« Depuis le temps de vos pères, vous vous êtes écartés de mes ordonnances, vous ne les avez point observées. Revenez à moi, et je reviendrai à vous, dit l’Éternel des armées. Et vous dites : En quoi devons-nous revenir ? » Malachie 3 :7.
Ce titre paraît bien plus ambitieux qu‘il ne l’est. Je ne désire pas, et de loin, étudier ce sujet quasiment infini d’une manière exhaustive. Mon propos se résumera à ouvrir un débat et soulever quelques problèmes, à tenter d’analyser certains aspects de la société moderne sous l’éclairage de son histoire et de la pensée chrétienne.
Ce sujet sera développé en quatre parties :
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- Présentation de la thèse
- Justification de cette thèse
- Attitude de l’Église face à ce problème
- Analyse de quelques objections
1. PRÉSENTATION DE LA THÈSE
Le souhait de Dieu ; la pensée de Dieu, est le salut de toute l’humanité : « Dieu veut que tous les hommes soient sauvés ! » (1 Timothée 2 :4)
La pensée du Diable est la perdition de l’humanité. Dans ce but, il séduit toutes les nations : « Satan, celui qui séduit toute la terre. » (Apocalypse 12 :9)
La pensée de salut de Dieu s’est traduite en des termes très précis au sujet de l’organisation sociale, politique et économique de la société. L’Ancien Testament nous donne des instructions très concrètes concernant tous les éléments des relations humaines. En voici quelques-unes :
- Le prêt à intérêt : il est formellement défendu entre les membres du peuple d’Israël (Exode 22 :25 ; Lévitique 25 :36 ; Néhémie 5 :7).
« Tu n’exigeras de ton frère aucun intérêt ni pour argent, ni pour vivres, ni pour rien de ce qui se prête à intérêt » (Deutéronome 23.19).
- Les biens immobiliers : Afin d’éviter la spéculation, leur commerce était soumis à des règles précises.
À la campagne, les terres ne pouvaient être vendues que pour un certain nombre d’années. « … au jubilé, il (le vendeur d’une terre) retournera dans sa propriété, et l’acquéreur en sortira » (Lévitique 25 :23-28). Dans ce cas, c’était l’acquéreur qui devait fixer le prix d’achat : « Plus il y aura d’années, plus tu élèveras le prix ; et moins il y aura d’années, plus tu le réduiras ; car c’est le nombre des récoltes qu’il te vend » (Lévitique 25.15-16).
À la ville, les biens immobiliers pouvaient être vendus ad aeternum (Lévitique 25.30).
Dans les deux cas, le vendeur pouvait reprendre possession de ses biens à tout moment pendant l’année qui suivait la vente, s’il en exprimait le désir.
- La terre devait être laissée en jachère une année tous les sept ans (Lévitique 25.4-5 ; Exode 23.10-11). Il ne s’agissait pas d’une jachère par « rotation» , c’est à dire ne concernant que l’un des champs. Mais bel et bien d’une jachère totale appliquée simultanément à tous les champs d’un domaine. Dieu accordait ainsi du repos à son peuple tout en lui faisant subir une épreuve de foi accompagnée d’une promesse extraordinaire (Lévitique 25.21)
- Les veuves sont prises en charge par leur beau-frère (Deutéronome 25.5).
- Les esclaves (ouvriers) devaient être renvoyés libres après six ans (Deutéronome 15.12).
- Les riches avaient constamment à tenir compte, dans la gestion de leurs biens, de la présence des pauvres : en autorisant la cueillette de blé ou de raisin avant la récolte (Deutéronome 25.24-25), en favorisant le glanage (Deutéronome 24,.19-22), en rendant le gage des gens pauvres (Deutéronome 24.12-13) ; en résumé, ils devaient être justes et pourvoir aux besoins des indigents. « Garde-toi d’avoir un œil sans pitié pour ton frère indigent et de lui faire un refus. Il crierait à l’Éternel contre toi, et tu te chargerais d’un péché » (Deutéronome 15 :12)
Ces lois n’ont pas été données par hasard ou dans le but de charger le peuple d’Israël d’un fardeau de plus. De leur respect dépendait l’harmonie de la société.
« Vous observerez mes lois et mes ordonnances : l’homme qui les mettra en pratique vivra par elles. Je suis l’Éternel » (Lévitique 18.5).
De même la séduction du Diable s’est traduite en des termes très précis au sujet de l’organisation sociale, politique et économique de la société. Il s’agissait pour lui de détruire tout le système mis en place par Dieu, en introduisant, dans l’esprit de l’homme, des pensées inverses de celles que nous avons vues ci-dessus. Ce travail de destruction s’est effectué en mettant dans l’homme un esprit d’ambition, de profit, de croissance, de cupidité, d’égoïsme, d’éloge du riche, d’exaltation de « celui qui a réussi » , d’exploitation du pauvre, de dédain du faible, même de mépris de la valeur de la vie humaine.
Satan a, certes, poursuivi cet effort de destruction de tout temps, mais il n’a jamais eu autant de succès que ces trois derniers siècles ; c’est-à-dire depuis l’avènement du machinisme et de la société industrielle. C’est ce que nous tenterons de prouver dans les pages qui suivent.
Nous constatons donc que la terre est le champ de bataille où s’affrontent deux tendances antagonistes, l’une divine, l’autre diabolique. En sacrifiant quelque peu à la schématisation, je dirai que la tendance divine est le système ancien : ARTISANAL et AGRICOLE ; alors que la tendance diabolique s’incarne dans le système moderne : INDUSTRIEL.
Que l’ordre de Dieu fût agricole et artisanal, personne ne le conteste ; c’est une réalité historique.
Que l’ordre de Dieu soit toujours agricole et artisanal est, par contre, beaucoup contesté. En effet, il est généralement admis que les bouleversements auxquels nous assistons depuis l’avènement de la société industrielle, sont « dans l’ordre des choses » , ordre toléré, si ce n’est encouragé par Dieu. Bien plus, on admet que ces bouleversements sont l’expression du progrès humain.
C’est contre ce mythe du PROGRÈS HUMAIN que je désire m’insurger dans ces pages. En tant que chrétiens, nous devons avoir une vision christocentrique du monde, c’est-à-dire nous rappeler que « tout a été créé par Christ et pour Christ » (Colossiens 1 :16), et faire en sorte que Christ « soit en tout le premier » (Colossiens 1 :18). C’est dans cette optique que j’appellerai « progrès » toute force centripète, tout phénomène qui nous rapproche de Christ.
Précisons de suite que le respect littéral de l’ordre de Dieu ne confère pas le salut, et réciproquement. Le salut s’obtient uniquement par la foi personnelle en Jésus-Christ, de telle sorte qu’un agriculteur est perdu, c’est-à-dire séparé de Dieu, s’il est incrédule, alors qu’un ouvrier métallurgiste croyant est réconcilié avec Dieu. Il ne s’agit donc pas d’appliquer ces enseignements à la lettre. Nous serions d’ailleurs bien empruntés de situer l’année du jubilé. Mais sachant que Dieu est le même hier comme aujourd’hui, l’étude des textes bibliques ci-dessus nous aide à mieux comprendre sa pensée et, par conséquent, devrait nous enseigner dans quel esprit nous devrions développer nos affaires et nous communiquer une vision spécifiquement chrétienne de la société technologique moderne. Le seul fait de retourner à la terre ne résoudra pas les problèmes de notre génération citadine, car ces problèmes sont provoqués par son éloignement de Dieu. Cependant, l’étude des modalités qui prévalurent au passage d’une société rurale-artisanale, à une société industrielle-citadine, nous aide à mieux comprendre comment le Séducteur s’y est pris pour faire lentement, mais sûrement, glisser l’humanité chrétienne hors du cadre que Dieu lui avait prescrit, afin de la couper de son Créateur.
Un mot encore avant de passer au chapitre suivant. Certaines personnes me trouveront peut-être légaliste puisque cette étude est fondée sur des textes de l’Ancien Testament. Car on assimile souvent notre époque de la grâce à celle d’une liberté totale, où la loi n’aurait plus aucun rôle à jouer. En fait, nous verrons au chapitre III que les enseignements donnés par le Nouveau Testament à ce sujet sont tout autant, si ce n’est plus sévères que les textes ci-dessus.
II. JUSTIFICATION DE LA THÈSE
Nous allons essayer de la justifier en démontrant que la société industrielle moderne est une force centrifuge, c’est-à-dire un phénomène qui éloigne l’humanité de Dieu. Tout d’abord, il est intéressant et étonnant de constater que les historiens laïques arrivent à une conclusion identique :
« La science a encouragé le développement d’une philosophie et d’une morale indépendantes de Dieu[1]. »
Dans le même texte, un peu plus loin, nous lisons ceci au sujet des temps modernes :
« Trois siècles au cours desquels l’ordre du monde a été sans cesse remis en question paraissent trouver leur aboutissement : science et philosophie s’unissent pour démontrer expérimentalement, que l’homme est le seul détenteur des secrets de la vie et le responsable unique de son destin[2]. »
Analysons maintenant quelques aspects de la vie moderne en les considérant d’une part dans un contexte agricole, et d’autre part dans un contexte industriel.
La vieillesse
La vieillesse est un des âges le plus difficile de la vie, car celui qui s’y trouve assiste, impuissant, à l’érosion de ses capacités physiques, et parfois même intellectuelles, jusqu’à une échéance qu’il sait inéluctable. La manière d’aborder cet âge est toute différente selon la société dans laquelle on se trouve. C’est ce qui ressort du texte suivant paru dans un mensuel lausannois :
« La hantise de la mort, de l’inconnu, de cette réduction à néant dont semble nous menacer la mort, cette hantise je la perçois souvent dans le regard des vieillards en Occident. On a beau améliorer leurs conditions de confort, on a beau les « distraire » par toutes sortes de moyens, rien n’y fait : la plupart d’entre eux demeurent anxieux. On les sent sous l’empire d’une interrogation passionnée que seule la pudeur empêche de s’exprimer librement.
Chez nous, vieillir semble constituer un problème sans réponse valable. Les solutions proposées, soyons francs, paraissent dérisoires quand on songe aux racines du mal. Car il s’agit d’un « mal » ; d’un mal qui signe d’ailleurs un malaise beaucoup plus vaste ; l’insatisfaction qui nous travaille tous plus ou moins depuis que nous avons mis sur pied un système de civilisation aussi élaboré techniquement qu’indigent sur le plan humain.
Je ne formulais pas clairement ces réflexions avant de visiter le Maroc. Parmi les impressions les plus profondes produites par ce pays, je citerai notamment l’expression du visage des personnes âgées. Combien de fois n’ai-je pas remarqué des visages de vieillards irradiant une sagesse, une sérénité dont il serait difficile de trouver l’équivalent chez nombre de représentants occidentaux du troisième âge. Ici, me disais-je, les gens savent vieillir sans cette amertume qui, sous d’autres latitudes, ronge le cœur. C’est qu’au Maroc les gens d’âge ne se sentent pas inutiles. La « rentabilité » d’un être humain n’est pas l’une des conditions de son acceptation par la société marocaine. Ce qui compte, c’est bien plutôt le fait qu’un vieillard puisse incarner précisément certaines valeurs humaines parmi lesquelles le sens spirituel joue un rôle éminent. Car il est impossible de comprendre cette sérénité des vieillards aux approches de la mort sans cette constante référence au sens spirituel. »
Dans l’ordre de Dieu, les vieillards étaient intégrés dans la famille, qui prenait entièrement soin d’eux et qui, en même temps, bénéficiait de leur expérience. Cette harmonie a été rompue. L’industrie ayant besoin d’une grande quantité de main-d’œuvre, elle a classé la société en deux catégories : d’une part les productifs, d’autre part les improductifs. Cette dernière catégorie comprenant les enfants, les adolescents et les vieillards. Cette classification a entraîné des scissions : les vieillards n’ont plus part à la vie active. Dans nos villes, les productifs et les personnes âgées ne vivent plus ensemble, sous le même toit. Aux États-Unis, en Arizona, il y a une ville de 23’000 habitants, nommée Sun City, qui est réservée exclusivement aux retraités. « Les membres d’une famille doivent avoir au minimum 50 ans. Les enfants en âge de scolarité ne sont tolérés qu’à titre de visiteurs » . En Europe, nous n’en sommes pas encore là, bien que la ségrégation au niveau familial soit en général partout appliquée. Certains, il est vrai, essaient d’intégrer les retraités dans la société, mais remarquons que Dieu ne parle pas d’intégration dans la société, mais d’intégration dans la famille. L’exemple de Sun City me paraît symptomatique.
Dans les sociétés les plus évoluées, on cherche à créer une seconde scission : cette fois-ci entre les productifs et les enfants. Dans certains kibboutzim israéliens, les enfants sont éduqués par la société dès leur tendre enfance, la mère ne peut les voir que quelques heures l’après-midi.
La première des scissions a été dramatique pour les personnes âgées qui se sont trouvées dans un grand dénuement. Ce dénuement était tel que les états industriels ont été obligés de mettre sur pied un système d’aide à la vieillesse. C’est ainsi qu’en 1948 l’AVS fut introduite en Suisse, près de deux cents ans après l’ouverture des premières usines. En considérant la chose superficiellement, l’introduction de l’AVS peut sembler être un progrès. Effectivement, la situation financière d’un vieillard s’est trouvée meilleure après 1948 qu’avant. Mais au fond, ce n’est pas vraiment un progrès. Pourquoi ? Parce que l’AVS n’est qu’une législation financière excessivement vulnérable. Elle est à la merci d’une guerre ou d’une crise du genre de celle de 1929. Ce que Dieu a institué se fonde sur des relations humaines, sur un sentiment de solidarité et de responsabilité qu’aucune crise ne peut affecter.
