Un monde – une religion

par | Résister et Construire - numéro 5

Pour le Congrès international des communautés confessantes : Évêque Oskar Sakrausky, Professeur Dr Peter Beyerhaus, Pasteur Heinrich Stricker

L’Occident et la crise du sens

À tous les niveaux de la vie de la communauté humaine, nous rencontrons actuellement l’aspiration à l’harmonie, et le désir de l’union organique pour former « One World » – un seul monde – une future communauté mondiale de toutes les races, cultures et religions. « Un seul monde, ou pas de monde du tout », tel est le slogan. Derrière cela se cache l’angoisse existentielle que ressentent de nombreux hommes devant la menace universelle que représentent la destruction de l’environnement, la raréfaction des ressources et la course aux armements. Cette conscience d’une crise voit dans une intégration collective la seule chance de survivre de l’humanité. Mais une telle communauté en un seul monde ne pourrait acquérir la conscience nécessaire de sa solidarité que si elle possédait, pour son cheminement, une base morale et des impulsions spirituelles lui donnant du courage. Mais notre société occidentale a perdu tout cela.

Au cours du processus de sécularisation de la civilisation des « lumières », le monde occidental s’est, dans une large mesure, détaché de ses fondements chrétiens. En échange, il s’est ou bien soumis aux idéologies changeantes, ou bien adonné à un mode de vie rationaliste et matérialiste. Le résultat en est cette crise du sens, souvent évoquée, laquelle résulte d’une absence d’orientation qui prend un caractère libertin (moralement permissif) et qui conduit bien des gens à des actes de désespoir. De leur côté, les Églises établies sont impuissantes à vraiment combattre cela, car par suite de leur perte de substance théologique, elles ont dans une large mesure, perdu leur pouvoir absolu.

La nouvelle vague religieuse

Face au vide ainsi créé par la crise du sens s’offre alors avec insistance tout un éventail multiforme de religions étrangères. Elles font croire aux Occidentaux privés de certitudes qu’elles pourront répondre d’une manière satisfaisante à tous les besoins et questions qui viennent de surgir dans les domaines personnels et sociaux. Depuis les années soixante, cette offre prend la forme d’un monde de conceptions souvent marquées par l’occultisme religieux et qui tombent sur un sol fertile chez nombre de gens à la recherche d’un point d’appui. Cette nouvelle religiosité, que l’on désigne souvent du nom de « New Âge » (ère nouvelle), nous arrive simultanément par de nombreuses voies, principalement par les voies suivantes :

