avertissement que l’on retrouve dans le célèbre texte du même apôtre sur l’homme sans loi :

L’avènement de l’impie se produira par la puissance de Satan, avec toutes sortes de miracles, de signes et de prodiges mensongers, et avec toutes les séductions de l’injustice pour ceux qui périssent, parce qu’ils n’ont pas reçu l’amour de la vérité pour être sauvés. Aussi Dieu leur envoie une puissance d’égarement, pour qu’ils croient au mensonge, afin que soient jugés ceux qui n’ont pas cru à la vérité, mais qui ont pris plaisir à l’injustice.

(2 Thessaloniciens 2 : 9-12)

4/. Mais cette loi inscrite dans la conscience est incapable de donner à l’homme dans son état de péché la force d’obéir avec une entière fidélité aux commandements de Dieu. Pour cela il faut l’œuvre du salut, comme le décrit fort bien le prophète Jérémie (31 : 33-34) :

Mais voici l’alliance

Que je conclurai avec la maison d’Israël,

Après ces jours-là,

— Oracle de l’Éternel — :

Je mettrai ma loi au-dedans d’eux,

Je l’écrirai sur leur cœur [4]

Je serai leur Dieu, Et ils seront mon peuple.

Celui-là n’enseignera plus son prochain,

Ni celui-là son frère, en disant :

Connaissez l’Éternel !

Car tous me connaîtront,

Depuis le plus petit d’entre eux jusqu’au plus grand, — Oracle de l’Eternel — ;

Car je pardonnerai leur faute                                                           

Et je ne me souviendrai plus de leur péché.

Cette œuvre d’obéissance à la loi ne peut s’accomplir en nous à cause de l’impuissance de notre volonté, vu que la chair qui domine sur nous, nous incite constamment à faire le mal. C’est par la seule obéissance active et passive de Jésus-Christ que, par l’action du Saint-Esprit qui nous donne la foi, nous pouvons, par la grâce de Dieu, parvenir à une pratique, modeste mais progressive, de cette vie de justice décrite par Jérémie. Rappelons que la fidélité active de Jésus-Christ consiste en son obéissance entière à tous les commandements de Dieu, tandis que son obéissance passive n’est rien d’autre que sa condamnation à notre place sur la croix de Golgotha pour toutes nos fautes.

Pour conclure cette section, nous affirmons que la loi naturelle est le reflet différencié dans la conscience de tout homme de cette loi étemelle qui, depuis toujours, habite en Dieu lui- même.

(c) La loi humaine

Cette loi naturelle dont témoigne – plus ou moins correctement en fonction de l’endurcissement de son cœur – la conscience de tous les hommes, n’est pas un phénomène purement individuel. On a l’habitude dans les milieux réformés et évangéliques qui réfléchissent encore sur la loi biblique de parler de « la loi morale ». Par cette expression ces milieux entendent le contenu moral des Dix Commandements. A cela il n’y aurait pas de mal si cette conception n’était pas souvent marquée par une orientation essentiellement individualiste de l’action humaine. Ainsi « moral » est entendu implicitement comme étant en opposition avec « social » ou « politique ». Comme si l’homme pouvait éviter d’être une créature sociale et politique. Comme si l’on pouvait séparer ainsi les sphères publiques et privées. Le privé étant moral, le public ne concerne pas la morale. Contrairement à la vision moderne de la société, l’homme n’est aucunement un atome isolé rassemblé en société par la puissance organisatrice de l’État L’homme est par nature un être à la fois personnel et social, individuel et politique. C’est pour cela que les Dix Commandements s’adressent à la fois à la conscience individuelle de l’homme et à l’organisation saine de la communauté humaine. Ils ont une application intérieure et extérieure, privée et publique. Couper l’un de l’autre n’est en fait rien d’autre que les diminuer, les amoindrir et, par ce fait, priver Dieu d’une partie de la gloire qui lui revient C’est aussi faire entrer les chrétiens dans un dualisme à caractère socialement schizophrène : d’un côté la foi individuelle, de l’autre la vie publique, ces deux domaines n’ayant rien à voir l’un avec l’autre. La plupart de nos maux nous viennent de cette démission des Églises.