Pour illustrer cela, je prendrai l’image du couple époux-épouse. Dans l’ordre de Dieu, l’attachement du vieillard à la société active par le truchement de la famille, est semblable aux liens d’amour, de responsabilité et de solidarité qui unissent l’épouse à son mari. Le Diable, au travers de la société moderne, a détruit cette liaison. Il a introduit un divorce. Puis, constatant que ce divorce est trop douloureux pour l’élément le plus faible (le vieillard ou l’épouse de mon image), il a rétabli le contact par le truchement d’une institution juridique. L’AVS est en somme une sorte de pension alimentaire que le divorcé (la société active) verse aux vieillards. C’est finalement le substitut moderne d’une institution divine. Est-ce vraiment un progrès ?
La maladie et la mort
Je ne veux pas faire ici la théologie de la maladie dans l’ordre de Dieu. Toutefois, je rappellerai simplement qu’aucune maladie ne survient par hasard. Au contraire, chaque maladie est l’écho de quelque chose : dérèglement de la vie, attaque du Diable, épreuve spirituelle, châtiment suite à un péché, etc. (Exode 15 :26 ; Deutéronome 7 :15 et 28 :15 ; Job 2 :7 ; 1 Corinthiens 11 :30, etc.).
Nous retrouvons ici le triptyque évoqué au sujet de l’AVS :
- Tout d’abord dans l’ordre ancien, l’homme dénué des structures sociales modernes et ne possédant qu’une connaissance scientifique et médicale sommaire, ressentait ses maladies comme provenant de l’Être suprême et les acceptait dans un esprit de dépendance à son égard.
- Puis, grâce aux découvertes scientifiques, l’homme a cru pouvoir donner une explication rationnelle à ses maladies, ce qui a donné naissance au corps médical et aux complexes hospitaliers. C’est l’application du modernisme au domaine de la santé.
- Or, ces complexes hospitaliers sont fort chers ; ils nécessitent la mise sur pied de toute une infrastructure d’assurances (maladie-accident, invalidité, vie, etc.). Par les découvertes médicales (qui expliquent rationnellement les maladies) et la sécurité sociale (qui se charge des conséquences financières), l’homme a cru être à même de résoudre seul, par ses propres moyens, ses problèmes de santé. Ce qui a privé Dieu d’un moyen de dialogue avec ses créatures.Voir à ce sujet l’objection No
Comme dans le cas précédent, nous sommes en face de deux structures sociales qui visent le même but : protéger l’individu contre les conséquences financières des épreuves. Les moyens utilisés sont, par contre, différents.
D’une part, la structure ancienne, individuelle, se fondait sur le sens de la responsabilité personnelle qui tissait des liens étroits entre les individus. Les gens se sentaient solidaires les uns des autres. L’entraide était couramment pratiquée.
La structure moderne, collective, étatique, incite à la passivité et à négliger ses responsabilités personnelles. Notre comportement à l’égard des épreuves de la vie s’est modifié. La première question qui surgit en face d’une personne malade ou accidentée est la suivante : êtes-vous assurée ? Si oui, nous sommes rassurés et dégagés de nos responsabilités. Si la réponse est non, nous sentons qu’il nous faudrait aider. Mais nous estimons tout de même que c’est de sa faute, car elle aurait dû s’assurer. Une telle mentalité est grave, car elle oublie que les institutions sociales actuelles sont fragiles et mercantiles. Chaque année, de nombreuses assurances font faillite dans le monde entier et privent ainsi leurs clients de toute protection.
D’autre part, les assurances ont un but lucratif évident, qui se traduit souvent par des combats juridiques acharnés pour éviter de payer à leurs assurés les primes qui leur seraient dues.
Il est certain que tout ceci est très schématique. Les institutions sociales actuelles n’empêchent évidemment personne d’assumer ses responsabilités individuelles à l’égard des nécessiteux ; de nombreux cas de dévouement mériteraient d’être relevés. Par contre, ceux qui ne veulent pas respecter leurs obligations d’entraide peuvent le faire impunément, puisque l’État, la société et les assurances s’en chargent. Ces institutions favorisent donc la désobéissance à un ordre divin.
Anciennement, la mort était toujours présente au sein des familles. On portait le deuil pendant de nombreux mois. Le patriarche qui allait mourir réunissait toute sa famille pour lui transmettre ses dernières recommandations (Genèse 49 :33). La mort était une chose publique. Pour les chrétiens, la mort n’est pas un événement tragique, mais il est nécessaire de s’en souvenir afin de briser l’orgueil de la vie. C’est pourquoi, contrairement aux païens qui omettaient la date du décès, les chrétiens, dès le premier siècle de l’Église, prirent l’habitude de mentionner soigneusement cette date sur les épitaphes[3].
Aujourd’hui, la mort est cachée, escamotée, même embellie. Il ne faut surtout pas en parler, et les médecins se font une obligation morale de mentir à leurs malades. Ce moyen d’être en face de sa misère, et ainsi de se tourner vers Dieu, est singulièrement diminué pour les hommes.
Le travail
L’ordre de Dieu est clair : « Tu travailleras à la sueur de ton front » . L’industrie essaie de supprimer cette loi en faisant travailler la machine à la place de l’homme. Mais, hélas, à quel prix! L’histoire du travail aux XVIII et XIXe siècles fut un drame.
« A l’ouvrier, rien n’est donné en échange de son travail ; vivre, pour lui, c’est ne pas mourir. Son salaire est insuffisant. Sa nourriture se compose de pain et de pommes de terre. La moyenne de sa vie est inférieure à celle des autres classes de la population. La durée de la journée de travail est toujours en moyenne de 15 heures. Le travail des enfants apparaît. On voit des enfants de 6 à 8 ans employés à des travaux simples et faciles, comme la surveillance des machines. Mais ces travaux les obligent néanmoins à une immobilité constante, contraire à leur nature, le plus souvent dans une atmosphère malsaine. On les retient parfois 15 heures et plus à l’usine, on les rudoie s’ils s’endorment sur leur ouvrage. Les femmes sont aussi employées en grand nombre[4]. »
« L’âpre concurrence qui opposera pendant le XIXe siècle, non seulement les entreprises, mais encore les grands pays industriels, obligera les patrons à réduire toujours leurs prix de revient. Or, c’est le coût de la main-d’œuvre qui se révélera, hélas, les plus facilement compressible : c’est ainsi qu’on en viendra très tôt, non seulement à baisser les salaires, mais à substituer au travail de l’homme celui de la femme et de l’enfant, puis celui de la machine. Certes, les enfants avaient dû auparavant prendre leur part du labeur agricole et artisanal, mais jamais les conditions de leur travail n’auraient été aussi dures, malsaines et démoralisantes qu’en cette première moitié du XIXe siècle[5]. »
L’association machine – ouvrier s’est opérée au désavantage incontestable de l’ouvrier. La machine aurait pu être un artifice permettant à l’ouvrier de soulager sa peine. Mais c’est l’inverse qui s’est produit, parce que la machine étant tellement complexe, son prix est sans rapport avec le revenu ouvrier. Une brouette, une pioche, un pressoir sont des instruments accessibles à tout ouvrier. Il en est le maître et se trouve ainsi valorisé par leur utilisation. La chose est toute différente pour l’industrie moderne. Le prix d’une machine moderne peut représenter plusieurs dizaines, voire même centaines de salaires mensuels. Ainsi, c’est quelqu’un d’autre qui est propriétaire des outils de travail de l’ouvrier. Comme ce quelqu’un d’autre ne subit pas la peine du travail manuel, il a évidemment tout intérêt à faire travailler ses machines au maximum. C’est ainsi que l’ouvrier est devenu esclave de la machine. Dans le circuit économique, il n’apparaît plus que comme un serviteur de machine.
« Le matérialisme du XVIIIe siècle fait oublier l’aspect humain du travail : dans l’analyse des économistes, ce dernier n’est plus qu’une marchandise dont le salaire est le prix[6]. »
Le XXe siècle a réduit les heures de travail, introduit les vacances (1936 en France), écarté les enfants, accordé de meilleurs salaires, mais il n’a rien changé fondamentalement. Le drame du travail industriel réside dans le fait que l’industrie a privé le travailleur de sa dignité humaine en lui ôtant, dans son travail, les attributs de cette dignité. L’ouvrier est privé de :
- l’esprit d’initiative
- la liberté dans l’organisation de son temps
- la possibilité de changer sa manière de travailler, d’improviser
- le privilège de créer
- le contrôle économique de l’objet auquel il travaille
- la propriété de ses outils de production
Ceci est valable autant dans les pays à économie libérale que dans ceux à économie socialiste. Car si les uns se fondent sur un capitalisme individuel, les autres cherchent à développer un capitalisme d’État. Contre l’annihilation de toutes ses valeurs humaines, qu’a-t-on donné au travailleur ? Même pas la sécurité de l’emploi, juste un peu d’argent.
J’ai eu le privilège de travailler quelques semaines dans une usine d’horlogerie. J’y ai vu des machines ; des machines à deux jambes et des machines en acier. J’y ai rencontré un homme qui travaillait depuis 14 ans sur le même groupe de cinq machines identiques. Son travail consistait à charger ces cinq machines, c’est-à-dire à placer entre deux petits pitons d’acier quatre platines de montre par machine. À raison de 3 secondes par platine, il se trouvait toutes les 60 secondes devant la même machine. À la fin de la journée, il avait usiné environ 10’000 pièces. À la fin de l’année, sachant qu’il était payé aux pièces, il était heureux de savoir qu’il avait usiné près de 2’400’000 platines. Il savait de quel métal étaient faites ces platines, mais il ne savait pas combien coûtait ce métal, ni qui l’avait travaillé avant lui. Il ne savait pas non plus qui achèverait le travail de ces platines, ni qui vendrait les montres terminées. Et combien ? Il ne savait ni régler sa machine, ni la réparer. Somme toute, cela l’intéressait fort peu puisqu’il savait qu’à 11h 57 sonnerait la sirène annonçant la fin du travail et qu’il aurait jusqu’à 13h 12 pour avaler son lunch. Et ceci jusqu’en 1987… s’il n’y a pas de chômage d’ici-là.
Des hommes comme celui-ci, il y en a des dizaines de millions dans toutes les usines, les bureaux, les magasins, les chantiers du monde. Tragique société que celle où pour vivre il faut nous laisser pareillement aliéner!
Plusieurs d’entre vous se demandent peut-être en quoi ils sont concernés par ce qui vient d’être dit. Ils sont chrétiens, baptisés, convertis, attendent le royaume de Dieu ; en quoi les œuvres du Diable peuvent-elles les concerner ? Je prie ces personnes de patienter jusqu’au chapitre suivant qui analysera les rapports société moderne – Église. Pour l’instant, je vais conclure cette partie en citant un passage du livre de Watchman Nee « Love not the World » , qui traite de la question du rapport entre le monde et Satan :
« La politique, l’éducation, la littérature, la science, les arts, le droit, le commerce, la musique, voilà ce qui constitue le monde et ce que nous côtoyons chaque jour. Supprimez-les et le monde en tant que système cohérent cesse d’exister. En étudiant l’histoire de l’humanité, nous devons reconnaître une progression nette dans chacun de ces domaines. Cependant la question se pose : Dans quelle direction va ce progrès ? quel est le but final de toute cette évolution ? À la fin des temps, Jean nous dit que l’Antichrist se lèvera et établira son royaume dans ce monde (1 Jean 2 :18, 22 ; 1 Jean 4 :5 ; 2 Jean 7 ; Apocalypse 13). Telle est la direction que prend ce monde. Satan utilise le monde matériel, les hommes et les choses qui sont dans le monde, pour mener finalement toutes choses au royaume de l’Antichrist. À ce moment-là, le système du monde se révélera être anti-chrétien. »
Ne croyons pas que Watchman Nee n’était prophète en 1938 que pour son propre pays, la Chine.
Dans les pages précédentes, j’ai essayé de justifier la thèse émise en analysant trois aspects de la vie. Cette justification a fait appel à la notion d’un changement, qui s’est passé à une période donnée de l’histoire. Un changement entre l’ordre ancien et l’ordre nouveau. La question à laquelle nous allons essayer de répondre maintenant est de savoir quand s’est effectué ce changement et sous quelle influence. N’étant pas historien, je suis réduit à vous citer un certain nombre de textes.
C’est à partir de 1750-1760, que nous situons la révolution industrielle, laquelle devait nous ouvrir l’ère du machinisme moderne. Or, il est surprenant de constater que tous les éléments, technologiques et intellectuels, d’un tel développement technique, se trouvaient déjà réunis entre les mains des hommes depuis plus de 2000 ans. En effet, les civilisations égyptienne, grecque romaine, chinoise, etc., possédaient déjà toutes les données scientifiques nécessaires pour mettre en branle un tel développement. Sans entrer dans les détails, voici une liste sommaire des techniques découvertes par ces civilisations.
Les Romains connaissaient les calorifères, le chauffage central à air ou à eau chaude, les réseaux de routes, les postes, les lignes de navigation régulières utilisant des navires d’un tonnage moyen de 400 tonnes, le télégraphe alphabétique, les phares pour éclairer les vaisseaux, le ciment, les cadrans solaires[7]. Les anciens savaient construire des barrages pour former des lacs artificiels, creuser des tunnels, percer des isthmes (Suez environ 400 avant Jésus-Christ, Corinthe), des canaux[8].
Les peintures égyptiennes et les bas-reliefs grecs, ainsi que les objets découverts dans les tombes prouvent qu’ils connaissaient les instruments dont nous nous servons : levier, balance, poulie, vis simple, vis creuse, vis sans fin, bélier, soufflet, manivelle, engrenage, roue dentée, roue à pivot, axe, charnière, treuil, chèvre, siphon, palan, compas, équerre, alidade, métier à tisser, moulin, four à réverbère, alambic, grue hydraulique, machine de jet, etc.[9], jusqu’à l’ébauche d’une machine à vapeur qui ouvrait et fermait les portes d’un temple[10].
