On affirme souvent qu’il est impossible de promouvoir un comportement moral en promulguant des lois. On vous dit qu’il est inutile, et même nuisible, d’établir certaines lois, car elles impliquent la volonté de moraliser le comportement des citoyens par une législation. On insiste qu’une telle chose est impossible. Quand des groupes socialement actifs cherchent à réformer nos lois, on leur réplique : « On ne peut promouvoir la morale par des lois ! »
Il nous faut admettre que cette affirmation contient une part de vérité. S’il était possible de rendre moral le comportement des gens par des lois, il serait relativement simple pour un Conseil de surveillance nationale ou pour le Parlement de décréter des lois qui moraliseraient sans autre les citoyens. Ce serait le salut par la législation. Bien des individus et des nations ont cherché leur salut dans la loi mais avec comme unique résultat, l’aggravation des problèmes personnels et une augmentation du chaos social.
Ainsi, nous tombons d’accord sur le fait que la loi ne peut sauver les hommes, car sauver les gens par la loi est une chose ; avoir une législation publique morale en est une toute autre. L’affirmation : « Les lois ne peuvent promouvoir la morale » est une de ces demi-vérités dangereuses et même à la rigueur un mensonge, car toute législation se rapporte inévitablement à un système de morale quelconque. Toutes les lois inscrites dans nos codes sont, ou bien des exemples de légifération morale, ou de procédure légale y conduisant. Les lois, par exemple, qui interdisent l’homicide ou le meurtre sont évidemment des lois morales ; elles reflètent le commandement, « Tu ne tueras pas ». Les lois punissant le vol sont l’application du commandement : « Tu ne déroberas pas ». Les lois contre la diffamation, la calomnie et le parjure se fondent sur le commandement : « Tu ne porteras point de faux témoignage ». Les lois qui réglementent la circulation sont elles aussi des lois d’inspiration foncièrement morale : leur but est de protéger la vie et les biens et reflètent ainsi les Dix Commandements. Les lois concernant la police et les règles de procédure des tribunaux ont également un but moral : faciliter l’exercice de la Justice et protéger la paix publique. Ainsi, toutes les lois inscrites sur nos codes avec leurs règles d’application se rapportent Immanquablement à des questions « morales », à un système moral. Nous pouvons contester la moralité d’une loi. Nous ne pouvons nier la relation inévitable entre législation et morale. La loi se rapporte toujours aux notions du bien et du mal : elle punit le mal et le retient, protégeant du même coup le bien. Il s’agit de la tâche de n’importe quelle morale. Il est en conséquence impossible d’avoir des lois sans les fonder sur une morale, car toute législation n’est autre chose que la promulgation légale publique de la morale. Il est en conséquence impossible d’avoir des lois sans les fonder sur une morale, car toute législation n’est autre chose que la promulgation légale publique de la morale.
Il existe, bien sûr, différentes formes de morale. La morale biblique est une chose ; les morales bouddhiste, hindouiste ou musulmane sont des systèmes moraux foncièrement différents. Certaines lois morales hindoues par exemple, interdisent comme étant un péché, de manger certaines viandes. Pour la morale musulmane par contre, le fait de tuer des infidèles peut être considéré comme une vertu. Pour la morale de Platon, certaines formes de perversion (telle la pédérastie) étaient des expressions nobles de l’amour, alors que pour la Bible, de tels actes criminels appellent la peine capitale.
Nous voulons en venir à ceci : toute législation n’est rien d’autre que la promulgation légale d’un système moral spécifique. En plus, toute morale présuppose comme fondement une religion particulière. Les lois reposent sur la morale et la morale sur la religion. Chaque fois que vous affaiblissez les fondements religieux d’une nation ou d’un peuple, vous sapez immanquablement son comportement moral et en conséquence détruisez le fondement de ses lois. Le résultat en est l’écroulement progressif de l’ordre public et la ruine de la société.
