Remarques sur l’œuvre du Saint-Esprit

par | Documentation Chrétienne - numéro 15

Paul[1]

Paul se situe dans la perspective des prophéties de l’Ancien Testament qui annoncent que le pneuma sera répandu sur tout le peuple des élus. Tous les membres de la communauté sont pour lui revêtus de l’Esprit.

« Nous avons tous, en effet, été baptisés dans un seul Esprit : pour former un seul corps… et nous avons tous été abreuvés d’un seul Esprit. » I Cor. 12 v. 13 :

Le grec « baptidzein », baptiser, signifie « être immergé ». L’Esprit entoure et couvre le croyant comme l’eau du baptême.

Le grec « potidzein », abreuver, indique que le croyant reçoit en lui l’Esprit comme les éléments de la Sainte-Cène.

« Le croyant est dans l’Esprit et l’Esprit est dans le croyant (cf. les expressions de Paul : être en Christ et Christ en nous)[2] ». Il n’y a aucune restriction dans l’affirmation de Paul : tous ont été baptisée dans L’Esprit et tous ont été abreuvés de l’Esprit. Cet évènement est écrit comme ayant eu lieu dans le passé, une fois pour toutes.

« Pour vous, vous ne vivez pas selon la chair, mais selon l’Esprit, si du moins l’Esprit de Dieu habite en vous ». Rom 8, v.9

Ce texte ne laisse pas sous-entendre que dans l’Église de Rome se coutoyaient deux sortes de chrétiens, les uns baptisés de l’Esprit, les autres n’ayant pas eu ce baptême. La fin du verset « si quelqu’un n’a pas l’Esprit du Christ, il ne lui appartient pas » élimine sans recours une telle hypothèse (également les v. 12-14). Il est question ici de « l’inconséquence du croyant qui, souvent ne vit pas de ce qu’il croit[3] » I Cor. 2. v. 12 : « Or nous n’avons vas reçu l’esprit du monde, mais l’Esprit qui vient de Dieu » est à comprendre dans le même sens que les passages ci-dessus.

La réception de l’Esprit est l’évènement qui incorpore l’homme au corps de Christ. Désormais le croyant a le possibilité de vivre dans le pneuma (l’Esprit) et de renoncer à la sarx (la chair), de vivre dans une relation nouvelle.

D’après Paul, le pneuma « s’extériorise » dans la vie du chrétien par des manifestations qui ne sont pas forcément extraordinaires. Au contraire, Paul s’oppose aux Corinthiens qui ne recherchent que la prophétie et la glossolalie.

L’erreur des Corinthiens était d’une part de limiter l’action de l’Esprit à ces phénomènes, et d’autre part de rechercher les pneumatika comme une propriété, un bien céleste.

Paul réagit vigoureusement, non peur rejeter la prophétie et la glossolalie (cf ch. 4) mais pour leur assigner la vraie place dans les dispensations multiples de l’Esprit. En effet, il replace dans un premier les dons dans la dépendance de l’Esprit. L’origine des charismata en l’homme mais en Dieu. Les Corinthiens veulent posséder certains dons. Paul leur rappelle que c’est le pneuma, le Seigneur et Dieu qui ont autorité sur les charismata (12 v. 4-6) « les distribuant à chacun en particulier comme il veut (v. 11) ». C’est une ferme invitation adressée aux Corinthiens pour qu’ils renoncent à choisir leurs performances et se reconnaissent insérés humblement dans le dessein de Dieu[4]

Les dons de l’Esprit ne se limitent pas à la prophétie et la glossolalie, la diversité des charismata est grande : à l’un est donnée par l’Esprit une parole de sagesse, à un autre une parole, de connaissance, à un autre la foi, à un autre le don des guérisons, à un autre le don d’opérer des miracles, à un autre la prophétie, à un autre le discernement des esprits (don qui est en rapport avec la prophétie ch.14 v. 29), à un autre la diversité des langues, à un autre l’interprétation des langues.

Nous constatons que les dons appréciés par les Corinthiens (prophétie et glossolalie) sont placés par Paul en fin de liste.

Cette énumération n’est pas exhaustive. Dans d’autres passages l’apôtre parle du don de secourir (v.28) de gouverner (v.28) le don d’exhorter (Rom. 12 v.8), le don d’agir avec libéralité (v.8), le don de présider (v.8). Même le célibat et le mariage sont des charismata (I Cor. 1 :71). Pour Paul la différence entre dons naturels et surnaturels n’existe pas. Il y a tout simplement des dons de la grâce. Certains d’entre eux, il est vrai, sont plus ou moins ordinaires. Ils sont cependant tout aussi importants et nécessaires à la vie de la communauté. Les croyants qui les exercent sont même à entourer de plus de respect (cf.12 v.14-27). Tous les dons ont même valeur, la hiérarchie n’est que fonctionnelle. Avec Adolphe Bittlinger nous dirions : « le don le plus grand et le plus doper tant est chaque fois celui qui est nécessaire dans une situation donnée ».