Les découvertes des anciens ne se limitaient pas à des applications techniques. Les Romains firent en science agricole, en histoire naturelle, en médecine, en administration publique, des trouvailles que les modernes n’ont pas encore toutes retrouvées. Pline nous parle de la sélection des arbres, de boutures, de l’emploi des engrais les mieux adaptés, de la propriété qu’ont les légumineuses de fertiliser le sol, des avantages du labour profond pour lequel on utilisait une charrue mécanique à roues, tirée par des bœufs[11].
Les Chinois avaient adopté le système décimal avant notre ère. Ils connaissaient le papier, la lithographie, la porcelaine, le ver à soie, l’imprimerie, les journaux, l’aiguille aimantée, la poudre, etc[12].
Mais alors, avec un tel bagage technologique et scientifique, pourquoi ces civilisations ne se sont-elles pas davantage développées pour arriver à notre niveau actuel ? Comment et pourquoi, arrivées si près du but, si près des « merveilles » du temps présent, se sont-elles arrêtées ?
Nous trouvons la réponse à cette question dans les textes des chroniqueurs de cette époque. Nous constatons que l’orientation de ces civilisations était contraire à ce que nous appelons les biens spécifiques de l’industrialisme, contraire aux mœurs et à la morale inhérents à l’industrialisme, contraire à la diffusion des théories scientifiques. Les philosophes grecs estimaient « que l’objet de l’enseignement public devait porter avant tout sur la morale, la constitution de la cité, l’harmonie générale et d’augmenter la sagesse des hommes, de bien discuter, de bien raisonner, de bien se connaître soi-même et non point d’éviter l’effort ou d’augmenter les richesses. » Socrate, dans son Apologie, se vante de ne s’être jamais occupé de physique, parce que les objets de cette science sont vains, inutiles et dangereux. Aristote parle de la physique comme d’une « science méprisée des sages et des philosophes[13] » .
« Les philosophes égyptiens, grecs et romains étaient orientés vers la perfection morale et intellectuelle, vers la solution des grands problèmes théoriques, scientifiques, politiques et moraux. Cette orientation devait les amener à mépriser tellement la construction préméditée des mécanismes aptes à multiplier rapidement la production, la richesse, les distractions et les plaisirs sensuels, qu’elle les empêchait de diffuser les théories scientifiques relatives à des découvertes capables de conduire à la construction de tels mécanismes[14]. »
Cette orientation s’est traduite par des options politiques et économiques. En 161 avant Jésus-Christ, Marcus Pomponius, prêteur, prit des mesures nécessaires pour empêcher l’entrée à Rome des théories philosophiques grecques, accusées de s’occuper trop de science et pas assez de morale[15]. Rome fit un grand nombre de lois contre la diffusion de l’or et contre son extraction ; par contre, aucun effort n’était ménagé pour diriger les Romains vers l’agriculture. Tibère s’évertuait à trouver du travail aux citoyens et jugeait dangereux celui qui inventait la machine à réduire la main-d’œuvre. Il s’en fallut de peu qu’il ne fît emprisonner l’inventeur d’une fabrique de verre malléable qui aurait permis de se passer d’un grand nombre d’ouvriers[16].
Nous remarquons qu’au Moyen Age, sous l’influence du christianisme, cette orientation va en se renforçant. Car la pensée chrétienne oriente l’individu en direction de valeurs spirituelles, éternelles et immuables, aux dépens des valeurs matérielles, passagères et fluctuantes. Tout le développement culturel de cette époque reflète ce mode de pensée. Tandis que les routes romaines ne sont plus entretenues, que les aqueducs et les ponts s’écroulent, et que les gens vivent pauvrement, nous voyons l’Europe se couvrir d’églises et de cathédrales d’une beauté et d’une grandeur encore jamais atteintes. Alors que les Romains ou les Grecs ont été défavorables à l’industrialisme pour des raisons politiques et morales, la civilisation médiévale l’a été pour des raisons spirituelles et sentimentales. Le Moyen Age lutte contre toute innovation technologique, parce qu’il lutte pour la fixité de la vie, parce que la fixité de la vie est le complément indispensable au développement de la spiritualité[17].
De nombreux mathématiciens comme Léonard de Vinci, Galilée, Pascal, Torricelli, Mariotte, s’occupaient, au seuil des temps modernes, de l’application pratique des théorèmes physiques étudiés et résolus. Mais ils s’en occupaient par délassement, par amusement ou par une sorte de curiosité unis à leur science. Les livres scientifiques du Moyen Age sont en général écrits en latin. Les manuscrits de Léonard de Vinci sont écrits en écriture inversée, peut-être afin que ses découvertes ne soient pas trop facilement vulgarisées.
Cette conception spirituelle de la vie a permis l’épanouissement, pendant le Moyen Age, d’une société beaucoup plus humaine que celle que nous connaissons maintenant.
Notre passage sur les bancs d’école nous a laissé le souvenir d’une société médiévale subdivisée en deux classes bien distinctes. D’une part les riches, les nobles, les seigneurs, les chevaliers, qui possédaient tous les droits et toutes les richesses.
D’autre part les pauvres, les paysans, les vilains, les serfs qui vivaient misérablement dans un état proche de l’esclavage. Il est vrai que certains nobles ont commis des exactions à l’égard des serfs de leur domaine, et que de nombreux paysans ont vécu dans une misère tragique. Mais il nous faut constater que la généralisation de ces faits est de plus en plus contestée par les historiens modernes, qui estiment qu’elle a été émise après une analyse hâtive, parfois subjective des sources disponibles. Car la plupart des textes reçus de cette époque proviennent des seigneurs. Les paysans libres, souvent illettrés, ne nous ont laissé que peu de témoignages. Il est certain que les classes énumérées ci-dessus ont existé. Toute société doit être structurée. Mais que savons-nous, en fait, de l’esprit qui prévalait dans les relations entre ces classes ? N’avons-nous pas projeté sur le Moyen Age ce que nous savons des XVIII et XIXe siècles ? Il faut nous rappeler que c’est la Renaissance qui a introduit dans notre société occidentale l’esprit aristocratique, esprit qui a conduit au mépris du travail manuel.
« Les droits des maîtres sur les vilains ne s’exercent pas partout avec la même rigueur. Nombre d’hommes possèdent des terres en propre pour lesquelles ils ne paient ni redevance, ni corvée (25% selon Will Durant)[18]. Dans le Midi, et en bien d’autres régions, l’alleu libre forme la majorité des terres. D’autre part, face à l’emprise des seigneurs s’exerce souvent, moins bien connue, celle des communautés paysannes qui imposent, elles aussi, leurs contraintes et leurs servitudes ; en quelques pays, ces communautés n’ont jamais reconnu à un maître le droit de posséder et de gouverner les terres ; en d’autres, elles se sont affranchies relativement tôt des servitudes les plus lourdes et les plus infamantes[19]. »
Quant aux paysans soumis à l’autorité d’un seigneur, leur situation était beaucoup moins tragique que nous le croyons généralement. Car les relations suzerain-vassal étaient imprégnées d’un sentiment de solidarité qui évitait les abus.
« L’économie du haut Moyen Age était une économie essentiellement rurale, fondée, quant à la condition des biens, sur l’exploitation du domaine, quant à la condition des gens, sur les relations entre personnes vivant sur le même domaine. La terre constituait leur richesse, et chacun exerçait sur elle des droits propres à lui assurer sa subsistance – droits différents, très hiérarchisés selon des coutumes. Ce qui caractérisait ces droits, aussi bien que leur interdépendance, c’était leur lien avec la terre, avec le fief qui a donné son nom à la féodalité. Aux deux échelons extrêmes de la hiérarchie se situait une même obligation : ne pas quitter la terre le serf n’avait pas le droit de la déserter, le seigneur n’avait pas le droit de la vendre, et nul ne pouvait se déclarer plein et entier propriétaire de cette terre, dans le sens où nous l’entendons aujourd’hui. Les rapports entre les personnes se nouaient aussi à propos du domaine : liens d’homme à homme, fondés sur le double engagement de fidélité et de protection[20]. »
« Le principe fondamental de la féodalité était la fidélité mutuelle : le lien économique et militaire de serf ou de vassal à seigneur, de seigneur à suzerain ou seigneur supérieur, de suzerain à roi, de roi à suzerain, de suzerain à seigneur, de seigneur à vassal et à serf. En retour des services de ses serfs, le seigneur leur donnait une tenure à vie qui se rapprochait de la propriété ; il les autorisait, moyennant une modeste redevance, à utiliser ses fours, ses pressoirs, ses moulins, ses eaux, ses bois et ses champs ; il remplaçait diverses redevances en travail par de modiques versements en argent et laissait tomber les autres dans l’oubli. Il n’expropriait pas le serf – habituellement il prenait soin de lui, lorsqu’il était accablé par la maladie et la vieillesse[21]. »
« C’est la nature et l’importance du service qui décident de la formation de la classe aristocratique. À l’origine l’histoire de la noblesse met en lumière le même sentiment, cette volonté de constituer une aristocratie largement ouverte à tous, sous la seule condition d’être à même de remplir, par sa seule valeur et son courage, le rôle qu’on est en droit d’en attendre… Cette façon de concevoir la noblesse comme une fonction sociale qui doit légitimer par les services qu’elle rend les privilèges qu’elle s’arroge, se retrouve dans la disposition du droit coutumier qui oblige le seigneur à veiller sur la sûreté des routes, en considération du droit de passage qu’il perçoit[22]. »
Avant de clore ce chapitre, citons rapidement le phénomène des corporations. Ces métiers ou guildes comme on les appelait au Moyen Age, rassemblaient dans chaque ville tous les artisans d’une même profession. « Initialement, leur but était : la protection des travailleurs. Elle assure à toute une classe de citoyens une réelle sécurité. Elle crée une police extérieure, prend soin des veuves, des orphelins, des vieillards, exerce une censure morale sur les apprentis, les compagnons et même sur leurs propres membres qu’elle oblige à une probité professionnelle[23]. »
« Ces communautés se sont préoccupées autant du bien local que de l’intérêt de leurs membres. Un texte de charte urbaine montre comment l’on concevait ce devoir : « Quelque métier que l’homme fasse, il doit servir la ville où il est, pour qu’il n’y manque ni de pain, ni de vin, ni quoi que ce soit. » Cette dernière formule, parfaitement conforme à la conception biblique du travail, s’en inspirait sans doute. C’est la preuve que les traditions chrétiennes restèrent vivantes dans le peuple au Moyen Age[24]. »
Le trait caractéristique des corporations est la mise en commun des efforts et l’étroite alliance des travailleurs entre eux dans un esprit d’égalité. Un métier était constitué de trois groupes de personnes : les apprentis, puis les ouvriers ou valets, enfin les maîtres. Le contrôle administratif et commercial des corporations était effectué par des gardes et des jurés élus par « le commun du métier » ou nommés directement par le prévôt. Dans quelques métiers, on nommait même des valets jurés. « Après avoir été apprenti, puis valet, l’ouvrier peut atteindre à la maîtrise. Aux XIII et XIVe siècles, ce désir ne rencontre pas de grands obstacles. Le candidat à la maîtrise subit un léger interrogatoire devant les jurés, puis acquitte certaines redevances à la confrérie[25]. »
Les lois qui régissaient les corporations démontrent bien à quel point la société médiévale est ordonnée à des fins proprement spirituelles. Ceux qui étaient animés par l’esprit de profit et la soif des richesses matérielles n’étaient qu’une petite minorité. « A la vérité, cette bourgeoisie médiévale est trop profondément chrétienne pour aimer profondément l’argent… L’eût-elle véritablement aimé qu’elle n’eût pas laissé le négoce de l’argent et l’institution du crédit tomber aux mains des seuls Juifs ou Lombards[26]. »
« Les règlements que les artisans ont établis eux-mêmes, de leur plein gré, prévoient avec minutie la nature et la durée des travaux que chacun devra effectuer. » Le nombre des ouvriers dans les ateliers est limité, car on ne voulait pas qu’un atelier puisse écraser les autres par son importance. Un maître ne pouvait pas avoir autant d’ateliers qu’il le désirait, car on craignait les concentrations artisanales et l’enrichissement des uns aux dépens des autres[27]. Le travail de nuit était en général interdit.
Nous devons donc bien constater que les civilisations qui nous ont précédés avaient une orientation différente de la nôtre. G. Ferrero parle des « civilisations qualitatives d’autrefois et de la civilisation quantitative actuelle » .
Force nous est de reconnaître que, à part des exceptions, nos contemporains « sont d’une époque où trouver le moyen de gagner de l’argent et de s’enrichir est une des qualités les plus admirées ; où le travail payé est un mérite, où l’individu est d’autant plus considéré qu’il réussit mieux à faire des « découvertes pratiques » , des inventions « qui rapportent » et qu’il fait montre davantage de ses richesses, de ses besoins, de ses raffinements[28]. »
Mais alors, à quelle époque faut-il situer le passage de l’ancienne à la nouvelle civilisation ? Quel est le phénomène qui a donné naissance à la civilisation actuelle ?