Les Dix Commandements sont ainsi à la fois religieux, moraux, juridiques, et cosmiques. L’ordre divin qu’ils manifestent est immuable. Ils ont chacun un aspect pleinement créationnel, tout à la fois cosmique, juridique, moral et spirituel. Prenons en exemple, le septième commandement :

« Tu ne commettras pas d’adultère. »

(Exode 20 :14)

 — Il a un caractère cosmique. Il reflète, par exemple, la distinction créationnelle entre l’homme et la femme. Il refuse en conséquence implicitement les unions physiques contre nature c’est-à-dire avec des personnes du même sexe, des animaux, des cadavres, etc. Il interdit ainsi l’homosexualité, la bestialité, la nécrophagie, etc.

— Il a un caractère juridique. Un acte sexuel, légitime ou illégitime, n’est jamais un acte simplement privé (à l’exception de l’onanisme, la masturbation individuelle). Il s’agit d’un acte social qui en conséquence intéresse la société. Le respect du mariage, cadre créationnel et biblique de toute activité sexuelle légitime, doit en conséquence être protégé par la loi, par l’ordre juridique. L’infraction publique à cet ordre doit être réprimé par l’autorité du Magistrat établi par Dieu sur la société pour exercer le mandat créationnel (garder le jardin) de la protéger.

— Il a un caractère moral, personnel. Il interdit toute forme de fornication : la masturbation, la pornographie, les relations sexuel­les en dehors du cadre du mariage, l’exclusion systématique volontaire absolue de la procréation des relations sexuelles, le refus punitif des relations sexuelles dans la mariage, l’inceste, l’adultère, l’impureté et toutes les formes d’activité perverses dans le mariage, le sadomasochisme, l’homosexualité, la bestialité, etc.

— Il a un caractère religieux. Le mariage symbolise de manière à la fois concrète et spirituelle la relation entre Dieu et sa création, entre Jésus-Christ et la nouvelle création, l’Église. Le mot hébreu yada « connaître » signifie à la fois connaître son épouse charnellement et connaître Dieu au plus intime de son être. Le mariage fidèle est un signe de la fidélité du peuple choisi avec son Dieu. L’infidélité spirituelle, l’idolâtrie est appelée « adultère » par la Bible. Si l’épouse fidèle et soumise est le signe du peuple croyant et obéissant, de même le peuple apostat et rebelle, est nommé « prostituée ». Ainsi toute fornication avec d’autres dieux est interdite par le septième commandement Enfin l’image privilégiée de la relation entre le Christ et son Église est celle du mari et de l’épouse, le mari figurant le Christ et son autorité bienfaisante, l’épouse l’Église et la soumission aimante de la créature à son Créateur.

La loi a toujours un aspect social, juridique et politique. Le piétisme, ayant accepté la position de la pensée moderne inspirée par la révolution scientifique et politique du début du XVIIe siècle (ici les figures anti-bibliques emblématiques de l’antichrist- ianismu sont celles de Galilée et de Hobbes qui établissent définitivement la coupure moderne entre la science et la politique d’avec tout ordre transcendant ou créationnel), selon laquelle la Bible ne serait pas qualifiée pour nous parler justement des affaires du monde, s’est réfugié dans l’aspect personnel, privé de la vie humaine, seul considéré comme véritablement religieux. C’est toute la vie publique et intellectuelle qui est ainsi soustraite à l’autorité souveraine de la Parole infaillible de Dieu. C’est ce que l’on appelle la sécularisation de la culture, mais qu’on ferait mieux (pour être plus clair) d’appeler son athéisation. Le piétisme (dans son abandon du monde au Prince de ce monde, le Diable) refuse cet aspect social et cosmique de l’autorité du Christ. Il n’est plus pour lui le Pantocrator, le Seigneur de toutes choses. C’est ainsi que la prétention du monde moderne à établir l’autonomie de la raison par rapport à la Parole de Dieu et à l’ordre de la création comme règle normative finale de toutes choses, a été acceptée sans véritable contestation frontale, ceci en partie par la défaillance de l’Église.