Il y a cependant un don suprême, l’agape qu’il faut joindre « aux grâces personnelles déjà reçues, car les dispensations les plus remarquables ne sont rien sans lui ». (I Cor. 13)[5]

Paul, nous l’avons vu, demande aux Corinthiens de ne pas surestimer la prophétie et la glossolalie, car le caractère extraordinaire n’est pas forcément une preuve de l’action de l’Esprit. En effet, ces phénomènes se retrouvent dans les religions païennes. La similitude avec les phénomènes extatiques du paganisme est tellement grande que Paul indique aux Corinthiens le critère qui permet de discerner si l’Esprit est à l’origine de ces manifestations ou non. Ce critère est la confession de Jésus comme Kurios (Seigneur) 12 v.3. « La connaissance de Jésus comme Kurios et la confession de. son nom est à la différence de toutes les caractéristiques accessoires – le don qui témoigne de l’Esprit comme tel[6] ».

Notons un autre critère qui découle du précédent : la manifestation de l’Esprit est donnée pour l’utilité commune, pour l’édification du corps de Christ (12 v.7). Toute action ou tout phénomène qui flatte l’orgueil d’un individu nu divise et détruit l’esprit communautaire n’est donc pas à mettre au compte de l’Esprit[7].

 

Sur la glossolalie

A propos de la glossolalie (parler en langues étrangères) nous pouvons faire les remarques suivantes :

Les Actes contiennent un grand nombre de références à la réception du Saint-Esprit (Actes I v.5 : 2 v.4, 38 ; 4 v.8, 31 ; 5 v.32 ; 6 v.3 : 8 v.15-17 : 9 v.17 ; 10 v.44-46 ; 11 v. 15-16 ; 15 v.8 ; 19 v.6), mais le parler en langues n’est mentionné explicitement que trois fois. Nous pouvons en conclure que Luc n’a pas mis l’accent sur la glossolalie. Ce qui importe pour lui, c’est certes la manifestation tangible de l’Esprit – qui se traduit aussi chez Luc par l’assurance, la hardiesse des disciples à annoncer la parole de Dieu, 4 v. 31 – mais surtout le récit missionnaire avec l’appel à la conversion personnelle.

De plus, « la glossolalie marque dans les Actes 1 : seuil des périodes décisives »[8]. Elle n’est nulle part mentionnée en rapport avec les chrétiens « ordinaires ». Il se peut que ces derniers aient également parlé en langues, mais nous n’avons aucune preuve pour une telle affirmation. (En tenant compte seulement des Actes).

Nous pensons donc qu’il est arbitraire à dire que le parler en langues suit obligatoirement la réception du Saint-Esprit.

L’importance secondaire accordée à la glossolalie par l’Église primitive est soulignée par le témoignage de Jean (Évangile et épîtres). Nous trouvons dans les écrits johanniques un grand nombre de références à l’Esprit, mais aucune allusion à la glossolalie, à une manifestation extraordinaire.

Ce n’est que l’Église de Corinthe qui plaçait ce don au premier rang avec celui de prophétie. L’intervention de Paul confirme ce que nous avons dit précédemment, à savoir la place restreinte de la glossolalie dans l’Église primitive.

  • Le parler en langues n’est mentionné explicitement par Paul que dans la 1ère épître aux Corinthiens. Aucune autre épître ne contient cette expression. Il n’y a que des allusions (Ro. 8 v.15, 26 ; Gal. 4 v.6 ; I Thess. 5 v. 19 ; Col. 3 v. 16 ; Eph. 5 v. 19), encore qu’en ne soit pas certain qu’il s’agisse dans tous les cas de glossolalie.
  • Ni les évangiles – exception faite de Marc 16 v. 17 – ni le restant des épîtres du Nouveau Testament, ni l’Apocalypse ne contiennent une mention de parler en langues.
  • Dans l’énumération des différents dons, Paul place la glossolalie en fin de liste (I Cor. 12 v. 10, 30).
  • Tous les croyants ne parlent pas en langues, l’Esprit distribue des dons différents aux croyants (I Cor. 12 v. 7-11, 29, 30).
  • Ce don est plus spécialement réservé à l’usage privé (I Cor. 14 v.14-19 et 28).
  • Au culte, il doit être limité (v. 27) et accompagné obligatoirement de l’interprétation (v. 28).

Nous pouvons conclure de toutes les remarques ci-dessus à propos de la glossolalie que cette dernière peut avoir sa place dans la piété d’une église, mais que son absence ne signifie pas absence d’Esprit Saint (cf. écrits johanniques !).

Affirmer que le parler en langues est le signe du « baptême du Saint-Esprit » ou même le signe normal, c’est faire violence à l’enseignement de l’apôtre Paul et de tout le Nouveau Testament. C’est dicter une règle à l’Esprit qui distribue les dons « comme il veut »[9]

Dangers du sectarisme gnostique

Nous croyons avoir démontré précédemment que la doctrine pentecôtiste concernant le « baptême du Saint-Esprit » est erronée. L’expérience pourtant que les pentecôtistes appellent à tort de ce nom devrait être une réalité dans la vie de tout chrétien.

