Une conférence s’est donc tenue à Bangkok du 29 décembre 1972 au 12 janvier 1973, sur invitation du Conseil œcuménique et, plus particulièrement, de sa Commission de la Mission et de l’Évangélisation. Le thème en était « Le salut aujourd’hui » Elle réunissait 326 délégués, venus de 69 pays, et comportait une délégation d’« observateurs actifs » mandatée par le Vatican, futur membre de la Commission en question au même titre qu’il participe à l’action de la Commission Foi et Témoignage. Depuis l’inclusion du Conseil international des Missions dans le Conseil œcuménique, la conférence de Bangkok était la seconde du nouvel organisme missionnaire mondial mais, à la différence de la conférence de Mexico (1963), encore imprégnée de l’esprit spécifique des « missions évangéliques », celle de Bangkok s’insérait strictement dans le cadre et le programme du Conseil œcuménique. La manière dont l’assemblée était composée le marquait sans équivoque car, aux délégués réguliers étaient adjoints, pour un tiers environ, des experts de tous genres dont la présence était exigée par la volonté de créer une atmosphère spéciale permettant le recours à la méthode dite « situationniste » (une fois pour toutes que l’on me pardonne de devoir recourir à l’effroyable jargon en passe de devenir d’usage dans l’œcuménisme ! ). Cette méthode permet d’assurer la « mise en condition » des participants. Bien entendu ces experts. avaient été choisis par les services du secrétariat de Genève avec le soin requis par le but poursuivi. On y trouvait des représentants du Black-Power, des communistes italiens, des membres du Vietcong, des sympathisants des mouvements révolutionnaires et des guérillas d’Afrique et d’Amérique latine, voisinant avec une représentante du « Jesus-People » de New York et des professionnels du « happening », dont il est permis de se demander quelle pouvait bien être la compétence en matière de « mission évangélique » mais dont le rôle allait s’avérer déterminant aux côtés des membres du Secrétariat et de leurs cadres actifs dans divers continents :
« Poissons sacrés, ivresse divine » : comment ne pas penser à Nuremberg ? C’est au titre de ce cours d’histoire des religions professé en Sorbonne vers 1925 par mon bon maître Philippe de Félice que font irrésistiblement penser de nombreux moments vécus à Bangkok et destinés à susciter « l’expérience de dynamique de groupe » dont le Secrétariat de Genève attendait « le renouvellement d’esprit » des participants, sous la direction du maître en l’art de manipuler les foules qu’est le pentecôtiste Walter Hollenweger. Musique électronique, hurlement de sirènes, , tac-tac de tirs de fusils mitrailleurs accompagnaient des projections de diapositives effectuées à un rythme accéléré, alternant avec l’intervention d’une chanteuse noire américaine interprétant des « blues » sur « le salut », ce genre de mélodies que Mahalia Jackson, la grande spécialiste des « negro spirituals », se refusa toute sa vie à chanter parce que blessant son respect de l’Évangile.
Atterré par le recours à une telle technique, brusquement une image s’est imposée à moi : Nuremberg 1936 ! et cette « sorte particulière de frisson et de battement de cœur » éprouvée à la vision du Führer au milieu des siens qu’évoque Denis de Rougemont dans son Journal d’Allemagne[1]. Même bruitage de guerre civile, de cris, de tac-tac de mitrailleuse, de chœurs désordonnés et haineux ! Pourquoi, alors, nous sommes-nous refusé à comprendre quelle force « sacrée » allait soulever ceux qui étaient pris de la sorte au point de s’abandonner corps et âme à « l’Homme providentiel ! » Cette tragique erreur ne devrait-elle pas, aujourd’hui nous servir d’avertissement ?
Cet abandon collectif à la fascination n’est-il point semblable à celui que Rudyard Kipling nous fait éprouver en évoquant la danse de Kaa, le python de rocher, exécutée aux Grottes Froides lors de 1a libération de Mowgli prisonnier du Peuple Singe ? Quel exemple d’une « mise en condition » aux conséquences terribles pour ce peuple : Vers quoi la « mise en condition » des délégués de Bangkok devait-elle les conduire ?
À cette conférence, au terme de la fameuse soirée consacrée au « salut dans l’art » durant laquelle les participants furent pendant des heures saturés de musique, de bruits et d’images, le « happening » arrivant à son degré majeur de tension, son metteur en scène, Walter Hollenweger, put prononcer sa « prière » : « Seigneur, apprends-nous combien il est important de reconnaître notre non-importance. » À ce moment-là, et afin que les participants en fussent marqués, Hollenweger fit entraîner prêtres, moines, théologiens, directeurs de sociétés de missions dans une danse réglée précisément par l’un de ces représentants du « Pouvoir-Noir » qui, ce matin-là, leur avait exprimé le mépris dans lequel il tenait les « blancs » dont il faisait le procès.