Le Christ nous enseigne que les portes de l’enfer ne prévaudront pas sur l’Église de Dieu. Force nous est de constater que depuis le milieu du XVIIe siècle environ l’Église visible recule de plus en plus face aux assauts d’un monde foncièrement hostile au Dieu de la Bible et à ses lois. Une Église universelle divisée en confessions romaines, orthodoxes et protestantes qui se mécon­naissent totalement ; déchirée par la haine mutuelle qui trouva son expression scandaleuse dans les guerres de religion ; une chrétienté remplaçait l’amour du prochain dans la fidélité à la vérité par l’hostilité et l’incompréhension ; une telle « Église » ne peut qu’attrister le Saint Esprit et éloigner d’elle la force toute puissante de son Dieu. Elle manifeste à tous que si elle a encore l’apparence de la piété, la force qui vient d’une foi pure qui se manifeste par cet amour de Dieu et du prochain, c’est-à-dire l’obéissance fidèle aux commandements de Dieu, lui fait cruellement défaut. Il n’est plus possible aujourd’hui de nier qu’un telle « Église » ne pouvait plus manifester son témoignage puissant et victorieux au Christ dans la vie culturelle de lEurope moderne. C’est ainsi que, par la défaillance de l’Église, les portes de l’enfer se sont bel et bien ouvertes toutes grandes sur une Chrétienté occidentale qui manifestait jadis, dans tous les domaines de la vie, la victoire conquérante si bienfaisante du Seigneur Jésus-Christ

L’homme a toujours besoin de lois, d’un ordre juridique fixant un cadre juste pour son action inéluctablement sociale et politique.

(a) D’abord elles sont nécessaires pour ordonner la société, établir les priorités dans l’action, la fonction organisatrice de l’autorité gouvernementale existait déjà avant la chute. Pour le travail de cultiver le jardin il fallait bien que quelqu’un ordonne le travail, décide du fait que certains feraient ceci, d’autres cela. Il fallait que quelqu’un prenne la place du chef protecteur, (sur la femme entre autres) ceci déjà avant la chute. C’est la défaillance de l’homme, Adam, dans l’exercice de ses fonctions de magistrat, qui provoqua la déchéance première, car il n’a pas su protéger son épouse, Ève, contre la ruse séductrice du démon.

L’Éternel Dieu prit l’homme et la plaça dans le jardin d’Éden pour le cultiver et pour le garder.

(Genèse 2:15)

L’Éternel Dieu forma une femme de la côte qu’il avait prise à l’homme et il l’amena vers l’homme. Et l’homme dit :

Cette fois c’est Vos de mes os, La chair de ma chair.

C’est elle qu’on appellera femme, Car elle a été prise de l’homme. C’est pourquoi l’homme quittera son père et sa mère et s’attachera à sa femme, et ils deviendront une seule chair.

(Genèse 2 : 22-24)

(b) Depuis la chute de nos premiers parents, ces lois sont indispensables pour mettre de l’ordre dans les désordres publiques, conséquences de l’entrée du péché dans le monde. Après le Déluge nous lisons le renouvellement du mandat créationnel et l’instauration par Dieu lui-même de la peine de mort comme ordonnance universelle et permanente en vue de la protection de la vie humaine innocente :

Dieu bénit Noé, ainsi que ses fils, et leur dit : soyez féconds, multipliez-vous et remplissez la terre. Vous serez un sujet de crainte et de terreur pour tout animal de la terre, pour tout oiseau du ciel, pour tout ce qui rampe sur le sol et pour tous les poissons de la mer : ils sont livrés entre vos mains.

Tout ce qui rampe et qui vit vous servira de nourriture : je vous le donne comme je l’ai fait des végétaux.

Pourtant, vous ne mangerez pas de chair avec sa vie, (c’est-à-dire) avec son sang.

