Discours prononcé par le Major Davel le 24 avril 1723 à Vidy

par | Documentation Chrétienne - numéro 1

C’est ici le plus beau jour de ma vie ! Jour heureux, où je puis vous parler à cœur ouvert, sans avoir plus de tourments à craindre, étant « près » de remettre mon âme entre les mains de mon Créateur, et d’en faire un sacrifice à Sa gloire ! Ce qui tournera à l’avantage de mes souverains seigneurs, et au bien des peuples qui leur sont soumis.

Je vous exhorte, tous autant que vous êtes, qui m’écoutez, d’éviter soigneusement les procès, qui sont si contraires à l’esprit du christianisme. Ce pays en est infecté plus qu’aucun autre, par la faute de ceux qui devraient y mettre ordre, qui, loin de tâcher de les supprimer, les fomentent pour leur intérêt particulier, en faisant traîner les causes en longueur, comme aussi par celle de certains avocats et procureurs, qui soufflent la discorde, qui poussent les gens à se susciter des procès, qui empêchent les accommodements et font naître mille incidents, pour prolonger les causes qu’ils ont en main, et qui vendent même leur partie. Par-là, les biens des particuliers ont été dissipés et même ceux des communes, lesquels auraient été mieux employés au soulagement des pauvres, où à l’éducation des enfants de plusieurs familles qui se trouvaient dans le nécessité.

La misère du pays, causée par les procès, a réduit les paysans à une très grande indigence. Ils ont été obligés de s’endetter, et leurs créanciers, sans aucune compassion, leur ôtent jusqu’aux choses les plus nécessaires à la vie. D’abord après la moisson, ils se voient dépouillés du fruit de leur travail, et après s’être consumés pendant plusieurs mois à labourer et à ensemencer leurs terres, on leur enlève dans la grange les gerbes de blé qu’ils ont recueillies. Souvent même on ne les y laisse pas entrer mais on va les prendre sur leurs propres champs. On se saisit de leurs fourrages. On attend même quelquefois qu’ils soient dans leur lit, pour aller faire des ouvertures forcées dans leurs maisons, et prendre jusqu’à leurs habits, leurs draps et leurs couvertures de lit. C’est de quoi j’ai vu des exemples. Ces sortes d’ouvertures forcées se sont introduites depuis peu dans le pays, et on les permet trop facilement. À peine souffre-t-on qu’il reste aux paysans un morceau à manger dans l’amertume de leur âme. Ils n’ont pas un moment de joie ni de repos, et ne font pas un bon repas dans tout le cours de l’année, pendant que les auteurs de leurs misères vivent dans l’opulence, se divertissent à leurs dépens, et font des festins somptueux. Ces pauvres misérables n’ont que le seul baptême pour marque de leur christianisme. On les traite en toute autre chose comme des bêtes et des animaux sans raison.

Qu’est-ce, Messieurs, qui peut avoir attiré tous les maux qui règnent dans le pays, et mis le comble à tant de désolation ? C’est en partie le peu de religion qu’on remarque en vous, dans les occasions mêmes où vous devriez en faire le plus paraître. Combien peu d’attention dans les sermons ! Ce n’est que la coutume qui vous y entraîne. La plupart ne savent pas, en sortant du temple, quel sujet on y a traité, ni un mot de ce que le ministre a dit.

Cette négligence vient peut-être aussi de ce que Messieurs les ministres ne s’appliquent pas à faire de bons sermons. Ils ne travaillent pas, comme ils le devraient, à l’instruction du peuple, et particulièrement de la jeunesse qui reste, par ce moyen, dans une crasse ignorance. Ces Messieurs se contentent ordinairement de jouir de leurs bénéfices, sans se mettre en peine d’en remplir les fonctions comme il faut. Et comment le pourraient-ils faire, étant eux-mêmes pour la plupart ignorants et employant plus de temps à la débauche qu’à se rendre savants et capables d’enseigner? Leurs mauvais exemples font perdre tout le fruit de leurs prédications et contribuent beaucoup à l’irréligion. J’en excepte quelques uns, en assez petit nombre, qui méritent l’approbation générale mais qui ne peuvent pas, à eux seuls, remédier à tous les désordres. Les peuples mêmes n’ont pas le temps d’aller à leurs sermons, par la quantité de procès qu’on leur suscite mal à propos, ou qu’ils entreprennent par un malheureux penchant à la chicane. Une personne qui a quelqu’un sur les bras, ne songe pas à autre chose , et est incapable de prêter l’attention _nécessaire aux affaires de la religion. Dans cet état, ils ne laissent pourtant pas d’aller à la communion, vides de tout sentiment de piété et d’amour pour leurs frères.

De ce même principe vient encore le désordre, et la confusion qui règne dans le service divin, parce que quand l’intérieur n’y a point de part, il est impossible que l’extérieur ne s’en ressente.

A l’égard des louanges de Dieu, de quelle manière les chante-t-on ? Y a-t-il aucune règle, aucune musique, ni rien qui soit propre à exciter et à soutenir la dévotion, quoique cet article soit un des plus considérables du service divin, et celui par lequel on marque le mieux l’élévation de son cœur à Dieu? Avec quelles postures indécentes ne s’en acquitte-t-on pas, sans que le magistrat prenne aucun soin d’y apporter du remède ? Telle étant l’importance de cette partie du culte chrétien, je ne saurais trop vous conjurer d’y faire une nouvelle et plus sérieuse attention, afin de vous corriger à cet égard.

LL.EE. nos souverains seigneurs, ont remis aux villes et aux communes des biens d’Église pour servir à l’entretien des édifices sacrés et des maîtres d’écoles, de même qu’au soulagement et au salut des pauvres, dont plusieurs périssent faute d’instruction. Mais au lieu de suivre leur louable et pieuse intention, au lieu de réparer proprement les églises, comme la majesté du lieu le demande, ces villes et ces communes laissent tomber les temples en ruine, réunissent ces biens biens antiques à leur domaine, et en font leur profit; les directeurs s’en partagent la plus grande partie entre eux, et font servir le reste à augmenter les pensions des personnes en charge, qui souvent n’en Sont pas dignes, pendant qu’ils laissent souffrir d’honnêtes gens. Non contentes de s’être emparées de biens sacrés, elles foulent encore le peuple, en permettant qu’il soit condamné à de grosses amendes, pour des fautes légères. S’ils ne les paient pas d’abord, quand même ils sont dans l’impuissance de le faire, on envoie contre eux des procureurs avides, cruels et sans miséricorde, qui se saisissent de leurs biens, de leurs troupeaux, de tout ce qu’ils ont dans leurs maisons, et qui les réduisent ainsi à une misère plus triste et plus affreuse que la mort.