Dans le pays de la “Perestroïka”

par | Résister et Construire - numéro 9

Compte-rendu de voyage d’un de nos équipiers

Comment vont actuellement les chrétiens en Union soviétique ? Ressentent-ils des effets de la démocratisation ? Il est vrai que depuis la fin de l’année dernière les chrétiens anciennement détenus à cause de leur foi sont libres ! Que font les chrétiens à l’époque de la Perestroïka ? Est-ce qu’ils utilisent le temps à bon escient pour l’évangélisation ? Ces questions et tant d’autres faisaient partie de nos « bagages » quand nous – deux touristes d’Allemagne Fédérale – nous envolâmes pour Kiev le 28 avril 1989. Les limites de la Perestroïka nous apparurent déjà lors des formalités à la douane. Chacun de nous avait emporté environ 25 livres chrétiens, entre autres des Bibles, des Nouveaux Testaments, etc. Cependant, on ne laissa à chacun qu’un seul exemplaire de chaque sorte de livres et on enleva le reste. Cela représentait pourtant un progrès puisqu’il nous était permis d’emporter un peu de littérature !

En tant que touristes, nous pouvions nous déplacer très librement à Kiev. Dès le lendemain de notre arrivée, nous étions en visite chez le responsable de l’église baptiste non enregistrée et nous avons fait la connaissance de frères en la foi. Un des évangélistes de l’endroit est venu nous rejoindre pendant cette entrevue et nous avons bien pu nous entretenir sur la vie des églises et sur les activités d’évangélisation dans la situation actuelle.

La fête de Pâques.

Les orthodoxes se référant toujours au calendrier julien ont célébré Pâques le 30 avril. Les églises libres russes se conforment elles aussi en partie au vieux calendrier afin de pouvoir mieux évangéliser et pour ne pas apparaître comme une église étrangère « occidentale ». Nous avons pu participer au culte à Kiev. Il fallait être sur place dès 8 heures. Cette église se réunit depuis quelque temps sous une tente dressée dans la cour du responsable de l’église, Jakob Ivachtchenko, ancien détenu, libéré seulement depuis l’automne 1988.

La tente est très simple : une bâche en plastique transparent recouvre un assemblage de poutres en bois et la paroi avant est garnie artistiquement avec un tissu bleu. Des planches épaisses coulées sur des supports en bois forment les bancs sans dossiers. Le fond de la tente est vide : ce sont « les places debout ». Des versets bibliques choisis pour la circonstance sont fixés sur les parois latérales.

Le culte dura presque deux heures : il y eut 6 prédications de 10 à 15 minutes, orientées à la fois vers l’enseignement et l’évangélisation. Le dernier prédicateur exhorta les auditeurs à prendre des décisions concrètes pour le Seigneur. De nombreuses personnes furent interpellées lors de ce culte. Plusieurs se convertirent le lendemain, leur lutte intérieure avait déjà commencé la veille. Il y eut aussi des poésies, des chants de la chorale ou d’autres groupes, des morceaux de musique auxquels participaient des adultes, des jeunes et des enfants.

Après le culte et un repas rapide, nous nous sommes remis en route avec les jeunes et le responsable d’église pour rejoindre le centre de la ville afin d’y tenir une réunion en plein air. Dès qu’ils entonnèrent le premier cantique, ils furent entourés d’une foule nombreuse qui écouta attentivement les prédications, les poésies et les chants. La réunion dura environ une heure et demie, puis on distribua des évangiles de Jean et des invitations pour la réunion du soir, où l’on se rendit après avoir répondu aux questions des auditeurs.

Peu avant cette réunion, on en organisa son déroulement et on désigna les frères qui devaient prêcher – ce qui ne veut pas dire qu’ils étaient pris au dépourvu : en général, les frères s’y attendent et s’y préparent. Des jeunes et des anciens prêchèrent et la réunion fut variée et vivante. À la fin de la réunion, des bibles furent proposées à ceux qui n’en avaient pas encore.

