« Les institutions habillent notre nature pécheresse ; elles la signifient en même temps ; elles la protègent dans la mesure indispensable à la survie de l’espèce humaine. Elles sont un don de la patience de Dieu. » Marcel Régamey, Vie protestante, 2 février, 1973.
M. Marcel Régamey, dans son dernier ouvrage, « Évangile et Politique »[1], nous rappelle utilement la distinction entre deux règnes, entre l’ordre temporel et le Royaume de Dieu. Il marque bien clairement les bornes qui séparent l’ordre de la loi qui retient le déchaînement du péché de ce lui de la liberté de l’Esprit. Ce rappel si clair, si convainquant, vient à son heure. Mais en lisant l’Écriture avec soin nous découvrons qu’il n’y a pas que les deux ordres décrit par M. Régamey, il y en a un troisième. Au Royaume du Christ, dont les prémices sont les chrétiens régénérés, à l’ordre juste de l’autorité du glaive, agissant selon la loi de Dieu[2], punissant les malfaiteurs et maintenant ainsi la paix civile sur la terre s’ajoute un troisième règne, celui du mal débridé, des puissances des ténèbres déchaînées, le règne de Satan. C’est ce que l’Écriture appelle le règne de la bête.
Watchman Nee le pressentait bien quand il écrivait :
« Il y a une puissance spirituelle cachée derrière l’apparence de ce monde. Elle cherche, par les « choses de ce monde » à faire entrer les hommes dans son système. C’est pourquoi les saints de Dieu ne doivent pas seulement exercer leur vigilance à l’égard du péché, mais également à l’égard du prince de ce monde. Dieu est à l’œuvre, édifiant son Église jusqu’à son achèvement dans le règne universel du Christ. Simultanément, son rival construit son système mondial qui atteindra sa vaine apogée dans le règne de l’Antichrist. »[3]
Parlant des « trois cités engagées dans l’histoire » le R.P. Calmel écrivais dans le même sens, que pour comprendre l’histoire il fallait tenir compte de…
« …la cité de Satan, qui est faite non seulement des trois convoitises que nous portons au dedans de nous (« la convoitise de la chair, la convoitise des yeux et l’orgueil de la vie », 1 Jean 2 :16), mais encore de l’action de Satan en dehors de nous ; les mensonges, illusions, séductions de Satan, par lesquels le refus de Dieu tend à s’organiser en structures, soient visibles et officielles, soient dissimulées et occultes[4] ».
Cette réalité bestiale de l’état ayant perdu sa juste autorité venant de Dieu, et étant devenue puissance satanique, s’est petit à petit manifestée parmi nous à mesure que, par manque de courage , de discernement et surtout d’amour de la Vérité, les chrétiens s’abandonnaient à l’aveuglement et à la lâcheté du silence face à ce qui s’élaborait devant leurs yeux. Ainsi, la tâche prophétique qui incombait à l’Église de rappeler à l’état sa nécessaire soumission à l’autorité de la Loi de Dieu ne s’accomplissait plus. Ainsi en sommes-nous venus à cette situation qui caractérise toute bureaucratie où l’autorité est partout mais la responsabilité nul part[5]. Pire encore, la souveraineté absolue qui déplace entièrement celle de la Loi de Dieu se trouve attribuée au « peuple ». Ce n’est plus Dieu qui décide ce qui est bien, ce qui est mal, mais le « peuple » : la « majorité ». Comme si le nombre pouvait décider de la Vérité ! Ce totalitarisme démocratique accomplit parfaitement la promesse mensongère de Satan faite à nos parents Adam et Eve, « Vous serez comme Dieu ». Et que ce « peuple » gouverne véritablement, ou qu’il ne soit qu’une façade cachant des « groupes de pression », ou pour employer le jargon communiste, des « noyaux dirigeants », le mal ne change guère car la puissance de l’état a sa source en lui-même, tire sa légitimation de lui-même[6]. L’état providence, le « welfare state » devient ainsi la suprême idole.
« Et l’on se mit à adorer le dragon, parce qu’il avait donné le pouvoir à la bête ; et l’on adora la bête elle-même, en disant : Qui est semblable à la bête, et qui peut combattre contre elle ? » Apocalypse 13 :4
Mais comme l’autorité ne vient que de Dieu, l’état ainsi fondé ne peut plus se faire loyalement respecté et obéir. Le chaos ainsi engendré ne peut finalement être réprimé que par le force, par la puissance absolue de l’état technocrate et militariste moderne. Au bout de notre chemin se trouve l’état absolu ajuste, gouvernant, ou par la violence policière et psychiatrique, ou par la violence plus sournoise de la propagande et de la dynamique de groupe manipulant des hommes abrutis et aveugles.
[1]Cahiers de la Renaissance Vaudoise (1973)
[2]Dont la norme inscrite par Dieu dans le cœur de l’homme déchu, est révélée et fixée dans la THORA, les cinq livres de Moïse. viz. Romains 2 :14-15
Toute cette question de la place de la loi de Moïse dans la vie et la pensée chrétienne, ainsi que comme ordre de Dieu pour tous les hommes, mériterait une étude approfondie. Il faut surtout insister sur le fait que cette loi, « ombre des choses à venir » est en elle-même bonne, raisonnable, et plus encore une figure prophétique du Christ dans lequel, par l’Esprit Saint elle peut pleinement s’accomplir. La loi est un pédagogue, nous dit St. Paul, qui nous conduit à la foi. Et c’est par cette foi agissante par l’Esprit Saint que nous recevons après avoir cru en Jésus-Christ, Fils de Dieu, que nous accomplissons les justes exigences de la loi de Moïse et plus encore, comme nous le demande le Sermon sur la Montagne. St. Augustin n’écrivait-il pas :
« Le distance entre l’Ancien et le Nouveau Testament apparaît donc ainsi : ici la loi est inscrite sur des tables, là dans les cœurs, de sorte que ce qui, là, apportait la crainte par l’extérieur (Rom. 13), ici apporte la joie par l’intérieur ; là, la lettre tue celui qui s’en écarte, ici, elle vivifie l’esprit de celui qui aime. Il ne faut donc : pas dire que Dieu nous aide à pratiquer la justice et qu’il opère en nous le vouloir et le faire au profit de ses bienveillants desseins (Phil. 2 :13) parce qu’il fait retentir par l’extérieur ses préceptes de justice à nos sens, mais parce qu’il donne à l’intérieur un principe (1 Cor. 3 :7) qui diffuse la charité dans nos cœurs par l’Esprit Saint qui nous est donné (Rom. 5 :5). »(St. Augustin : « De l’esprit et de la lettre » XXXV, 42)
L’erreur funeste est toujours d’insister sur un de ces aspects de la Révélation au dépens d’un autre, insister sur la loi extérieur (la lettre et le glaive) ou au dépens de la loi intérieur (action vivifiante du Saint-Esprit) ou vice-versa.
[3]W. NEE : Love not the World (Victory Press) 1968) p. 16.
[4]R.-Th. CALMEL : Théologie de l’Histoire (in « Itinéraires » No 106, sept.-oct. 1966, p. 26.
[5]Pour reprendre une expression de Gozague de Reynold.
[6]« L’élection étendue à tout venu donne le gouvernement par les masses, le seul qui ne soit pas responsable et où la tyrannie est sans bornes. Car elle s’appelle la loi. » Honoré de Balsac