Les racines évangéliques du Pentecôtisme

par | Résister et Construire - numéros 11-12

Introduction[1]

Lorsque des difficultés doctrinales, philosophiques, spirituelles ou morales surgissent dans des Églises ou des Associations d’Églises, ceux qui ont la charge d’y faire face ne s’attaquent souvent – quand ils osent encore affronter de tels problèmes – qu’aux manifestations les plus visibles du mal. Ainsi l’on traite les conséquences du mal et non ses causes, le fruit et non la racine. Cette thérapie ecclésiastique superficielle trop fréquemment pratiquée équivaut, bibliquement, à

« soigner à la légère la plaie de mon peuple », Jérémie 6:14

Il résulte d’une telle superficialité dans les soins apportés au mal, que nos milieux chrétiens sont frappés de nombreuses maladies, de nombreux désordres. Une telle dégradation est-elle réellement inévitable ? Le remède, dans cette situation comme dans d’autres, se trouve dans un retour à la Parole de Dieu, dans une nouvelle prise de conscience de toute la révélation divine comme loi contraignante pour ceux qui se réclament du statut d’enfants de Dieu et de citoyens du royaume des cieux. Les prophètes de l’ancienne alliance ne connaissaient rien d’un tel antinomisme, ni de l’agnosticisme néo-évangélique à la mode qui prétend qu’il n’est pas possible de savoir vraiment ce que dit la Bible sur une question controversée. Pour Ésaïe, par exemple, le retour à la sainteté et à la santé du peuple de Dieu n’était pas chose compliquée :

« À la loi et au témoignage ! Si l’on ne parle pas ainsi. Il n’y aura point d’aurore pour le peuple. » Ésaïe 8:20

Jérémie lui aussi connaissait fort bien le chemin du rétablissement moral et spirituel du peuple de Dieu :

« Placez-vous sur les chemins, regardez,

Informez-vous des antiques sentiers :

Ou donc est le bon chemin ? Marchez-y,

Et trouvez le repos de vos âmes, Mais ils répondent :

Nous n’y marcherons pas.

J’ai suscité pour vous des sentinelles.

Soyez attentifs au son du cor ! Mais ils répondent :

Nous n’y serons pas attentifs. C’est pourquoi, écoutez nations !

Et toi communauté, reconnais Ce qui se passe chez eux ! Écoute, terre !

Voici : c’est moi qui fais venir sur ce peuple le malheur ;

Fruit de ses pensées ;

Car, ils n’ont pas été attentifs à mes paroles ;

Quant à ma loi, ils l’ont méprisée, Qu’ai-je besoin de l’encens qui vient de Saba,

Du roseau aromatique d’un pays lointain ?

Vos holocaustes ne me plaisent pas,

Et vos sacrifices ne me sont pas agréables,

C’est pourquoi ainsi parle l’Éternel :

Me voici, je mets devant ce peuple des pierres d’achoppement,

Contre lesquelles trébucheront ensemble pères et fils,

Voisins et amis, et ils périront. » Jérémie 6:16-21

Les paroles que nous venons de lire sont fort appropriées au problème que nous examinons aujourd’hui. Nous devons constater de véritables catastrophes produites dans des églises évangéliques par l’épidémie charismatique. Nous nous attaquons aux problèmes spécifiques qu’elle nous pose : nature du baptême du Saint-Esprit et ses contrefaçons ; nature et durée des dons spirituels spéciaux ; discernement des esprits ; guérison divine, etc. De telles études ont leur place dans ce combat ; elles sont nécessaires, indispensables. Mais n’avons-nous pas là les symptômes d’un mal beaucoup plus ancien, d’une maladie spirituelle plus profonde qui ronge depuis plus de trois siècles les milieux chrétiens qui se veulent fidèles à la Bible ?