Des tziganes au culte.

Le premier mai – le lundi de Pâques – nous nous dirigeâmes vers un village ou plutôt un faubourg de Kiev où se réunit un groupe de chrétiens, dépendant de l’église de Kiev. Il fallut aménager le lieu de culte : une table fut placée dans la cour devant la maison et des bancs sous les cerisiers en fleurs. Les jeunes fixèrent sur le mur du tissu avec un verset biblique et la « salle de réunion » était prête ! Les voisins pouvaient facilement entendre les chants et l’orchestre, car l’endroit se trouvait en plein centre du village.

Pour commencer, nous étions 40 personnes – surtout des personnes âgées. Mais au bout d’une heure, le tableau changea complètement. Un nouveau groupe arriva, dont Jevgenii Puchkov, l’évangéliste et violoniste bien connu, et plusieurs tziganes. Un réveil a pris naissance depuis quelques années parmi les tziganes grâce à l’activité de l’église chrétienne non enregistrée. Ces visiteurs étaient venus à Kiev pour participer, le lendemain, à une rencontre de jeunes dans la forêt. En une heure, le nombre de participants fut de 200 à 300 personnes. La plupart des personnes devaient rester debout. Les nouveaux venus se joignirent spontanément au culte par des chants, témoignages, etc. Pour terminer, Jevgenii Puchkov donna un message d’évangélisation dans lequel il montra clairement comment on parvient à la nouvelle naissance, et termina par un appel à une décision. Plusieurs personnes s’avancèrent, dont une femme orthodoxe du village. On leur demanda de présenter la détresse de leur âme à Dieu. Ceux qui s’avançaient priaient et confessaient leur état de perdition.

Après chacune de ces prières, Jevgenii Puchkov demandait au concerné s’il croyait que Dieu lui avait pardonné. Sur la réponse affirmative, un des frères invoquait le secours de Dieu pour chacun des nouveaux convertis. Les prières de ces gens en russe, en ukrainien ou en langue tzigane devinrent autant de prédications pour les assistants, en sorte que de nouveau des enfants, des hommes et des femmes se convertissaient. La réunion se termina au bout de trois heures et demie. Visiblement saisis par cette réunion, les jeunes exprimèrent le souhait d’organiser une réunion en plein air et ils se rendirent en ville au monument Vladimir pour un nouveau rassemblement.

Deux heures pour des conversions…

Ces journées atteignirent leur point culminant lors de la fête pour les jeunes, organisée le 2 mai dans une forêt près de Kiev. L’endroit était bien choisi, dans une vallée étroite ; les participants pouvaient ainsi s’installer dans l’herbe sur les deux versants. Un haut-parleur mobile facilitait l’acoustique. Quelques affiches avec des versets bibliques délimitaient la place réservée à la réunion. L’air pur, le ciel ensoleillé contribuait à l’atmosphère particulière d’un culte en forêt.

Les gens, des jeunes pour la plupart, arrivaient en groupes et dépassèrent finalement les mille personnes. Dix minutes avant le début de la fête, les frères responsables et les divers dirigeants des groupes de jeunes se concertèrent pour établir le programme définitif. Un tzigane chrétien suggéra de prévoir au moins deux heures pour les conversions. Les jeunes qui chantaient dans diverses chorales d’églises furent rassemblés en une seule chorale. On fixa la fin de la réunion vers 17 heures.

Le responsable de la réunion constata que 7 heures étaient insuffisantes pour le déroulement de tout le programme. Il fallait donc renoncer à la pause de midi et manger le pique-nique sur le chemin du retour. Le responsable de l’église non enregistrée de Kiev, Jakov Ivachtchenko, introduisit la fête. Poésies, témoignages et allocutions furent encadrés par la chorale et un ensemble de trombones. Le thème du premier groupe était la médiation et Jésus auprès du Père Céleste. Le deuxième groupe traita de l’authenticité historique du récit de la résurrection du Christ. Le troisième groupe montra que Jésus-Christ est aujourd’hui encore le Vivant qui intervient dans la vie des hommes, ce qui fut attesté par quelques témoignages.