D’une manière générale, les historiens attribuent le changement de mentalité de la société occidentale à la RENAISSANCE. Le Renaissance est le mouvement littéraire, artistique, scientifique, économique et politique qui eut lieu aux XIV, XV et XVIe siècles, et qui était fondé sur l’imitation de l’Antiquité (principalement l’Antiquité grecque). C’est, en somme, l’introduction de la culture grecque païenne dans le monde chrétien de l’occident. Il peut paraître paradoxal que la métamorphose de la société occidentale, métamorphose qui a conduit au développement du machinisme, fut provoquée par la remise en vigueur de la pensée grecque, alors que celle-ci s’opposait au machinisme. Pour comprendre ceci, il faut se rappeler que l’état spirituel de l’Église de la fin du Moyen Âge laissait à désirer. Les temps avaient changé. Le Moyen Âge est souvent appelé « l’âge de la foi » . Or, cette foi s’étiolait. La présence de Dieu s’estompait, laissant un vide qu’il fallait combler : la culture antique s’en est bien vite chargée. Cette culture a trouvé un accueil formidable chez un grand nombre de personnes avides de connaissance. Et cette connaissance s’est imposée comme concurrente de la révélation divine. Les philosophes, les théologiens de cette époque, au lieu de soumettre cette nouvelle connaissance à la révélation biblique, l’ont confrontée à la Bible ; puis ne pouvant pas adapter l’une à l’autre, l’ont opposée à la pensée biblique. C’est ce qui a donné naissance à L’HOMME AUTONOME, c’est-à-dire l’homme coupé de Dieu. Car, dès lors, l’homme développera sa vie, son art, sa culture, sa science, son économie, la société, indépendamment de Dieu, sans chercher à s’y référer, souvent même en s’y opposant. Or, cette autonomie survenant après une période de fidélité chrétienne, n’est plus seulement l’autonomie du paganisme, mais elle est l’autonomie de la révolte contre Dieu.
Cette pensée fondamentale est développée dans le livre de Francis Schaeffer, intitulé « La démission de la raison[29] » . La lecture de ce livre remarquable est vivement recommandée. Tout chrétien désireux d’approfondir ces problèmes vitaux y trouvera une intéressante analyse de la pensée moderne dans l’optique de l’Évangile.
« La diffusion de l’œuvre d’Aristote en occident dominera le mouvement intellectuel du XIIIe siècle… Les contradictions apparentes de l’aristotélisme avec le dogme chrétien troublaient à ce point les esprits que St Albert le Grand et St Thomas d’Aquin s’attachaient à enrichir la pensée chrétienne de l’apport aristotélicien tout en éliminant les dangers qu’aurait pu y rencontrer la foi[30]. »
Ils n’ont malheureusement pas réussi sur ce dernier point. La foi chrétienne a été effectivement bouleversée par l’apport de la pensée grecque. L’édifice établi à la Pentecôte s’en est trouvé tellement ébranlé, que tous les courants de pensée ont pu ainsi balayer le monde chrétien.
« Si, lorsqu’ils découvrirent l’Amérique, Christophe Colomb et ses successeurs ne songeaient pas au thomisme et n’avaient pas l’intention de le combattre, ils lui portèrent un coup très rude : La Bible et Aristote composaient alors la somme du savoir humain, et ce savoir ignorait l’existence de l’Amérique. En 1543, Copernic avait prouvé que la terre, considérée autrefois comme le centre immobile du monde, tournait sur elle-même en tournant autour du soleil. Dans le même temps, les sages du paganisme pénétraient dans les places jadis réservées aux Pères de l’Église et à ses docteurs : là où on citait Tertullien, saint Ambroise, saint Augustin, saint Thomas, Duns Scot, Montaigne cite Socrate, les stoïciens, les épicuriens, Plutarque, Cicéron, Sénèque, et son « Que sais-je? » ouvre des horizons immenses. »
« L’évolution ne se fit pas sans heurt : condamnation de Galilée, révocation de l’édit de Nantes, dispersion des jansénistes, etc. Cependant Pascal lui-même traça de nouvelles voies en comparant l’humanité « à un même homme qui subsiste toujours et qui apprend continuellement » . Descartes, croyant lui aussi, formula un principe révolutionnaire : « Le premier estoit de ne recevoir jamais aucune chose comme vraie que je ne la connusse évidemment comme telle. » Le courant de pensée qui va de Galilée à Newton heurtait le vieil édifice fondé sur les certitudes unies de la Genèse et d’Aristote. Peu à peu les pierres d’un nouvel édifice étaient amassées[31]. »
La Renaissance a détruit l’harmonie sociale qui prévalait au Moyen Age. Elle a donné naissance à la bourgeoisie qui, pour s’affirmer en tant que classe sociale distincte de la classe ouvrière, jette le discrédit sur le travail manuel. Les travailleurs sont victimes de l’esprit aristocratique qui est celui de la Renaissance. Le travail manuel devient quelque chose de servile et de déshonorant[32].
Les corporations deviennent de véritables syndicats patronaux où les maîtres usent de toute leur puissance corporative pour empêcher les salaires d’augmenter. Les ouvriers ne peuvent plus devenir maîtres.
Dieu a répondu à la Renaissance par la REFORME.
Dieu dans sa grâce a suscité une nuée de témoins remarquables, qui ont injecté dans la chrétienté d’alors un souffle nouveau. Nous sommes infiniment redevables à des Luther, Calvin, Zwingli, Farel, Mélanchton, Huss, Valdo, Savonarole, Knox, etc. Ils eurent le courage de s’opposer avec vigueur à l’esprit de leur siècle et à l’église romaine séduite. Ils rejetèrent toute idée d’autonomie.
Nous constatons effectivement qu’une partie de la chrétienté vécut alors une époque de foi, de piété, de fidélité et d’intégrité spirituelle. Malheureusement, une fois les réformateurs morts, l’Église réformée a délaissé l’esprit de la Réforme. Il y a d’innombrables raisons à cela. Je ne développerai que le cas de Calvin qui me paraît très intéressant, car il est fréquent que des études économiques modernes mentionnent l’éthique calviniste en l’opposant à d’autres conceptions désuètes de l’économie. Par exemple, une analyse du phénomène du crédit, parue en 1973, mentionne que : « une charnière historique sépare la conception thomiste du prêt à intérêt de la théorie calviniste, plus positive, liant l’aspect temporel de l’activité humaine aux impératifs de la spiritualité[33]. »
Pourquoi se réfère-t-on encore à Calvin lorsqu’on parle d’économie moderne ? C’est parce que Calvin a énoncé des thèses économiques totalement révolutionnaires pour son époque, et qui font encore foi maintenant. Ceci vient du fait que Calvin, parmi les réformateurs, avait une situation tout à fait particulière. Tout en étant chef spirituel, il avait un important rôle à jouer sur le plan temporel. Il devait à la fois légiférer pour l’Église, ce qu’il faisait dans l’obéissance à la Parole, et pour les inconvertis qui étaient sous sa tutelle. Il s’est tout de suite rendu compte qu’il ne pouvait pas imposer aux inconvertis les mêmes règles qu’aux chrétiens. C’est pourquoi il a été conduit à modifier les exigences divines et à les adapter à la situation des inconvertis de sa ville, tout en indiquant clairement aux chrétiens que ces dérogations ne les concernaient pas.
« En appliquant cette éthique à la cité de Genève, Calvin montre bien la nature de sa méthode. Il sait par expérience que tous les habitants ne vivent pas dans la liberté de la foi. Il faut donc leur appliquer une loi qui tienne compte des circonstances particulières de ce lieu et de ce temps. En conséquence, il propose aux autorités une législation sur le mariage et sur le divorce beaucoup plus large qu’on eût pu l’imaginer, autorisant la séparation des époux dans de nombreux cas[34]. »
Calvin fut amené à faire les mêmes concessions sur le plan financier. Notamment, il permit aux chrétiens de pratiquer le prêt à intérêt. Voici ce qu’il dit à ce sujet :
« Pour notre propre éthique, il convient de garder la subsistance de ces lois, mais nous pouvons en rejeter la lettre. Il est notoire que les usures ont été défendues au peuple ancien, mais il faut en même temps confesser que ça a été une partie de la politique judaïque. Donc il s’ensuit que les usures ne sont point aujourd’hui à condamner, sinon en tant qu’elles contreviennent à l’équité et l’union fraternelle, ainsi que chacun s’ajourne au siège judiciaire de Dieu, pour ne faire à son prochain sinon ce qu’il voudrait lui être fait ; cela servira d’instruction infaillible pour se bien gouverner[35]. »
Cette pratique porta immédiatement ses fruits.
« Le Réformateur a ainsi inauguré une ère nouvelle dans laquelle le prêt à intérêt à été libéré d’une tutelle séculaire. Et l’on sait que la partie du monde qui a connu cette libération est devenue le berceau de la civilisation industrielle moderne[36]. »
Pour comprendre les motivations profondes du message de Calvin, il faut le situer dans le contexte des XV et XVI® siècles. L’Europe était alors en pleine Renaissance, qui n’était autre, rappelons-le, que la remise en vigueur des cultures païennes de l’Antiquité. Sur le plan du travail, cette paganisation de la société eut des effets désastreux. Les travailleurs furent victimes du nouvel esprit aristocratique. Le travail manuel devint quelque chose de servile et de déshonorant. Laurent de Médicis disait : « Il n’y a point de génie chez les gens de peu qui travaillent de leurs mains et qui n’ont pas le loisir de cultiver leur intelligence. Les gens de sang noble peuvent seuls mener les choses à leur perfection. »
Le travail manuel est méprisé, alors qu’un petit nombre de familles parvient, par des méthodes souvent malhonnêtes, à se construire des fortunes considérables ; telle la dynastie des Fugger, dont Luther dénonça les exactions. L’exemple de ces fortunes, souvent accumulées aux dépens des travailleurs, en diminuant leurs salaires par le jeu de la concurrence, ou en les remplaçant par des machines, a été démoralisant, car il a montré à des peuples besogneux et pauvres, mais foncièrement honnêtes, qu’on peut s’enrichir sans travailler, en pratiquant le monopole, l’usure et la spéculation[37].
C’est ainsi que devant le spectacle du relâchement moral, de l’oppression sociale, et du mépris du travail manuel, les Réformateurs ont dû compléter leur message spirituel par des mots d’ordre en matière économique et sociale.
« Unanimes dans leurs protestations, les Réformateurs différaient d’avis sur les remèdes à proposer : tandis que Luther demandait que l’on revint en Allemagne à une sorte d’économie patriarcale, Bucer, à Strasbourg, et Calvin, à Genève, encouragèrent résolument le développement de l’industrie et du commerce, tout en soumettant l’activité économique à de strictes règles de moralité[38]. »
Dans le but de redonner au travail la dignité qu’il avait perdue, la Réforme fait de la loi du travail une règle pour chacun : il y a, pour chaque homme sans exception, appel de Dieu à accomplir une tâche personnelle. L’universalité des vocations marque, dans la société civile, la fondamentale égalité des hommes devant Dieu.
« C’est Calvin, surtout, qui a donné à cette réhabilitation des métiers toute son ampleur et sa justification. Luther, proche encore du Moyen Age, faisait de la vocation un état dans lequel l’homme devait travailler au service de Dieu. Calvin donne à cette conception non seulement une portée plus large, mais une valeur positive, un sens actif ou, comme on dit aujourd’hui, un dynamisme nouveau, en enseignant que l’homme doit servir par sa vocation, celle-ci étant moins un état qu’une force active, moins un privilège qu’un devoir, moins un statut hérité ou acquis qu’une obligation à mettre en œuvre, toujours davantage, talents, dons et possibilités[39]. »
Cette éthique du travail fut élaborée dans le but très noble de revaloriser les classes laborieuses, qui étaient méprisées par l’aristocratie. Elle a eu des conséquences très positives. Les pays qui ont adhéré à la Réforme ont rapidement effectué de grands progrès dans le domaine social. C’est ainsi qu’en Angleterre, le Statut d’Élisabeth a institué, en 1601, l’excellente Loi des Pauvres. Cette loi faisait obligation aux paroisses de donner du travail aux indigents valides et de pourvoir les orphelins d’un métier, réservant le droit des aumônes aux malades et aux impotents.
Toutefois, l’éthique calviniste du travail comportait un grand danger, qui finalement causa un tort considérable au monde du travail : c’est celui d’associer piété à dynamisme et développement professionnel. Le Moyen âge devait aussi faire respecter la dignité du travail. Il l’a fait en associant piété a pauvreté, ou tout au moins piété à modération. Les lois énumérées à la page 16, qui restreignaient le développement des corporations, le démontrent clairement. Le Moyen Age étant très statique, se méfiait des richesses et estimait, fort bibliquement d’ailleurs, qu’il valait mieux rester dans l’état où l’on se trouvait. L’estime médiévale de la pauvreté allait à l’encontre de l’orgueil humain.
Par contre, l’association piété-dynamisme professionnel étant très attractive, car tout dynamisme professionnel apporte tôt ou tard un profit pécuniaire, cette association convenait parfaitement à des gens dont la piété n’était que superficielle, voire inexistante. C’est ainsi qu’au fil des années, la formule de Calvin : piété = dynamisme professionnel, est devenue : piété = dynamisme professionnel + profit + enrichissement. Je ne veux pas dire par là que Calvin a engendré l’esprit de lucre et de profit du capitalisme moderne. Cet esprit existait avant lui. Calvin n’a fait que d’entrouvrir une porte que les siècles suivants se sont bien chargés d’ouvrir complètement, et par laquelle les personnes animées d’un esprit de profit sont entrées dans l’Église.
« Toute doctrine peut être détournée de son sens, de façon arbitraire, par ceux qui veulent déguiser leur intérêt sous des considérations morales. C’est ce qui est arrivé finalement à la doctrine calviniste des vocations. Alors qu’elle devait être un antidote à l’esprit de lucre, elle sera invoquée au XVIIIe siècle pour justifier la recherche du profit[40]. »
« On est donc dans l’ère précapitaliste, où les questions économiques sont subordonnées à l’éthique par certains de leurs aspects. Cela ne va durer que quelques années et l’on voit apparaître très vite le moment où le mouvement de bascule s’opère et où l’on entre résolument dans l’ère capitaliste, caractérisée à juste titre par l’émancipation de l’économie de toute subordination éthique et théologique[41]. »
C’est dans son autonomie économique à l’égard de Dieu, que réside le drame de la société chrétienne occidentale. La conséquence tragique de la dualité de l’enseignement de Calvin pour l’Église réformée réside dans le fait qu’après sa mort, ses successeurs ont confondu les deux enseignements. Ils ont justifié et autorisé pour les chrétiens ce qui n’était admissible que pour les inconvertis. Avant le catholicisme, le protestantisme fut amené à faire des concessions à l’esprit du siècle.
