La famille a-t-elle un avenir ? Dans notre société, tout nous dispose à penser que les valeurs traditionnelles, fortement attaquées dans les dernières décennies, vont continuer à céder leurs places à des idées « progressistes ».
L’Égoïsme contre la Famille
Depuis la révolte des années 60 contre les normes reçues, tout dans la vie témoigne que ce qui fait marcher nos contemporains c’est une volonté de bien-être individuel. Ce qui importe, c’est que l’individu soit accompli dans ses désirs et ses ambitions. La valeur la plus étrangère à notre époque serait le sacrifice de soi ; par contre ce que nous voyons partout, c’est le développement d’une mentalité égocentrique. On n’a qu’à consulter dans les grandes surfaces, les livres de « psychologie populaire » pour voir que ce qui est important pour notre génération c’est qu’elle se rassasie dans la consommation matérielle, la sexualité, la carrière, l’éducation, le mariage. Cette recherche de la « satisfaction » de l’individu est en train de miner la famille, l’école et d’autres institutions qui se placent entre l’individu et l’État. La philosophie de la satisfaction fait que la sensation de l’excitation et la réponse aux besoins de l’ego prennent la place de l’effort et du travail.
Ainsi on insiste sur la « qualité de la vie » sans poser la question du sens du travail ; on est incapable de voir l’avenir, mais on ne vit que pour le présent ; on dépense inutilement au lieu d’investir. À l’école, dans certaines classes, on considère les enfants comme leurs propres éducateurs ; en conséquence elles sont mal disciplinées et non structurées. Dans ce cas l’école ne fait que fournir des possibilités pour aggraver les problèmes des élèves. Ou par contre, dans d’autres classes tout est axé sur le succès par les notes ; la scolarité devient une course aux diplômes où les faibles sont méprisés comme des sous-doués.
Dans l’époque de l’égo, le mariage est très souvent un lien émotionnel que l’on est libre de rompre si on n’est pas comblé ; on est fidèle à SOI mais non à l’autre. De moins en moins souvent les couples se sentent obligés de rester ensemble « pour les enfants ». On argumente qu’à cause des enfants, il vaut mieux divorcer. Mais nous ne pouvons imaginer la douleur causée à beaucoup d’enfants par le divorce de leurs parents. Il est difficile de ne pas voir que les conséquences psychologiques pour ces enfants sont durables. Mais ceci il ne faut pas le dire !
L’actuel courant individualiste milite contre la famille comme unité. On n’y est pas pour donner de soi mais pour prendre et laisser. Nous sommes envahis par un flot de publicité anti-familiale et les médias dressent constamment les jeunes contre leurs parents. On exalte un style de vie de liberté où l’on fait ce que l’on veut ; méprisant ouvertement la fidélité et la stabilité. La pression est de faire comme tout le monde. Récemment à la radio j’ai entendu une femme qui essayait de persuader une adolescente qu’elle pouvait se servir des contraceptifs car tout le monde agit ainsi.
Le résultat de la psychologie égoïste qui recherche la satisfaction individuelle est de conditionner toute une génération d’adultes qui ont des réactions enfantines. Incapables de voir au-delà de la gratification et d’assumer les responsabilités de la vie, on est très content d’avoir les « bonbons » que l’on peut arracher aux autres, ou on est frustré si d’autres « bonbons » restent au-delà de notre portée. L’individu est content d’abandonner ses responsabilités entre les mains d’un État toujours plus puissant et étouffant, qui devient une vraie vache à lait.
La famille ne date pas d’hier…
Dans l’anthropologie sociale, comme dans la Bible, la famille est reconnue comme l’institution la plus ancienne de la société. Elle est universelle, et elle est antérieure à l’État et à l’Église. Les sociétés stables avec une culture développée ont toujours été caractérisées par des familles solides. Par contre les sociétés en décomposition ont très souvent connu la dégringolade de la famille. Des États totalitaires ont compris que le meilleur contrôle global s’obtenait par la marginalisation de la famille. Ainsi l’État enlève des enfants de leur milieu habituel de vie pour les former comme Platon l’avait déjà proposé. Une organisation « étatique » qui a le monopole de l’éducation risque toujours de porter atteinte à la liberté de l’individu.
Pourquoi la famille occupe-t-elle une place si importante dans la vie des humains ? La seule réponse est qu’elle doit correspondre à quelque chose de profond en nous qui ne peut être supprimé qu’au détriment de notre propre bien. En réalité nous pouvons dire que la famille permet l’épanouissement de l’homme des façons suivantes :
- notre humanité trouve son accomplissement dans la communauté profonde avec nos proches. La diversité des rapports entre les membres d’un clan, caractérisés par l’amour et la fidélité, sont les plus profonds que nous puissions connaître au niveau humain.
- la sexualité humaine exige l’intensité et la fidélité : elle se développe dans le cadre d’une relation progressive où la personnalité des conjoints est intégrée dans une vie commune.
- la famille est un soutien pour la vie menée en dehors d’elle. Elle est l’échec de l’isolement, et soutient une diversité d’activités. Elle permet l’équilibre de l’individu dans le jeu des privilèges et des responsabilités.
Bref, avant la nation ou l’Église, la famille permet la génération de la vie, de la culture et de la joie de notre humanité personnelle.
Et la Bible…
La Bible nous présente une image de la société fondée sur une famille qui est devenue une tribu ; puis une nation et qui a, par la suite, peuplé la terre. Le lien familial vient de Dieu qui a créé l’homme et la femme comme vis-à-vis. Ce premier mariage est le fondement de tous les autres rapports sociaux.
