Une constitution « pastorale »

par | Documentation Chrétienne - numéro 19

Pour comprendre l’esprit dans lequel le projet de constitution fédérale a été conçu, il faut lire le volumineux rapport des experts. Ce rapport est signé par M. Kurt Furgler et par le professeur Luzius Wildhaber, qui fait fonction de «coordinateur de la Commission d’experts».

La lecture de ce volume de 196 pages est des plus éprouvantes non que le texte soit aride; il ne manque pas de pittoresque, ainsi lorsqu’il déclare que l’attribut «Tout-Puissant» s’agissant de Dieu est «théologiquement contestable» et que les mots «Au nom de Dieu rappellent un juron malheureusement fort répandu» (p.18). Mon sentiment prédominent a été celui de la répulsion, pour ne pas dire de la nausée, non seulement parce que tout ce que nous détestons et combattons depuis plus de cinquante ans s’y trouve réuni et célébré, mais peut-être sur tout à cause du caractère ambigu, parfois nettement hypocrite de ce commentaire.

Nous ne pouvons pas nous empêcher de faire un rapprochement avec certaines constitutions du IIe concile du Vatican, telle la Constitution Gaudium et Spes. C’est le même ton patelin et clérical.

Il s’agit aussi d’un aggiornamento. La Constitution doit être rédigée «dans l’esprit de notre temps» (p.12). On affirme des droits sociaux qui «doivent répondre aux idées du temps, mais sans dépasser de justes limites».

Voulant se justifier du reproche d’avoir repris à son compte des réformes repoussées récemment par le peuple, la Commission déclare que «son devoir était de déterminer comment amener en changement dans les esprits» (p.13). On pense communément qu’une constitution est un ensemble de règles fondamentales déterminent les institutions revêtues du pouvoir de l’État et les droits des citoyens et de leurs communautés. Pour les experts «la meilleure constitution n’est jamais plus qu’une promesse que l’État doit remplir dans le cadre de le vie de tous les jours.»

L’État n’est plus en premier lieu le siège du pouvoir. L’État est un «dispensateur de prestations». «Certains de ses buts ne peuvent être atteints que graduellement au cours des temps. Le programme doit néanmoins figurer dans le Constitution, ne fût-ce que sous une forme symbolique». Voilà l’État-providence consacré et ses buts généreux, irréalisables, insérés en des textes qui ne sont que des «promesses», de fausses promesses. Tels sont les droits à la formation, celui de se procurer un logement convenable, de pouvoir subvenir à son entretien par son travail et d’être protégé contre la perte «injustifiée» de son emploi.

Ce ne sont pas des droits juridiques : on ne peut pas les faire valoir en justice; ce sont des vœux, des promesses. Faites par qui, à qui ? L’État est-il une entité qui détient d’autres ressources que celles qu’il prélève sur les particuliers ? C’est donc le peuple qui se promet à lui-même, dans un bel élan de générosité, une vie exempte de risques et de soucis.

Ces promesses ne lient pas seulement la Confédération mais les Cantons et les Communes, car le projet veut être non seulement la Constitution de l’État fédéral, mais celle de l’État suisse, comprenant, ensemble, l’État fédéral, ce qu’on ne peut plus appeler les États cantonaux et leurs subdivisions.

Les porte-parole de la Commission des experts ont un ton très rassurant: on ne change que très peu de choses, c’est une remise en ordre et à jour des institutions, «pour redonner au fédéralisme cette nouvelle vitalité dont il a un urgent besoin» (p.10). Nos lecteurs auront l’occasion, au cours de nos prochains numéros, de constater que tant dans le principe même de la répartition des compétences (disent, dans leur style, le projet et le rapport nomment des responsabilités), que dans une longue série de dispositions particulières, les Cantons perdent ce qui leur restait de souveraineté dans la Constitution actuel.le. C’est ainsi qu’on revitalise le fédéralisme.

Vatican II a été une révolution qui a semé la division dans l’Église, alors que le Concile se présentait comme une mise à jour de l’Église de toujours. Il en serait. de même si le projet de constitution des experts était accepté. Leur pastorale est propre à endormir les cantons au moment où on va les étouffer sous des bénédictions.

Marcel Regamey[1]

[1]La Nation, No 1055, 2 juin 1978. Reproduit avec l’autorisation de l’auteur.