Positions Créationnistes – numéro 12 | Débat public sur la doctrine biblique de la création

par | Positions Créationnistes

L’envoi de notre dernière Positions Créationnistes consacré à l’examen des arguments scientifiques utilisés par le Professeur Henri Blocher dans son ouvrage Révélation des origines (Presses Bibliques Universitaires, Lausanne, 1979 et 1988) pour contrer le créationnisme scientifique a permis l’ouverture d’un large débat sur la question si importante des origines. Ce numéro de notre revue sera consacré à vous faire part de cette discussion doctrinale.

Dans l’ensemble le travail du Dr Rambert a été bien accueilli par nos lecteurs. Certains nous ont exprimé leur appréciation du sérieux de sa documentation et de la précision des arguments qu’il était possible d’avancer pour contredire les thèses scientifiques des adversaires du créationnisme. Sur cette question la discussion reste ouverte.

Mais un débat vigoureux a cependant été entamé sur un autre plan : celui abordé par la lettre de présentation de la brochure de M. Rambert ainsi que par le préambule lui-même. Ces deux textes étaient signés par le président de notre Association, Jean-Marc Berthoud, au nom et avec l’approbation du comité.

Nous vous faisons part de quelques éléments de ces échanges dans cet envoi de Positions Créationnistes.

Réaction du Professeur Pierre Courthial

Le Professeur Pierre Courthial, doyen honoraire de la Faculté libre de Théologie réformée d’Aix-en-Provence, bien qu’il ne récuse en aucune manière la véracité des faits que nous rapportons, nous a prié de signaler à nos lecteurs que nous avions rapporté ses propos avec plus de force et de véhémence qu’il n’aurait souhaité leur donner. Il regrette particulièrement la force excessive de notre affirmation : « Le Professeur Courthial avait raison d’être si profondément scandalisé du dramatique dérapage doctrinal de son compagnon de combat. » Nous regrettons vivement d’avoir ainsi exagéré l’intensité de sa réaction sur ce différend avec son collègue de Vaux-sur-Seine. Il ajoute au sujet de ses rapports avec M. Blocher :

« Je suis toujours, même dans mes différends d’avec lui, resté convaincu que M. Blocher est inébranlable dans sa foi en l’autorité de l’Écriture, Parole inerrante de Dieu. Nous sommes là unis sur l’essentiel, même si nos pensées divergent sur les premiers chapitres de la Genèse, sur le baptême des enfants et sur l’eschatologie. »

Pierre Courthial souhaite cependant que nous maintenions,

« […] les avertissements concernant les dangers que présentent, à mes yeux comme aux vôtres, ses hypothèses. » (Lettre du 28.2.1990)

Remarques du Professeur Pierre Berthoud

Du Professeur Pierre Berthoud, Doyen de la Faculté d’Aix-en-Provence (où il enseigne l’Ancien Testament). nous avons reçu la communication suivante :

« Ce qui m’inquiète c’est que tu laisses entendre :

1) Qu’une analyse littéraire de Genèse 1 conduise H. Blocher à conclure au « caractère nécessairement fictif » du récit de la création. Or, si j’ai bien lu son analyse, l’auteur, tout en se distançant d’une interprétation littéraliste et donc chronologique, ne nie ni la vérité, ni l’historicité de fond, du récit. Ce qu’il recherche c’est son contenu de sens littéral […] D’ailleurs l’analyse de E.J. Young avec son schéma 6 + 1 s’apparente, elle aussi, à une approche littéraire du texte. Mais elle permet une compréhension plus littérale et chronologique de Genèse 1.

2) Que la démarche exégétique de H. Blocher le place parmi les néo-évangéliques. Or ce qui caractérise cette option c’est la faiblesse de sa doctrine de l’Écriture. Il s’avère que H. Blocher a une vue très haute de l’Écriture, qu’il est très attaché à la doctrine de l’inerrrance et de l’analogie de la foi qui l’accompagne. Face aux concessions des néo-évangéliques, il a toujours manifesté la plus grande fermeté (sa participation à la Déclaration de Chicago en témoigne). Comme il est lié par la vérité et l’historicité de fond des premiers chapitres de la Genèse on ne peut assimiler sa démarche à celle du libéralisme néo-orthodoxe.

