C’est avec beaucoup d’intérêt que j’ai appris que le pasteur J.-F. Bill de l’Eglise Presbytérienne d’Afrique du Sud allait donner une conférence dans le cadre de l’organisation du groupe missionnaire de la vallée de Joux.
Ce personnage, dont la télévision et les journaux avaient abondamment parlé en réclamant sa libération de geôles sud- africaines, allait enfin témoigner de son expérience carcérale, de la politique du gouvernement sud-africain ainsi que de l’engagement politique de certaines Eglises. Je pourrais ainsi être au clair sur les raisons véritables de son emprisonnement et savoir s’il faisait partie de la longue phalange des chrétiens persécutés pour leur foi en Jésus-Christ. En effet, à lire les quotidiens de notre pays, le pasteur Bill passe pour un nouveau martyr chrétien, mais comme d’autres sources tiennent à l’égard de l’Afrique du Sud des propos tout autres, je tenais à me faire une opinion personnelle en l’écoutant lui- même. Il est utile de rappeler ici que le pasteur Bill s’était formellement engagé lors de sa libération à ne pas attaquer le gouvernement de son pays lors de son séjour en Suisse.
Après une courte introduction la parole fut passée au pasteur Bill qui nous parla de la crise qui secoue l’Eglise en Afrique du Sud sans préciser s’il s’agissait de toutes les églises ou seulement de quelques-unes. Il en vint à son arrestation. Son arrestation effectuée de nuit — procédure uniquement légale à cause de l’état d’exception alors en vigueur — et la perquisition effectuée à son domicile avaient comme but la recherche d’armes et d’explosifs et non de Bibles ou de littérature chrétienne comme c’est le cas dans les pays communistes. Selon son témoignage, il fut giflé. Après interrogatoire, il fut mis au secret et ce fut pendant cette période que se produisit sa remise en cause de l’existence de Dieu. Dès les premiers jours il réclama une Bible, et malgré le peu de sympathie des policiers à son égard, elle lui fut rapidement fournie. Dans quel pays communiste répond- on si rapidement à de telles demandes ? D’après son témoignage la crise spirituelle par laquelle il passa pendant son temps au secret ne conduisit pas à une réelle conversion qui aurait fait de lui un véritable témoin de Jésus-Christ et non une voix poussant à la révolte armée.
Notre orateur nous parla ensuite des conditions de son emprisonnement : gymnastique, nourriture saine, bonnes conditions hygiéniques, et surtout la possibilité de pouvoir disposer de ses propres livres de théologie. Il affirma avec force que les Noirs en ont assez du Christianisme. A aucun moment le pasteur Bill ne parla de sa foi en Jésus-Christ, de la nécessité de se convertir, de sa relation personnelle avec Dieu et de tout ce qui fait que le chrétien aime Dieu. Il était manifestement bien plus intéressé par l’aspect social de son engagement, engagement qui se concrétise par un soutien sans réserve accordé à l’A.N.C. Il n’hésita pas à qualifier le gouvernement sud-africain de « fasciste » et « d’illégitime » et justifia pleinement les activités de l’A.N.C. Selon lui à la base de ce mouvement se trouverait d’authentiques chrétiens qui, n’ayant pas obtenu satisfaction de leurs revendications légitimes, se tournèrent vers des méthodes plus actives et prirent les armes. Nelson Mandela, le chef emprisonné de l’A.N.C., serait un chrétien authentique recevant régulièrement la communion. Ses auditeurs étaient entièrement séduits par de tels propos et les prenaient pour de la manne venue du ciel. Il mentionna en passant que l’archevêque du Cap, Desmond Tutu était mieux reçu et protégé au Mozambique que dans son propre pays, ce qui n’est guère étonnant vu que ce même évêque, qui est un adversaire acharné du gouvernement sud-africain et envoie l’Occident tout entier en enfer, était alors l’hôte d’un pays communiste.
Lors d’une deuxième conférence à Val- lorbe, je fus hué et conspué lorsque je me suis permis de rappeler à l’auditoire les raisons véritables de l’incarcération de Nelson Mandela et de demander au pasteur Bill de quel côté il se situerait, si par malheur l’Afrique du Sud tombait aux mains des communistes. Comme d’habitude sa réponse fut évasive. Lors du débat quelqu’un parla de l’échec actuel et passé du Christianisme. Je crus bon de remettre les choses à leur place en rappelant que par le passé le Christianisme avait très souvent été représenté par le Catholicisme avec son intolérance et qu’il ne fallait aucunement confondre cette Eglise avec la véritable Foi chrétienne. Le seul combat que les chrétiens ont à mener est celui de la prière et non le combat des armes. La seule réponse à mon intervention fut une « Revenons sur terre » qui donna le ton à la soirée. Personne ne trouva à redire à de tels propos.
La conseillère aux Etats socialiste Mme Yvette Jaggi, présente lors de la seconde soirée, fut beaucoup plus positive au sujet du rôle social joué par le Christianisme en Afrique que nombre de ceux qui, en commençant par le pasteur Bill, décriait l’influence chrétienne tout en s’affirmant chrétiens. La grande majorité de l’auditoire provenait des Eglises officielles du Sentier et de Vallorbe. Une chose fut clairement établie pour moi lors de ces deux conférences : ni le pasteur Bill, ni Des- mond Tutu, ni le Dr Allan Boesak ne font partie de la glorieuse cohorte de ceux qui, dans les pays de l’Est et ailleurs, sont persécutés pour leur témoignage, pour leur confession du nom du Seigneur Jésus-Christ. L’impression dominante que j’ai retiré de ces deux soirées tient dans cet avertissement donné par Jésus- Christ :
Gardez-vous des faux prophètes. Ils viennent à vous en vêtements de brebis, mais au-dedans ce sont des loups ravisseurs.
Matthieu 7:15
Georges Berseth *
* Georges Berseth est diacre de l’Eglise Evangélique de Réveil du Sentier, dans le Jura vaudois. Ces conférences du pasteur Bill furent données en décembre 1987 et en janvier 1988.