Mais aussi, je réclamerai votre sang (c’est-à-dire) votre vie, je le réclamerai à tout animal ;

et je réclamerai à chaque homme la vie de l’homme son frère.

Celui qui verse le sang de l’homme Par l’homme son sang sera versé. Car Dieu a fait l’homme à son image. Et vous soyez féconds et multipliez-vous, Peuplez la terre et multipliez-vous sur elle.

(Genèse 9 : 1-7)

C’est ici que se trouve l’établissement premier de la fonction punitive du Magistrat dont la légitimation biblique et divine est si admirablement définie dans le treizième chapitre de l’épître de Paul aux Romains.

Que toute personne soit soumise aux autorités supérieures ;

car il n’y a pas d’autorité qui ne vienne de Dieu

et les autorités qui existent ont été instituées par Dieu.

C’est pourquoi celui qui s’oppose à l’autorité

résiste à l’ordre de Dieu,

et ceux qui résistent attireront une condamnation sur eux- mêmes.

Les gouvernants ne sont pas à craindre quand on fait le bien, mais quand on fait le mal.

Veux-tu ne pas craindre l’autorité ?

Fais le bien, et tu auras son approbation, car elle est au service de Dieu pour ton bien, mais si tu fais le mal, sois dans la crainte ; car ce n’est pas en vain qu’elle porte l’épée, étant au service de Dieu pour (montrer) sa vengeance et sa colère à celui qui pratique le mal.

Il est donc nécessaire d’être soumis, non seulement à cause de cette colère, mais encore par motif de conscience.

C’est aussi pour cela que vous payez les impôts.

Car (ceux qui gouvernent) sont au service de Dieu pour cette fonction précise.

Rendez à chacun ce qui lui est dû :

la taxe à qui vous devez la taxe, l’impôt à qui vous devez l’impôt, la crainte à qui vous devez la crainte, l’honneur à qui vous devez l’honneur.

(Romains 13 :1-7)

Voici pour la loi humaine. Partout où les sociétés humaines ont existé, elles ont connu des législations diverses. Là où la loi divine n’était pas connue, le droit était fondé sur la loi naturelle, sur ce que l’homme percevait de la loi étemelle de Dieu dans sa conscience. Avec la révélation de la loi divine, ceci progressivement avant le Déluge et sous les Patriarches, puis de manière éclatante et définitive avec les Dix Commandements et leur amplification et précision dans la Thora, les Prophètes, les Évangiles et les écrits apostoliques, les fondements dans la loi éternelle de Dieu de la législation et du droit humains furent mieux connus. Depuis la Pentecôte cette révélation de la loi, rendue magnifique par l’œuvre du Christ, s’est répandue parmi tous les peuples qui ont entendu l’Évangile. Le modèle établi par Dieu pour la législation juste des hommes se trouve dans les aspects encore actuels de la loi révélée par Dieu au Sinaï à son serviteur Moïse. C’était du moins là l’opinion des nations étrangères qui étaient dans l’admiration de la législation divine donnée par L’Étemel au peuple d’Israël. Écoutons les paroles de Moïse :

Voyez, je vous ai enseigné des prescriptions et des ordonnances, comme l’Eternel, mon Dieu, me l’a commandé, afin que vous les mettiez bien en pratique dans le pays où vous allez entrer pour en prendre possession. Vous les observerez et vous les mettrez en pratique ; car ce sera là votre sagesse et votre intelligence aux yeux des peuples, qui entendront parler de toutes ces prescriptions et qui diront: Cette grande nation ne peut être qu’un peuple sage et intelligent! Quelle est, en effet, la grande nation qui ait des dieux aussi proches d’elle que l’Éternel, notre Dieu, (l’est de nous) toutes les fois que nous l’invoquons ? Et quelle est la grande nation qui ait des prescriptions et des ordonnances justes, comme toute cette loi que je vous présente aujourd’hui ? Seulement, prends garde à toi et veille attentivement sur ton âme, tous les jours de ta vie, de peur que tu n’oublies les événements que tes yeux ont vus, et qu’ils ne s’éloignent de ton cœur ; fais- les connaître à tes fils et aux fils de tes fils.