Nous commençons à comprendre pourquoi les interventions du professeur Beyerhaus ne furent pas du tout bienvenues, pourquoi également elles furent pratiquement considérées comme nulles et non avenues et escamotées par presque toute la presse !
Quel but peuvent bien chercher à atteindre Philip Potter, le nouveau Secrétaire général du Conseil œcuménique et son « animateur » Hollenweger, en recourant aux procédés que je viens d’évoquer ? Une réponse nous est imposée par ces milliers de jeunes qui, depuis la chiennerie de Mai 1968, parlent avec nostalgie de « la fête » que représentent aussi bien les occupations de locaux universitaires ou de théâtres, les destructions de laboratoires et de documents de recherches, les incendies de bibliothèques, les arbres abattus, que les barricades et autres entreprises contre cette « société de consommation » dont ils sont si experts à tirer tant de jouissances.
« Le fête ! » Voilà le terme par lequel se résume tout ce qui doit contribuer à détruire notre forme de civilisation et les restes prestigieux : des cultures anciennes. Nous verrons du reste qu’à Bangkok la « révolution culturelle » chinoise prit qualité d’exemple ! « La fête » moyen de « conditionnement » suprême des êtres, à la faveur duquel s’accomplit la dépersonnalisation que veut obtenir « le lavage de cerveau ». Voilà ce à quoi en est arrivée l’institution genevoise dans sa diabolique entreprise de politisation de l’œcuménisme.
Il importe maintenant d’apporter des preuves de cette terrible accusation. Ces preuves, les voici :
1. Quelle notion du « salut » la conférence de Bangkok a-t-elle voulu imposer ?
En 1961, lors de l’Assemblée générale du Conseil œcuménique de New Delhi, 1a Commission pour la Mission et l’Évangélisation du monde avait : reçu comme but de « prêcher par tout le monde l’Évangile de Jésus-Christ afin que tous les hommes croient en lui et soient sauvés ». La Parole de Dieu était donc affirmée le seul fondement du « salut ». En 1968, à Upsal, « le renouvellement de toutes choses », thème de la Conférence, fit poser la question du « renouvellement de la mission » afin que celle-ci puisse se trouver à même d’agir sur une société sécularisée et travaillée par le ferment révolutionnaire. Dans le mouvement général d’ « humanisation », l’Église devait tenir compte de la nécessité des transformations sociales et politiques imposées à la société actuelle. Il fallait qu’elle comprit que son devoir était d’engager « le dialogue », aussi bien avec les idéologies marxistes et humanistes qu’avec les religions non chrétiennes.
Par l’adoption en septembre 1970 du programme d’action anti-raciste, le Conseil œcuménique fit du soutien aux mouvements révolutionnaires travaillant à ce qu’ils appellent « la libération des peuples », l’un des objectifs de « la mission », au sens nouveau prêté à ce terme. C’est cette orientation, de plus en plus étrangère à l’ordre d’évangélisation du monde donné par Notre Seigneur aux apôtres, qui explique et justifie la nécessité de déclarations comme celles de Wheaton et de Francfort.
Comment, dans ces conditions, le thème du « salut aujourd’hui » allait il être traité à Bangkok ? Délaissant aussi bien l’étude des textes bibliques, comme présentant un caractère normatif, que les thèses du criticisme historique, les dépouillant de toute autorité effective, le Secrétariat de Genève du Conseil œcuménique s’efforça d’accentuer la signification sociale et politique de la notion de salut. Il ne faisait là que s’adapter à la mode en cours d’implantation un peu partout (et pas unique ment chez les jeunes), mode selon laquelle Jésus de Nazareth, Che Guevara, Mao Tse Tung sont les interprètes de différentes conceptions de ce que l’on entend par « salut ». En février 1972, Philip Potter présenta chaleureusement un ensemble de documents émanant de milieux divers où la politique, la musique pop, les expressions hyper-modernes d’une prétendue littérature se mêlent aux élucubrations de la théologie la plus radicale, sous le titre « le salut aujourd’hui vu sous l’angle de l’expérience ». Rien n’y manquait des types de productions les plus caractéristiques de notre temps. L’ouvrage culminait par un essai dû à une Chinoise et intitulé « Sauvé par Mao ». Quand, dans un autre document, la sinistre Dorothée Sölle écrit : « Le Dieu de la Bible ne pleure pas, ce qui est déjà mauvais signe pour lui. Il aurait pourtant de bonnes raisons de le faire », nous franchissons la limite de la sociologie et de la politique pour tomber dans le blasphème.