Cela dit, je ne veux pas dire que l’interprétation de H. Blocher soit infaillible et qu’elle ne pose pas de problèmes ! J’ai parfois l’impression que l’auteur va le plus loin possible dans des concessions aux lecteurs, nos contemporains, sans sacrifier l’essentiel du contenu pour autant. C’est un équilibre difficile à tenir et facile à rompre. Il y a risque, tout au moins, que le lecteur dépasse la visée et la pensée de l’auteur.

— Faut-il renoncer à toute compréhension chronologique de Genèse 1 ; est-ce incompatible avec une analyse littéraire du texte ?

— Puis il y a la question de l’évolutionnisme théiste et les problèmes qu’elle pose par rapport au début de la Genèse. Cette position est-elle conciliable avec une exégèse rigoureuse des textes bibliques, même lorsqu’elle prend en considération sa forme littéraire et figurative ? Je pense, par exemple, à l’origine de l’homme […].

Engagés dans le même combat, il est essentiel que les chrétiens évangéliques ne craignent pas d’aborder leurs différences afin de se stimuler dans la réflexion mais, surtout, à une plus grande fidélité dans leur marche avec le Seigneur. Mais cela doit se faire dans le respect et la confiance réciproques. (Lettre du 9.4.1990)

Réponses du Professeur Henri Blocher

Le professeur Henri Blocher n’a pas tardé à nous faire parvenir sa réaction indignée et peinée à la lecture des positions que nous lui avons attribuées. Le mieux est de le laisser ici s’exprimer lui-même. Après quelques remarques sur ses rapports avec M. Courthial ainsi que sur les relations qui unissent fraternellement les Facultés de théologies de Vaux et d’Aix-en-Provence, il écrit (nous soulignons en gras) :

« Vous me faites dire (préambule, p.1) que Genèse 1 ne saurait « être considéré comme fiable historiquement et scientifiquement » et (p.2 ainsi que dans la lettre) que j’ai voulu « montrer que le texte de la Genèse n’était vrai, ni historiquement, ni scientifiquement. » À ce degré, ce n’est plus seulement une erreur de lecture, c’est de la calomnie. Je n’ai jamais dit un mot contre la vérité et fiabilité, y compris historique et scientifique, du texte de la Genèse. Au contraire, c’est un de mes combats constants que le combat contre le fidéisme (Révélation des Origines, p.18). Quoi que le texte dise en matière historique et scientifique a force de loi pour moi, je l’ai dit et le maintiens. De la lecture littérale des jours je déclare qu’elle « s’imposera » si les indications du texte ne montrent pas qu’il faut comprendre autrement (p. 43), preuve que je suis prêt à recevoir du texte toute leçon scientifique s’il lui plaît de m’en donner : je m’efforce seulement de l’écouter, tant je suis convaincu de sa totale fiabilité. Vous avez entièrement travesti, quasiment inversé ma position déclarée. »

Dans une seconde lettre, datée du 19 avril, M. Blocher réitère son rejet catégorique d’une quelconque mise en doute de sa part de l’autorité et de la véracité du texte biblique. Il écrit :

« Je ne mets en doute nulle part, ni expressis verbis, ni dans un sous-entendu, la fiabilité historique et scientifique de la Genèse. »

Et il ajoute un peu plus loin :

« Parce que je rejette, peut-être autant que vous, la philosophie évolutionniste, bibliquement inacceptable, je me méfierai de la tendance à l’amalgame et je me garderai de confondre avec elle l’hypothèse transformiste des savants. Celte hypothèse présente le « danger· d’accréditer la philosophie : cela ne justifie pas qu’on les confonde et qu’on englobe cella-là dans l’exclusion de celle-ci. C’est une question d’honnêteté, et de respect de l’Écriture : n’est-il pas aussi grave d’ajouter que de retrancher ? Parce que l’autorité de l’Écriture est celle de Dieu même, sainte, Je crains de l’usurper pour lui faire couvrir mes choix et exclusives sur des points ~ propos desquels elle ne s’est pas engagée ! » (Lettre du 19.4.1990)

Face à certaines ambiguïtés que contient son livre nous ne pouvons que nous réjouir d’affirmations aussi nettes de la part de M. Blocher. Nous lui faisons ici publiquement des excuses d’avoir laissé entendre le contraire.