Le premier travail des chrétiens « charismatiques » serait donc un approfondissement théologique de l’expérience qu’ils ont vécue. Car contrairement à ce que l’on peut entendre, ce n’est pas l’expérience qui est importante, mais sa vérité.

Il est vrai que, pour les apôtres, le Saint-Esprit était tout d’abord un fait d’expérience avant d’être une doctrine. Mais entre la vie des apôtres et nous se situe le témoignage biblique. Ce témoignage nous montre déjà que les premiers chrétiens se voulaient non pas les propagateurs d’une expérience, mais les porteurs de la parole de Vérité. Le travail théologique des « charismatiques » consisterait donc avant tout à approfondir cette parole, mais par une autre approche que celle des pentecôtistes.

Les pentecôtistes, nous l’avons déjà souligné, ont tendance à rechercher les textes qui confirment leur expérience. Cette méthode subjective est dangereuse car « on peut tout faire dire à la Bible ». L’Écriture doit au contraire garder son caractère objectif. Le chrétien devrait approcher le témoignage scripturaire avec la ferme intention d’abandonner toute expérience, fut-elle extraordinaire, si elle n’est pas conforme à l’Écriture (étudiée objectivement !) Car nous croyons que l’enfer n’est pas seulement « pavé de bonnes intentions » mais également de « belles expériences ». cf. Matth. 7 v. 22 ss et 24 v. 23 ss.

La question est de savoir si les groupes « charismatiques » cultivent la réflexion théologique. Certains observateurs émettent des doutes. En général nous constatons qu’elle est plus ou moins absente. Un tel état de fait ne risque-t-il pas de conduire les « charismatiques » vers un illuminisme où l’expérience est le moteur de la piété, où l’Écriture perd son caractère objectif ?

Un tel détachement vis-à-vis de la Parole peut être lourd de conséquences. Il est la porte ouverte à toutes les malices du cœur humain. Celui qui croit être spirituel ne vit en sorte que de compensations. Le malaise conscient où inconscient provoqué par l’accomplissement imparfait des petites tâches de la vie de tous les jours, les difficultés rencontrées au niveau du témoignage et des contacts humains, la désobéissance vis-à-vis des exigences de la Parole sont autant de facteurs pour rechercher une expérience extraordinaire qui surmonterait ces « manques ». « Demander à l’Esprit de compenser notre désobéissance à l’égard de la Parole concrète, constitue la plus perfide (et la plus religieuse !) des échappatoires. »

À côté de la nécessité d’un approfondissement théologique, il nous semble indispensable que les chrétiens « charismatiques » et « non charismatiques » d’une même Église parlent le même langage. Pour éviter tout malentendu, la terminologie pentecôtiste devrait être abandonnée pour laisser place, dans la mesure du possible, au vocabulaire traditionnel commun. De plus, il est nécessaire aujourd’hui, à une époque où les mots sont souvent chargés de sens différents, de définir leur contenu. Un dialogue fructueux n’est possible qu’à ce prix.

Une réflexion théologique et une terminologie propres favorisent sans nul doute les relations avec les autres membres de la paroisse issus d’une même tradition ecclésiastique et permettent au groupe charismatique d’éviter le piège de l’illuminisme.

Les « charismatiques » qui conservent par centre la théologie pentecôtiste du « baptême du Saint-Esprit » risquent d’être entraînés vers un certain gnosticisme. Ils forment alors le groupe de « ceux qui savent », de ceux qui sont arrivés à une étape spirituelle supérieure. Ils se prennent consciemment ou inconsciemment pour l’élite, les autres membres de la paroisse étant des chrétiens de seconde zone. Beaucoup de « charismatiques » se défendent, il est vrai, d’un tel esprit de jugement vis-à-vie de ceux qui n’ont pas fait leur expérience. Ils montrent souvent beaucoup d’humilité dans leurs rapports avec les « non charismatiques ». Cela n’empêche pas, croyons-nous, que la doctrine pentecôtiste rappelle à ces derniers qu’il y a deux catégories de chrétiens. Une telle distinction n’est pas biblique et ne favorise pas la vie communautaire d’une paroisse. Nous croyons même qu’une telle doctrine porte en elle des ferments de division, et qu’elle est propre à susciter le sectarisme[10]

Jean-Paul DIETLE

 [1]Jean-Paul DIETLE : Le réveil pentecôtiste dans les Églises historiques in : Positions luthériennes  Reproduit avec autorisation.

[2]A. BITTIINGER : In Kraftfeld des B. Geistes (Marburg) 1971 pp 72-75

[3]E. SCHMEIZER : TWNT éd. L p. 184 note 1

[4]M.A CHEVALIER : Esprit de Dieu, paroles d’homme, (Neuchâtel) 1966 p. 150

[5]M.A. Chevalier, op. cit. p. 171

[6]E. Schweizer, op. cit. p. 184

[7]Positions luthériennes pp. 245-247

[8]Schweizer, op. cit. p. 154 note 3

[9]Positions luthériennes, pp 254-255.

[10]Positions luthériennes pp 22-263.