Qu’est-il advenu des excellents textes élaborés au cours de nombreuses réunions préparatoires à la Conférence de Bangkok, où, par exemple, le plus grand soin fut apporté à l’étude des textes bibliques ? Nous pensons plus spécialement aux six compte rendus des travaux exégétiques effectués lors de la consultation préparatoire de Bossey de mars 1972 ? Visiblement, l’état-major genevois paraît ne pas reconnaître l’autorité souveraine des Saintes Écritures et leur valeur comme fondement dé la foi de l’Église puisqu’il lui préfère ce qu’il dénomme la « contextualisation », c’est-à-dire la priorité accordée à l’étude du milieu social et politique actuel.
« Le Salut » n’est donc plus celui qui fut réalisé une fois pour toutes par la mort et la résurrection de Notre Seigneur mais celui qui s’actualise dans « la libération » politique et sociale.
2. Comment la conférence a-t-elle répondu à la question du salut ?
La presse religieuse a reproduit la lettre envoyée par la Conférence aux chrétiens du monde entier. Vous avez donc eu la possibilité de lire ce que Bangkok à cru bon de vous dire. Cette lettre n’exprime à peu près rien de nouveau. C’est l’un de ces documents que l’on parcourt d’un coup d’œil distrait, ni meilleur ni pire que nombre de textes présentés dans des circonstances du même ordre. Quant aux « décisions » prises, il est fort étrange qu’à de très rares exceptions près, elles aient été passées sous silence comme si Genève ne tenait pas à leur diffusion, ce qui n’est pas sans nous contraindre à rechercher le pourquoi de ce silence.
En réalité, si ce que la Conférence a cru devoir dire n’a qu’une importance médiocre, il en est tout autrement des conditions dans lesquelles cette réponse a été formulée, car là se trouve l’un des facteurs déterminants de notre comportement à l’égard du Conseil œcuménique.
Que l’on prenne le discours d’ouverture de Philip Potter, les interventions des porte-parole du Black-Power, du Vietcong, des guérillas révolutionnaires d’Afrique ou d’Amérique et de la révolution culturelle maoïste, notre minorité blanche était toujours l’accusée et l’histoire de la mission chrétienne se trouvait ramenée à celle d’hommes et de Société missionnaires au service du Colonialisme et de l’Impérialisme. Ce que nos Églises auraient apporté au monde, ce serait leur appétit de pouvoir, leur esprit de domination – mais enfin, je vous le demande (et pour ne relever que ce seul point), qui donc a organisé l’esclavage et en a tiré profit sinon, initialement, certains chefs noirs et qui donc n’a cessé de lutter pour que cet esclavage disparaisse, sinon les missions blanches ? L’esclavage n’était-il point le sort normal auquel étaient voués les vaincus ?
Quand nous lisons la lettre aux Églises, les compte-rendus officiels, nous croyons retrouver les textes traditionnels et nous nous réjouissons d’entendre affirmer avec énergie « le salut en Jésus-Christ » mais, j’insiste, étudiez de près ces textes. Vous ne pourrez pas ne pas remarquer qu’ils contiennent en filigrane une notion de salut qui est le fruit, non de la proclamation de l’Évangile mais de l’affranchissement politique, de la justice sociale, de l’émancipation de la femme, du « dialogue » avec les Idéologies et les Religions non-chrétiennes ! À ce point de vue, il est fort révélateur, ce rapport de la section II de la Conférence, section consacrée à « salut et justice sociale ». Il contient six grandes pages de textes prétendus liturgiques et se termine par une manière d’ « affirmation de foi ». Un extrait d’une de ces singulières litanies suffira à votre information :
Tu étais un pauvre Mexicain, qui a été baptisé de l’Esprit Saint et du sang de l’Agneau
J’exulte avec toi, mon frère !
Tu étais une intellectuelle chinoise qui a abattu les barrières entre toi et l’ouvrier agricole puant le fumier
J’exulte avec toi, ma sœur !
Tu as trouvé dépourvu de sens le langage traditionnel et tu es devenue « un athée par la grâce de Dieu »
J’exulte avec toi, mon frère !
Tu as crié du fond de ton désespoir et de ton esclavage et, dans ton cri, il y avait un espoir enflammé
J’exulte avec toi, ma sœur !
Tu étais opprimé et tu t’es enfui dans les régions libérées où tu as consacré ta vie à la lutte révolutionnaire.
J’exulte avec toi, mon frère !