Réaction de l’A.C.B.S.

Voici enfin engagé un débat public sur ces questions difficiles. Aux deux lettres, rudes mais fraternelles, du Professeur Blocher, nous avons répondu par une lettre expliquant les circonstances particulières propres à notre démarche peu usuelle. En conclusion de notre première réponse nous nous exprimions ainsi :

« Si Dieu le veut, maintenant enfin pourra s’ouvrir ce débat exégétique et théologique si important pour le salut de nos églises sur le sens véritable et la portée réelle des premiers chapitres de la Genèse. Jusqu’ici ce débat a été esquivé avec des conséquences navrantes.· (Lettre du 23.2.1990)

Mais c’est seulement dans une longue lettre, datée du 28.4.1990, que nous avons tenté d’aborder le fond du débat’. Pour répondre à M. Blocher nous en citerons ici quelques extraits.

« Nous prenons acte de votre affirmation catégorique que vous ne mettez aucunement en doute, ni expressis verbis, ni dans un sous-entendu quelconque la fiabilité historique et scientifique du premier chapitre de la Genèse et de la Bible tout entière. Voici en effet un point décisif acquis qui tranchera avec certaines ambiguïtés que contiennent vos écrits et qui pourra fermer la bouche de ceux qui se réclament de vos positions pour influencer bien des Églises évangéliques par leurs erreurs néo-évangéliques. Vous nous autorisez sans doute à faire entendre ceci de manière publique, haut et clair. […]

Il ne suffit, évidemment pas, d’affirmer le principe de l’inerrance de la Bible comme le firent, par exemple, des fondamentalistes de la première heure aussi éminents que Benjamin B. Warfield et James Orr qui défendaient un texte biblique pleinement inspiré, tout en mettant leur confiance en une critique purement rationnelle du texte de l’Écriture et en acceptant la validité scientifique des hypothèses bien fragiles des théories évolutionnistes. […]

Pour que cette doctrine ait son sens biblique véritable, il faut évidemment aussi que la Bible inspirée soit lue selon l’esprit qui lui est propre, celui de l’analogie de la Foi, et non en ayant recours ultime à d’autres principes qui lui seraient extérieurs, comme c’est le cas pour ce principe purement rationnel du rasoir d’Occam que vous invoquez. Dans l’adoption ou le rejet de nos hypothèses d’interprétation c’est le principe de l’analogie de la Foi qui est déterminant. Je constate qu’en dépit de votre affirmation véhémente de la valeur historique et scientifique du récit de la Genèse vous avez encore récemment préfacé l’ouvrage du doyen des évolutionnistes théistes francophones, Jean Humbert, dont les positions qui préconisent une conciliation entre évolutionnisme et récit biblique de la création sont connues depuis longtemps. Cette position contredit explicitement d’innombrables faits bibliques et l’enseignement explicite de notre Seigneur lui-même.

