Le scandale d’Évolène

par | Documentation Chrétienne - numéro 9

Le scandale de la « colonie » de Lannaz-Evolène est encore vivement dans les esprits.

Chacun se souvient en effet de ces enfants tristement livrés à eux-mêmes lors d’une expérience dirigée par une équipe de psycho-sociologues ayant à leur tête un certain Pierre Gagnebin qui avait recruté son monde au moyen de petites annonces dans une petite feuille anarchisante genevoise « La Pilule » et dans un journal underground pornographique à l’usage de désaxés « Actuel ».

Placée sous le signe du laisser-faire et sous le patronage du Centre protestant de vacances, l’expérience avait très vite tourné au scandale. Des enfants s’étant plaints, des parents venus les chercher avaient découvert tout ce petit monde dans un état de saleté indescriptible, dans un désordre incroyable. Un photographe avait même pu saisir sans se cache le moins du monde les « ébats » sur des matelas mouillés de ces enfants qui ne se gênaient nullement pour faire preuve d’un exhibitionnisme malsain. Dénonçant le scandale, nous avions publié dans notre premier numéro ces photos fort révélatrices de l’atmosphère tonique de cette « colonie ».

Depuis le mois d’août, date à laquelle la colonie a été fermée, les responsables se sont mis au travail et ont pondu un épais rapport de 207 pages ronéotypées intitulé «  » LANNAZ EVOLENE 1973 »  DES ENFANTS LIBRES : UN SCANDALE EN SUISSE ».

DE L’INTELLECTUALISME SÉRIEUX. C’est qu’il n’est pas seulement épais ce rapport, il fait en plus dans le genre sérieux, universitaire distingué. Ce ne sont pas moins de 72 écrivains, philosophes, pédagogues, psychologues qui forment la bibliographie « de base » de cette monographie qui a tout pour impressionner le citoyen moyen se perdant au détour d’une fumeuse et verseuse théorie distillée avec générosité. Le langage est souvent aride bien que souvent, soyons objectif, un effort ait été fait pour être à peu près compréhensible. Cet effort n’est pas toujours couronné de succès.

« L’agent oriente ses interventions vers l’information du sujet sur sa propre activité structurante, mais en cherchant à faire prévaloir sa direction (celle de l’agent) ».

Clair comme de l’eau de roche, n’est-ce-pas ?

HARO SUR L’ÉCOLE ET LA FAMILLE. De nombreuses pages sont réservées à des attaques contre l’école et la famille qui, parmi tous les fondements de notre exécrable société, sont les pires parce qu’elles sont « à l’origine de cet assassinat chronique de notre expérience intime ». L’école : « elle n’est qu’un moyen d’asservir les enfants et de les endoctriner. Elle leur donne le désir de penser de la façon qu’elle veut qu’ils pensent. Généralement, devant ce rouleau compresseur, cet appareil de profanation de la structure ontologique de l’existence humaine, les écoliers capitulent et rendent l’âme. »

La famille : « la famille inculque à l’enfant le désir de devenir un certain type de fils ou de fille, puis de mari ou de femme, puis de père ou de mère ; elle ne lui laisse qu’une « liberté surveillée » au lieu de permettre aux actions de l’individu de jaillir du centre de lui-même. »

DÉSINTOXICATION ? La toile étant brossée de cette affreuse société technocratique qui nous « aliène » tous, nous ayant montré ce qu’il ne fallait pas faire, Gagnebin et ses petits camarades vont nous expliquer ce qu’ils ont voulu faire.

« Nous avons cherché à offrir six semaines de DÉSINTOXICATION à une vingtaine de jeunes enfants qui, comme tous les enfants normaux, perdus et écartelés parmi les aberrations de ce monde de fin de monde, présentaient déjà de malheureux symptômes… »

Nous n’allons pas nous étendre trop longuement sur cette cure de désintoxication. Dix pages journal ne suffiraient pas à analyser l’essentiel de l’expérience. Tentons seulement tout d’abord d’exposer son principe.

LIBERTÉ, LIBERTÉ ! C’est le leitmotiv. Il est dans le titre et se retrouve à chaque page. Ces enfants dont il à la charge pour six semaines, Pierre Gagnebin les estime oppressés, colonisés par la société des adultes. Il va avec son équipe leur apprendre à être « libres ». Et pour ce faire, ces éducateurs vont se refuser à tout autoritarisme. L’adulte inculque habituellement une morale, une attitude, une discipline à l’enfant. Eux, pendant ces six semaines qu’ils doivent passer avec ces gamins dont l’âge varie entre 5 et 10 ans, ils vont laisser faire. lis ne se considéreront même pas comme conseillers. Non, ils seront à leur disposition pour éventuellement passer leurs caprices et plus certainement pour prendre des notes. Diable, cela doit être captivant de voir de pauvres petits brimés retrouver « l’usage de la liberté » !

Certes, il y aura de l’anarchie, mais il ne s’agit pas de l’interdire. Il s‘agit au contraire de laisser prendre conscience aux enfants tout seuls des inconvénients qu’engendre cette dernière. Ce qui est capital, c’est surtout de ne pas leur faire acquérir des réflexes de civilisés. L’important n’est-il pas de les laisser à l’état sauvage afin de ne pas les conditionner et de ne pas les aliéner.