C’est bien ce que nous constatons aujourd’hui. L’ordre public se dégrade parce que les fondements religieux, les fondements bibliques, de notre société sont reniés par les tribunaux et par le peuple. Le système juridique sur lequel ont été fondés les États-Unis reposait sur une base essentiellement biblique[1]. Cette base est aujourd’hui désavouée par les juges et par les citoyens. A ce système juridique biblique a petit à petit été substitué un autre système légal et moral à base foncièrement humaniste, c’est-à-dire fondé sur la négation de toute loi transcendant l’homme et sur l’absolutisation des valeurs que se donnent arbitrairement les hommes. Ce fondement biblique traditionnel aux lois américaines empêcha ces dernières à tenter de SAUVER l’homme par la loi. Notre droit a simplement permis de créer et de maintenir un système de lois dans notre pays permettant de préserver un ordre public favorisant l’éclosion d’une société manifestant la crainte de Dieu.
A notre époque, les lois d’inspiration de plus en plus humanistes promulguées par nos législateurs et appliquées par nos tribunaux, sont en voie de façonner une nouvelle moralité. Mais nos humanistes, à mesure qu’ils obtiennent l’abolition des lois reposant sur des fondements bibliques, affirment hypocritement que l’on ne saurait en aucun cas promouvoir la morale par la législation. Ce qu’ils nous offrent n’est pas seulement une nouvelle forme de législation inévitablement morale – comme nous l’avons vu – mais bien plus encore : ils ne nous offrent rien d’autre que le salut par les lois elles-mêmes. Ceci, aucun chrétien ne peut l’admettre. Dans tous les domaines, que cela concerne la pauvreté, l’éducation, les droits Civiques ou les droits de l’homme, la paix dans le monde et bien d’autres choses encore, on nous impose d’innombrables actes législatifs destinés à SAUVER l’homme. Nos législateurs humanistes imaginent que par de telles lois ils créeront une société libérée de préjugés, d’ignorance, de misère, de crimes, de guerres, en bref de tout ce que l’on peut imaginer de mauvais. De tels programmes législatifs peuvent se résumer en un seul mot : LE SALUT PAR LA LOI.
Ceci nous conduit à constater la différence fondamentale entre la loi biblique, à la fois droit et morale, et un pareil programme législatif d’inspiration humaniste. Les lois fondées sur la Bible ne cherchent jamais à sauver l’homme ou la société, à inaugurer le meilleur des mondes ou la « grande société », la paix mondiale, un monde délivré de pauvreté ou une quelconque utopie semblable. Le but de la loi biblique, et de tout droit fondé sur une foi biblique, se limite à la punition des malfaiteurs et par ce moyen, à limiter l’extension du mal. Elle protège ainsi la vie et les biens de tous en rendant la justice accessible à tous. La fonction du pouvoir temporel de l’État et de ses lois n’est ni de CHANGER, ni de RÉFORMER les hommes. Changer l’homme ou le réformer est une œuvre exclusivement SPIRITUELLE, la tâche des institutions proprement religieuses, de l’Église. Seule la grâce divine peut transformer les hommes et cela uniquement par le ministère de la Parole de Dieu. Il est impossible de changer qui que ce soit par les actes législatifs de l’État ; on ne peut prescrire à l’homme pécheur un nouveau caractère par le moyen des lois. Le mauvais vouloir ou les impulsions rebelles du cœur humain peuvent être réprimés par la ferme application des lois ; il craindra ainsi les conséquences de ses actes illicites. Nous ralentissons tous sur l’autoroute quand nous apercevons une voiture de police et nous prenons normalement garde aux limitations de vitesse. L’existence des lois publiques et leur application sont autant de freins aux tendances pécheresses des hommes. Mais bien que l’homme puisse être RETENU par l’application stricte de lois justes, il ne saurait être changé par elles. La loi ne pourra jamais le sauver. Seule la grâce de Dieu par Jésus-Christ accomplit cette tâche salutaire.
Le but de lois d’inspiration humaniste est tout autre. Pour l’humaniste, le salut de l’homme est un acte de l’État, d’une providence purement terrestre. L’ambition du gouvernement civil est ici de régénérer l’homme et la société, d’amener le paradis sur terre. Pour notre humaniste, l’action sociale doit en conséquence tout englober. L’homme doit travailler sans relâche afin d’obtenir l’adoption de lois « correctes » car son salut en dépend de manière absolue. Ceux qui s’opposent à ce dessein deviennent par leur simple refus des conspirateurs subversifs travaillant à la destruction du bien social. Il faut remarquer que la plupart de ceux qui nous gouvernent sont des hommes éminemment « moraux » et « religieux » profondément engagés dans le salut de leur prochain par voie législative. Leur programme, du point de vue chrétien, biblique, est parfaitement immoral et impie. Mais du point de vue humaniste de tels hommes sont souvent d’une consécration remarquable, entièrement dévoués à cette foi et cette morale laïque qui est la leur.