En effet, depuis l’apparition de l’arminianisme et du piétisme au XVIIe siècle, la foi évangélique a, dans une grande mesure – avec toutefois de notables exceptions – perdu conscience du caractère objectif, extrinsèque au croyant, du salut. Dans la prédication de l’Évangile l’accent a de plus en plus été mis sur l’aspect subjectif et personnel de la conversion et de la nouvelle naissance aux dépens de l’œuvre historique, unique et définitive de la croix de Golgotha. La régénération et la sanctification ont pris le pas sur la justification. Le mot propitiation en est venu à ne plus guère avoir de sens dans nos milieux évangéliques au point d’être banni de la plupart de nos traductions de la Bible. Nous avons petit à petit négligé et mis de côté la grande redécouverte des réformateurs : la parfaite justice du croyant, celle qui lui est imputée, mise sur son compte, par la foi en l’unique justice, tant active (son obéissance à la loi de Dieu) et passive (sa parfaite soumission au jugement de Dieu sur nos péchés) du Fils de Dieu, notre Seigneur et Sauveur Jésus-Christ. Nous sommes trouvés justes devant Dieu, non de notre propre justice, celle que nous obtiendrions par notre sanctification plus ou moins parfaite, mais par l’impeccable justice du Fils de Dieu qui, en toutes choses, a parfaitement obéi à l’unique règle de justice, la loi de Dieu. Le Dieu fait homme a parfaitement accompli pour nous la justice divine en vivant une vie sans péché et en subissant sur la croix l’exécution entière de toutes les rigueurs de la loi divine que nous méritions. Ainsi l’œuvre historique du Christ est le fondement de notre salut.

La justification précède logiquement notre régénération et notre sanctification. La thèse que je voudrais défendre dans cette étude est double :

  1. La doctrine évangélique du salut, qui insiste d’abord, et surtout, sur l’aspect subjectif du salut – régénération et sanctification – en mettant plus ou moins en sourdine l’œuvre objective du Christ – justification et propitiation – l’apparente davantage à l’enseignement traditionnel de l’Église catholique romaine sur la grâce infuse qu’à celui des apôtres ou de leurs fidèles continuateurs, les réformateurs du XVI siècle.
  2. Les erreurs charismatiques ne sont que l’aboutissement logique inévitable du subjectivisme évangélique manifesté par l’arminianisme, le piétisme, le méthodisme et, surtout, par les mouvements de sainteté parfaite du XIX siècle. Elles conduisent à la longue, inéluctablement, au retour à Rome, car leur théologie de l’Esprit est essentiellement celle de la grâce infuse agissant directement dans l’âme du croyant.

 

    LA GRACE INFUSE OU LA GRACE EXTRINSÈQUE AU CROYANT ?

    Connaissons-nous la doctrine catholique romaine du salut ? L’ouvrage classique du père Gervais DUMEIGE, Textes doctrinaux du magistère de l’Église sur LA FOI CATHOLIQUE, publié en 1969 avec les approbations officielles d’usage, nous renseigne avec précision sur l’enseignement de l’Église romaine[2]. Sur la doctrine de la justification voici ce qu’enseigne le magistère catholique :

    « Car de même que les hommes ne naîtraient pas dans l’injustice s’ils ne naissaient de la descendance corporelle d’Adam, descendance qui leur fait contracter, par lui, lorsqu’ils sont conçus, l’injustice personnelle, de même ils ne seraient jamais justifiés s’ils ne naissaient pas dans le Christ d’une naissance nouvelle où leur est accordée, par le mérite de sa Passion, la grâce qui les fait justes[3]. »

    Qu’est donc alors la justification de l’impie ? Le magistère répond qu’il s’agit d’un

    «… transfert de l’état dans lequel l’homme naît fils du premier Adam, à l’état de grâce et « d’adoption des fils » de Dieu (Ro. 8,15), par le second Adam, Jésus-Christ notre Sauveur. Ce transfert, depuis la promulgation de l’Évangile, ne peut s’accomplir sans le bain de la régénération ni sans le désir de le recevoir, suivant ce qui est écrit : « Nul ne peut entrer dans le Royaume de Dieu s’il ne renaît de l’eau et de l’Esprit Saint » (Jean 3:5)[4]

    Et plus loin :