POURQUOI DIABLE SE LAVER ? Dès lors qu’il n’était pas question de donner quelque ordre que ce soit, il était impensable de demander aux enfants de se laver où de ranger leurs affaires. Et le fait qu’ils ne se lavent pas d’eux-mêmes illustrent bien d’après les auteurs du rapport « la faillite de l’éducation traditionnelle au sujet de la propreté ». D’autre part, il n’entrait nullement en ligne de compte que les adultes fassent la vaisselle ou la fassent faire après le repas. Cela aurait été une autre attitude bourgeoise.

SEXE ET NUDITÉ. Est-ce un hasard si le nu occupe de nombreuses pages ?

« La ségrégation entre garçons et filles a disparu. (…) Les filles se baladent nues autour du chalet poursuivies par les garçons ».

« Lors d’une séance plénière de la fin du séjour, la moitié des enfants se présentent nus, enveloppés d’une couverture qu’ils ne tardent pas à laisser tomber. Pendant la plénière, il y a beaucoup de va-et-vient, d’excitation et de jeux joyeux. Ceux qui ne se sont pas déshabillés (six sur douze) ne sont pas inquiétés. Le groupe se montre tolérant envers ceux qui ne respectent pas ses normes. Seule, Béatrice est menacée de privation de tarte si elle ne se déshabille pas. Cette menace n’est toutefois pas mise à exécution.

Lorsque les enfants demandent aux adultes de se déshabiller à leur tour, ceux-ci répondent que chacun est libre de faire ce qu’il veut. (…) Derrière le chalet, les enfants s’aspergent d’eau et de boue, contact sensuel de la matière, non seulement avec les mains mais avec tout le corps. Les barrières entre garçons et filles tombent, tout est franchement dévoilé. Avant : « Regardez-moi tout nu avant que je me cache ! » « Maintenant, ils dansent tous ensemble » : « Ce n’est pas moi, c’est nous ! ». Le groupe est devenu un « nous ». « Il est soudé pour de bon. »

On croit rêver ! La libération de l’enfant résumée en ce tableau : Des enfants tout nus qui se barbouillent avec de la boue ou se vautrent de-dans. Quant aux « jeux joyeux » les photos que nous avons publiées dans notre premier numéro montrent fort bien de quoi il retournait vraiment. Deux garçons par exemple sur une fille, essayaient de lui ouvrir les jambes afin d’aller y fourrer leur tête… 

AUTOSATISFACTION. Pour Gagnebin et son équipe, l’expérience est donc un succès. Ne lit-on pas dans ce rapport : « Il ne s’agit pas de nous laisser aveugler par notre succès. »

N’est-ce pas un succès d’avoir recréé le monde ? N’est-ce pas un succès d’avoir tout permis pendant un mois à des enfants qui s’en sont donné à cœur joie pendant un mois. Les forts brimant les petits, les boucs émissaires. Tous livrés à eux-mêmes, sans personne pour s’occuper de leur linge ou de leur toilette, tous se livrent à un nudisme au relent d’exhibitionnisme et aux jeux douteux. Voilà bien de quoi crier victoire et justifier un rapport de 200 pages dont la présentation le dispute à l’autosatisfaction.

BONNE CONSCIENCE. Les responsables de la colonie d’Evolène sont des personnes qui ont au moins bonne conscience. Et si ce rapport s’interroge parfois sur des points de détail, (lieu, durée, information, etc.) de l’expérience, cette dernière n’est jamais remise en cause dans son principe.

M. Gagnebin, fort de l’imposante bibliographie qu’il nous offre, semble, tout comme ses complices, posséder la vérité infuse. Tous ses propos sont sans appel et les malheureux journalistes qui ont osé émettre quelques critiques à l’encontre de l’expérience n’ont soit rien compris au message délivré, ou sont des fieffés gredins calomniateurs qui vont jusqu’à faire, prétendent-ils, poser des enfants pour prendre des photos scandaleuses qui n’ont rien de scandaleux, comme ils nous l’expliquent plus bas d’ailleurs.

On voit que pour se justifier, les socio-pornologues n’ont pas hésité à salir une presse qui ne faisait que son métier. Mais n’est-ce pas partager les vues de ces éducateurs amis de la « liberté » ?

ET L’ÉGLISE ? On pourrait encore admettre que M. Gagnebin, haïssant notre monde, mette en pratique sur le plan pédagogique ses vues révolutionnaires dont nous ne cesserons jamais de dénoncer les méfaits. Mais ce qui est beaucoup plus difficile à saisir c’est le rôle du Centre protestant de vacances qui a patronné une entreprise qui n’était aucunement inspirée par des motifs même vaguement chrétiens.

Est-ce que l’Église doit patronner la révolution ? C’est malheureusement une question qui se pose de plus en plus fréquemment et à laquelle on n’a encore jamais répondu franchement.

Tiré de « 7 jours en bref », 11 janvier, 1974. Avec l’aimable autorisation de la rédaction.