« La religion réformée réforme sa morale économique : elle se méfie toujours de la richesse, mais en condamne moins l’accumulation que le mauvais usage. Le puritanisme anglais va plus loin dans cette voie, cherchant à réconcilier l’esprit d’entreprise et l’exigence morale : ainsi naît la morale de la concurrence et de la lutte[42]. »
« Le puritanisme et le piétisme ont développé un raisonnement qui est à peu près le suivant : Si le chrétien ne dépend que de la libre grâce de Dieu, personne ne peut être assuré de son salut (situation fort peu confortable), à moins que l’on ne découvre des signes de la bénédiction de Dieu dès cette vie. Quels peuvent être ces signes? Une famille nombreuse et prospère, des affaires qui réussissent. On cherchera donc ces signes, et au besoin on les provoquera[43]. »
Quelles furent les conséquences de l’abandon par l’Église réformée de l’esprit de la Réforme ? Elles furent dramatiques. J’ai parlé de la Loi des Pauvres de 1601. Au XVIIIe siècle, cette loi a été utilisée pour justifier les pratiques scandaleuses du début de l’ère industrielle. « Lorsque les manufactures se développèrent, à la fin du XVIII siècle, les employeurs offrirent aux autorités des paroisses de prendre leurs petits pauvres en apprentissage. C’est ainsi que des dizaines de milliers d’enfants, dont beaucoup n’avaient que cinq, six ou sept ans, furent confiés à des patrons dont les entreprises étaient souvent situées à l’autre bout du pays. Certains employeurs sans scrupules tirèrent avantage du fait qu’il n’était pas possible de contrôler ces prétendus apprentissages. Ils attachèrent les enfants à des métiers mécaniques et les firent travailler, dans des conditions odieuses, jusqu’à seize ou dix-huit heures par jour… Des fortunes furent édifiées sur l’exploitation de la main-d’œuvre enfantine et féminine au début du XIXe siècle. Aussi la résistance fut-elle acharnée lorsque des philanthropes protestèrent contre de tels scandales[44]. »
Voici encore d’autres conséquences que nous pourrions mentionner :
- L’esclavagisme, qui n’est certes pas une invention moderne, mais qui a été développé au point de devenir une institution très prospère pour les Américains descendant des puritains calvinistes. Cet esclavagisme ne fut supprimé qu’en 1865.
- La colonisation, avec son prolongement Sud Africain : l’Apartheid. Il faut se rappeler que les Anglais et les Boers, qui forment l’actuelle minorité ethnique blanche de l’Afrique du Sud, sont d’origine calviniste, et qu’ils fondent leur doctrine de l’Apartheid sur des textes de la Bible.
- Le communisme, avec ses applications politiques dans les pays de l’est européen et de l’Asie, est l’une des conséquences dramatiques de la condition ouvrière scandaleuse du XIXe siècle.
- Une autre conséquence de la condition ouvrière du siècle dernier est la déchristianisation du monde ouvrier. Cette déchristianisation est particulièrement manifeste dans les pays à forte concentration ouvrière. Certains prélats reconnaissent qu’au XIXe siècle l’Église romaine a perdu la classe ouvrière.
Pour clore ce chapitre, je citerai les paroles d’Alexandre Vinet, l’un des grands prophètes du XIXe siècle, qui, en 1836, disait :
« Nous sommes peut-être, à l’heure qu’il est, après dix-huit siècles de christianisme, engagés dans quelque erreur énorme dont le christianisme un jour nous fera rougir. »
3. ATTITUDE DE L’ÉGLISE FACE A LA SOCIÉTÉ MODERNE
Dans les chapitres qui précèdent, nous avons considéré les changements qui sont intervenus dans la société et, par conséquent, dans l’esprit des gens, chrétiens ou non, qui la composent. Ces changements consistent en un glissement en dehors du cadre voulu de Dieu. Notre société est devenue autonome à l’égard de Dieu. Elle a fait confiance au « bon sens » qui l’anime, à sa conception du progrès, alors que les lois de Dieu, considérées comme désuètes, inapplicables ou fantaisistes, sont mises de côté. Dans ce troisième chapitre, nous évoquerons, sans entrer dans les détails, la situation du chrétien et de l’Église. Nous parlerons essentiellement de leur situation face aux problèmes de l’économie, des affaires, de la richesse.
Lorsque Jésus parle des riches, Il ne les condamne pas en tant que tels. Le christianisme n’est pas une idéologie qui favoriserait à priori une classe sociale aux dépens d’une autre. L’appel du Christ s’adresse à tous sans restriction. Toutefois, comme les ambitions, les intérêts, les soucis et les occupations habituels des riches sont très différents des préoccupations d’un chrétien qui désire servir son Dieu, le Seigneur les avertit d’une manière excessivement sévère :
« Je vous le dis en vérité, un riche entrera difficilement dans le royaume des cieux. » (Matthieu 19 :23)
« Malheur à vous, riches, car vous avez votre consolation. » (Luc 6 :24)
Les affirmations ci-dessus sont, certes, dures, mais elles ne se prêtent à aucune tergiversation. Tout le monde en conviendra puisque c’est la parole même du Seigneur. Toutefois, ceci dit en passant, il est intéressant de souligner le curieux commentaire que bon nombre de traducteurs donnent au texte de Luc 16 :19-31. Ces traducteurs intitulent ce texte : Parabole du mauvais riche et du pauvre Lazare. Or, le qualificatif « mauvais » attribué au riche ne se trouve pas une seule fois dans le texte. Le Seigneur n’a pas fait de nuance entre un sous-entendu bon ou un sous-entendu mauvais riche. Si des traducteurs l’ont fait, c’était peut-être pour épargner certaines susceptibilités.
Jacques, de même, tient, par le Saint-Esprit, un langage très sévère à l’égard des riches. Son épître s’adresse à des chrétiens et pourtant, il est obligé de leur dire :
« Riches, pleurez et gémissez! … Vos richesses sont pourries… Votre or et votre argent sont rouillés…Voici le salaire des ouvriers qui ont moissonné vos champs, et dont vous les avez frustrés, cris, et les cris des moissonneurs sont parvenus jusqu’aux oreilles du Seigneur des armées. » (Jacques 5 :1-6)
Deutéronome 15 nous dit que si un indigent, injustement traité criait à Dieu contre un riche, ce dernier se chargerait d’un péché. Jacques renchérit en affirmant qu’en plus du cri des moissonneurs, le salaire injuste crie à l’Éternel. Ainsi, chaque fois qu’un ouvrier reçoit un salaire inférieur au produit de son travail, la différence dont il a été frustré crie à l’Éternel des armées. On ne peut que frémir lorsqu’on pense à la somme des injustices subies par les salariés dans notre monde moderne.
L’apôtre Paul, dans la première épître à Timothée, au chapitre 6, éclaire le problème qui nous préoccupe d’une manière excessivement intéressante. Aux versets 17-19, il parle des riches. Il ne les condamne pas, mais il leur impose des recommandations précises, afin d’éviter à ceux qui les respectent les jugements de Jacques 5. Par contre, au verset 9, il s’insurge avec vigueur contre ceux qui veulent s’enrichir.
« Mais ceux qui veulent s’enrichir tombent dans la tentation, dans le piège, et dans beaucoup de désirs insensés et pernicieux qui plongent les hommes dans la ruine st la perdition. »
Dans ce verset, nous trouvons l’explication du drame de notre XXème siècle. Les fortunes, jusqu’au XVII ou XVIIIème siècle, étaient en général des fortunes de famille. Au Moyen Âge, les fortunes des suzerains étaient souvent des garanties de protection à l’égard des vassaux. L’histoire nous à transmis de nombreux documents au sujet de fortunes utilisées, en partie ou totalement, pour venir au secours des petites gens lors de cataclysmes, famines ou autres troubles. L’industrialisation a brisé l’ordre social ancien et l’a remplacé par la loi du plus fort. Le prolétariat est apparu. Il fournit son travail aux suzerains modernes sans pour autant obtenir de leur part des garanties de protection. Les gens ont alors estimé ne pouvoir obtenir de garanties suffisantes en cas de difficultés, que dans leur propre fortune. C’est ainsi que chacun s’est élancé dans la course à la richesse pour obtenir des garanties et, surtout, pou jouir du prestige populaire que confère l’argent.
Les fortunes du XXe siècle ne sont, en général, plus des fortunes transmises par un parent. Ce sont des fortunes acquises par la force du poignet. Toute l’estime populaire va à des gens comme Rockefeller, Ford, Brown, Boveri, Sulzer, Bailly, et j’en passe, qui étant partis de peu, parfois même de rien, sont arrivés, à force de travail, de volonté, de ténacité, souvent aussi de fraude mais cela ne se dit pas, à se construire des fortunes considérables. Ces hommes célèbres ont trouvé par le monde, dans toutes les couches sociales, des millions d’imitateurs, chrétiens ou non, qui ont fait de leur enrichissement le but primordial de leur vie. C’est précisément à l’attention de ces gens-là que Paul adresse un avertissement : « Vous allez à la perdition. » Ils ne s’en rendent évidemment pas compte, mais Paul sait que le simple désir d’accroître son niveau de vie, déclenche des passions contraires à l’Évangile. C’est d’ailleurs pourquoi il recommande : « Que chacun demeure dans l’état où il était lorsqu’il a été appelé. » Tout au plus envisage-t-il une exception : l’affranchissement de l’esclave (1 Corinthiens 7 :20-21).
Avant d’analyser l’attitude de l’Église, nous évoquerons succinctement deux comportements possibles d’un chrétien face à la société moderne. Précisons d’emblée que ces propos s’adressent particulièrement à des chrétiens hommes d’affaires indépendants ou cadres dans leur entreprise. C’est-à-dire à des personnes qui ont ce qu’on appelle une « situation dans la société » . Position qui implique une responsabilité.
- Reconnaissant Jésus-Christ comme le Seigneur de sa vie, il soumet à l’autorité divine sa science, sa technique, ses connaissances, ses capacités et sa manière de conduire les affaires. Il respecte scrupuleusement les lois présentées aux pages 1 et 2, car Dieu ne change pas. Il se souvient que la charité ne cherche pas son intérêt (1 Corinthiens 13 :5), mais qu’il doit aussi considérer les intérêts des autres gens (Philippiens 2 :4), y compris ceux de ses concurrents. Il doit être scrupuleusement juste avec ses clients et ses employés. Le traitement qu’il donne à ses ouvriers ne doit pas être calculé en fonction du salaire habituellement versé dans cette branche, mais doit correspondre au produit effectif du travail des ouvriers (Jacques 5 :4). Inutile de préciser qu’il doit être parfaitement intégré avec le fisc. Je rends gloire à Dieu pour un tel chrétien et me réjouis de sa situation.
- Il peut y avoir aussi une autre attitude. C’est celle du cadre chrétien qui met tout son cœur, toute son énergie, ses facultés, sa réflexion, ses connaissances, son dynamisme, et parfois même son temps libre, au service d’une entreprise dont il sait que les propriétaires ne sont pas chrétiens. C’est-à-dire d’une entreprise dont l’éthique, refusant de se soumettre aux règles vues ci-dessus, s’oppose à la pensée de Dieu et, finalement, s’oppose à Dieu lui-même. Une entreprise sans scrupules, qui trompe fisc et clients, et qui n’a d’autre ambition que l’accroissement de son chiffre d’affaires. Par son travail, ce chrétien développe, favorise, perfectionne et conduit au succès une organisation anti-divine!! Cet homme étant dévoué, intègre et productif, est très, apprécié de ses patrons, qui se l’attachent par de multiples éloges, et surtout par des espèces sonnantes et trébuchantes généreusement distribuées. Il verra alors sa situation financière et sociale s’accroître. C’est à ces personnes que Paul affirme que leur enrichissement les conduit à la ruine.
Il ne s’agit pas d’inciter les chrétiens à la paresse ou à la négligence professionnelle. Ils doivent être laborieux et consciencieux à leur travail. Mais il s’agit de replacer la profession dans son cadre raisonnable. Car nous sommes obligés de reconnaître qu’elle a pris dans nos vies une place de plus en plus démesurée. À l’origine, elle n’était qu’un moyen de faire vivre l’homme. Au cours des âges, sous les influences précitées, la profession a débordé de son cadre légitime. Elle est devenue une raison d’être, un but, une idole. On lui consacre le meilleur de notre temps, de notre énergie, de nos capacités. Notre société a remplacé l’idole de bois du païen par celle qui se nomme : succès, prestige professionnels, croissance économique, expansion industrielle, augmentation des revenus.
Tout ce que l’homme crée, façonne, invente, s’est imposé en tant que dieu. L’activité créatrice de l’homme est devenue son propre dieu, ceci dans tous les domaines : économique, artistique, culturel, sportif, scientifique, technique, loisirs, etc.