Tu étais opprimée et maintenue sous le joug par l’autorité de l’Homme et, quoique tournée en dérision et engueulée, tu as persévéré dans ton exigence de dignité
J’exulte avec toi, ma sœur !
Pour tous mes frères et mes sœurs engagés dans la lutte pour la libération sociale et spirituelle – J’exulte !
La victoire et la grâce soient avec vous ![2]
Immédiatement après ces « thèmes de méditation » viennent des « recommandations » dont pas une seule ne concerne l’Évangélisation et qui toutes, se réfèrent à la situation politique. En voici un échantillon :
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- accorder le maximum de publicité à ce qui se passe réellement dans les colonies portugaises d’Afrique et faire en sorte que les Églises refusent tout séjour de leurs chefs en ces pays. (Admirez la contradiction impliqué par ce texte qui convie à informer en interdisant l’enquête sur place ! )
- envoyer des délégations très représentatives dans les zones « libérées » par les mouvements révolutionnaires afin d’y constater la situation réelle.
- lancer une campagne destinée à augmenter le rendement de la collecte de fonds affectés à la réalisation du programme anti-raciste blanc…
- mobiliser l’opinion publique en faveur de la légitimité des luttes des peuples opprimés en vue de leur libération…
Tout cela est, bien entendu, strictement unilatéral. Pas la moindre allusion n’est faite au sort des croyants, des intellectuels, des opposants au régime en Union Soviétique, à Cuba, en Chine maoïste… ; pas un mot du droit à l’indépendance des peuples annexés, comme les Estoniens, Lettons et Lituaniens ; mais, au contraire, une « résolution » spéciale est consacrée à la Chine rouge, comme si la révolution culturelle maoïste avait réalisé « la libération et le salut » du peuple chinois. Quant au Vietnam !… Il va de soi qué pas l’ombre d’une critique ne va aux tortionnaires de Hanoï et que toute la culpabilité se trouve du côté de Saïgon et des États-Unis.
L’action pour « le Salut du monde » devient le soutien total accordé aux guérillas révolutionnaires, où qu’elles agissent, mais plus particulièrement en Afrique, ce qui explique et légitime que ce soit le fonds de réserve du Conseil œcuménique destiné à l’Évangélisation et à la mission qui alimente la réalisation du programme anti-raciste en attendant que les Églises (donc chacun de vous), le reconstituent de leurs dons. Est-ce cela que vous voulez ou bien, comme de nombreux chrétiens américains, vous résoudrez-vous à cesser tout versement et préciserez-vous à vos synodes que vous entendez que vos Églises cessent de participer à cette action ?
Le but final à atteindre, c’est le théoricien de la « théologie de la libération », Emilio Castro, nouveau directeur de la Commission pour la Mission et l’Évangélisation qui l’a formulé sans fard : « Nous sommes à la fin de l’ère de la Mission et au début de la Mission universelle » ! – ce que la méthodiste anglaise, Pauline Webb, a défini comme préparant les voies à la réalisation du « beau rêve » d’un gouvernement mondial… Jusqu’à présent le Conseil œcuménique n’a pas inscrit à son programme la constitution de celui-ci – sans doute parce que nous ne sommes pas encore assez « politisés ». Cela viendra.
3. Quelles réactions faut-il attendre de Bangkok ?
Le responsable des études bibliques à Bangkok (qui eussent pu être remarquables si elles n’avaient pas été plus ou moins vilipendées) était le théologien suisse Hans-Rüedi Weber. Selon lui l’Exode des Israélites hors d’Égypte fut une révolte contre l’oppression, révolte réalisant une libération sociale et politique comportant la considération du bien-être matériel comme signe de la bénédiction divine. À l’ouïe de cette interprétation, le théologien révolutionnaire d’Amérique latine, Ruben Alvez-— dont les interventions à Upsal ne sont point oubliées – réagit avec sa violence coutumière, s’attaquant à la notion juive du mieux-être comme signe de bénédiction adoptée par l’Occident dans son rôle de « bienfaiteur des plus mal-lotis », l’amenant à exiger de ceux-ci l’obéissance, au besoin par le recours à la police. En conséquence Alvez dénonça l’impérialisme américain comme présentant l’exemple le plus typique de cette interprétation et exigea que l’on développe une notion du salut radicale, à l’application de laquelle le professeur Jürgen Moltmann donna quatre objectifs :
-
- la lutte pour la justice économique et contre l’exploitation des peuples défavorisés par les. plus favorisés ;
- la lutte pour la dignité humaine et contre l’oppression politique ;
- la lutte pour la solidarité et contre l’indifférence de l’homme pour le sort de l’homme ;
- la lutte pour l’espérance et contre le désespoir individuel.