(Deutéronome 4 : 5-9)

Nous pouvons, à la lecture d’un tel texte, nous exclamer avec le roi David :

Heureux le peuple pour lequel il en est ainsi ! Heureux le peuple dont l’Éternel est Dieu.

(Psaume 144 : 15)

Il nous faut maintenant nous tourner vers la loi divine, reflet de la loi éternelle de Dieu qu’il a cm bon nous révéler pour notre bien. Car, rappelons-le, si

Les choses cachées (de la loi éternelle) sont à l’Éternel notre Dieu ; les choses révélées (de la loi divine) sont à nous et à nos fils, à perpétuité, afin que nous mettions en pratique toutes les paroles de cette loi.

(Deutéronome 29 : 28)

d) La loi divine

La révélation par Dieu aux hommes de plusieurs aspects de sa loi éternelle est nécessaire pour deux raisons principales.

1/. Le caractère limité de l’homme. Car sa nature contingente de créature le rend incapable d’avoir une vision complète de lui- même. Seul Dieu peut le voir tel qu’il est véritablement et savoir ce qui est réellement bon pour lui. C’est pour cela que Dieu s’est réservé le droit de définir le bien et le mal et a formellement interdit à l’homme de s’arroger une autonomie éthique. C’est à Dieu seul de déterminer l’ordre de sa création. Ainsi la nécessité d’une loi divine révélée s’est fait sentir dès avant la chute et l’apparition du péché dans le monde.

2/. La nature pécheresse de l’homme déchu a des effets sur sa capacité de connaître exactement l’ordre premier de la création. L’homme déchu est dans les ténèbres et a besoin d’une révélation d’en haut pour connaître le bien et la mal, tel que Dieu les voit lui- même et tel qu’ils se manifestent de manière immanente dans le fonctionnement bien ordonné de la création. La volonté d’Adam de définir lui-même la distinction entre le bien et le mal manifeste explicitement son désir de se faire lui-même Dieu. Ce péché a entraîné un désordre général rendant maintenant incertaine la lecture par l’homme du contenu moral de sa conscience. Ici encore l’apôtre Paul est des plus clair dans sa description de l’homme pécheur, éloigné de Dieu par sa révolte contre l’ordre divin.

Autrefois, en effet, vous étiez ténèbres, mais maintenant vous êtes lumière dans le Seigneur. Marchez comme des enfants de lumière ; car le fruit de la lumière consiste en toute sorte de bonté, de justice et de vérité. Examinez ce qui est agréable au Seigneur ; et n’ayez rien de commun avec les œuvres stériles des ténèbres, mais plutôt dénoncez-les. En effet ce que (ces gens) font en secret, il est honteux même d’en parler, mais tout cela une fois dénoncé apparaît à la lumière, car tout ce qui paraît est lumière.

(Éphésiens 5 :8-13)

Le Christ lui-même parlant de l’intelligence humaine qu’il compare à l’œil met clairement en lumière la condition ténébreuse de l’homme déchu :

L’œil est la lampe du corps. Si ton oeil est en bon état, tout ton corps sera illuminé, mais si ton oeil est en mauvais état, tout ton corps sera dans les ténèbres. Si donc la lumière qui est en toi est ténèbres, combien seront grandes les ténèbres.

(Matthieu 6 :22-23)

L’apôtre Jean ne dit pas autre chose :

La lumière brille dans les ténèbres, et les ténèbres ne l’ont pas accueillie.

(Jean 1 : 5)

 

Et voici le jugement : la lumière est venue dans le monde, et les hommes ont aimé les ténèbres plus que la lumière, parce que leurs œuvres étaient mauvaises. Car quiconque fait le mal a de la haine pour la lumière et ne vient pas à la lumière, de peur que ses oeuvres ne soient réprouvées ; mais celui qui pratique la vérité vient à la lumière, afin qu’il soit manifeste que ses œuvres sont faites en Dieu.

