Les problèmes que soulève la Haute Critique ne sont pas nouveaux. Au 3ème siècle, Tertullien, encore orthodoxe, écrivait [1] :

« Il est certains livres des Écritures que l’hérésie ne reçoit pas. Ceux qu’elle reçoit, elle ne les admet pas intégralement, mais elle les accommode à son système par des additions et des amputations. Même quand elle les garde à peu près dans leur intégrité, néanmoins elle les fausse en imaginant des interprétations différentes. Un sens altéré ne fait pas moins de tort à la vérité qu’une plume corruptrice. Leurs frivoles conjectures ne veulent naturellement pas avouer les passages qui les condamnent. Mais ils s’appuient sur les endroits qu’ils ont mensongèrement arrangés et sur ceux qu’ils ont choisis en raison de leur ambiguïté. Quel résultat obtiendrez-vous, vous, l’homme habile en fait d’Écritures, du moment que du côté adverse on niera tout ce que vous affirmez et qu’au contraire on affirmera tout ce que vous nierez ? »

Plus loin, il nous montre d’où proviennent de telles méthodes d’exégèse :  

« Ces hommes-là procèdent des esprits de perversité, avec qui il nous faut lutter, mes frères, et qu’il nous faut donc « regarder en face ». Ils sont nécessaires à la foi pour manifester les élus et découvrir les réprouvés. C’est pour cela qu’ils ont du talent, qu’ils imaginent et construisent l’erreur avec tant d’aisance : aisance dont, au surplus, il ne faut pas s’émerveiller, puisqu’on trouve aussi dans la littérature profane des exemples du procédé. On voit aujourd’hui sortir de Virgile une fable entièrement différente où le sujet est adapté aux vers et les vers au sujet. Hosidius Geta a ainsi complètement pompé sa tragédie de « Médée » dans Virgile. Un de mes parents, entre autres, a expliqué d’après le même poète le « Tableau de Cébès ». On appelle ainsi d’ordinaire Homérocentons ceux qui, d’après les poèmes homériques, réunissent en un tout, grâce à un travail personnel, des morceaux pris deci delà, à la façon des chiffonniers. » (p. 142-143)

N’est-ce pas ici une excellente description de la fameuse méthode critique ? Aucune hérésie n’est nouvelle. Tertullien ajoute :

« Demande-t-on par qui est interprété le sens des passages qui favorisent l’hérésie ? Par le diable, bien entendu. Son rôle est de pervertir la vérité. » (p. 144)

L’Église ancienne déjà eut à faire face à une telle volonté de dissoudre l’Écriture Sainte. À la fin du IIème siècle, Victor, évêque de Rome, n’avait pas hésité d’excommunier des fidèles de l’Église locale qui, sous l’influence du médecin et philosophe Galien, avaient développé une méthode rationnelle de critique de l’Écriture, qui vidait la foi de tout son contenu chrétien. C’était la secte des Adoptionistes qui, entre autres hérésies, niait la divinité du Christ. Eusèbe, dans son « Histoire ecclésiastique », nous a préservé de larges extraits d’un texte de cette époque qui met la lumière sur nos difficultés d’aujourd’hui. L’on en peut conclure que nos adeptes de la Haute Critique sont excommuniés de l’Église depuis bientôt dix-huit siècles, et que par leurs méthodes impies ils s’excluent eux-mêmes de la communion du Christ vivant.