La conséquence de cet état de fait est évidente, Nous nous trouvons aujourd’hui face à un conflit où deux religions contraires se confrontent, l’humanisme et le Christianisme. Toutes deux ont leur morale propre et des lois diverses découlent de ces morales. Ainsi, quand l’humaniste nous dit : « Les lois ne peuvent promouvoir la morale », ce qu’il affirme en réalité c’est que la législation ne doit en aucun cas promouvoir une morale biblique. Seule une législation fondée sur la morale humaniste, sur une morale laïque, sécularisée, soustraite à l’influence de la loi divine, doit être favorisée. Ainsi, on interdit l’enseignement de la Bible dans les écoles publiques américaines – et dans celles de nombreux pays – parce que la Bible entre directement en conflit avec la religion officielle de l’État et de ses écoles, l’humanisme sans Dieu. Les tribunaux refusent de reconnaître le Christianisme comme le fondement en droit commun de la vie et du gouvernement des États-Unis (ce qu’il est en fait historiquement) parce que ces tribunaux ont déjà établi l’humanisme comme le nouveau fondement religieux de la vie américaine. Car il faut le dire et le répéter, L’HUMANISME EST UNE RELIGION, malgré le fait que l’humaniste n’ait pas de « dieu ». L’existence d’une religion n’implique pas nécessairement la croyance en un dieu. La plupart des religions dans le monde sont en fait essentiellement humanistes et anti-théistes, leur dernière référence, leur point d’ appui absolu, étant l’homme[2].
L’Amérique qui se crée sous nos yeux est une Amérique profondément religieuse, mais sa religion est l’humanisme et non le Christianisme. C’est une Amérique très moralisatrice, mais pour le Christianisme son éthique, sa morale toute nouvelle n’est rien d’autre que le péché de toujours. Cette Amérique révolutionnaire et humaniste est activée par un vigoureux zèle missionnaire. L’humanisme croit au salut par les œuvres de la loi. En affectant à cette œuvre salutaire des sommes immenses et un travail acharné, la religion humaniste cherche à sauver toutes les nations et toutes les races, tous les hommes de tous leurs problèmes et cela dans l’espoir utopique de créer le paradis sur terre. Elle cherche à apporter la paix au monde, d’introduire la bonne volonté parmi les hommes par décret d’État, par les œuvres de la loi. En tout cela notre Seigneur Jésus-Christ, est laissé pour compte ! Mais l’apôtre Paul, abordant ce problème aussi ancien que le premier péché, écrivait aux Galates, « Sachant que l’homme n’est pas justifié par les œuvres de la loi, mais par la foi en Jésus-Christ, nous aussi avons cru en Jésus-Christ, afin d’être justifiés par la foi en Christ, et non par les œuvres de la loi, parce que nul ne sera justifié par les œuvres de la loi, » (Galates 2 : 16)
A sa juste place, la loi est excellente, essentielle et entièrement convenable. Mais la loi ne peut sauver personne. Elle ne peut reconstruire ni l’homme ni la société. La fonction fondamentale de la loi est de restreindre (Romains 13 : 1-4) et non pas de régénérer. Quand on change la fonction de la loi en remplaçant la restriction du mal par la régénération et la réformation de l’homme et de la société, le droit – expression publique de la loi – s’effondre, car un fardeau, une tâche insupportable lui a été imposé. De nos jours, parce que nous attendons beaucoup trop des lois, elles parviennent de moins en moins à accomplir leur fonction véritable, car nous en faisons un usage illégitime. Seul un retour au fondement biblique du droit nous restituera une justice et un ordre public soumis à la loi.
« Si l’Éternel ne bâtit la maison, ceux qui la bâtissent, travaillent en vain. » (Psaume 127 : 1)
Rousas John Rushdoony
Law and Liberty, The Craig Press, 1971
[1] On peut en dire autant de toutes les nations ayant subi une forte influence chrétienne et, en particulier des nations européennes. (Réd.)
[2] Toutes ces remarques peuvent s’appliquer au monde moderne d’une manière générale. (Réd.)