« Je prononcerai mes jugements contre eux, à cause de toute leur méchanceté, parce qu’ils m’ont abandonné et ont offert de l’encens à d’autres dieux, et PARCE QU’ILS SE SONT PROSTERNÉS DEVANT L’OUVRAGE DE LEURS MAINS. » (Jérémie 1.16)
Mais alors, me direz-vous, pour moi qui suis cadre et qui n’ai pas le privilège d’avoir un patron chrétien, je me trouve devant une situation quasi insoluble. J’en conviens et constate que cette situation a conduit certains à abandonner une place de professeur à l’université pour se vouer à l’agriculture, à d’autres de briser une brillante carrière d’ingénieur pour devenir un petit artisan obscur. Elle a conduit un directeur d’entreprise de construction à abandonner son poste pour reprendre la truelle, ou à l’héritier d’un commerce prospère à renoncer à un tel héritage. Et j’en passe…
L’amour du monde est inimitié contre Dieu (Jacques 4 :4). Réaliser ceci et accepter de renoncer à une situation enviable, conduit à une grande joie, un dynamisme spirituel en face de Dieu. Mais sur le plan humain, cela entraîne fatalement un repli sur soi-même, un recul en face de « ceux qui montent » , et finalement une sorte de résignation : notre nom ne sera plus mentionné dans les conseils d’administration, nous ne serons plus sur la liste des actionnaires, on ne fera plus notre éloge dans les revues techniques, et nos anciens camarades d’études parleront de nous avec un petit sourire ironique. Mais n’est-ce pas cela que Dieu veut pour nous?
« Malheur, lorsque les hommes diront du bien de vous… » (Luc 6 :26)
« Ce qui arriva au temps de Lot arrivera pareillement… » (Luc 17 :28)
« Car ce juste qui habitait au milieu d’eux tourmentait journellement son âme juste à cause de ce qu’il voyait et entendait de leurs œuvres criminelles. » (2 Pierre 2 :8)
« L’Éternel lui dit : passe au milieu de la ville, au milieu de Jérusalem, et fais une marque sur le front des hommes qui soupirent et qui gémissent à cause de toutes les abominations qui s’y commettent. » (Ézéchiel 9 :4)
Il n’y a pas beaucoup de place pour le succès professionnel dans les textes ci-dessus.
Parlons maintenant de l’Église. Nous n’en parlerons que sous l’angle de sa relation avec le monde, sans nous préoccuper des problèmes théologiques et doctrinaux.
Avec une grande tristesse, il faut reconnaître que l’Église est infidèle. Elle a péché, elle pèche encore, mais n’en a pas conscience, Elle ne cherche donc pas à se repentir.
L’Église est historiquement coupable, car elle a cautionné, elle a participé et parfois même elle a favorisé l’essor du système moderne. L’Église actuelle est coupable de ne pas s’opposer, ou tout au moins de ne pas dénoncer la séduction du système moderne. Elle est coupable dans lé choix de ses cadres (membres des conseils de paroisses, anciens des assemblées) en faisant souvent appel à des personnes estimées aux yeux du monde. C’est-à-dire à des chrétiens qui mettent toute leur énergie professionnelle au service d’une institution opposée à la pensée de Dieu.
L’Église devait s’opposer à la pensée moderne ; d’une part pour elle-même, mais surtout pour les autres, les inconvertis, « pour nos frères dans le monde » (1 Pierre 5 :9). Elle devait s’y opposer avec le même esprit que celui qui animait David et dire avec lui : (1 Samuel 17 :26) Qui est ce menteur, ce séducteur, ce dragon, ce serpent ancien pour insulter la création du Dieu vivant et la séduire pareillement ! David aurait pu se désolidariser du peuple et ne rien entreprendre contre Goliath. Or, il était tellement attaché à son Dieu qu’il n’a pas supporté l’affront du géant. L’Église aussi, dans un même esprit d’amour, devait s’opposer aux.affronts de la société industrielle et dénoncer les séductions de celui qui cherche à entraîner le plus grand nombre à la perdition. Lorsque nous reconnaîtrons que c’est dans cette société que le Diable s’est incarné pour séduire la terre, il sera trop tard.
En parlant des drames de la société industrielle du XIX® siècle, Pierre Jaccard dit ceci :
« Les Églises chrétiennes, au XIXe siècle, ont pris trop aisément leur parti de ces iniquités. Férus d’un libéralisme dont ils ne comprenaient pas le danger, la plupart des théologiens catholiques et protestants, en étaient venus à professer que l’Église, comme l’État, ne devait intervenir en rien dans le monde des affaires, jugé hostile, étranger ou indifférent au monde de la foi[45]. »
« L’Église a manqué à son devoir en ne s’élevant pas contre les abus de la domination économique, et ce, à un moment de l’histoire où le consensus était en sa faveur, ce qui n’est plus le cas aujourd’hui[46]. »
D’une manière générale, l’Église refuse le message de la repentance pour de multiples raisons. Je n’en retiendrai que deux.
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- Le chrétien converti, baptisé, qui a fait une expérience objective avec le Seigneur, a reçu en lui un esprit de réconciliation avec Dieu, et de ce fait se trouve dans la joie et dans la paix. Or, cette joie et cette paix le coupent trop souvent de ceux qui sont dans le monde, Il ne réalise pas à quel point nos contemporains sont angoissés et souffrent de leur situation.
- La deuxième raison résulte d’une confusion. On confond souvent le péché personnel et le péché de l’Église, la victoire personnelle et la victoire de l’Église, la joie personnelle et la joie de l’Église. Ce sont des réalités qui forment un lorsque l’Église est fidèle, mais qu’il faut dissocier lorsque l’Église a péché. C’est ce qui ressort clairement de la prière de Daniel. Nous connaissons tous l’intégrité de Daniel, l’amour qu’il portait à son Dieu et sa fidélité jusqu’au martyre. Or, lorsque Daniel pense à Jérusalem, à Israël, au temple, au culte perdu, il s’humilie et confesse son péché.
« Seigneur, à nous la confusion de face, à nos rois, à nos chefs et à nos pères, parce que nous avons péché contre toi. » (Daniel 9 :8)
« Je parlais encore, je priais, je confessais MON péché et le péché de mon peuple… » (Daniel 9 :20)
Or, si les hommes s’opposent à la notion de repentance, s’ils se leurrent au moyen d’une foule d’arguments, et se persuadent qu’ils sont toujours dans la bénédiction, et que leur vie est conforme à la pensée de Dieu, le Saint-Esprit, lui, ne se trompe pas. Son message actuel est celui de Jean-Baptiste : LA REPENTANCE avant le retour du Seigneur.
« Prépare-toi à la rencontre de ton Dieu, Ô Israël. » (Amos 4 :12)
On attribue généralement cette injonction aux inconvertis lors d’une évangélisation. Mais c’est à Israël, donc à l’Église que Dieu dit ceci. D’ailleurs, la nécessité de ce message se fait largement sentir ; chacun s’accorde à reconnaître que la vie spirituelle des assemblées atteint un plafond qu’elle ne peut pas dépasser, qu’il y a quelque chose qui ne va pas, que l’Église a perdu sa puissance, qu’il faut que ça change, etc. Mais bien souvent, les hommes ayant la démangeaison d’entendre des choses agréables (2 Timothée 4 :3), refusent le message de la repentance et se leurrent en parlant d’amour, de paix, d’unité, de joie, de bonheur et de bénédiction. Nous assistons, dans certaines églises à une psychose de louange, à une autosuggestion de bénédiction. Ceci en orientant délibérément les cultes dans la direction de la louange. En cherchant par tous les moyens (prière exaltée, chants sentimentaux) à promouvoir un climat d’euphorie. De plus, ce qui est infiniment plus grave, les enseignants entretiennent cet esprit d’euphorie spirituelle en sélectionnant les sujets des prédications ; ils éliminent les textes de reproches pour ne garder bien souvent que les textes d’éloges et de bénédictions. Cet esprit de sélection en arrive même, lors de l’étude historique de l’Ancien Testament, à s’étendre longuement sur le climat de joie et de louange relaté par le texte, en omettant de mentionner l’origine de cette louange (repentance, jeûne, purification du temple, etc.).
Nous assistons actuellement dans l’Église au développement d’un phénomène nouveau, assez important pour que nous lui consacrions quelques lignes. Je veux parler du réveil charismatique, Tout réveil est un sujet de joie pour l’Église. Nous ne pouvons que nous réjouir de la plus grande ferveur spirituelle qui anime certaines personnes entrées dans ce réveil. Par son moyen, nous avons aussi eu le privilège d’être renouvelés.
Toutefois, en considérant les choses de plus près, nous ne pouvons pas manquer d’être surpris par ce que nous découvrons,. Souvent cette ouverture aux choses de Dieu a avorté, Le feu allumé lors de la nouvelle rencontre avec le Seigneur s’est bien vite éteint. Pourquoi? Parce que ce réveil n’est, en général, pas accompagné de l’enseignement édificateur qui doit être diffusé par les églises. Comment alors expliquer que des personnes, soi-disant baptisées du Saint-Esprit depuis des années, persistent dans des théologies non-scripturaires ou acceptent des compromis dans leur vie.
L’étude de l’origine de ce réveil parmi les milieux catholiques américains apporte une explication à ces questions. Nous trouvons l’historique de ce mouvement dans le livre intitulé « Le retour de l’Esprit » , de K. et D. Ranaghan. Ce livre nous apprend que les premières manifestations de l’Esprit dans les milieux catholiques sont apparues en janvier 1967, à la suite d’une soirée qui a réuni quelques membres de la Faculté de l’Université de Duquesne à Pittsburgh et un groupe de prière pentecôtiste. Ces étudiants étaient assoiffés et aspiraient à une vie spirituelle plus féconde. Les pentecôtistes, selon leur habitude, pour répondre au souhait de leurs interlocuteurs, leur ont spontanément imposé les mains sans s’assurer de l’orthodoxie de leur foi et sans leur enseigner tout le conseil de Dieu. Ces étudiants auraient reçu l’Esprit. Mais, en fait, quel Esprit? C’était l’Esprit qui, plus tard, leur a révélé que « rien (de ce qu’ils apprirent) n’était en contradiction avec l’enseignement de l’Église (romaine). »
« Le mouvement pentecôtiste n’a ni séparé, ni exclu les catholiques de leur Église. Bien plus, il a renouvelé leur amour de l’Église et a édifié une foi vivante en la communauté catholique[47]. »
Voici les témoignages de trois personnes qui ont reçu cette bénédiction :
« Le baptême dans le Saint-Esprit ouvre mon cœur davantage aux autres. Souvent, ces derniers temps, surtout à la messe ou à la chapelle, mon cœur s’est mis à battre très fort… La mère de Dieu est devenue plus proche[48]… »
« L’Esprit a approfondi tous les aspects de mon expérience religieuse. J’ai trouvé dans les sacrements, particulièrement la pénitence et l’eucharistie, un niveau de signification nouveau. J’en suis arrivé à une compréhension plus profonde de l’eucharistie en tant que sacrifice et je suis revenu aux confessions fréquentes, alors qu’auparavant je mettais en doute qu’elles puissent me corriger[49]. »
« Comme l’ont découvert un grand nombre de nos amis, l’Esprit Saint a renouvelé notre amour pour l’Église… Les dévotions traditionnelles, comme les dévotions mariales se sont chargées pour nous de signification (et je suis l’un de ceux qui laissaient complètement Marie dans l’ombre il y a quelques années[50]). »
Lors d’une réunion, une personne a prié Marie en langues,en citant en grec la prière : « Je vous salue, Marie… » , alors qu’elle ignorait cette langue.
Les témoignages que nous avons entendus de la bouche de catholiques européens sont identiques. Le Saint-Esprit leur a été donné il y a 3, 4, voire 5 ans, et depuis lors ils peuvent témoigner des expériences exprimées ci-dessus.
Peut-être faut-il préciser que je souhaite vivement le réveil spirituel de toute personne catholique ou non. Mais transmettre le Saint-Esprit à une personne qui n’est pas préparée à le recevoir, c’est-à-dire.à une personne qui ne se soumet pas à la vérité révélée, est une grave erreur. Il est faux de croire que le Saint-Esprit force les gens à l’obéissance. Le Saint-Esprit ne conduit dans toute la vérité que ceux qui sont décidés à lui obéir.
Où nous conduit ce réveil ? Je laisse répondre R. Bréchet, l’envoyé spécial de « 24 Heures » qui, le 20 octobre 1974, a écrit ce qui suit au sujet du synode mondial des évêques (plusieurs d’entre eux sont, rappelons-le, charismatiques) :
« Tous les observateurs avouent que ce synode est sans contredit le meilleur de tous. Pourtant, rien de spectaculaire. Néanmoins, un changement profond est en train de se produire. Les pères du synode non seulement affirment que la première place dans l’évangélisation revient au Saint-Esprit – ce qui est une doctrine traditionnelle – mais ils découvrent avec joie des signes multiples de son action.
Sur le plan de la foi, les évêques de l’Inde affirment tranquillement que le Saint-Esprit souffle aussi au sein des autres religions non chrétiennes. Les évêques africains leur font écho pour demander aux chrétiens de réfléchir sur ce fait considérable : ce n’est pas seulement dans le cœur des membres d’autres religions que le Saint-Esprit travaille, mais dans leur église et communauté respective.
Et voici que surgit la grande question que Vatican II n’avait pas encore osé se poser : attendu que la plus grande partie de l’humanité ne sera jamais chrétienne (de nom), faut-il encore prêcher l’Évangile? Comment le présenter à des hommes dont on veut respecter pleinement la liberté de conscience? Les « convertir » à la foi explicite au Christ, c’est les arracher à leurs traditions, à leur famille, à leur caste ou à leur clan. »
« … les missionnaires étrangers, déclare le cardinal Malula (Zaïre), ont christianisé l’Afrique. Aujourd’hui, les chrétiens d’Afrique sont invités à africaniser le christianisme. »
Après des affirmations si dramatiques, il fait bon entendre ce que dit Gabriel Millon :
« La seule solution au problème de l’Église est donc l’obéissance. Nous disons même que la solution de ceux qui attendent tout d’un bouleversement opéré par l’Esprit n’a que l’apparence d’une solution, car ce qui caractérise l’Esprit, c’est qu’il agit dans la dépendance étroite de Christ. L’obéissance sans l’Esprit n’est pas l’obéissance, et l’Esprit sans l’obéissance n’est qu’une illusion[51]. »
Si nous sommes infidèles, Dieu ne s’accommodera jamais de notre infidélité. Si nos choix fondamentaux en ce qui concerne l’orientation de notre vie et notre conception de l’Église sont faux, des millions d’alléluia ne soulageront pas d’un iota notre culpabilité.
