1ʳᵉ partie
L’utilité d’une théorie scientifique provient du fait qu’elle peut être employée avec succès pour décrire une grande variété de phénomènes tout en utilisant un nombre étonnamment restreint de postulats. Il est, en effet, souvent possible de déduire des conclusions valables relatives à un processus physique particulier sous avoir à en connaître tous les détails. La thermodynamique, cette partie de la physique qui décrit la chaleur sous forme d’énergie, en est un exemple frappant, car son développement précéda largement l’élaboration de la théorie atomique de la matière. C’est-à-dire, il n’était aucunement nécessaire d’affirmer la composition atomique de la matière pour parvenir à certaines conclusions précises sur l’énergie calorifique que contient cette matière : des conclusions concernant, par exemple, la transformation de la chaleur en force dans un moteur à vapeur. Cependant, l’application que nous faisons d’arguments scientifiques doit nous inciter à beaucoup de prudence. Bien que les postulats que nous utilisons soient peut-être peu nombreux r il est cependant essentiel que nous ne les oubliions pas. Nous pouvons déduire de ces considérations que le risque d’abuser d’une théorie scientifique est d’autant plus grand qu’elle est appliquée à un contexte qui diffère de manière significative de celui pour lequel elle avait premièrement été conçue. Examiner le bien-fondé de ses propres postulats est, sans doute, une des tâches les plus difficiles, mais certainement des plus productives, du savant. Un tel examen soigneux de ses propres postulats conduit presque toujours à une vue plus complète des phénomènes étudiés.
Des arguments tirés des principes de la thermodynamique sont souvent utilisés dans les discussions où sont opposées création et génération spontanée comme explications de l’origine de la vie. Ces arguments ne sont malheureusement pas toujours employés avec tout le soin souhaitable. C’est pour réagir, utilement nous l’espérons, à cette situation que cet article en deux parties a été rédigé. Dans ce domaine, des arguments soigneusement formulés créeront de sérieux problèmes aux savants qui veulent croire à la génération spontanée et à l’évolution des êtres vivants à partir de la matière inerte. En plus, les éléments constitutifs essentiels des êtres vivants n’étant ni l’énergie, ni simplement une structure organisée de la matière, l’apparition du phénomène de la vie présuppose bien plus l’intervention d’une intelligence que le seul jeu de lois naturelles. La 1ʳᵉ partie de notre article sera consacrée aux implications d’une classification appropriée des êtres vivants dans une perspective thermodynamique. La seconde traitera de l’application d’arguments thermodynamiques utiles à la question de la possibilité scientifique d’une génération spontanée de la vie.
En général les savants utilisent à l’heure actuelle trois catégories pour classifier les différents types de matériaux : organisés, désorganisés et complexes. Avant d’appliquer des résultats tirés de la thermodynamique, ou d’une manière plus générale de la mécanique statistique, il est important de savoir à quel type de matériau nous avons à faire. Imaginez un grand carton d’œufs. Le carton tient chaque œuf dans une position fixe par rapport aux autres œufs. Si vous voulez décrire un tel carton d’une manière rationnelle, vous pourriez tout simplement dire quelque chose comme ceci : « Un œuf est immobilisé verticalement tous les 3 cm. »
Il n’est aucunement nécessaire de décrire la position individuelle de chaque œuf parce que vous disposez d’une règle simple qui détermine sa position relative par rapport à tous les autres œufs. Des solides cristallins où les atomes sont tenus dans des positions fixes les uns par rapport aux autres par des forces électriques représentent un exemple classique de matériau ordonné. Imaginez maintenant que vous sortiez ces œufs du carton et que vous les rouliez doucement sur le sol d’une grande pièce. Vous pourriez décrire la nouvelle situation comme étant celle « où les œufs seraient dispersés sur tout le plancher ». Il ne vous est pas nécessaire de décrire la position exacte de chaque œuf parce que sa position individuelle n’a guère de signification. Une description scientifique de cette situation impliquerait, par exemple, que l’on précise la moyenne des œufs par m2. Les gaz, où les atomes sont en mouvement libre et fortuit, sont des exemples d’un tel matériau désordonné.