(Jean 3 : 19-21)

Ces textes nous montrent que si une révélation de la loi divine était nécessaire dès avant la chute, elle l’était bien plus encore après la déchéance originelle de la race humaine. Nous avons vu que Dieu donna à Adam par révélation directe un certain nombre de commandements et que ces commandements furent répétés et développés dans des révélations spéciales données à Noé, tant avant qu’après le Déluge. La plénitude de la loi divine fut révélée à Moïse au mont Sinaï (Exode 20: 1-17) et son sens précisé et développé dans la Thora. Une des tâches des prophètes était de suppléer aux déficiences des Lévites dont une des fonctions essentielles était de rappeler au peuple le contenu de la loi divine. Ainsi les prophètes doivent inlassablement rappeler à la nation les exigences immuables de la loi révélée, loi dont le contenu correspond à la loi naturelle authentique et dont la source se trouve en Dieu, c’est-à-dire, dans sa loi éternelle. Écoutons la supplication que le prophète Ésaïe adresse à son peuple pour tenter de le ramener au respect de la loi divine :

Lavez-vous, purifiez-vous,

Ôtez de ma vue la méchanceté de vos actions,

Cessez (de faire) le mal.

Apprenez à faire le bien,

Recherchez le droit,

Ramenez l’oppresseur dans le bon chemin,

Faites droit à l’orphelin, Défendez la veuve.

Venez donc et plaidons Dit l’Éternel.

Si vos péchés sont comme le cramoisi, Ils deviendront blancs comme la neige ; S’ils sont rouges comme l’écarlate, Ils deviendront comme la laine.

Si vous vous décidez pour l’obéissance,

Vous mangerez les meilleures productions du pays ;

Mais si vous refusez, si vous êtes rebelles. Vous serez dévorés par l’épée, Car la bouche de l’Éternel a parlé.

(Ésaïe 1 : 16-20)

Mais cette loi divine, tant publique que privée, ne restera pas la possession exclusive de la nation d’Israël. Elle sera proclamée à toutes les nations de la terre :

Il arrivera à la fin des temps, Que la montagne de la Maison de l’Eternel Sera fondée sur le sommet des montagnes, Qu’elle s’élèvera par-dessus les collines, Et que toutes les nations y afflueront.

Des peuples nombreux s’y rendront et diront : Venez, et montons à la montagne de l’Éternel, A la Maison du Dieu de Jacob, Afin qu’il nous instruise de ses voies, Et que nous marchions dans ses sentiers. Car de Sion sortira la loi, Et de Jérusalem la parole de l’Éternel.

Il sera juge entre les nations,

Il sera l’arbitre de peuples nombreux, De leurs épées ils forgeront des socs Et de leurs lances des serpes : Une nation ne lèvera plus l’épée contre une autre, Et l’on n ‘apprendra plus la guerre.

(Ésaïe 2 : 24)

Amen

[1] Prédication donnée en version anglaise dans une Église Presbytérienne à Charlotte aux États-Unis, le 14 avril 2002. Cette traduction en anglais est disponible auprès de l’A.V.P.C.

[2] II est évident, a contrario, que la littérature profane ne peut être étudiée comme s’il s’agissait d’un texte sacré, texte inspiré par Dieu. Chaque objet doit être étudié en fonction de sa nature et selon les critères qui lui sont propres. Par contre, une compréhension du monde à la lumière de la Bible peut nous donner une perspicacité sur des dimensions de l’œuvre profane dont ne saurait bénéficier le lecteur privé d’un tel éclairage surnaturel. Bonhoeffer ne disait-il pas que le Chrétien doit pouvoir comprendre les questions que se posent ses interlocuteurs païens mieux qu’ils ne le font eux-mêmes, car il se trouve être au bénéfice d’une plus grande lumière.

[3] Ernest C. Reisinger, The Law and the Gospel, Presbyterian and Reformed, Philadelphia, 1997, p. 17-24, « The Law before Sinaï ».

[4] Comme puissance agissante.