Or, cet évolutionnisme théiste, ce créationnisme progressif, établit la mort de l’ensemble des êtres vivants (animaux et hommes) comme moteur de l’évolution et la place antérieurement à, et indépendamment de la chute de l’homme. Ceci, il faut le dire, n’est pas vrai seulement de la mort de l’homme mais également de celle des animaux. […]

Dans le système évolutionniste théiste ce n’est plus le péché qui fait pénétrer la mort dans le monde, mais la mort, elle, qui précède l’apparition du péché. Vous voyez sans autre les implications dogmatiques d’une telle affirmation tant pour la doctrine du salut que pour celle de l’inspiration elle-même ! Sûrement que vous ne désirez pas cautionner de telles conclusions, conclusions que l’on doit déduire de votre exégèse interprétative de la Genèse ? Ce sont évidemment ces conclusions que tirent de vos hypothèses bon nombre de vos propres disciples. Ne comprenez-vous pas que l’évolutionnisme théiste de M. Humbert vide, en fin de compte, l’expiation elle-même de son sens salvateur unique : la mort d’un Sauveur comme propitiation des péchés du monde puisque la mort n’est plus le salaire du péché ?

Il est une chose d’affirmer sa foi en l’inerrance de toute la Bible et une autre de l’appliquer à l’établissement du texte biblique et à l’exégèse des textes lus, non selon les hypothèses de la critique rationnelle, de la science théologique ou des études littéraires, mais selon l’analogie même de la Foi, « à la lumière de cette cohérence parfaite de l’enseignement biblique· disions-nous avec M. Courthial dans la lettre de l’A.C.B.S. de février 1990. -. Le débat dans nos milieux évangéliques tourne aujourd’hui autour de l’interp.rétation de la Bible, et non plus uniquement autour de la question de son inerrance. La foi en l’inerrance doit obligatoirement être accompagnée, si elle ne veut pas demeurer une, simple forme vide, de la règle de Foi, d’une foi au contenu de sens vrai de la Bible. […]

Le souci pressant de notre Association, souci qui a été déterminant dans l’action que nous venons d’entreprendre, est celui de la dégringolade spirituelle, doctrinale et morale que nous pouvons observer dans de nombreux milieux qui se disent encore fidèles à la Bible. L’inquiétude partagée par tous les membres de notre comité se concentrait sur la caution qu’apportaient certaines des thèses que vous défendez (que vous le vouliez ou non, peu importe) à cette vague de fond de démission doctrinale. Ce mouvement de fond auquel participent certaines de vos thèses conduit nos milieux, à travers tous les abandons, vers ce que j’appelle depuis plusieurs années l’œcuménisme non doctrinal, œcuménisme évangélique qui n’est rien d’autre que le reniement de la Foi donnée une fois pour toutes aux saints. […]

Le danger principal qui guette nos milieux évangéliques francophones aujourd’hui n’est certes pas celui que vous appelleriez une interprétation par trop littéraliste de la Bible. D’ailleurs, l’opposition littéraliste-littéraire que l’on voit partout dans votre livre est un schéma inadéquat aux réalités bibliques. Il y a des lectures du texte pris à la lettre qui déforment le sens du texte tandis que d’autres qui, collant au sens immédiat, mettent parfaitement en lumière le texte de l’Écriture. Il en est de même pour la lecture dite littéraire des textes de l’Écriture. Ils sont adéquats ou inadéquats suivant les cas. […]

Revenons au sujet précis de notre discussion. Aujourd’hui la doctrine de la création est attaquée de toutes parts, sur tous les plans : exégétique, philosophique, scientifique, politique, social, économique, etc. Tous ces domaines font l’objet des attaques d’un même système d’erreur. C’est ce que nous font justement remarquer des philosophes chrétiens tels Jean Brun ou Rousas Rushdoony. Il y a une cohérence dans ce système d’erreur qu’il est impossible de compartimenter strictement en des aspects exclusivement exégétiques, biologiques, historiques ou philosophiques parfaitement étanches. Si l’ordre créationnel est juste dans un domaine précis. Il ne peut que l’être dans tous les autres, car la création est une. Nous avons à faire à un univers cohérent, car sorti des mains d’un Dieu Un, et non à des multivers, expression d’un pluralisme polythéiste ! La Parole de Dieu est normative pour tous les domaines. […] Ainsi, dans tous les domaines l’ordre créé est nié par une dialectique évolutionniste en faveur d’une évolution, d’un progrès qui entraîne de manière évidente la destruction de tout ordre créationnel, de tout ordre divinement établi. […]