« Sans aucune crainte, ils ont corrompu les Écritures divines ; ils ont rejeté la règle de l’ancienne foi ; ils ont d’autre part ignoré le Christ, ne recherchant pas ce que disent les divines Écritures, mais s’exerçant laborieusement à découvrir une figure de syllogisme conjonctif ou disjonctif. Abandonnant les saintes Écritures de Dieu, ils fréquentent la géométrie, sous prétexte qu’ils sont de la terre, parlent de la terre et ignorent Celui qui vient d’en-haut. Euclide, en vérité, géométrise laborieusement chez quelques-uns d’entre eux. Aristote et Théophraste sont les objets de leur admiration ; Galien est même presque adoré par quelques-uns d’entre eux. Abusant des arts des infidèles en faveur de la doctrine de leur hérésie, altérant avec la fourberie des athées la simple foi des Écritures divines, faut-il dire encore qu’ils ne sont même pas près de la foi ? À cause de cela, ils portent sans crainte, les mains sur les saintes Écritures, en disant qu’ils les corrigent. Et quiconque le veut, peut apprendre qu’en parlant ainsi, je ne les calomnie pas. Si, en effet, l’on veut prendre les exemplaires de chacun d’entre eux et les comparer l’un à l’autre, où trouve qu’ils diffèrent beaucoup entre eux. Ceux d’Asclépiode ne sont pas d’accord avec ceux de Théodote. Il est d’ailleurs possible de s’en procurer beaucoup parce que leurs disciples copient avec ardeur ceux qui ont été, disent-ils, corrigés par chacun d’entre eux, c’est-à-dire, corrompus. Les exemplaires d’Hémophile ne sont pas davantage d’accord avec les précédents. Quant à ceux d’Appollinode, ils ne sont même pas d’accord entre eux. On peut, en effet, comparer les copies qu’ils ont retouchées les premières à celles qu’ils ont retravaillées par la suite ; on y trouvera de nombreuses divergences. De quelle audace est cette faute, il est vraisemblable qu’ils ne l’ignorent pas eux-mêmes. Ou bien en effet, ils ne croient pas que les Écritures divines ont été dites par le Saint-Esprit, et ils sont infidèles ou bien ils s’estiment eux-mêmes plus sages que le Saint-Esprit, et que sont-ils d’autre que des démoniaques ? Ils ne peuvent pas, en effet, nier que telle est leur audace, alors que les exemplaires sont écrits de leur propre main, qu’ils n’ont pas reçu en cet état les Écritures de ceux par qui ils ont été catéchisés, et ils ne peuvent pas montrer les exemplaires d’après lesquels ils auraient fait leurs copies.

Quelques-uns d’entre eux n’ont même pas daigné corrompre les Écritures : mais ils ont renié simplement la Loi et les Prophètes et se sont eux-mêmes précipités, sous le couvert d’un enseignement sans loi et sans Dieu jusqu’au dernier abîme de perdition. »

Eusèbe de Césarée : Histoire ecclésiastique. t.V 28 13-19

Sources chrétiennes t. 41 p. 77-79

(Paris) 1955.

En étudiant le texte que je viens de citer, R. Walzer, dans son ouvrage « Galen on Jews and Christians » (Oxford) 1949, fait quelques remarques qui éclairent l’arrière-plan logique de cette manière de maltraiter l’Écriture Sainte. Il écrit :