La dénonciation du mythe du progrès est très importante, aussi bien pour l’Église que pour la société.
En ce qui concerne le salut, les églises évangéliques savent bien qu’il n’y a pas de progrès possible puisqu’elles ont à ce sujet un enseignement orthodoxe et clair : « Car tous ont péché et sont privés de la gloire de Dieu. » (Romains 3 :23) « Il n’y a de salut qu’en Jésus-Christ. » (Actes 4 :12)
Par contre, en ce qui concerne la marche du chrétien, l’édification du corps de Christ,’ces mêmes églises sont souvent confuses et non scripturaires dans leur enseignement. S’il n’y a pas de salut possible en dehors de Jésus-Christ, il n’y a pas non plus de marche chrétienne possible en dehors de Jésus-Christ. Chaque chrétien est tenu de faire personnellement toutes les expériences utiles à sa foi et doit, de ce fait, établir avec Dieu des relations inédites. Si le salut est individuel et ne repose sur aucun acquis (parents chrétiens, pasteur), de même la marche est le fruit d’expériences personnelles et ne repose sur aucun acquis (expériences des parents, histoire de l’Église, pasteur, etc.). Il est faux de se prévaloir, pour la marche spirituelle de l’Église, des expériences de nos prédécesseurs, même si ceux-ci furent les fondateurs de cette église. Calvin, Darby, Booth, Penn-Lewis, ont eu un enseignement certainement utile, instructif et édifiant. Mais ces « grands » du monde chrétien ne seront jamais crédités dans le bilan de la vie d’un croyant.
Dans la citation 2) de la page 18, nous avons vu que Pascal compare l’humanité à « un seul homme » , qui évolue dans le temps en un progrès continuel de la connaissance. Cependant, dans d’autres textes, Pascal rappelle que cette conception ne concerne pas la vérité, car la vérité est antérieure à sa (re)-découverte. Or, trop de chrétiens appliquent à l’Église l’idée de progrès que Pascal attribue à la société. Ces chrétiens croient être le résultat d’une longue évolution et considèrent qu’ils sont le fruit des acquis de Paul + Saint Augustin + Calvin + Wesley + Finney + Evans + etc. Les Juifs du temps du Seigneur pensaient la même chose en se croyant être les bénéficiaires des acquis de Abraham + Jacob + Moïse + Josué + David. « Nous sommes de la postérité d’Abraham… » (Jean 8 :33)
« Nous sommes disciples de Moïse… » (Jean 9 :28) Le Seigneur rejette cette conception et leur répond : « Vous avez pour père le Diable. » (Jean 8 :44)
Inconsciemment ou non, cette pensée de perfectionnement de l’Église, de progrès de l’Église, de valeurs spirituelles acquises et transmises par la communauté est souvent en vigueur dans les églises actuelles. Au lieu de chercher à développer leur propre expérience spirituelle, trop de chrétiens dans nos assemblées, et parfois des pasteurs, se contentent du credo, des mots d’ordre, de l’enseignement doctrinal officiel du mouvement auquel ils appartiennent, sans chercher directement auprès de Dieu la nourriture spirituelle qui leur est nécessaire.
C’est l’occasion d’évoquer une autre cause de la faiblesse actuelle de l’Église. Elle nous éloigne quelque peu de notre sujet, mais elle est intéressante parce qu’elle reflète « l’esprit du siècle » . Les églises locales se sont laissé emprisonner dans des institutions multinationales (dénominations). Dans la pensée de Dieu, les églises locales devaient être indépendantes et autonomes, afin d’être responsables de leurs faits et gestes, tout en étant unies dans l’Esprit aux autres membres du corps de Christ et en bénéficiant ainsi des hommes mis à part (apôtres, prophètes, docteurs, etc.). Or, les églises locales, au lieu de conserver jalousement leur autonomie, se sont affiliées à des organisations (des « ismes » ), Le processus est souvent l’inverse.
C’est l’organisation qui a créé l’église locale. Dans ce cas, usant de sagesse et imitant l’apôtre Paul, l’organisation,une fois l’église locale structurée, devait lui donner son entière liberté. Mais c’est l’inverse qui se passe. L’organisation, par le truchement de son comité central, domine sur les églises locales. Les anciens des assemblées ont délégué leurs pouvoirs (nomination des pasteurs, gestion des dons) à une instance supérieure, à un comité souvent fort éloigné. Ils deviennent ainsi, au sujet de ces problèmes, des irresponsables, car ils ont transmis leurs responsabilités à d’autres.
Cette conception administrative de l’Église conduit à des anachronismes effarants.,. Chaque mouvement possédant lui seul la parfaite vérité, a créé son école biblique et ces écoles se sont tacitement excommuniées l’une l’autre. Les chrétiens d’une église sont en communion étroite avec leurs frères qui se trouvent à 60 km, mais ils ignorent souvent les membres des autres assemblées de la localité. Le corps de Christ est donc actuellement constitué par l’assemblage de nombreuses institutions qui défendent jalousement leur acquis. Avec un tel état d’esprit, l’Église n’est plus capable d’avoir quelque impact que ce soit sur le monde, et nous assistons à une déchristianisation vertigineuse de la société.
Nous constatons donc que la notion de progrès est à rejeter, aussi bien sur le plan religieux que sur le plan laïc. L’Église n’est pas une institution qui a progressé au cours des âges (ni même depuis la Réforme). Croire au progrès humain, c’est rendre Dieu menteur. Croire que la société industrielle du XXe siècle est un progrès par rapport à la société médiévale ou par rapport aux sociétés antiques, est une terrible offense que l’on fait à Dieu. Pour deux raisons :
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- Parce que Dieu ne change pas (Jacques 1.17). 11 n’y avait pas de raison de changer l’ordre agricole : cultiver (Genèse 3. 23) que Dieu avait institué, en un ordre industriel : usiner.
- La création de Dieu est parfaite. « Ses œuvres sont parfaites » (Deutéronome 32.4). « Dieu vit tout ce qu’Il avait fait ; et voici cela était très bon. » (Genèse 1.32) Ainsi croire au progrès, au bienfait, au succès de la société moderne sous-entend que les sociétés qui nous ont précédés étaient imparfaites. C’est donc déclarer Dieu menteur.
En conclusion, je soulignerai que ce texte n’est pas un réquisitoire contre l’Église. Je n’en ai ni le droit, ni l’envie, car je me sens coresponsable de ses problèmes actuels, et hors de l’Église, il n’y a pas d’activité spirituelle possible. Ce texte est une invitation à la réflexion. C’est aussi le témoignage d’un cadre qui, en vertu de ce qui précède, a modifié l’orientation de sa vie et qui souhaite établir un dialogue avec toute personne désireuse d’approfondir ces problèmes ; afin que « nous marchions en nouveauté de vie » (Romains 6 :4), pour atteindre « l’état d’homme fait à la mesure de la stature parfaite de Christ. » (Éphésiens 4 :13)
4. ANALYSE DE QUELQUES OBJECTIONS
Quelques personnes m’ont présenté un certain nombre d’objections. Je me propose de les réfuter dans les lignes qui suivent.
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- Nous ne vivons plus en théocratie, il n’y a plus lieu d’appliquer les règles de l’Ancien Testament.
- Il ne s’agit absolument pas d’appliquer ces thèses à la société, à nos gouvernements, à nos institutions politiques et sociales. Ce texte ne s’adresse qu’à l’Église, car l’Église doit avoir une éthique théocratique. C’est justement là que réside le drame. Beaucoup de chrétiens ont situé leur foi et leur vie spirituelle au niveau supérieur, c’est-à-dire au niveau strictement théorique. Sans chercher à incarner leur foi dans la vie pratique de tous les jours. Ce sont ceux que l’on nomme « les chrétiens du dimanche » : autonomie totale la semaine, soumission à Dieu le dimanche matin. D’autres ont essayé d’incarner leur foi dans leurs affaires, mais bien souvent dans le même esprit d’autonomie : oui à Dieu dans mes affaires, mais à condition qu’il m’approuve, qu’Il me bénisse et qu’il me fasse trouver le succès. Il ne faut pas s’étonner qu’à cause d’un tel esprit d’autonomie, c’est-à-dire de séparation, d’insoumission, Dieu nous dise que nous avons profané son nom parmi les nations (Ézéchiel 36 :22-23).
- Il y a plusieurs messages, d’autres peuvent avoir une autre conception du problème.
- Ceci est évident. Je suis tout à fait conscient que ce message est incomplet. Il n’est pas suffisant pour nourrir une assemblée, il doit être complété par d’autres messages, apportés par d’autres. Mais attention : Il faut que tous ces messages soient convergents ; si tel n’est pas le cas, nous devons nous poser des questions. Si une église n’est pas fidèle et qu’un message de repentance lui ait été apporté, et que sitôt après un autre enseignant ou un « prophète » se lève pour affirmer que « tout va pour le mieux » , que les réunions vécues sont « pleinement approuvées par le Saint-Esprit » , et que « la pleine bénédiction de Dieu repose sur l’assemblée » , nous devons sérieusement étudier cette divergence, car il y a incompatibilité totale entre les deux messages. Lorsque Dieu dit à Éphèse, à Pergame, à Laodicée et à Sardes qu’elles doivent Se repentir, et qu’un enseignant de ces églises affirme qu’elles sont dans la bénédiction de Dieu, cet enseignant est un faux prophète. Il fait Dieu menteur. Évidemment, de nos jours chaque église se croit être Philadelphie!
- Nous ne vivons plus en théocratie, il n’y a plus lieu d’appliquer les règles de l’Ancien Testament.
Jérémie, Ézéchiel, les petits prophètes d’Osée à Malachie, avaient tous des messages différents ; mais tous ces messages convergeaient vers la notion de repentance. L’infidélité du peuple d’Israël était telle que Dieu avait ‘décidé de l’envoyer en captivité. Je crois que nous sommes dans une situation identique. Or, il s’est levé, à cette époque, de faux prophètes, de faux docteurs qui disaient du bien, qui annonçaient la paix et qui affirmaient au peuple que Dieu était avec lui, alors que cela n’était pas vrai.
« … des prophètes d’Israël qui prophétisent sur Jérusalem et qui ont sur elle des visions de paix, quand il n’y a point de paix! » (Ézéchiel 13 :16)
« Depuis le prophète jusqu’au sacrificateur, tous usent de tromperie. Ils pansent à la légère la plaie de la fille de mon peuple : PAIX, PAIX, disent-ils ; et il n’y a point de paix. » (Jérémie 6 :14)
Il ne nous appartient pas de juger nos frères, mais comme les chrétiens de Bérée (Actes 17 :11), nous devons juger ce qu’ils disent et nous devons nous éprouver nous-mêmes : « Examinez-vous vous-mêmes, pour savoir si vous êtes dans la foi ; éprouvez-vous vous-mêmes. Ne reconnaissez-vous pas que Jésus-Christ est en vous? À moins peut-être que vous ne soyez réprouvés. » (2 Corinthiens 13 :5)
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- Allez-vous jusqu’à prétendre que les objets de notre vie courante sont de mauvaises choses? Ce n’est pas mal de posséder une voiture, une télévision, de bricoler pendant son temps de liberté, de chercher à perfectionner la technique. Utiliser le train ou se déplacer en avion n’est tout de même pas un péché.
- Rassurez-vous, ces occupations, ces objets ne sont pas mauvais « en soi » . Il n’y a pas de mauvais esprit qui se cache dans l’acier des cylindres d’une voiture, ou de démon dans le caoutchouc des pneumatiques. Ces objets sont le résultat de l’esprit naturellement inventif de l’homme. À supposer que nous vivions perdus sur une Île, nous pourrions user de ces choses Sans aucune arrière pensée. Or, justement, nous ne vivons pas sur une île déserte. Nous vivons dans un monde dont le prince est le Diable (Jean 14 :30). Nous sommes imbriqués dans un système savamment structuré, dans un monde où l’ » en soi » n’existe pas, où chaque élément est intégré dans un tout. C’est pourquoi, nous devons être particulièrement circonspects et prudents, et nous assurer soigneusement que ce que nous approuvons, ce dont nous faisons l’éloge, ne soit pas finalement l’un des outils mis entre les mains de l’antéchrist pour établir son règne.
- Allez-vous jusqu’à prétendre que les objets de notre vie courante sont de mauvaises choses? Ce n’est pas mal de posséder une voiture, une télévision, de bricoler pendant son temps de liberté, de chercher à perfectionner la technique. Utiliser le train ou se déplacer en avion n’est tout de même pas un péché.
L’objectivité nous incite à constater que le développement scientifique et technologique est très défavorable pour la foi chrétienne. Ne serait-ce que par le fait que l’homme est fier de ses découvertes. Il est fier de pouvoir rouler à 160 km/h, il est fier de pouvoir aller sur la lune, il est fier d’expliquer les phénomènes physiques, biologiques, psychologiques, etc. Or, cette fierté conduit bien souvent à l’orgueil, à l’éloge du succès de l’homme, et finalement à l’éloge de l’homme lui-même. Celui-ci, petit à petit, prend la place de Dieu. La proposition du Diable, qui EST toujours le prince du monde, se confirme : « Vous serez comme des dieux. » (Genèse 3.5)
« Le plus tragique dans le mythe de la puissance, c’est précisément qu’il détourne l’homme de la loyale conscience de sa faiblesse et le jette dans une illusoire confiance en sa force ; et cette confiance en lui-même le prive de la force de la foi, qui seule peut briser le cercle vicieux de la peur dans lequel l’a enfermé sa course à la puissance[52]. »
Il est en fait illusoire de nous séparer des structures qui nous environnent, ainsi que de nos objets quotidiens, mais il faut avoir à leur égard une pensée claire, un jugement éclairé, c’est-à-dire savoir dans quel but ils furent créés et au service de qui ils se trouvent.
