Complainte sur l’église

par | Résister et Construire - numéro 5

Vous qui allez parmi la voie

Arrêtez-vous ; que chacun voie

S’il est douleur comme la mienne,

Dit sainte Église[1].

Je suis sur ferme pierre assise

La pierre s’effrite, se fend, se brise,

Et je chancelle.

 

Car Vérité a fait son lais[2]

N’ose le dire, ni clerc, ni lais[3]

Morte est pitié

Et charité et amitié

Hors du règne les ont jetées

Hypocrisie

Et vaine gloire et Tricherie

Et faux semblant et Dame Envie

Qui tout enflamme

 

Assez peuvent-ils chanter et lire,

Mais loin il y a entre faire et directement

C’est la nature !

Le dit est doux et l’œuvre dure

N’est pas tout d’or or ce qu’on voit luire !

 

Et ceux qui ont fauve la face

Qui sont de la divine grâce

Pleins par-dehors,

Auraient Dieu et les trésors

Qui de tous maux gardent nos corps

 

Or prions donc Jésus-Christ

Qu’il nous mette en son écrit

Et en son règne,

Là où les siens conduit et mène.

 

Rutebeux (XIIIᵉ siècle)[4]

 

[1]      Lamentations de Jérémie 1:12

[2]      Lais=legs, testament et lais, chanson.

[3]      Lais=laïc

[4]      De maître Guillaume de Saint-Amour. Extraits légèrement adaptés par JM Berthoud. In Edmond Faral et Julia Bastin, Œuvres complètes de Rutebeuf, Picard, Paris 1959, tome I, p. 258-266