« Il semblerait que les disciples de Théodote le tanneur firent[2] ce que tout Grec instruit aurait attendu des nouveaux « philosophes » ; ils essayèrent d’expliquer la religion chrétienne en terme philosophiques, i.e. dans la terminologie traditionnelle de la logique post-Aristotélicienne comme elle était pratiquée et enseignée par les écoles philosophiques de leur époque… Galien, le philosophe et logicien, plutôt que Galien, médecin et savant, était particulièrement apprécié par quelques éléments de ce mouvement philosophique chrétien… Galien d’autre part ne suivait aucune école philosophique particulière ; mais insistait sur la nécessité d’une formation mathématique et logique pour tous… Il y a un parallélisme complet entre la pratique des Adoptionistes et le programme logique que Galien aurait pu recommander… La manière dont les Adoptionistes pratiquaient les méthodes de critique textuelle grecque sont parfaitement comparables à celles qu’appliquait Galien aux écrits de ses maîtres Hippocrate et Platon… L’érudition grecque avait établi des méthodes précises pour l’établissement de textes corrects de classiques d’un passé lointain et Galien était parfaitement au courant de ces méthodes… Les Adoptionistes appliquèrent les mêmes méthodes à l’Écriture… Les défenseurs fidèles de la foi avaient une répugnance certaine pour l’introduction de cette méthode insolite ; de même ils avaient été choqués par l’usage sans précédent de la logique aristotélicienne. Ils pensaient que cette attitude ne faisait pas justice à la nature unique de la révélation chrétienne qu’elle réduisait au niveau d’une école philosophique grecque. Ceci était exactement ce que Galien attendait des chrétiens s’ils désiraient être reconnus comme membres du monde civilisé… Il semblerait, en conséquence, que les docteurs adoptionistes à Rome avaient tenté d’élaborer un « recensio » individuel du texte sacré et avaient pris leur travail critique tellement à cœur qu’ils n’hésitaient pas, après mûre réflexion, à changer une lecture auparavant acceptée. Il ne peut y avoir de doute qu’une telle attitude correspondait aux meilleures traditions de la critique grecque… Mais leurs adversaires orthodoxes ne virent que le danger pour la communauté et pour la foi elle-même impliquée dans cette approche indépendante du texte sacré… » (p. 77-81)

Finissons-en avec ces citations de cette époque par ce texte de Tertullien :  

« Pitoyable Aristote qui leur a enseigné la dialectique, également ingénieuse à construire et à renverser, fuyante dans ses propositions, outrée dans ses conjectures, sans souplesse dans ses raisonnements, « artisane d controverse » qui se crée à elle-même des difficultés et qui remet tout en question « de peur qu’un seul point ne lui ait échappé ».

De là ces fables, ces généalogies interminables, ces questions oiseuses, ces discours qui s’insinuent comme le cancer. L’apôtre, quand il veut nous en détourner, affirme que c’est contre la philosophie (il la nomme expressément) qu’il faut nous mettre en garde. « Veillez, écrit-il aux Colossiens, que personne ne vous trompe par la philosophie et par de vaines séductions, selon la tradition de hommes » et contrairement à la providence de l’Esprit Saint. C’est qu’il avait été à Athènes et il avait appris dans le commerce des philosophes à connaître cette pauvre sagesse humaine qui se pique de chercher la vérité, ne fait que la corrompre, et, par la diversité des sectes irréductibles l’une à l’autre, se partage en une foule d’hérésies dont elle est la source. 

Quoi de commun entre Athènes et Jérusalem ? entre l’Académie et l’Église ? entre les hérétiques et les chrétiens ? Notre doctrine vient du portique de Salomon qui avait lui-même enseigné qu’il faut chercher Dieu en toute simplicité de cœur. Tant pis pour ceux qui ont mis au jour un christianisme stoïcien, platonicien, dialecticien : Nous, nous n’avons pas besoin de curiosité après Jésus-Christ, ni de recherche après l’Évangile. Dès que nous croyons, « nous ne désirons rien croire » au-delà. Car, « ce que nous croyons en premier lieu », c’est que « nous ne devons rien croire au-delà ».

(« De praescriptione » p. 98-99)

 Dans ces textes, ainsi que dans l’ouvrage récent de Mgr de Solages, « Critique des Évangiles et méthode historique »[3], et aussi dans toute l’œuvre immense du Professeur Umberto Cassuto[4], nous nous trouvons devant une argumentation très serrée qui se doit d’être réfutée par le détail. Cette réfutation, les exégètes ne nous la donnent pas. Pour qui a quelque expérience de critique littéraire profane, les méthodes d’exégèse de la Haute Critique sont d’une aberration comparable au structuralisme mathématique que Lévi-Strauss applique (et avec le respect des textes que l’on connaît !), à la poésie française. N’est-ce pas ceci, imposer un schéma tout à fait artificiel aux textes ? Cette méthode nous vient d’une tradition impie qui commence avec Érasme, passe par Spinoza, par Richard Simon et par cet affreux hérétique que fut Isaac Newton, pour aboutir aux extravagances d’un Wellhausen et d’un Rudolf Bultmann.