Bangkok a proposé un « Moratorium » dont il a été trop peu parlé dans notre presse alors qu’il est l’une des initiatives les plus caractéristiques de cette assemblée. De quoi s’agit-il ? Simplement de ceci : les Églises du vieux monde et les Sociétés de Mission mettraient leur capitaux et leurs hommes à la disposition des Églises du tiers monde afin qu’elles puissent en disposer à leur guise pour être à même de rechercher librement leur « identité », élaborer « leur » propre interprétation du christianisme, employant les capitaux ainsi mis à leur disposition non seulement pour la mission parmi leurs peuples mais pour l’aide aux guérilleros « luttant contre l’injustice et 1a déshumanisation imposées par l’Europe et l’Amérique du Nord[3] ». Voilà qui se passe de tout commentaire. Nous sommes prévenus de ce à quoi tend ce prétendu programme œcuménique.
…Nous ne pouvons ici engager sur le fond la discussion d’une question beaucoup trop grave pour être traitée en quelques mots. La fusion des Églises, vers laquelle nous entraîne le Conseil œcuménique, n’a absolument rien de commun avec l’Unité chrétienne car cette fusion n’est que confusion. La fusion à laquelle à travaillé Bangkok est fondamentalement étrangère à l’enseignement biblique. Il ne s’agit plus d’œcuménisme, il s’agit de la réalisation d’un vaste plan politique utilisant au maximum les chrétiens, abusant de la bonne foi des uns, se servant du juvénile enthousiasme des Ses mais qui n’est qu’une supercherie, pire que cela, un blasphème.
Étudiant l’enseignement de saint Paul, Cullmann montre que son « ouverture au monde » avait des limites précises. S’il admettait que les chrétiens puissent avoir des relations fraternelles avec ceux qui sont « faibles de foi », du moins était-ce tant que ceux-ci conservaient un reste de foi, mais il se refusait à tout geste favorable aux « faux prophètes », attachés à ses pas afin de saboter son ministère. Il ne « leur céda pas un instant et il résista à leurs exigences afin que la vérité de l’Évangile soit maintenue » (Galates 2 :5). « La vérité de l’Évangile » est la borne milliaire qui doit empêcher l’œcuménisme de s’engager sur de mauvais chemins[4].
Tout notre témoignage missionnaire est en danger. À vous, chrétiens de France et de Suisse, d’imposer à l’organisme qui a succédé à la Société des Missions Évangéliques de Paris, de rester fidèle à l’Évangile comme le doit toute entreprise missionnaire.
Quant au Conseil œcuménique des Églises, peut-être n’est-il pas trop tard encore pour l’arrêter sur la pente savonnée où il glisse de plus en plus vite et où, bientôt, plus rien ne subsistera de l’inspiration première qui lui fit prendre corps.
Chrétiens de France et d’ailleurs, exigez de vos synodes que soit posée la question de 1a participation de vos Églises à ce Conseil œcuménique en passe de se transformer en instrument d’action politique au service d’idéologies étrangères au christianisme.
Bien loin d’avoir été « un grand événement sur le plan spirituel » à et d’avoir permis de « trouver l’unité par le recentrage (sic) sur Jésus-Christ » (quel jargon !), Bangkok a plus qu’amplement démontré qu’à la conception biblique de la mission chrétienne était substitué l’engagement total au service des politiques révolutionnaires caractéristiques (paraît-t-il) de « la nouvelle ère de la Mission Universelle ».
Dans ces conditions, que sommes-nous en droit d’attendre du Congrès pour l’Évangélisation du Monde que Lausanne doit accueillir l’an prochain ? Que faut-il espérer voir se dégager, en 1975, de la future Assemblée générale du Conseil œcuménique à Jakarta, puis qu’aussi bien celle-ci aurait à décider de la modification de la base théologique du Conseil œcuménique ?
Quelles menaces pèsent sur nous !
Comme vient de le dire le président des Églises baptises de Suède, au sujet de Bangkok : lorsque « le christianisme tente de sauver le monde, n’est-il pas en train de perdre son âme ? »
Jean G. H. Hoffmann
Tiré de « Tant qu’il fait jour », No 143, octobre 1973.
Avec l’aimable autorisation de la rédaction.
[1]Paris, Gallimard, 1938, pp. 48 et 62.
[2]Ekumenisk Orientering, 1973, no 2. Mission and Evangelism, pp. 13-17 et spécialement p. 16.
[3]Texte dans Ekumenisk Presstjänst No101 Jan 1973, pp. 11/12
[4]Cullmann, op. cit. par Katolsk Informations Tjänst XI :7, 14 avril 1973, p. 168.