Les matériaux complexes n’ont été étudiés que récemment comme catégorie distincte. Par certains aspects, ils se situent entre les deux catégories que nous venons d’examiner. Imaginez avoir trouvé un moyen astucieux pour découper ce carton en vue de créer une forme très compliquée. Décrire la situation que vous observez devient alors bien plus difficile. Établir une règle qui vous donnera la position relative des œufs sera difficile, même impossible. Cependant vous ne diriez pas que leur position est simplement fortuite. Finalement, la meilleure manière de rendre compte de ce que vous observez est de décrire la façon dont vous vous êtes pris pour découper le carton. En d’autres mots, il vous faut expliquer le moyen que vous avez employé pour créer cette forme. Il est étonnant de constater ici que des procédés simples peuvent produire des formes très complexes. Les flocons de, neige tombent dans cette catégorie de matériaux.
Mais où nous faut-il situer les formes vivantes ? Il est reconnu que parmi les caractères propres aux êtres vivants se trouvent leur capacité d’intégrer dans une structure vivante du matériau tiré de l’environnement, ainsi que leur aptitude à se reproduire grâce à une information enregistrée, informatisée. En fait, c’est cette information elle-même qui constitue le caractère distinctif des êtres vivants. La grande diversité des formes vivantes que nous observons peut masquer le fait qu’elles sont toutes constituées du même choix d’éléments, que toutes elles incorporent l’énergie dans leurs activités de manière semblable et qu’elles transmettent leur propre structure à leur descendance par la reproduction du même code génétique. En fait, ce qui différencie un éléphant d’une fourmi n’est rien d’autre que l’information contenue dans ses cellules. L’existence même du code génétique et son fonctionnement impliquent déjà une quantité d’information considérable. En opposition aux trois catégories de matériaux que nous avons décrites au début de cet article, les êtres vivants ne peuvent être définis de manière satisfaisante à partir d’une petite quantité d’information. On devrait en conséquence les placer dans une catégorie à part, catégorie que l’on pourrait appeler celle du « matériau informatisé ». Reprenant l’image que nous venons d’employer pour décrire différents types de matériaux, si nous désirons représenter le matériau informatisé (c.à.d. les êtres vivants), il nous faudrait placer les œufs de manière à former des lettres, puis de ces lettres former des mots qui seraient ensuite placés dans une phrase grammaticalement correcte, porteuse d’information compréhensible. Un tel procédé implique évidemment l’intervention d’une intelligence, contrairement aux autres types d’organisation de matériaux que nous pouvons aisément imaginer procéder uniquement de l’action des lois physiques. Caractériser ainsi les êtres vivants non seulement nous prépare à l’utilisation d’arguments thermodynamiques (et d’autres arguments semblables) que nous allons développer dans la 2ᵉ partie de cet article, mais pose déjà de sérieux problèmes aux savants qui défendent l’hypothèse d’une origine purement matérielle à la vie. Les matérialistes eux-mêmes reconnaissent aujourd’hui que l’univers observable a dû avoir un commencement et que des hypothèses uniquement matérielles ne peuvent expliquer l’existence de la matière. Mais il leur faut expliquer bien davantage que l’existence de la matière et de l’énergie. Le savant doit poser au moins deux questions supplémentaires. Premièrement : d’où nous viennent donc ces lois physiques qui donnent leur structure fondamentale à la matière et à l’énergie ? Et la deuxième interrogation n’est pas moins troublante : toute cette information que nous observons dans les êtres vivants, d’où est-elle venue ?
« Est-ce par ton intelligence que l’épervier prend son vol, et qu’il étend ses ailes vers le midi ? » (Job 39:29)
Dr. Frederick Skiff
Le Dr. Skiff a fait ses études aux universités de Cornell et de Princeton. Il est engagé à présent dans des recherches fondamentales sur le plasma pour le compte de l’École Polytechnique Fédérale de Lausanne.