Les allocutions contenaient un appel à la conversion des incrédules. Cet appel devint de plus en plus précis, surtout pendant la quatrième heure, quand le frère Puchkov appela concrètement à la repentance, après avoir joué un morceau de violon et récité une poésie. Une personne après l’autre s’avança pour obtenir le salut en confessant son péché et son état de perdition devant Dieu et toute l’assemblée, et en se repentant. C’étaient des hommes, des femmes, des jeunes et des enfants, des personnes de familles athées ou chrétiennes ; certains avaient souvent assisté à des cultes, d’autres se trouvaient pour la première fois dans un rassemblement de chrétiens et n’avaient jamais su ce qu’est une prière. Tous avouèrent leur péché et confirmèrent au prédicateur qu’ils avaient reçu le pardon. Le programme se poursuivit, toujours à nouveau interrompu par des gens prêts à se repentir. Cela continua ainsi jusqu’à l’heure fixée. Parmi les convertis il y avait aussi des tziganes : deux jeunes filles et quelques jeunes gens. Plus de 80 personnes avaient pris la décision de suivre le Seigneur.

Une Bible fut offerte à chaque nouveau converti qui n’en possédait pas encore. Aux autres personnes, on proposa un Nouveau Testament. La distribution de la littérature fut un moment fort : les gens affluaient et on pouvait lire sur la figure des distributeurs combien ils étaient heureux de donner la Parole à des incroyants.

Puis, les jeunes gens se dirigèrent en groupes vers la gare de Kiev où devait se tenir une dernière réunion. Pendant le trajet dans le train de banlieue, ils chantaient des cantiques et répondaient aux questions des voyageurs. Le responsable de l’église parcourut le train en saluant les passagers de chaque wagon avec le salut pascal : Christ est ressuscité ! et tous, croyants et incroyants, répondaient : vraiment ressuscité !

Prière à travers le micro de la milice.

A 20:30 h, des jeunes se retrouvèrent sur la place de la gare et se mirent à chanter. Encouragés par la belle journée de communion dans la forêt, ils brûlaient du désir de parler de Jésus-Christ aux hommes. Un orchestre joua quelques mélodies, on récita quelques poésies et on prêcha avec flamme et, en peu de temps, une foule immense s’assembla autour des jeunes. Elle finit par atteindre 1’200 personnes.

Quand les jeunes annoncèrent une distribution d’évangiles les gens se serrèrent davantage et se les arrachèrent littéralement.

Quand tous les évangiles furent épuisés, on distribua des invitations au culte. Ces invitations avaient été imprimées par l’édition clandestine. Elles furent égaiement épuisées très vite. Puis les croyants continuèrent à chanter et à prêcher. Ils récitèrent des poésies. La foule devînt de plus en plus dense. Tout à coup, je vis passer un agent de la milice, photographiant la foule. Un autre s’y ajouta toujours en photographiant.

Lorsqu’un troisième agent accourut en gesticulant vivement, je compris que quelque chose allait se passer. En effet, les autos de la milice arrivaient, l’une après l’autre, et les miliciens entouraient la foule à une distance respectable, toutefois. Pour commencer, ils se contentèrent d’observer ce rassemblement sans intervenir. Puis une voiture spéciale s’arrêta sur la place et 10 à 12 hommes munis de casques et de matraques en descendirent. On entendit quelques cris, on vit une petite mêlée – et l’« unité spécialisée » était repoussée. Elle ne put arriver jusqu’aux chrétiens, la foule lui ayant barré le passage ! Les voilà devant leur véhicule, essayant, par haut-parleur, de convaincre la foule de se disperser ; « Camarades, nous vous prions de vous disperser ! Ce rassemblement est illégal. Vous n’avez pas l’autorisation de la municipalité ! ».

