L’Église du silence[1] peut dire qu’elle n’est pas communiste. Elle peut dire et de fait elle dit, même dans la Hongrie de Kadar, qu’un bon catholique ne peut être un vrai communiste, qu’il ne peut adhérer au Parti du matérialisme intégral et de l’athéisme conséquent. Disant cela, qui est vrai, l’Église ne dit pas une vérité interdite. Elle dit une vérité qui est au contraire, en outre, une vérité officielle de l’État communiste. Le Parti communiste dit et enseigne de son côté la même chose : on ne peut pas être un bon communiste si l’on est un vrai catholique. Le Parti professe la même incompatibilité « idéologique » fondamentale, il tient à ce que cette incompatibilité soit clairement et constamment professée, il est entièrement d’accord pour que l’Église professe de son côté cette incompatibilité doctrinale. Au besoin, il la prierait de le faire.
Mais il y a le silence.
Le formidable silence sur le régime social : sur la réalité de l’esclavage.
Ce que l’Église du silence ne peut plus dire et professer, c’est qu’elle refuse le communisme en tant que régime social, parce que ce « régime social » est avant tout et essentiellement un esclavage sans précédent. L’Église du silence peut continuer à confesser sa foi en Jésus-Christ DANS LA MESURE où elle accepte de se taire sur l’enseignement social de l’Église. Sur l’enseignement social authentique et complet[2].
L’Église peut dire qu’elle n’accepte pas l’idéologie athée du communisme. L’Église du silence peut le dire en long et en large. Cela ne gêne aucunement le communisme, cela est conforme à ce qu’il dit lui-même et à ce qu’il veut que l’on dise et enseigne. Mais cette église est tout entière entrée dans le silence parce qu’elle ne peut plus répéter et transmettre publiquement l’enseignement fondamental résumé par la parole de Pie XII : « Nous rejetons le communisme en tant que système SOCIAL, en vertu de la doctrine CHRÉTIENNE[3]. »
L’Église du silence peut dire qu’elle croit en Dieu, à condition qu’elle ne détourne plus ses fidèles de collaborer à l’édification du régime économique et social qui est le principal dessein athée du communisme. A condition du moins qu’elle ne les en détourne plus à haute voix. À condition qu’elle accepte sur ce point un silence forcé, qui est aussi un silence équivoque. À condition qu’elle ne réponde que par le silence aux catholiques qui trahissent, aux prêtres qui trahissent, et qui prêchent la collaboration avec le communisme comme un devoir national, social et moral.
L’Église du silence peut parfaitement dire que, quant à elle, elle n’accepte pas l’idéologie athée du communisme, mais elle ne peut plus professer que LE COMMUNISME EST INTRINSÈQUEMENT PERVERS, ni expliquer en quoi et pourquoi.
L’Église du silence peut enseigner le Credo, à la condition de taire l’enseignement de l’encyclique Divini Redemptoris.
L’Église du silence est celle qui doit faire silence sur le communisme au moment précis où le communisme est la réalité la plus présente, la plus agissante, la plus tyrannique, la plus acharnée à coloniser jusqu’aux âmes. Et c’est pourquoi LE SILENCE est ce qui définit le mieux l’église du silence, et ce qu’elle subit de plus atroce.
Car ce n’est point parler du communisme, car ce n’est rien dire sur le communisme, d’en dire seulement que son idéologie athée est incompatible avec la foi. C’est ne rien dire, non pas seulement parce que cela est une évidence certaine : mais parce que cela, le communisme lui-même se charge de le dire et de l’enseigner. Il n’a jamais prétendu que sa « science Marxiste-léniniste » pourrait être ou devenir compatible avec la foi en Dieu ; il a toujours maintenu le contraire. Sur l’incompatibilité entre le communisme et la foi, l’Église du silence ne peut enseigner publiquement rien de plus que ce qui est enseigné par le Parti lui-même. Le Parti communiste désire que cette incompatibilité soit connue, et qu’elle soit connue comme étant idéologique. Il laisse donc l’Église du silence professer et faire connaître l’incompatibilité idéologique.
L’Église du silence est celle qui peut parler du bien et du mal dans l’ordre de la morale privée, mais qui ne peut plus parler du bien et du mal dans l’organisation de la cité. Qui ne peut plus parler du principal bien actuel et du plus grand mal actuel dans l’organisation de la cité communiste.
L’Église du silence est celle qui peut parler de l’alcoolisme et de la prostitution, et qui peut même, à la rigueur, contredire le gouvernement, non : sens tensions, crises et risques, sur la limitation des naissances : mais elle ne peut plus parler du plus grand mal de notre temps, qui est l’esclavage économique et social, administratif et policier.
L’Église du silence peut enseigner le texte du Décalogue, à condition de taire que, dans le domaine économique et social, le communisme est le contraire du Décalogue.