Dans la Bible le vrai mariage est monogame, l’homme et la femme sont responsables l’un pour l’autre et les enfants exercent leurs responsabilités sous le regard de leurs parents. Comme unité la famille porte la responsabilité du développement de ses membres dans le contexte social pour réaliser toutes les possibilités en l’homme, pour la gloire de Dieu. Ainsi dans la Genèse l’homme devient une seule chair avec sa femme (1:27 ; 2, 24 ; 5:1,2) ; dans ce lien l’homme est le chef (3, 16) et les enfants doivent honorer leurs parents (Exod, 20, 12 ; Deut. 5, 16). Ces accents reviennent dans le N.T. (Col, 3, 20 ; Eph, 6, 1-4), Le caractère sacré du lien entre homme et femme est souligné par l’enseignement de Jésus sur le divorce (Mc, 1o, 2-12 ; Matt, 19, 1-12 ; 5, 27-32) ; il a été permis dans la loi de Moïse à cause de la dureté du cœur de l’homme. Le divorce n’est donc pas un péché en soi, car il est permis dans la loi ; ce qui constitue le péché, c’est l’attitude de l’homme et de la femme qui rend nécessaire la dissolution d’un lien sacré.
La clef de la famille équilibrée se trouve dans ce triple exercice de responsabilité : entre l’homme et la femme ; entre les parents et les enfants ; entre les enfants et les parents. Dans la famille chrétienne ces responsabilités sont accomplies avec l’aide du Seigneur et devant LUI (Eph, 5,21-25 ; Col, 3, 18, 19).
Le lien entre l’homme et la femme implique partage de vie : physique, économique, culturel, social, légal, moral et religieux. Tous ces facteurs s’expriment dans la société que la famille contribue à former.
Fidélité pour la vie
L’amour du couple implique un engagement devant la société : c’est un acte public qui scelle le mariage, car la famille est une unité publique. La monogamie chrétienne exclut l’adultère mais aussi le fait de contracter plusieurs mariages successifs ou des « mariages à l’essai ». Ce genre de « mariage » n’est qu’un aspect de l’infantilisme de la « moi-génération » qui est incapable de prendre des décisions conséquentes.
La cérémonie publique a donc sa place. La promiscuité des rapports « libres » n’a jamais été la norme dans la société, même si l’homme a donné expression à ses péchés clandestinement en marge du mariage.
La responsabilité des enfants
La famille est porteuse de culture ; chaque génération est appelée à assimiler cette tradition de la famille pour la transmettre. Ainsi l’obéissance des enfants est importante. Dans l’A.T. le fils rebelle peut être mis à mort (Deut. 21, 18). Cette obéissance implique le respect de ce que les parents enseignent. Puis ayant reçu de leurs parents, les enfants transmettent à leur tour ; la Bible dit que l’on prenne soin des vieillards et de leurs besoins dans le contexte de la famille et de l’Église.
Évidemment, à l’heure actuelle, le problème est celui de la discipline dans la formation des enfants. Si notre société montre des signes d’irresponsabilité et d’indiscipline à bien des niveaux, c’est que les familles d’abord ont failli dans ce domaine. On critique beaucoup l’attitude des enfants ; mais elle est très compréhensible. Ils sont très souvent opprimés non seulement par le milieu ambiant mais aussi par le fait que leurs parents sont démissionnaires.
Dans ce domaine, je crois que la responsabilité de la famille chrétienne et de l’Église – comme regroupement de familles – est de rechercher des activités où tous les membres du groupe peuvent participer et y contribuer. Il faut que les parents apprennent à passer du temps avec leurs enfants au lieu de se concentrer sur leurs propres intérêts.
La vraie autorité des parents ne peut exister sans amour et services : ceci veut dire que les parents doivent être prêts à sacrifier leurs intérêts pour le bien de leurs enfants. Ainsi nous pourrons développer une culture différente de celle qui nous entoure, dans laquelle le bien recherché est celui de notre prochain. La famille peut devenir le modèle de l’amour du Christ, comme elle se doit selon le N.T. Là où existe cet amour il y aura la vraie liberté et la joie dans le développement d’une diversité riche d’activités qui sont le privilège des membres du groupe.
Conclusions
Si l’égoïsme d’une vie centrée sur le « moi » est la caractéristique de notre époque, c’est que le péché, commun à l’humanité, s’exprime sans restrictions. L’égoïsme guette chacun d’entre nous et les familles des chrétiens ne sont pas épargnées. Aujourd’hui, grande est la tentation de suivre le monde et ses intérêts, car finalement nous sommes détruits nous aussi par ces notions de liberté.
Pourtant les maux de la société actuelle doivent être un avertissement du jugement du Seigneur sur la vie déréglée par rapport à sa création : délinquance, divorce, avortement, problèmes psychologiques, sont des conséquences de l’individualisme. La vraie solution à ces problèmes n’est pas dans l’amélioration de la qualité de la vie : les statistiques semblent montrer que le suicide est plus présent dans les sociétés opulentes où il existe une faible structure familiale. La solution est dans la reconnaissance de Dieu, Père de « toute famille » (Eph, 3, 14), dans notre obéissance et dans la réception de son amour.
Paul Wells[1]
[1] Professeur de Dogmatique et de Théologie Systématique à la Faculté libre de théologie réformée d’Aix-en-Provence.