Défense de la famille chrétienne aujourd’hui

par | Résister et Construire - numéro 1

C’est pour moi un grand privilège de vous adresser quelques mots[1] après tout ce que nous venons d’entendre pendant ces deux jours. Tant de renseignements si précis sur la nature de la vie humaine dès sa fécondation, tant d’interventions si variées démontrant la nature pleinement humaine de cet embryon dès le premier instant de son existence, nous laissent un sentiment d’admiration pour l’œuvre du Créateur et de reconnaissance envers ceux qui nous ont décrit cette œuvre si minutieusement et nous ont rappelé de façon si éloquente l’entière humanité de ce minuscule Tom Pouce.

En vous disant maintenant quelques mots sur la défense qu’il nous faut entreprendre de la famille chrétienne, je me bornerai à deux remarques que je développerai brièvement.

La première constatation que je ferai est extrêmement négative : c’est que notre civilisation est sur une voie suicidaire. Sur le plan démographique nous l’avons vu cet après-midi pour la Suisse et pour l’Europe tout entière. Mais nous devons aussi constater que notre civilisation est sur une voie meurtrière.

Mais pour nous, il existe une espérance et cette espérance est beaucoup plus forte que le désespoir qui nous entoure. C’est de cette espérance que je veux vous parler à travers un témoignage personnel – on m’a demandé un témoignage personnel plutôt qu’autre chose – une espérance que l’on ne peut trouver qu’en Celui qui est le Créateur de la vie, Celui qui nous donne de pouvoir reproduire la vie.

Je vous dirai quelques mots de mon propre itinéraire, qui pourront peut-être, servir de leçon, tant positive que négative. Je suis né en 1939, juste avant la guerre, d’une famille de missionnaires en Afrique du Sud. Mon père, Alexandre Berthoud (1904-1962), était une personnalité très forte. C’était un père de style patriarcal comme on n’en trouve plus beaucoup aujourd’hui, aussi généreux dans sa nature que ferme dans ses convictions et ses décisions. Avec ma mère, Madeleine Berthoud, née en 1903, il donnait à notre famille un cadre qui en faisait une société ordonnée dans laquelle les enfants se sentaient protégés et où ils pouvaient grandir en toute tranquillité. Je n’ai moi-même jamais ressenti une quelconque réticence par rapport à cette famille qui a toujours été l’objet pour moi de la plus grande admiration. C’était une famille animée d’une foi profonde en Dieu et mon malheur a été d’avoir abandonné cette foi très tôt. Durant de nombreuses années j’ai voulu me croire auto-suffisant, n’ayant pas besoin de Dieu. Pendant toute cette période, et jusqu’à un moment où je pensais me marier, j’avais la nostalgie de la famille que j’avais connue. Je me souviens, par exemple, de mon émotion lors de ma découverte d’une famille semblable décrite par Tolstoï dans ses romans. Mais en même temps, voyant le monde dans lequel je vivais, d’abord en Afrique du Sud et ensuite en Europe, je ne comprenais pas comment on pouvait avoir l’inconscience d’y procréer des enfants.

Les problèmes dramatiques de l’Afrique du Sud n’étaient guère, en réalité, très différents de ceux que je découvrais en Europe. Il s’agissait toujours du même égoïsme humain, de la même méchanceté humaine. Et face à un monde qui me semblait d’une part cruel et dur et, d’autre part absurde, ne le voyant plus éclairé par la foi, je me disais : « Oui, une famille c’est beau ! Mais je n’oserai jamais avoir des enfants dans un tel monde ». C’est pour cela que je comprends très bien les racines du désespoir extraordinaire qui anime notre société, désespoir qui se manifeste si fortement dans le refus de la vie. Il n’y a pas d’espérance chez nos contemporains. Il n’y a pas d’espérance au-delà de celle que procurent les jouissances les plus immédiates. Et ce désespoir, souvent inexprimé et comme inavoué, conduit chez beaucoup à un refus total de la vie et cela mène au suicide collectif de nos sociétés. Je comprends fort bien cela, car j’y suis moi-même passé. Il m’a fallu une conversion spirituelle véritable pour que je comprenne que derrière la vie il y avait Celui qui donne la vie. Par la suite, je me suis marié et en sept ans Dieu nous a donné cinq enfants. Il n’a pas été question pour nous de calculer et quand nous avons eu ces cinq enfants (du côté de ma femme ils sont cinq et de mon côté il en est de même) Dieu a cessé de nous en donner et c’est très bien ainsi.

Maintenant, cette famille dont nous parlons, il faudrait préciser qu’il s’agit en fait d’une famille assez particulière. Il ne s’agit pas de n’importe quelle famille. Il s’agit de la famille telle que Dieu l’a voulue. Dieu a voulu une famille qui soit structurée, qui ait une structure précise. Dans cette famille, le père joue un rôle particulier et la mère joue un rôle autre que celui du père. Là, les parents ensemble exercent une véritable autorité politique sur la société microcosmique qu’est la famille. Comme le disait très bien le professeur Jean de Siebentahl dans une brochure publiée il y a quelques années sur la révision du droit matrimonial, malheureusement aujourd’hui complètement sabordée en Suisse, il faut que cette famille ait à la fois une tête et un cœur. La famille chrétienne, avec cette structure spécifique, est la norme de toute famille véritable. Elle doit avoir une tête, un chef qui est le père. Elle doit aussi posséder un cœur, un centre actif et rayonnant, pour tout dire, créateur à l’intérieur du foyer ; c’est là le rôle spécifique de la mère. Il ne s’agit évidemment pas de cette « mère-légume » dont parlent les féministes dans leur haine envieuse d’une tâche qui leur échappe. Il ne peut y avoir aucune famille structurée sans l’existence bien définie de ces deux pôles.

