Vous qui allez parmi la voie
Arrêtez-vous ; que chacun voie
S’il est douleur comme la mienne,
Dit sainte Église[1].
Je suis sur ferme pierre assise
La pierre s’effrite, se fend, se brise,
Et je chancelle.
Car Vérité a fait son lais[2]
N’ose le dire, ni clerc, ni lais[3]
Morte est pitié
Et charité et amitié
Hors du règne les ont jetées
Hypocrisie
Et vaine gloire et Tricherie
Et faux semblant et Dame Envie
Qui tout enflamme
Assez peuvent-ils chanter et lire,
Mais loin il y a entre faire et directement
C’est la nature !
Le dit est doux et l’œuvre dure
N’est pas tout d’or or ce qu’on voit luire !
Et ceux qui ont fauve la face
Qui sont de la divine grâce
Pleins par-dehors,
Auraient Dieu et les trésors
Qui de tous maux gardent nos corps
Or prions donc Jésus-Christ
Qu’il nous mette en son écrit
Et en son règne,
Là où les siens conduit et mène.
Rutebeux (XIIIᵉ siècle)[4]
[1] Lamentations de Jérémie 1:12
[2] Lais=legs, testament et lais, chanson.
[3] Lais=laïc
[4] De maître Guillaume de Saint-Amour. Extraits légèrement adaptés par JM Berthoud. In Edmond Faral et Julia Bastin, Œuvres complètes de Rutebeuf, Picard, Paris 1959, tome I, p. 258-266