    « En effet, bien que personne ne puisse être juste que par la communication des mérites de la Passion de notre Seigneur Jésus-Christ, cette communication s’accomplit dans la justification de l’impie, quand, par le mérite de cette Passion très sainte, la charité de Dieu est répandue par le Saint Esprit dans le cœur de ceux qui sont justifiés (Romains 5:5) et y demeure inhérente[5]. »

    Le magistère précise encore,

    «… nous sommes dits justifiés gratuitement parce que rien de ce qui précède la justification, foi ou œuvres, ne mérite cette grâce de la justification. Car, si ce n’est une grâce, elle ne vient pas des œuvres ; autrement (comme le dit le même apôtre) la grâce ne serait plus la grâce[6]. »

    Voilà la véritable doctrine catholique sur la justification, et vous êtes sans doute aussi surpris que moi de certaines résonances particulièrement évangéliques de ces textes. La négation catégorique du rôle des œuvres dans la justification est spécialement intéressante. Certaines expressions pourtant nous frappent : grâce qui les fait justes, ou la charité… y demeure inhérente, ou encore, du transfert à l’état de grâce[7]. Plus récemment, le cardinal Journet dans un ouvrage remarquable, Entretiens sur la grâce, précisait encore davantage la doctrine catholique sur la justification. Il y écrivait,

    « La justification (est) un terme théologique qui signifie l’acte par lequel Dieu transfère dans l’état de grâce quelqu’un qui se trouvait dans le péché. Il y a passage de l’état de non-justice par rapport à Dieu, à l’état de justice ou de sainteté par rapport à Dieu, d’où le mot de justification[8]. »

    Pour le cardinal Journet, la grâce n’a pas la signification première de pardon, de grâce juridique, mais de don, de faveur ou d’action de grâce, de reconnaissance. La créature est rendue

    «… participante de la vie divine en lui infusant la grâce créée[9]. »

    Cette grâce, en fait, ne passe pas explicitement par l’œuvre expiatoire du Christ, mais est versée dans l’âme du chrétien. Il ajoute :

    « Mais la justification, qu’est-ce au juste ? C’est le moment où, les grâces successives n’ayant pas été brisées, tout d’un coup la fleur donne son fruit : l’amour de Dieu envahissant l’âme la situe sur le plan de la grâce et de la charité, la sanctifie intérieurement, et c’est l’inhabitation de la Trinité. La justification se fait donc tout d’un coup, tout en comportant simultanément plusieurs aspects : Dieu pousse l’âme à faire un acte d’amour de Dieu et de renoncement au péché ; au même instant il lui remet sa faute et la purifie[10]. »

    C’est à cet enseignement, à première vue d’apparence fort évangélique, que les réformateurs se sont avant tout heurtés dans leur combat pour la restauration de l’Évangile du royaume de Dieu. Comme vous l’avez sans doute constaté, les textes catholiques que nous venons de citer confondent constamment justification, régénération et sanctification. En particulier, la doctrine biblique de la justification comme acte extrinsèque à l’homme, acte juridique se passant à l’intérieur même de la Trinité entre le Père qui juge et le Fils qui porte notre châtiment, est complètement escamotée, passée sous silence. Il s’agit d’une grâce infuse, non imputée, injectée dans l’âme du croyant par l’action du Saint-Esprit. Cette action du Saint-Esprit ressemble à ce supplément d’âme que le philosophe Henri Bergson réclamait pour une civilisation matérialiste desséchée. Ce qui s’est effectivement passé à la croix et lors de la résurrection du Seigneur Jésus-Christ ne semble pas avoir de place dans cette théologie de la grâce. Toute l’action se passe directement entre Dieu et l’âme. L’Emmanuel, le Dieu fait homme, le divin Médiateur ayant été écarté dans sa fonction médiatrice, il a fallu établir toutes sortes d’autres intermédiaires entre Dieu et les hommes, Tradition, Église, Sacrements, Prêtres, Saints, Marie, etc.

