Ici pour dur ciment nuit et jour on amassez-vous
Des étangs bitumeux l’eau gluantement grasse
Le tuiler[1] cuit ici dans se fourneaux fumants
EN brique la poussière. Ici les fondements
Jusqu’aux enfers on creuse, et les impures âmes
Revoient contre espoir du beau soleil les flammes[2]
Tout le ciel retentit au dur son des marteaux
Et les poissons du Tigre en tremblent sous les eaux
De tour[3] et de longueur les murs rougeâtres croissent ;
Leur ombre s’étend loin, déjà de loin ils paraissent ;
Tout bouillonne d’ouvriers, et les faibles humains
Pensent au premier jour toucher du ciel les mains
Quoi voyant, l’Éternel renfrogne son visage,
Et d’un son qui, grondant comme un orage,
par les champs nuageux, déracine les monts,
Et fait crouler du ciel les immobiles gonds.
« Voyez (dit-il) ces mains, voyez cette racaille,
Ces fils de la poussière. O, la belle muraille !
O l’imprenable tout ! Q que ce fort est sûr
Contre tant de canons braqués par ma fureur !
Je leur avais juré que la terre féconde
Ne craindrait désormais la colère l’onde ;
Ils se font un rempart. Je voulais qu’épandus[4]
Ils peuplassent le monde ; et les voici rendus
Prisonniers en un parc. Je désirais seul être
Leur loi, leur protecteur, leur pasteur et leur maître ;
Ils choisissent pour prince un voleur inhumain,
Un tyran qui veut faire à leurs dépense sa main,
Qui dépite[5] mon bras ; et qui, plein de bravade,
A ma sainte maison présente l’escalade.
Sus, rompons leur dessein ; et puis qu’unis de voix
Aussi bien que de sang, de vouloir et de lois
Ils s’obstinent au mal, et d’un hardi langage
S’animent, forcenés, nuit et jour à l’ouvrage,
Mettons un enrayoir[6] à leur courant effort
Confondons leur parloe ; et faisons que le père
Soit barabre à son fils, et sourd le frère au frère
Guillaume Salluste du BARTAS (1554-1590)[7]
[1] Ouvrier fabricant de tuiles
[2] Reviennent à la lumière du jour
[3] Pourtour
[4] Dispersé
[5] Méprise
[6] Frein d’une roue
[7] La Deuxième semaine. Le deuxième jour. Cité par Michel Braspart dans Du Bartas, Poète chrétien, Délachaux et Niestlé. Neuchâtel, 1947, p. 147-148. Voyez les Œuvres complets de Du Bartas (Trois volumes, Presse de l’Université de la Caroline du Nord, 1935-1940) et « La Sepmaine » S.T.F.M., Nizet, 1981, Paris, 2 vols.