  1. Une « Théologie des religions » subissant l’influence de la science moderne des religions, qui part du principe que toutes les religions participent à une révélation universelle du salut, qui imprègne toute l’histoire de l’humanité. En conséquence, on considère ici les diverses religions comme constituant déjà une « Église latente » (Paul Tillich), et leurs fidèles comme des « chrétiens anonymes » (Karl Rahner), avec lesquels, « en recherche d’une communauté globale », on entre dans un dialogue mutuellement enrichissant (Programmes de dialogue du Conseil œcuménique des Églises et du Vatican).
  2. Le « Mouvement pour la paix » appelle à la réunion d’un Concile mondial des Églises pour la paix, lequel – selon la conception de son promoteur C.F. von Weizsäcker – ne constituerait que l’étape préparatoire pour un concile ultérieur de toutes les religions mondiales. Toutes unies et puisant dans leurs forces spirituelles respectives, ces religions doivent mettre fin dans le monde aux luttes sociales et politiques.
  3. Cet appel a déjà reçu un début de réalisation avec la journée de prière pour la paix organisée à Assise par le pape Jean-Paul II 27 octobre 1986 pour les diverses confessions et religions, laquelle s’est poursuivie le 4 août 1987 à Hiei, sanctuaire bouddhiste situé près de Kyota. Ainsi se trouva promue cette idée néfaste selon laquelle toutes les religions, au plus profond de leur essence, constituent une unité et adorent la même divinité, bien que sous des noms divers, et de diverses manières.
  4. Les mouvements de méditation venus d’Asie promettent à l’homme, qui soi-disant serait naturellement bon, la possibilité de se développer au-delà de lui-même d’une manière illimitée, cela par le moyen d’une extension de la conscience (transformation). Il vivra alors toutes les dimensions de la réalité dans une vision mystique unitaire, dans laquelle s’annuleront les oppositions entre le bien et le mal.
  5. « New Âge » reçoit une aide décisive du féminisme et de ses nuances théologiques. Les voies de la nouvelle spiritualité sont précisément préparées par la « Théologie féministe », selon laquelle la femme, qui par principe est sans péché, apparaît comme la garante d’une révélation progressive. Cette théologie attribue à l’être humain des forces divines inhérentes (mouvement dit « des déesses » !), ce qui constitue une variante moderne de cet antique effort fait par l’homme pour s’élever au rang de Dieu.
  6. L’ « idéologie verte » amène « New Âge » sur la scène politique. Elle voit la solution des crises actuelles dans une humanité unie et s’autodéterminant. Mais en outre elle se transforme progressivement en une religion néo-païenne et panthéiste. Et celle-ci croit en une harmonie créée par des divinités naturelles finalement païennes et à des énergies cosmiques, et elle combat les commandements et prescriptions donnés par le Dieu personnel de la Bible pour protéger la famille et la vie.
  7. La « médecine intégrale », telle que la comprend « New Âge », est une collection de multiples procédés traditionnels de diagnostic et de thérapie, de préceptes ésotériques et de pratiques méditatives et magiques, qui trouvent leur dénominateur commun sous la forme de l’union avec la nature et le cosmos. Elle ne doit pas seulement donner à l’homme la santé du corps, mais également le « transformer » dans le domaine spirituel.
  8. Avec la musique pop et rock on a vu apparaître dès le début des années 1960 et à l’échelle mondiale, une religion unitaire de la jeunesse, qui n’est toutefois pas clairement reconnaissable comme telle. Des jeunes sont ainsi égarés vers ce qui leur apparaît comme une alternative à la réponse chrétienne au sujet de la question du sens. Cette sous-culture religieuse devient un refuge nourri de spiritualité africaine et hindouiste, refuge qui s’offre au refus destructeur ; c’est également une voie de pénétration pour les forces occultes.
  9. A l’intérieur du « mouvement charismatique », qui est diversifié et dans lequel existe certes aussi une vraie proclamation biblique, on voit à l’œuvre en beaucoup d’endroits des faux prophètes et des faiseurs de miracles (Matthieu 7,22-23 ; 24,24) qui, croyant restaurer les conditions du christianisme primitif, et se basant sur une expérience spirituelle commune – mais sans réelle unanimité quant à la doctrine biblique ! – veulent réaliser l’unité de tous les chrétiens, le réveil du monde et l’instauration du Royaume de Dieu déjà maintenant sur cette terre. Cette orientation œcuménique utopique pourrait préparer les voies de la religion mondiale unitaire antichrétienne « New Âge »).
  10. Même à l’intérieur du Parti communiste de l’URSS on a déjà depuis quelque temps reconnu la nécessité d’une nouvelle religion, afin de surmonter la crise du sens, qui ne cesse de s’accroître dans ce pays. On y discute de la création d’une (pseudo-)religion qui serait conforme aux temps actuels, et qui ferait des emprunts aussi bien aux traditions chrétiennes et à l’idéologie marxiste-léniniste qu’à l’héritage païen actuellement enseveli des divers peuples soviétiques. Mais dans tout cela, une instance suprême transcendante, telle que le Dieu trinitaire de l’Écriture Sainte, demeure tout à fait exclue.

Nature et fins de « New Âge »

Ce mouvement qui est tellement diversifié qu’il ne peut être embrassé d’un seul regard, mais qui en même temps s’infiltre partout, prépare dans l’histoire de l’humanité la montée d’une nouvelle époque soi-disant « dorée ». Selon des déclarations provenant de certains de ses protagonistes compétents, il devrait être interprété selon l’astrologie. À la place de l’ère « polarisante » du Poisson (symbole du christianisme), ère qui est terminée, viendrait maintenant, sous le signe de l’arc-en-ciel (parfois aussi de la pyramide), l’ère « harmonisante » du Verseau, symbole d’une religion universelle naturaliste de caractère extrême-oriental. Cette ère mettra en valeur les forces mystérieuses du microcosme (profondeurs humaines) et celles du macrocosme (univers) et elle unira le monde d’une manière « holistique » (dans son intégrité).

Il existe déjà tout un réseau d’extension mondiale, composé de personnes particulières, de noyaux et même de groupements, qui prépare le système à la fois religieux, politique et économique conditionnant la réalisation d’une telle communauté mondiale. Le Conseil œcuménique des Églises poursuit lui aussi un but analogue. À tout cela se rattache, encore caché pour bien des gens, le plan élaboré depuis longtemps dans des cercles occultes et qui vise à mettre sur pied un gouvernement mondial établi sur une religion universelle et luciférienne. Il devra prendre le contrôle de tous les domaines de la société humaine, et il privera ainsi l’individu de sa liberté personnelle, soi-disant dans le propre intérêt de celui-ci. Car ce serait seulement ainsi que pourrait être sauvegardée la paix mondiale, et que pourrait enfin être réalisé un état d’harmonie universelle.