    L’enseignement des apôtres est tout autre. Nos péchés sont imputés au Médiateur, qui subit la colère divine à notre place. La parfaite justice du Dieu incarné nous est imputée. Tout se passe d’abord en Christ, hors du croyant : c’est cette justification par grâce qui assure au pécheur son statut de juste devant Dieu et le libère de toute condamnation. C’est la foi, don de Dieu, qui nous donne accès à ce pardon et à cette vie nouvelle. Le Saint-Esprit applique l’œuvre parfaite du Christ à celui qui se l’approprie par la foi et la repentance : c’est la régénération. Puis vient l’œuvre à long terme qu’est le perfectionnement graduel de la vie terrestre du croyant, sa sanctification progressive, son appropriation personnelle et existentielle de cette justice parfaite qu’il a en Jésus-Christ. Le Saint-Esprit applique l’œuvre du Christ petit à petit à tous les aspects de sa vie en le conduisant à se conformer à Jésus-Christ ; c’est-à-dire en l’amenant à s’identifier à tout instant à sa mort et à sa résurrection, afin d’obéir à la règle de la sainteté, la loi de Dieu. L’achèvement de notre sanctification, qui touchera l’homme tout entier, esprit, âme et corps, ne sera manifesté que dans la vie à venir lors du retour en gloire de Jésus-Christ, à la résurrection de notre corps. La perfection chrétienne n’est pas pour ici-bas.

    Le chanoine Georges Bavaud, dans un ouvrage remarquable, Le réformateur Pierre Viret, sa théologie, nous donne le meilleur exposé dont nous disposions aujourd’hui de ce que fut la foi des réformateurs. Voici la manière dont il définit la doctrine catholique des rapports entre la justification et la sanctification :

    « Dieu justifie le pécheur en retournant le cœur de l’homme, lui faisant abandonner sa fin mauvaise pour adhérer à sa fin authentique. Dans cette perspective, la vertu décisive qui obtient le pardon est la charité puisque c’est par elle que l’on change le pôle de sa vie. De même, dans cette problématique, les termes de justification et de sanctification désignent le même acte divin nous faisant passer de l’état de pécheur à celui de juste. La justification souligne la grâce qui transforme le cœur[11]. »

    Pierre Viret s’opposa de toutes ses forces à cet enseignement erroné ; citons-le :

    « La grande erreur vient de ce que ces pauvres aveugles n’ont jamais bien entendu ce qu’est la vraie foi […] ni ce qu’est la justification et de ce qu’ils ont aussi mêlé et confondu ensemble la justification et la sanctification qui doivent être distinguées[12]. »

    « Justifié, selon l’usage courant de l’Écriture, signifie être tenu pour juste, comme celui qui est absous et prononcé juste en jugement[13]. »

    « La justification est déjà parfaite en sorte qu’elle nous délivre de toute condamnation[14]. »

    Au contraire, la sanctification,

    «… n’est point encore parachevée en nous, ni cette obéissance que nous rendons à Dieu par elle qui n’est point encore parfaite mais fort imparfaite et seulement commencée en nous. En conséquence il ne faut pas recourir à la sanctification pour assurer nos consciences devant le jugement de Dieu, ce que font ceux qui, (soit en tout ou en partie), ont recours à leurs œuvres ou à celles d’autres que Jésus-Christ[15]. »

    Et Viret ajoute,

    « J’appellerai la justification l’imputation de la justice de Jésus-Christ qui nous est imputée et allouée par l’appréhension de cette miséricorde de Dieu en Jésus-Christ et par la foi en lui[16]. »

    La sanctification, elle, n’est pas une œuvre qui nous est extérieure. Voyons comment Viret en parle.

    « J’appelle sanctification cet autre bénéfice que Jésus-Christ nous apporte, quand nous le recevons et embrassons par vraie et vive foi, et cette autre grâce par laquelle il fait, par la vertu du Saint-Esprit, que cette justice qui est la sienne, par laquelle il couvre et efface nos péchés et qui nous est imputée et communiquée par la justification, a une telle efficace en nous que, non seulement nos péchés, qui nous accusaient et rendaient coupables devant Dieu de malédiction éternelle, sont entièrement effacés par elle, mais en plus elle change tellement notre nature corrompue en la sienne, c’est-à-dire en cette juste, pure et sainte nature de Jésus-Christ, que petit à petit nous renonçons à notre vieil homme pour vivre selon le nouveau. Car nous sommes faits de nouvelles créatures, dédiées et consacrées à Dieu, au lieu qu’auparavant nous étions entièrement dédiés au diable et au péché[17]. »