C’est en 1902, lorsqu’il travaillait au service des inventions techniques de l’Office fédéral des brevets à Berne, qu’Einstein établit le théorie de la relativité restreinte. Il ne pensait pas mal faire en se vouant à de telles recherches. Au contraire, quoi de plus noble que de découvrir ce que Dieu a créé. Or, quelques décennies plus tard, lorsque les armes nucléaires apparurent grâce à ses propres théories, il a bien dû se rendre compte que l' »en soi » n’existe pas. Il fut profondément affligé par l’utilisation belliqueuse de ses découvertes, mais il était trop tard. Les généraux ambitieux et sans scrupules se moquaient bien des regrets du vieux savant. Et les rares bienfaits médicaux de l’énergie nucléaire n’effaceront jamais les innombrables drames qu’elle a provoqués dans le passé et qu’ elle provoquera dans le futur.
Nous ne sommes, certes, pas tous des Einstein, mais tous (je parle surtout des cadres) nous mettons nos capacités, notre énergie, au service d’un système que nous ne contrôlons plus. Ces objets ne sont donc pas mal en soi. Ce qui est mal, c’est l’attachement que nous leur portons, c’est la place importante qu’ils ont pris dans nos vies, c’est notre attitude à leur égard. L’estime que nous accordons à ces objets, cette manière que nous avons de les servir en leur consacrant le meilleur de nous-mêmes, ceci s’appelle du paganisme.
« L’époque du machinisme quantitatif n’est rien d’autre que le retour du culte idolâtre du feu, déguisé sous le rationalisme actuel » , disait Guglielmo Ferrero, qui rajoute que « depuis trois siècles, la civilisation occidentale retourne au paganisme. »
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- Avec de telles idées, vous devriez vous séparer complètement de notre société et revenir à l’agriculture en vivant pauvrement dans une cahute.
- Disons tout d’abord qu’il vaut effectivement mieux se retirer du monde que d’être corrompus si nous sommes soumis à des contraintes intolérables. Ce fut le cas de Nicolas de Flue.
- Avec de telles idées, vous devriez vous séparer complètement de notre société et revenir à l’agriculture en vivant pauvrement dans une cahute.
Cet homme était un magistrat et un fermier aisé, qui s’est retiré, en 1467, dans les forêts de Nidwald, afin d’harmoniser sa vie à sa foi. Nous connaissons le rôle éminent qu’il a joué auprès de ses concitoyens.
D’autre part, il faut reconnaître que ce n’est pas un déplacement géographique qui résout les problèmes. Nous savons que l’Amérique fut colonisée en bonne partie par des chrétiens, des puritains qui fuyaient l’anglicanisme. Ainsi, les passagers du « Mayflower » débarquèrent en Nouvelle Angleterre en 1620. Or, après avoir évité l’écueil de l’anglicanisme, ces puritains n’évitèrent pas celui du machinisme. La première université américaine : Harvard, fut fondée en 1636. Dès lors, la vie américaine ne fut plus qu’une course au progrès.
L’enseignement de Daniel est intéressant à ce sujet, Daniel était un homme fidèle, intègre, attaché à son Dieu, mais il vivait en captivité, éloigné de Jérusalem. Il souffrait de cet éloignement, de l’abandon du culte et de la destruction de la ville. Cependant, bien que voyant son intégrité spirituelle, Dieu ne lui a pas dit de retourner à Jérusalem pour y vivre pleinement sa foi.
Il s’agit donc de nous attacher fermement aux vraies valeurs de la vie, et de rejeter, dans nos cœurs d’abord, puis ensuite dans nos vies, les séductions de la société moderne.
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- Vous faites l’éloge des sociétés pré-industrielles, et pourtant elles connurent d’innombrables cataclysmes, épidémies et famines. Le fait de vivre dans l’ordre de Dieu aurait dû leur épargner ces souffrances.
- Cette remarque pertinente permet de précisez un point important. Dieu avait, comme nous l’avons vu, conçu une humanité agricole et artisanale, Ceci pour faciliter son plan de salut. Satan a donné naissance à la société industrielle, afin de séduire les nations ét de s’opposer au pian de salut de Dieu. Ce qui importe, c’est la relation de L’homme avec Dieu ou Satan ; sauvé ou perdu. L’homme s’est toujours trouvé devant un choix ; parfois, il a choisi Dieu et le bien, d’autres fois, il a choisi Satan et le péché. Même dans l’ordre agricole de Dieu, l’homme a parfois opté pour le mal, ce qui fait que le péché s’est introduit et, comme corollaire, tous les cataclysmes que nous connaissons :
- 24’000 morts en un jour dans le désert (Nombres 25 :9)
- 70’000 hommes moururent de la peste (2 Samuel 24 :15)
- 30’000 morts à Pompéi en 79
- 70’000 victimes lors de la peste de Londres en 1665 etc., etc.
- Cette remarque pertinente permet de précisez un point important. Dieu avait, comme nous l’avons vu, conçu une humanité agricole et artisanale, Ceci pour faciliter son plan de salut. Satan a donné naissance à la société industrielle, afin de séduire les nations ét de s’opposer au pian de salut de Dieu. Ce qui importe, c’est la relation de L’homme avec Dieu ou Satan ; sauvé ou perdu. L’homme s’est toujours trouvé devant un choix ; parfois, il a choisi Dieu et le bien, d’autres fois, il a choisi Satan et le péché. Même dans l’ordre agricole de Dieu, l’homme a parfois opté pour le mal, ce qui fait que le péché s’est introduit et, comme corollaire, tous les cataclysmes que nous connaissons :
- Vous faites l’éloge des sociétés pré-industrielles, et pourtant elles connurent d’innombrables cataclysmes, épidémies et famines. Le fait de vivre dans l’ordre de Dieu aurait dû leur épargner ces souffrances.
Or, il nous faut constater que notre époque moderne apporte aussi son cortège de souffrances. La voiture fait payer un bien lourd tribut à notre société. Voici quelques chiffres pour 1966, tirés de l’Encyclopédie Universalis :
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- S.A. 52’500 morts et 1’900’000 blessés
- France 12277 morts et 288’204 blessés
- Allemagne 16864 morts et 441’269 blessés
- Suisse 1600 morts et 30’508 blessés
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Quant aux famines, aux épidémies, aux guerres, aux tremblements de terre, nos journaux quotidiens nous en parlent abondamment.
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- Mais il y a de nombreux chrétiens qui, tout en étant engagés dans les affaires, portent un bon témoignage et font de nombreux dons à l’Église.
- Si ces chrétiens correspondent à ceux que j’ai décrits au point 1) de la page 26, je rends gloire à Dieu pour la vie de ces hommes. Si ce n’est pas le cas…
- Mais il y a de nombreux chrétiens qui, tout en étant engagés dans les affaires, portent un bon témoignage et font de nombreux dons à l’Église.
Il me paraît important de définir ce qu’est un témoignage :
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- Perfectionner une machine pour qu’elle fabrique 6’000 crayons par jour, alors que la précédente en fabriquait 4’000, n’est ni un témoignage, ni la marque de la bénédiction de Dieu.
- Réussir à vendre 120 machines en une année, alors que le budget prévoyait de n’en vendre que 40, n’est ni un témoignage, ni la marque de la bénédiction de Dieu.
- Arriver à accroître son niveau de vie, à s’enrichir, à se constituer une fortune, à faire partie d’un conseil d’administration ou à augmenter le chiffre d’affaires de son entreprise n’est ni un témoignage, ni la marque de la bénédiction de Dieu.
- Donner durant toute sa vie Fr. 25’000.- par année à l’Église n’est ni un témoignage, ni la marque de la bénédiction de Dieu.
- Obtenir un diplôme universitaire n’est ni un témoignage, ni la marque de la bénédiction de Dieu. Se prévaloir d’un titre universitaire pour donner plus de poids à son témoignage chrétien est un non-sens. Cela ne veut pas dire qu’il faille mépriser de tels papiers, mais il faut les mettre à leur juste place. « J’ai regardé toutes choses… comme de la boue, afin de gagner Christ » , disait Paul (Philippiens 3.8),
Il est capital de dénoncer la confusion qui règne trop souvent dans ce domaine. Comme dans le monde, l’Église a trop tendance à regarder à l’apparence, en cherchant à s’attirer les faveurs des riches et des grands de ce monde, en laissant de côté les petits.
Toute l’éthique du Nouveau Testament témoigne d’une profonde méfiance à l’égard de la richesse. Le Seigneur va même plus loin : nous connaissons tous ses injonctions contre les riches. D’une manière générale (il y a peut-être des exceptions), le chrétien n’est pas appelé à être un « père nourricier » pour l’Église. Les Actes des Apôtres nous montrent que le but du chrétien est l’identification avec Christ. Vivre conne Il a vécu, c’est-à-dire en communion parfaite avec le Père, afin d’être un canal par lequel Dieu agit pour sauver les païens. Et ce chemin passe par un dépouillement. Ce sont les païens, nouveaux convertis qui,en apportant leurs biens à l’Église, lui donnent de quoi accomplir sa tâche. Mais si un chrétien refuse le dépouillement et cherche à accroître sa situation sociale, il interrompt le processus de diffusion de l’Évangile, et passe à côté de sa vocation.
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- Dans votre texte, vous simplifiez les problèmes d’une manière abusive.
- Abusive, je ne le pense pas. Mais que je simplifie les problèmes, c’est certain. Comment voulez-vous traiter un tel sujet en 40 pages? Ce sont des milliers de pages qu’il faudrait. Je sais que trop schématiser est dangereux, car l’image peut finir par ne plus refléter la réalité. Mais lorsqu’une personne a eu une telle révélation, elle ne peut pas se taire. Elle doit s’exprimer, même si c’est très imparfaitement.
- Dans votre texte, vous simplifiez les problèmes d’une manière abusive.
J’espère que ce texte donnera envie à plusieurs d’approfondir ces problèmes pour trouver eux-mêmes une réponse conforme à la pensée de Dieu. Je souhaite aussi que l’Église, par un jugement spirituel éclairé, discerne les séductions du Menteur et rende encore
GLOIRE A SON SEIGNEUR,
Jean-Jacques Meylan
Renens, janvier 1975
[1]Claude Delmas, Histoire de la civilisation européenne, Presses universitaires de France, Paris 1969, p. 104
[2]Ibidem p. 111
[3]F. van der Meer et C. Mohrmann, Atlas de l’antiquité chrétienne, p. 53
[4]François Barret, Histoire du travail, p. 67 P.U.F
[5]Pierre Jaccard,Histoire sociale du travail, Payot, Paris 1960, p. 232-233
[6]Ibidem p. 232
[7]Gina Lombroso, La rançon du machinisme, Ed. Payot, Paris, 1931, p. 15-16
[8]Ibidem p. 17-19
[9]Ibidem p. 19-20
[10]Will Durant, Histoire de la civilisation, Ed. Rencontre 1963, vol. IX, p. 99
[11]Gina Lombroso, La rançon du machinisme, p. 21-22
[12]Ibidem p. 29-31
[13]Ibidem p. 41-42
[14]Ibidem p. 44
[15]Ibidem p. 43
[16]Ibidem p. 46
[17]Ibidem p. 55
[18]Will Durant, Histoire de la civilisation, vol. XI, p. 547
[19]Jacques Heers, Le travail au Moyen Age, Presses universitaires de France, Paris 1968, p. 9
[20]Claude Delmas, Histoire de la civilisation européenne, p. 28
[21]Will Durant, Histoire de la civilisation, vol. XI, p. 357
[22]Jacques Rénet, Le capitalisme libéral et le droit au travail, Ed. de la Baconnière – Ed. du Seuil, mai 1947, p.95
[23]François Barret, Histoire du travail, Presses universitaires de France, Paris 1952, p. 26
[24]Pierre Jaccard, Histoire sociale du travail, p. 150
[25]François Barret, Histoire du travail, p. 24
[26]Jacques Bénet, Le capitalisme libéral et le droit au travail, p. 79
[27]Ibidem p. 93-94
[28]Gina Lombroso, La Rançon du machinisme, p. 59
[29]Francis Schaeffer, Démission de la raison, édition Maison de la Bible, Genève, 1971
[30]Claude Delmas, Histoire de la civilisation européenne, p. 42
[31]Ibidem p. 74
[32]François Barret, Histoire du travail, p. 45
[33]Cahier Edma, Edition Rencontre, juillet 1973
[34]André Biéler, Calvin, prophète de l’ère industrielle, Ed. Labor & Fidès, Genève 1964, p. 31
[35]Ibidem, p. 35
[36]Ibidem, p. 38
[37]Pierre Jaccard, Histoire sociale du travail, p. 160
[38]Ibidem, p. 162
[39]Ibidem, p. 165
[40]Ibidem, p. 167
[41]André Biéler, Calvin, prophète de l’ère industrielle, p. 51
[42]Claude Delmas, Histoire de la civilisation européenne p. 78
[43]Roger Mehl, Janus, octobre 1964, p. 94
[44]Pierre Jaccard, Histoire sociale du travail, p. 238
[45]Pierre Jaccard, Histoire sociale du travail, p. 251
[46]Francis Schaeffer, La pollution et la mort de l’homme, éd. Ligue pour la lecture de la Bible, 1974, p. 56
[47]K. et D. Ranaghan, Le retour de l’Esprit, éd. du Cerf, Paris 1974, p. 56
[48]Ibidem p. 37
[49]Ibidem p. 67
[50]Ibidem p. 71
[51]Gabriel Millon, Si les Églises se repentaient, éd. Centre de Culture Chrétienne, Mulhouse, p. 12
[52]Paul Tournier, Désharmonie de la vie moderne