Se plaçant devant le livre de la Genèse comme devant un texte littéraire quelconque, mais l’étudiant selon les normes littéraires qui lui sont propres et propres aussi aux principes stylistiques et épistémologiques du milieu culturel qui les a vu naître (et non selon les schémas rationalistes et anachroniques imposés de toutes pièces par la critique !), Umberto Cassuto découvrit que, loin d’être un ramassis de textes provenant de différentes traditions et collés les uns aux autres arbitrairement par un chiffonnier tardif, le livre de la Genèse possédait une très profonde unité. Il découvrit aussi que si l’on admettait cette unité de composition, l’on découvrait que les détails du texte possédaient une cohérence organique qui en est le SENS et qu’en conséquence, une foule de problèmes oiseux et artificiels disparaissaient. Mais il est allé beaucoup plus loin. Il répond dans son commentaire sur la Genèse[5], ainsi que dans l’ouvrage qui fonde tout son travail « La Questione della Genesi »[6] à toutes les hypothèses, même les plus farfelues, de la Haute Critique. Dans son commentaire, il découvre clairement (ce que la tradition juive ne faisait que pressentir) l’unité numérologique profonde du livre de la Genèse. En conséquence d’une étude linguistique et littéraire du texte profondément respectueuse de ce que le texte lui-même pouvait lui apprendre, bien qu’admettant que Moïse ait travaillé à partir de traditions diverses, il en arrive à la conclusion de l’unité décomposition du livre de la Genèse, et même du Pentateuque tout entier. Il s’agit ici d’un auteur juif se basant sur une argumentation très soigneuse, mais uniquement rationnelle. Cette argumentation doit être réfutée point par point. À mon avis, elle est irréfutable et démolit complètement les prétentions de trois siècles d’exégèse orgueilleuse. Cette réfutation, je ne l’ai jamais vue, et bien rares sont les exégètes du Pentateuque qui ont ce minimum de probité qui consiste simplement à citer cette œuvre capitale de l’Exégèse Hébraïque moderne.

Mais, pour les chrétiens, la question est beaucoup plus sérieuse. Le Nouveau Testament nous rapporte les paroles mêmes de notre Seigneur Jésus-Christ qui, explicitement Lui, attribue le Pentateuque en entier à Moïse. La question est alors celle-ci : si Dieu, comme prétend la Haute Critique, a utilisé plusieurs auteurs pour faire parler le Saint-Esprit dans les premiers livres de notre Bible, alors ou bien Jésus-Christ est un menteur, ou bien, influencé par lés traditions juives erronées de son temps, il n’est qu’un simple ignorant. La divinité de notre Seigneur est immédiatement mise en doute. Ou bien l’exégète affirme que Jésus-Christ n’est pas Dieu, qu’il s’est trompé et est pécheur comme nous, alors il n’est qu’un infidèle. Ou bien, alors, il se considère, comme tous ceux qui se fient à l’arbre de la connaissance et au Diable, maître de cette connaissance, supérieur en sagesse à Dieu Lui-même. C’est cet orgueil-là qui est le signe propre de Satan. En refusant les affirmations de Jésus sur cette question, l’exégète s’enferme dans cette alternative épouvantable, où infidèle, ou démoniaque. Ou bien, alors, s’il s’est trompé, si ce n’est pas là où il voulait en venir, il lui reste un moyen de sortir de ce guet-apens, celui qui se nomme repentance, le repenser, le changeront de pensée. Il lui reste la possibilité de renier sa propre pensée blasphématoire, d’entrer à nouveau dans la pensée de Dieu sur Sa propre Parole, et, en conséquence, par amour de la Vérité (qui, elle, seule, peut sauver nos âmes), à combattre ceux qui défendent des méthodes aussi impies.