    Dans une ligne tout à fait semblable le Petit Catéchisme de Westminster répond à la question : « Qu’est-ce que la sanctification ? », par ces mots,

    « La sanctification est l’œuvre de la libre grâce de Dieu, par laquelle nous sommes, dans la totalité de notre être, renouvelés à l’image de Dieu, et rendus de plus en plus capables de mourir au péché et de vivre pour la justice[18]. »

    Le pasteur Stuart Olyott utilise ce Petit Catéchisme dans l’instruction doctrinale mensuelle qu’il dispense à l’Église Évangélique Baptiste de Lausanne. Il tire quatre enseignements de cet article sur la sanctification :

    « 1/ La sanctification commence par une transformation intérieure. 2/ La sanctification est un processus. 3/ Le croyant se donne à la sanctification, mais c’est Dieu qui opère en lui. 4/ La sanctification est opérée principalement par la Parole de Dieu[19]. »

    Nous voyons à quel point l’enseignement des Saintes Écritures, rétabli dans l’Église par l’action du Saint-Esprit lors de la Réforme, diffère de celui qui s’était installé dans l’Église pendant cette longue période de pénombre doctrinale que fut la domination spirituelle de Rome. A l’œuvre du Christ, sa vie humaine parfaite, sa crucifixion substitutive, sa résurrection – réalités spirituelles appliquées au croyant par l’action de la troisième personne de la Trinité, le Saint-Esprit l’on a substitué une action directe du Saint-Esprit dans l’âme du croyant, grâce infuse qui opère en lui une justification-sanctification indifférenciée qui ferait l’économie de l’œuvre objective de Jésus-Christ à la croix.

    Dans la deuxième partie de cet exposé, nous allons voir comment le protestantisme évangélique a peu à peu délaissé les conquêtes doctrinales et spirituelles des réformateurs pour revenir à une doctrine du salut ressemblant étrangement, par bien des côtés, aux enseignements de l’Église romaine. Nous verrons que le système théologique de type pentecôtiste, dont la pointe se trouve dans une doctrine du Baptême du Saint-Esprit – prétendument consécutif à la régénération et caractérisé par l’action directe de l’Esprit dans l’âme du croyant – est une variante moderne de la doctrine romaine de la grâce infuse et risque d’aboutir, à la longue, à la réintégration des mouvements spirituels qui l’adoptent dans le giron de Rome.

    Les diverses phases et formes de ce recul théologique et spirituel s’appellent arminianisme, piétisme, méthodisme, finneyisme, mouvement de sainteté, mouvement de Keswick, pentecôtisme et finalement, le charismatisme sous toutes ses variétés. Passons maintenant à un survol de l’histoire de ce déclin spirituel, de cette perte de lumière et de saveur chez des chrétiens qui se voulaient avant tout fidèles à l’Évangile.

     

    LES ORIGINES ÉVANGÉLIQUES DU PENTECÔTISME

     

    Remarques préliminaires

    Le déclin doctrinal et spirituel que nous allons décrire maintenant s’est avant tout produit dans des milieux chrétiens qui se réclamaient ouvertement de l’Évangile. Ces mêmes chrétiens évangéliques se dressaient, par ailleurs, contre un autre mouvement beaucoup plus grave encore : celui du rationalisme anti-biblique et anti-trinitaire, représenté par ceux que les réformateurs appelaient les libertins et dont un Michel Servet est un exemple assez typique. Les libertins sont les ancêtres des sociniens unitariens du XVII siècle, des déistes rationalistes du siècle des lumières et des matérialistes scientifiques et politiques antichrétiens et athées des deux derniers siècles. C’est de ce courant funeste qu’est née la critique biblique rationaliste et dialectique dont le fruit empoisonné est le libéralisme protestant, le modernisme catholique et la néo-orthodoxie barthienne et néo-évangélique. Cette tradition anti-chrétienne a forgé une exégèse d’abord rationaliste, puis dialectique. Celle-ci récuse tout le côté proprement transcendant de la révélation et développe une exposition dialectique qui prétend garder une certaine “orthodoxie”, sous le couvert d’un langage assez évangélique. Mais en fait il s’agit d’un agnosticisme exégétique, philosophique et éthique incapable de tirer des doctrines fermes et précises du texte de l’Écriture.

