Témoin en prison Conférences du pasteur Jean-François Bill

par | Résister et Construire - numéro 4

C’est avec beaucoup d’intérêt que j’ai appris que le pasteur J.-F. Bill de l’Eglise Presbytérienne d’Afrique du Sud allait donner une conférence dans le cadre de l’organisation du groupe missionnaire de la vallée de Joux.

Ce personnage, dont la télévision et les journaux avaient abondamment parlé en réclamant sa libération de geôles sud- africaines, allait enfin témoigner de son expérience carcérale, de la politique du gouvernement sud-africain ainsi que de l’engagement politique de certaines Egli­ses. Je pourrais ainsi être au clair sur les raisons véritables de son emprisonne­ment et savoir s’il faisait partie de la lon­gue phalange des chrétiens persécutés pour leur foi en Jésus-Christ. En effet, à lire les quotidiens de notre pays, le pas­teur Bill passe pour un nouveau martyr chrétien, mais comme d’autres sources tiennent à l’égard de l’Afrique du Sud des propos tout autres, je tenais à me faire une opinion personnelle en l’écoutant lui- même. Il est utile de rappeler ici que le pasteur Bill s’était formellement engagé lors de sa libération à ne pas attaquer le gouvernement de son pays lors de son séjour en Suisse.

Après une courte introduction la parole fut passée au pasteur Bill qui nous parla de la crise qui secoue l’Eglise en Afrique du Sud sans préciser s’il s’agissait de toutes les églises ou seulement de quel­ques-unes. Il en vint à son arrestation. Son arrestation effectuée de nuit — pro­cédure uniquement légale à cause de l’état d’exception alors en vigueur — et la perquisition effectuée à son domicile avaient comme but la recherche d’armes et d’explosifs et non de Bibles ou de lit­térature chrétienne comme c’est le cas dans les pays communistes. Selon son témoignage, il fut giflé. Après interroga­toire, il fut mis au secret et ce fut pendant cette période que se produisit sa remise en cause de l’existence de Dieu. Dès les premiers jours il réclama une Bible, et malgré le peu de sympathie des policiers à son égard, elle lui fut rapidement four­nie. Dans quel pays communiste répond- on si rapidement à de telles demandes ? D’après son témoignage la crise spirituel­le par laquelle il passa pendant son temps au secret ne conduisit pas à une réelle conversion qui aurait fait de lui un vérita­ble témoin de Jésus-Christ et non une voix poussant à la révolte armée.

Notre orateur nous parla ensuite des conditions de son emprisonnement : gymnastique, nourriture saine, bonnes conditions hygiéniques, et surtout la pos­sibilité de pouvoir disposer de ses pro­pres livres de théologie. Il affirma avec force que les Noirs en ont assez du Chris­tianisme. A aucun moment le pasteur Bill ne parla de sa foi en Jésus-Christ, de la nécessité de se convertir, de sa relation personnelle avec Dieu et de tout ce qui fait que le chrétien aime Dieu. Il était manifestement bien plus intéressé par l’aspect social de son engagement, en­gagement qui se concrétise par un sou­tien sans réserve accordé à l’A.N.C. Il n’hésita pas à qualifier le gouvernement sud-africain de « fasciste » et « d’illégiti­me » et justifia pleinement les activités de l’A.N.C. Selon lui à la base de ce mouve­ment se trouverait d’authentiques chré­tiens qui, n’ayant pas obtenu satisfaction de leurs revendications légitimes, se tournèrent vers des méthodes plus acti­ves et prirent les armes. Nelson Mandela, le chef emprisonné de l’A.N.C., serait un chrétien authentique recevant régulière­ment la communion. Ses auditeurs étaient entièrement séduits par de tels propos et les prenaient pour de la manne venue du ciel. Il mentionna en passant que l’archevêque du Cap, Desmond Tutu était mieux reçu et protégé au Mozambi­que que dans son propre pays, ce qui n’est guère étonnant vu que ce même évêque, qui est un adversaire acharné du gouvernement sud-africain et envoie l’Occident tout entier en enfer, était alors l’hôte d’un pays communiste.

Lors d’une deuxième conférence à Val- lorbe, je fus hué et conspué lorsque je me suis permis de rappeler à l’auditoire les raisons véritables de l’incarcération de Nelson Mandela et de demander au pas­teur Bill de quel côté il se situerait, si par malheur l’Afrique du Sud tombait aux mains des communistes. Comme d’habi­tude sa réponse fut évasive. Lors du débat quelqu’un parla de l’échec actuel et passé du Christianisme. Je crus bon de remettre les choses à leur place en rap­pelant que par le passé le Christianisme avait très souvent été représenté par le Catholicisme avec son intolérance et qu’il ne fallait aucunement confondre cette Eglise avec la véritable Foi chrétienne. Le seul combat que les chrétiens ont à me­ner est celui de la prière et non le combat des armes. La seule réponse à mon inter­vention fut une « Revenons sur terre » qui donna le ton à la soirée. Personne ne trouva à redire à de tels propos.

La conseillère aux Etats socialiste Mme Yvette Jaggi, présente lors de la seconde soirée, fut beaucoup plus positive au su­jet du rôle social joué par le Christianisme en Afrique que nombre de ceux qui, en commençant par le pasteur Bill, décriait l’influence chrétienne tout en s’affirmant chrétiens. La grande majorité de l’audi­toire provenait des Eglises officielles du Sentier et de Vallorbe. Une chose fut clai­rement établie pour moi lors de ces deux conférences : ni le pasteur Bill, ni Des- mond Tutu, ni le Dr Allan Boesak ne font partie de la glorieuse cohorte de ceux qui, dans les pays de l’Est et ailleurs, sont persécutés pour leur témoignage, pour leur confession du nom du Seigneur Jé­sus-Christ. L’impression dominante que j’ai retiré de ces deux soirées tient dans cet avertissement donné par Jésus- Christ :

Gardez-vous des faux prophètes. Ils viennent à vous en vêtements de brebis, mais au-dedans ce sont des loups ravis­seurs.

Matthieu 7:15

Georges Berseth *

* Georges Berseth est diacre de l’Eglise Evangélique de Réveil du Sentier, dans le Jura vaudois. Ces conférences du pas­teur Bill furent données en décembre 1987 et en janvier 1988.