Il nous faut combattre ces méthodes comme le faisaient nos prédécesseurs dans cette carrière. Il nous faut imiter Tertullien attaquant les exégètes de son temps, et avec quelle vigueur ! Il nous faut prendre comme modèle le « Serf-Arbitre » de Luther pourfendant, et avec quelle force, ce Protée insaisissable qu’était Érasme. Il nous faut être bien attentif à ce que nous dit le R.P.L.M. Barielle sur Ignace de Loyola :

« À Paris, Saint Ignace eut cette pensée : « Toi, qui veux fonder un ordre qui veut influencer la classe dirigeante en plein siècle humaniste, tu dois travailler à devenir un humaniste distingué. Et donc toi aussi, achètes et lis un livre du chanoine Érasme, si loué de tous » Il fallait à tout prix, chez tous, lire ce livre. Et Saint Ignace acheta le livre le « Miles Christi ». Chaque jour, il en lisait quelques pages. C’était, en effet, du très beau latin…Mais, au bout de quelque temps, Ignace s’aperçut qu’après chaque lecture d’Érasme, il n’avait plus sa ferveur, sa componction habituelles. Il fit quelques contre-épreuves et finit par renoncer à Érasme. Ce n’est que plusieurs années après que l’on comprit le mal qu’avait fait à la jeunesse l’écrivain paradoxal, et que ce livre fut condamné. Ignace l’avait compris en perdant sa suavité. »[7]

Loyola, lui-même, par la souillure démoniaque qu’imposait à son esprit la lecture d’Érasme, pouvait discerner de quelle perversité provenait cet esprit critique ; et ceci bien avant la condamnation officielle des écrits d’Érasme par l’Église catholique romaine. Luther n’écrivait-il pas du « Libre arbitre » d’Érasme :

« Les papistes te passent ces grossières confusions, uniquement parce que tu écris contre Luther ; mais si Luther n’existait pas, et si tu eusses encore écris de telles choses, ces mêmes papistes t’eussent déchiré à belles dents. »[8]

« …je m’indigne qu’une matière si impure et si sordide soit revêtue des ornements d’une si précieuse éloquence. »[9]

« En somme, il ressort de tes paroles qu’il t’importe assez peu que chacun croie n’importe quoi, pourvu que règne la paix extérieure… »[10]

« Le Saint-Esprit n’est pas un sceptique, et n’a pas inscrit dans nos cœurs d’incertaines opinions, mais des affirmations plus fortes que notre vie même et que toute expérience. »[11]

« C’est Satan qui a voulu par cette fantasmagorie, effrayer ceux qui voudraient lire la Bible et calomnier l’Écriture Sainte (en disant qu’elle est obscure), afin d’introduire ces abominations dans l’Église, par le canal de la Philosophie. »[12]

« Si beaucoup de choses restent obscures aux yeux de certains, ce n’est pas la faute de l’Écriture, mais, au contraire, de votre aveuglement, parce que vous n’avez aucun désir de connaître la Vérité révélée, ainsi que Paul le dit aux Juifs : « Un voile est jeté sur leur cœur » (II Cor. 3 : 14). Et il dit encore ailleurs : « Si notre Évangile est encore voilé, il est voilé pour ceux qui périssent, pour les incrédules, dont le dieu de ce siècle a aveuglé l’intelligence. » (II Cor. 4 : 3-4). Avec la même audace, je pour »rais accuser le soleil d’être obscur, parce que je ferme les yeux. Qu’ont-ils donc à reprocher à l’Écriture, claire comme le soleil, ces pauvres humains aveuglés,qui blasphèment et tordent la Vérité, l’appellent obscure à cause de l’aveuglement de leur cœur ![13] »

Les prophéties bibliques, qu’évoquaient ces paroles de l’archiprêtre Avvakum, s’accomplissent :