Le communisme est un athéisme, mais un athéisme dont le dessein particulier n’est pas de détruire la foi en y travaillant principalement par des moyens idéologiques (encore qu’il y travaille aussi) ; son dessein particulier est de détruire la foi en l’attaquant sur le terrain de l’organisation sociale et de la civilisation (Divini Redemptoris par. 3). Le communisme travaille à détruire la foi essentiellement par l’établissement d’un type nouveau d’esclavage économique et social. Sur le terrain principal du combat contre la foi, l’Église ne peut plus parler. Mais, silencieuse, elle est présente. Elle est présente sans rien en dire. Ce qui donne diaboliquement à penser que puisqu’elle ne dit rien, le combat communiste sur le plan de l’organisation sociale n’est donc pas un combat contre la foi.
Le plus grand drame de notre temps est un drame religieux, mais s’exprimant, se développant, s’organisant dans le domaine social, par une TECHNIQUE SOCIALE DE RÉDUCTION EN ESCLAVAGE. L’Église qui est la plus directement attaquée par cette technique d’asservissement est l’Église qui n’a plus la possibilité de parler de cette attaque-là ; elle est l’Église qui doit faire comme si elle ne voyait pas qu’elle est attaquée par là : l’Église du silence. Au moment où elle est crucifiée, l’Église du silence ne peut même plus dire de ses bourreaux, à haute voix, la parole du Christ en croix : « Père, pardonne-leur, car ils ne savent pas ce qu’ils font. » L’Église du silence est celle qui ne peut plus laisser échapper une seule parole donnant à penser que l’action du communisme contre l’Église se déroule sur le terrain social.
Le communisme est la plus grande agression que l’on ait vue jusqu’à présent dans l’histoire contre la foi et contre l’Église. L’Église du silence est celle qui ne peut plus enseigner EN quoi elle est la plus terrible qui ait existé à ce jour.
L’Église persécutée par le communisme, plus encore qu’une Église persécutée, est une Église du Silence.
L’avance véritable du communisme dans le monde se mesure surtout au nombre et à l’importance des Églises nationales QUI ENTRENT DANS LE SILENCE. Qui entrent dans ce certain silence essentiel et précis, nettement délimité. Dans ce. silence imposé par la terreur, et plus encore par la technique sociologique de l’esclavage. Mais ce même silence, sans que le communisme soit déjà au pouvoir, commence à s’imposer par la persuasion. L’avance du silence est le signe de l’avance réelle du communisme. Il y a un certain silence, celui-là, le même, qui est imposé non par la présence du communisme au pouvoir, mais par son hypnotisme à distance.
Il y a des Églises qui peuvent commencer d’entrer dans le silence, dans ce certain silence-là, par distraction, négligence ou anesthésie des consciences. Par erreur d’appréciation. Par système illusoire, par calcul erroné. Mais c’est bien LE SILENCE qui s’étend, et c’est bien l’étendue grandissante du silence qui mesure l’avance réelle du communisme dans les consciences, ou dans le subconscient.
C’est ce même silence précis et déterminé qui place peu à peu sous son ombre mortelle certaines zones et certaines régions géographiques ou sociales ; certaines communautés entières.
Le silence des chrétiens qui ne professent plus que le communisme est pour des raisons religieuses, à rejeter en tant que système social. Le silence où il arrive même que l’on parle pour dire le contraire. Le silence réel de la parole vraie de l’Église, cachée et recouverte par une parole fausse,
Et cet autre silence, ce silence autre et même pourtant, qui s’est emparé des consciences et qui fait que la parole vraie de l’Église est encore prononcée, mais qu’elle n’est plus entendue. Même par des prêtres. Ainsi avance le communisme.
Jean MADIRAN
[1]Jean Madiran : La vieillesse du monde. Essai sur le communisme pp.37-39, Éditions Dominique Martin Monin, 1975, 140 pp. Nous recommandons vivement cet ouvrage, à notre connaissance le meilleur livre en français sur le communisme.
[2]Sur cette opposition absolue entre l’enseignement social du Christianisme et celui du communisme nous ne pouvons mieux faire que vous recommander très vivement l’ouvrage magistral de F.H. LEE : Communist Eschatology. A Christian Philosophical Analysis of the Post-Capitalistic views of Marx, Engels and Lenin. The Craig Press 1974, 1177 pp (The CRAIG PRESS, NUTLEY, New Jersey). Voyez aussi E.L.H. TAYLOR : Reformation or Revolution (Craig Press), 1970, 633 pp.
[3]Pie XII, Message de Noël 1955. Sur Le communisme, nous vous recommandons : Alain BESANÇON : Court traité de soviétologie à l’usage des autorités civiles, militaires et religieuses. (Hachette) 1977. A. BESANÇON : Les origines intellectuelles du Léninisme. Calman- Lévy, (Paris), 1977.