Critique théologique

La vision de « New Âge » en ce qui concerne le salut est de deux manières en contradiction avec le témoignage de l’Écriture Sainte.

  1. Elle fait crédit aux forces transformatrices du processus d’évolution qui aboutit à la manifestation finale de l’identité entre le Divin et l’Humain (cf. Teilhard de Chardin). Mais il s’agit là de l’imposture de l’antique serpent : « Vous serez comme Dieu » (Genèse 3, 5).
  2. En outre, l’utopie d’une société mondiale pacifique est contraire à la notion biblique eschatologique de la fin des temps présents et de la venue du Royaume de Dieu. A cause du péché et de l’incrédulité, ce n’est pas sur cette vieille terre non transformée que l’histoire humaine débouchera sur la paix de Dieu universelle. Au contraire, l’égoïsme enraciné dans l’homme (Romains 7,18) et l’appétit de pouvoir conduiront sans cesse à de nouveaux et terribles conflits (Matthieu 24, 6-7 ; Apoc. 6, 4), conflits qui annoncent en même temps le futur Jugement de Dieu. Et c’est seulement avec le retour de Jésus-Christ que se manifestera sur une terre nouvelle le Royaume de Dieu, cet état de paix et de justice (Apoc. ch. 20-22) auquel l’humanité aspire tant depuis son expulsion du paradis.

Et cependant le mouvement « New Âge » est aussi une confirmation de la prophétie biblique relative aux temps de la fin. En effet, on y voit se dessiner déjà, et d’une manière frappante, les contours de ce système d’unité mondiale, ennemi de Dieu et totalitaire, qui nous a été annoncé par la mise en garde contre l’antichrist à venir (Apoc. 17, 17 ; 2 Thessal. 2,3-13).

Orientation biblique

Pour ce qui concerne l’Église de Jésus-Christ, elle doit donc reconnaître les signes du temps également dans cette évolution, et elle doit résister à toute tentation, précisément aussi lorsque celle-ci nous vient de ses propres rangs, cela sous la forme d’une vague de « nouvelle spiritualité ». C’est le cas pour nombre de cantiques, de prières, de méditations, de professions de foi et d’exégèses bibliques d’un nouveau genre, tels qu’ils sont pratiqués dans nos Assemblées d’Église (Kirchentage).

Assurément, nous devons nous attendre à ce que notre résistance face à « l’ère nouvelle » nous rapporte moqueries, discriminations et persécutions (Matthieu 24,9-12) ; car notre refus, fidèle à la foi chrétienne, met en question de fond en comble l’unité mondiale recherchée dans le domaine politico-religieux ; – de même qu’autrefois les premiers chrétiens, en refusant au nom de Jésus-Christ, le seul Seigneur, d’offrir des sacrifices aux empereurs romains, ont brisé le lien religieux marquant l’unité de l’empire mondial romain d’alors, la Pax romana.

Fidèles à ce modèle de foi donné par les premiers chrétiens, nous ne reculerons pas, nous non plus, devant ce combat spirituel (Éphésiens 6,10-20). mais au contraire nous annoncerons à l’humanité précisément maintenant, tant que le Seigneur nous en accorde encore le temps, le salut acquis et offert uniquement par Lui. Car Il a promis à son Église pour cette mission son secours fidèle dans l’Esprit-Saint, jusqu’à la fin de ce monde (Matthieu 28,20 ; 16,18).

Si donc nous ne permettons pas que notre vision soit ensorcelée par l’offre des religions étrangères, mais si au contraire nous Le suivons et témoignons de Lui, alors Il authentifiera notre témoignage et par là-même Il convaincra (Jean 16, 7-11) et fera pousser du fruit (Ésaïe 55, 10-12). Il nous fera avancer à travers l’apostasie croissante et à travers les afflictions à venir, selon sa promesse : « Je suis la lumière du monde. Celui qui vient à ma suite ne marchera pas dans les ténèbres, mais il aura la lumière qui conduit à la vie » (Jean 8, 12).

Restons donc scrupuleusement fidèles à la Parole de Jésus, à son sacrement, à la prière et à la communion avec les frères et sœurs qui sont fidèles au Christ (Actes 2,42). Purifiés par le sang de l’Agneau et sans crainte pour notre vie temporelle (Apoc. 12,11). marchons avec confiance à la rencontre de notre Seigneur qui revient. Car Il aidera les siens à traverser, et à la fin Il donnera la couronne de vie à ceux qui auront été fidèles jusqu’à la mort (Apoc. 2, 10).

Zurich, 16 septembre 1987