Alors, il nous faut absolument, dans l’éducation de nos familles, dans le développement de la vie de nos familles, comprendre que cette famille-là, la famille chrétienne structurée selon l’ordre de la création, est la chose la plus attaquée dans ce monde. Je dirais qu’elle est plus attaquée encore que ne l’est l’embryon lui-même. Il nous faut clairement saisir ce fait très simple ; l’existence d’une telle famille ayant une identité indépendante, comme l’entité sociale fondamentale, autonome par rapport à la société, cette institution est inadmissible à l’étatisme omnivore qui nous englobe de toutes parts. Une telle famille est intolérable pour une société qui, en face d’un État tout-puissant ne veut que des individus disparates, de purs atomes sociaux. Il nous faut, en conséquence, très fortement prendre conscience que l’organisation, la structuration de nos familles chrétiennes est un véritable acte de guerre. Il s’agit d’un acte de guerre défensif contre des forces dans notre société qui veulent à tout prix détruire ce sanctuaire de la vie qu’est la famille. Voici un premier point. Je crois que nous devons être bien conscients que nous nous trouvons en état de guerre et qu’il nous faut œuvrer consciemment à la structuration de ces places fortes dans la société que sont les familles.

Deuxièmement, il nous faut aussi dire que ces familles doivent avoir une espèce de colonne vertébrale spirituelle. Je parle ici dans le cadre de ma propre expérience spirituelle et de celle de notre famille qui est celui de la tradition réformée évangélique. Mon épouse, Rose-Marie, et moi-même, nous avons constaté qu’il était absolument indispensable qu’il y ait une espèce de liturgie cultuelle à l’intérieur de la vie familiale. C’est-à-dire qu’il y ait ce que nous appelons un culte de famille. En général, après le souper, avant que les enfants ne se dispersent vers leurs diverses tâches, (une fois qu’ils sont dispersés cela devient difficile de les rassembler), nous sortons la Bible, nous en lisons un passage, et nous l’expliquons ensemble. On pose des questions par rapport à ce que nous venons de lire. Il s’agit d’une espèce de petit catéchisme familial informel qui dure dix minutes, un quart d’heure, parfois vingt minutes. Ensuite, toute la famille prie. Nous prions pour toutes sortes de questions, petits et grands priant à tour de rôle. Nous avons, par exemple, prié pour ce congrès. Je crois que, si nous voulons résister aux offensives anti-familiales de notre société sécularisée, il est absolument indispensable de maintenir un tel centre de vie spirituelle au centre de la vie de famille.

Je ne veux pas développer davantage ces deux points.

Il nous faut vraiment comprendre que nous sommes en état de guerre et que nous avons des fortifications à développer. Mais j’ajouterai ceci en guise de conclusion. Une famille chrétiennement structurée est une institution extraordinairement efficace. On a parlé du travail de l’Association de parents chrétiens et d’autres travaux que nous faisons. Je dois ici rendre hommage à nos enfants, tous présents à ce congrès. Si nous n’avions pas des travailleurs à domicile qui collaborent activement à l’œuvre à laquelle nous nous consacrons, nous n’aurions guère pu accomplir grand-chose. Nous avons pensé, par exemple, ne pas donner d’argent de poche à nos enfants mais bien plutôt leur payer leur travail. Ainsi, dans la diversification de la famille véritable – non pas la famille égalitaire impuissante où chacun ne fait que ce qu’il veut – nous avons un moyen d’action extraordinairement efficace, extrêmement fort et souple. Je voudrais terminer en vous lisant quelques versets de la Parole de Dieu qui nous parlent de la famille telle que Dieu la veut. Il s’agit du Psaume 127 qui exprime bien l’esprit dans lequel s’est déroulé ce congrès :

« Si l’Éternel ne bâtit la maison,

Ceux qui la bâtissent, travaillent en vain.

Si l’Éternel ne garde la ville

Celui qui la garde veille en vain,

En vain vous levez-vous matin, vous couchez-vous tard,

Et mangez-vous le pain de douleur ;

Il en donne autant à ses bien-aimés pendant leur sommeil.

 

« Voici des fils sont un héritage de l’Éternel,

Le fruit des entrailles est une récompense,

Comme les flèches dans la main d’un guerrier,

Ainsi sont les fils de la jeunesse,

Heureux l’homme qui en a rempli son carquois !

Ils ne seront pas confus

Quand ils parleront avec des ennemis à la porte. »

Jean-Marc Berthoud

[1]      Témoignage donné au « Congrès bio-éthique suisse » tenu au Centre Hospitalier Universitaire Vaudois à Lausanne le 9 novembre 1986