Car il ne suffit aucunement d’affirmer l’inerrance et l’inspiration de la Bible pour qu’une telle affirmation se concrétise nécessairement. Il faut aussi que cette doctrine inspire notre lecture de la Bible elle-même. Nous devons lire la Bible selon l’analogie de la Foi et nous tenir strictement aux règles qu’impose cette analogie. Pouvez-vous affirmer que votre lecture du premier chapitre de la Genèse a comme véritable motif fondamental la lecture du texte selon l’analogie de la Foi ? Ou bien pour vous est-ce l’analogie littéraire qui est dominante ? L’ensemble de la Bible nous parle de ces événements constitutifs de l’univers avec une simplicité désarmante, comme d’événements véritables, situés dans l’espace et dans le temps, à comprendre tels qu’ils sont décrits, par des gens simples, dépourvus de la formation intellectuelle moderne, comme étant des événements qui se seraient déroulés dans une période limitée. Pendant ce temps créationnel agissait la toute puissance du Créateur, puissance incompréhensible aux hommes et à leurs sciences. […]

La recherche dans ces domaines (de la forme littéraire) est parfaitement légitime pour autant qu’elle reste soumise à la perspective biblique elle-même. L’exégèse, tout comme la critique biblique des textes, doit elle-même partir d’uns position chrétienne. La règle de Foi est le présupposé religieux préalable nécessaire à une critique textuelle, à la critique littéraire et à une exégèse vraiment fidèles. Il n’existe pas de science exégétique neutre.

Vous partez du présupposé non formulé que ce que vous appelez raffinement littéraire et lecture littérale s’excluent mutuellement presque obligatoirement. Il s’agit de votre référence au rasoir d’Occam. Je vous cite :

« Ce raffinement de l’architecture du récit ne peut-il pas coïncider avec la réalité chronologique de l’œuvre divine ? Ainsi tenteront de plaider quelques littéraristes. Certes, on peut toujours tout imaginer. Mais, devant ce que montre l’auteur de sa manière, il n’y a pas lieu de le supposer. L’hypothèse du procédé littéraire explique suffisamment la forme du texte : toute addition serait gratuite, Le rasoir d’Occam, c’est-à-dire le principe d’économie […] rase le poli superflu d’idées de ce genre. La suggestion trahit la volonté à priori de trouver un langage littéral. » (p.46-47)

Mais qui donc, en premier lieu, est cet auteur génial ? Ne s’agit-il pas de l’Auteur de l’univers lui-même ? Quelle difficulté alors pour lui de faire coïncider la forme littéraire la plus complexe, la plus raffinée, avec la manière dont il aurait lui-même créé toutes choses en six jours ? L’ordonnance artistique ne s’oppose donc aucunement à l’ordonnance semblable des faits, à moins, évidemment, que l’Auteur du récit ne soit pas le Créateur des faits décrits. La lecture de votre analyse donné l’impression qu’il ne s’agit ici que d’un auteur humain génial bien qu’une telle idée soit, sans doute, fort éloignée de votre pensée véritable. L’application exégétique de la doctrine de l’inspiration du texte semble faire Ici singulièrement défaut. Il s’agit en fait d’une exégèse nominaliste et la référence il Occam n’est pas fortuite. Pour Occam, la forme, le nom, n’avaient pas de relation réelle, vraie, avec la chose nommée, signifiée. De même ici, la forme littéraire n’a pas de relation véritable avec la réalité temporelle de la création.