Quelques passants expriment leur indignation : « Quoi, faut-il maintenant avoir une autorisation de la Municipalité pour chanter ? Voilà notre Perestroïka, notre démocratie ! C’est de nouveau de la matière pour l’Occident. C’est une honte. Ils viennent chasser les chrétiens avec des matraques ! »

Aux gens qui m’entouraient, je posai des questions pour savoir s’ils étaient conscients de ce qui se passait. Presque tous avaient compris que des chrétiens chantaient des cantiques et qu’ils annonçaient Christ. Et ils ajoutaient, en passant, que chacun devrait pouvoir dire son opinion, avoir sa religion.

« Qu’est-ce que cela veut dire ? Que font-ils là ? » demandaient-ils au sujet des agents. Déjà la foule, pas les chrétiens, scandait : « dis-pa-rais-sez, dis-pa-rais-sez ! »

En vain les forces de l’ordre essayaient-elles encore d’amener la foule à se disperser au moyen de haut-parleur. Elles remontèrent donc en voiture et s’éloignèrent sous les applaudissements enthousiastes de la foule. Les chrétiens chantèrent encore un cantique. Les miliciens restés sur place essayèrent d’avancer jusqu’aux chrétiens, mais sans succès.

Tout était tellement différent de ce qu’on pouvait observer auparavant : autrefois, le peuple avait peur des autorités et s’éloignait discrètement dès que les miliciens arrivaient. Il n’en était plus ainsi : les gens formaient un cercle bien fermé autour des chrétiens qui continuaient de chanter et de témoigner du Christ ressuscité !

Les miliciens s’approchèrent tout près de la foule avec leur tout terrain, mais personne ne bougea. Alors, une voix d’homme retentit du haut-parleur : « Camarades, nous vous prions instamment de vous disperser. De tels rassemblements ne conviennent pas sur la place de la gare. Allez chanter sur la Place Centrale ». Celle-ci ne faisait sans doute pas partie du quartier pour lequel ces miliciens étaient responsables. À cette heure (il était déjà 22 h.), on n’aurait certainement plus rassemblé autant de monde… On entendit encore : « Nous vous en prions, chers citoyens, dispersez-vous ! » Déjà on voyait les chrétiens faire signe : « Oui, nous allons nous séparer », lorsque la voie d’une jeune fille résonna du haut-parleur de la milice : « Pour terminer nous allons encore prier, puis nous nous disperserons ». La jeune fille avait demandé le micro au responsable de la milice pour, prendre congé de tout ce monde – et l’homme avait consenti ! C’était peut-être la première fois dans l’histoire de l’URSS que des chrétiens purent se servir officiellement d’un haut-parleur de la police… Dans sa prière, la jeune fille remercia le Seigneur de la possibilité qu’il avait accordée de chanter et de publier Sa vie de résurrection sur la Place de la Gare. Elle intercéda aussi pour ceux qui avaient écouté ce message pour qu’eux aussi parviennent à la foi vivante et reçoivent une vie nouvelle. Elle termina par un AMEN vigoureux qui fut repris par toute la foule. Puis ce fut un triple « Christ est ressuscité » auquel la foule répondit chaque fois « vraiment ressuscité ». Et l’on se dispersa.

En ce moment, les autorités hésitent, sont troublées ne sachant pas toujours quelle attitude elles doivent prendre. D’après la loi, elles devraient intervenir – pour cela elles ont envoyé des hommes munis de matraques – mais elles craignaient d’intervenir durement, ne sachant comment réagirait le gouvernement Central. C’est pourquoi les chrétiens furent priés poliment de se disperser. En ce moment, toute la Perestroïka est pleine de contradictions. On peut affirmer cependant que les assemblées – et surtout les assemblées non enregistrées – utilisent pleinement ce temps pour annoncer l’évangile[1].

[1]      Reproduit avec autorisation du bulletin bimestriel, Foi, Souffrance, Bénédictions nᵒ 25, août 1989