« Tsar chrétien, scrute l’Écriture et tu verras que dans les derniers temps, il n’y aura nulle part correction de la foi, ni découverte de la Vérité. Au contraire, il est écrit partout que dans les derniers temps, on reniera la foi au lieu de la corriger, on faussera les Écritures et les pervertira, et on introduira des hérésies pernicieuses et beaucoup seront séduits. Cela est partout, dans les Saintes Écritures, tu le verras. Et ne t’étonne pas, c’est la Vérité. Le Christ lui-même a dit : « Lorsque viendra le Fils de l’Homme, trouvera-t-il de la foi sur la terre ? » Sur cela, les théologiens disent : « Il ne la trouvera pas, hors un petit nombre d’élus, réfugiés dans les montagnes ; dans les cités et les bourgs, il ne trouvera pas un seul évêque ou prêtre orthodoxe. » Ainsi en sera-t-il, tsar, selon la parole du Christ, et souviens-toi des jours de Noé : restait-il beaucoup d’hommes pieux, avant le déluge ? Tu le sais, seulement huit. A la fin des temps, il en sera de même, le troupeau du Christ sera petit, et grande l’armée de Satan, et de l’Antichrist.[14] »

A côté de notre critique moderne, à côté des Bultmann et des Wellhausen, et de leur innombrable progéniture, ce qu’attaquaient Tertullien, Luther, Avvakum n’avait qu’une portée limitée. Nous ne pouvons aucunement nous dispenser d’attaquer avec la plus grande vigueur et précision ceux qui pratiquent des méthodes d’exégèse infiniment dangereuses et perverses. Si nous refusons d’attaquer ces faux docteurs dans l’Église, de dévoiler ces imposteurs exégétiques, si, par manque de courage ou par aveuglement, nous refusons le combat public et pratiquons ces mêmes méthodes, alors nous nous situerons nécessairement ou parmi les infidèles, ou parmi les démoniaques.

Où donc témoignons-nous de ce combat pour Dieu, pour sa sainte et divine Parole, pour la pureté de la doctrine immuable de l’Église, contre ces pervertisseurs d’exégètes qui polluent, qui empoisonnent les sources divines de la Vérité, de la Lumière et de la Vie ? Si nous ne sommes pas publiquement contre eux, nous sommes avec eux ; donc ou infidèles ou démoniaques. Et si nous sommes avec eux, nous participons à leur œuvre dé démolisseurs de l’Église de Dieu et de dévastateurs de cet ordre temporel de la Loi, ordre qui, s’il est maintenu et rétabli, peut empêcher la destruction totale de la création de Dieu.

De tels textes nous montrent que notre combat est le combat de l’Église de tous les temps, est un combat contre des hommes dont la ferme volonté (consciente ou non) est de détruire Lé témoignage que Dieu se rend à Lui-même par les Saintes Écritures.

Et si nous devons manifester la victoire de Jésus-Christ dans cette lutte contre ceux qui cherchent à détruire l’Église de Dieu, il nous faut voir notre combat dans la perspective de l’Église universelle, et nous saisir des armes qu’ont forgées pour les saints, nos prédécesseurs dans la carrière où nous courons.

[1]Traité de la prescription contre les hérétiques Source chrétienne No 46 (Paris) 1957 – p. 110.

[2]Théodote fut excommunié par son évêque, Victor, évêque de Rome.

[3]Privat 1972

[4]En particulier « The Documentary Hypothesis » (Oxford) 1961.

[5]Jérusalem, 1944, Oxford 1961

[6]Florence, 1934.

[7]L.-M. Barielle : « Règles du discernement des esprits » (Martigny), 1973, Ed. St. Gabriel.

[8]« Traité du Sauf Arbitre »(1525), Genève 1936, p.44

[9]Ibid, p. 30

[10]Ibid, p. 37

[11]Ibid, p. 38

[12]Ibid, p. 39

[13]Ibid, p. 41

[14]Lettre au tsar Alexis, 20 septembre 1669. « La vie de l’archiprêtre Avvakum, » trad. P. Pascal (Paris) 1960, p. 221.