Il s’agit d’un pur formalisme littéraire non sans rapport avec le structuralisme nominaliste d’un Lévi-Strauss, par exemple. C’est cette séparation de l’ordre formel du texte de la réalité qui est à la base de toute l’entreprise moderniste libérale d’où est sorti le néo-évangélisme actuel. E. J. Young a, lui aussi, un a priori évident. Il s’agit du principe réaliste de la. Révélation divine : la forme et le contenu du texte doivent coïncider pour qu’il y ait vérité car, dans la Révélation et au travers des auteurs humains responsables de l’œuvre qu’ils érigent sous l’inspiration de l’Esprit Saint, Dieu demeure le maître, tant du contenu que de la forme. C’est l’a priori épistémologique et esthétique de la Bible tout entière. Plus encore, votre dissociation de la forme de la réalité historique nie un élément important de la forme, élément explicite, celui de la division du récit créationnel en six jours de travail divin, plus un jour de repos. Où donc figure cet élément formel si important dans votre analyse ? Par ailleurs, il est évident que dans votre analyse le principe d’économie prime sur celui de l’analogie de la foi, car la Bible tout entière prend le récit de la création à la lettre et ne se préoccupe ni de forme littéraire ni de rasoir d’Occam dans sa lecture du texte. Les constantes répétitions bibliques, par exemple, montrent bien que ce n’est nullement le principe d’économie qui est le principe directeur de l’esthétique et de l’épistémologie de la Bible.

C’est ainsi votre constante opposition de l’interprétation littéraire à l’interprétation littérale que je mets en question. Car le débat véritable n’est aucunement prose contre poésie, interprétation littéraire contre interprétation littérale, mais interprétation vraie contre interprétation fausse. La véritable opposition est style littéraire vrai contre style littéraire faux, style littéral vrai contre style littéral faux. […]

Je ne peux comprendre que vous puissiez ainsi ignorer le danger que représente pour le peuple de Dieu votre manie à inciter lecteur à l’admiration d’auteurs infidèles à la Foi. Non qu’il soit inutile de lire les ouvrages de tels hommes et de profiter des lumières que Dieu leur a donné dans sa grâce générale, mais nos ancêtres dans la foi, les Athanase, les Chrysostome, les Viret, les Bucer, les Spurgeon et les Machen avaient une conception plus haute de leurs responsabilités pastorales et un sens plus aigu des dangers épouvantables pour les âmes et pour l’Église de Dieu que représente l’hérésie. […]

Si nous avons d’abord abordé la question de votre attitude face à la Révélation divine des origines sur ce plan formel littéraire c’est que nous restons fermement convaincus de votre sincérité, de votre profond souci de plaire au Seigneur et d’œuvrer pour le bien du peuple de Dieu. Mais, comme nous ne le savons que trop bien pour nous-mêmes, il se trouve malheureusement bien souvent un écart entre notre volonté de plaire ~ Dieu et nos réalisations. Vous avez beau vous récrier de votre orthodoxie, à l’égard de laquelle nous ne voudrions émettre de doute, cependant le mal est fait. Jouer sur plusieurs tableaux, voir pratiquer un double langage, comporte de graves dangers ! Votre ouvrage a puissamment servi à détruire certaines défenses immunitaires indispensables à la survie du peuple de Dieu obligé à respirer l’atmosphère spirituellement et doctrinalement polluée de cette fin de siècle. Il ne vous est pas possible simplement de rejeter la responsabilité sur ceux de vos lecteurs qui vous auraient mal lu. Nous sommes tous responsables des conséquences qu’entraînent nos actes et Je crains que ceux qui ont poussé votre pensée plus loin que vous ne le souhaitiez ont, sur certains points, que trop bien lu votre livre. Tel un catalyseur, vos hypothèses dangereuses ont favorisé les réactions les plus malsaines. C’est cette passion renouvelée pour le vrai et ce dégoût du mal, d’abord en nous-mêmes, dans nos propres cœurs, dans nos pensées et dans nos actions, qui permettra le retour de cet esprit de repentance sans lequel il ne peut y avoir de salut ni pour le peuple de Dieu, ni pour un monde lancé à une allure terrifiante sur la piste de son autodestruction.

En priant Dieu que dans sa grâce il nous vienne en aide et nous permette à tous de Lui être fidèles là où il nous a placés, je vous prie de croire, bien cher frère, à nos sentiments respectueux et dévoués dans le Seigneur.

Jean-Marc Berthoud