    Le mouvement que nous voulons étudier est évidemment tout autre. Les hommes dont nous allons examiner certaines erreurs doctrinales étaient pour la plupart des chrétiens évangéliques sincères, zélés et courageux, faisant presque toujours preuve pour la cause de Dieu d’une consécration et d’un dévouement qui demeurent exemplaires. Mais malgré leur attachement à l’évangélisation, aux œuvres de la foi et à une certaine forme de sanctification, ils se sont graduellement éloignés de l’enseignement des apôtres sur un certain nombre de points. Il ne s’agit pas de ces adversaires du dehors, comme le sont les théologiens apostats que nous venons d’évoquer, mais d’hommes qui ont souvent inconsciemment contribué, avec la plus grande bonne foi et certes à leur insu, à corrompre les fondements de la foi à partir de l’intérieur même des Églises. Ce mouvement doctrinal est évidemment lié à d’autres développements, en particulier dans les domaines éthique et philosophique. L’antinomisme, refus de l’autorité normative de la loi divine pour la vie individuelle et sociale, ainsi que l’idéalisme philosophique, refus de tout rapport essentiel entre la pensée humaine et la réalité, vont en effet de pair avec la détérioration de la doctrine biblique de la sanctification. Mais tous ces mouvements ont ceci de commun : ils mettent l’accent non plus sur la souveraineté, l’autorité de Dieu, sur la valeur normative de ses lois, de sa révélation, mais sur l’homme. Ainsi ils exaltent l’Homme et en font finalement la mesure de toutes choses. Voyons de plus près cette histoire.

    L’arminianisme

    La première étape est celle de l’arminianisme. Celui-ci tire son nom de Jakob Hermandzoon, ou ARMINIUS (1560-1609), théologien hollandais qui en fut l’inspirateur. L’enseignement d’Arminius se rapprochait du semi-pélagianisme de l’Église romaine par son insistance sur la compatibilité de la souveraineté divine avec un libre-arbitre véritable de l’homme esclave du péché. Par le fait que Christ, selon Arminius, est mort pour tous les hommes, le salut dépend davantage du libre choix de celui qui entend l’Évangile que du décret éternel de Dieu. La doctrine de l’impuissance totale de l’homme perdu cède le pas à un point de vue beaucoup plus favorable aux capacités spirituelles de l’homme irrégénéré. Nous ne voulons pas nous attarder sur ce mouvement, mais il est évident qu’il s’agit d’une première brèche dans la vision calviniste du monde. L’accent des réformateurs, portant à la fois sur la souveraineté de Dieu et la responsabilité de l’homme, est déplacé en faveur de l’homme.

    En France les enseignements d’Arminius furent adoptés, sous une forme modifiée, par Moyse AMYRAUT (1596-1664), longtemps professeur de théologie à l’Académie réformée de Saumur[20]. Ce déplacement d’accent de Dieu vers l’homme eut pour effet d’obscurcir les doctrines bibliques de la justification et de la sanctification, ouvrant ainsi la porte à de nouveaux développements[21].

    Le piétisme

    Le piétisme est un mouvement de renouveau spirituel qui se développa en Allemagne après la guerre de Trente ans, à la fin du XVII siècle, en réaction contre le dogmatisme desséchant et le manque de spiritualité d’une partie importante de l’Église luthérienne. Il s’opposa à la théologie et à la doctrine au nom d’une piété vivante et de la lecture personnelle de la Bible. Mais dans un zèle simplificateur, il sacrifia, au nom de la redécouverte d’une expérience chrétienne authentique, une partie importante des doctrines essentielles du christianisme. La différence capitale, par exemple, entre la justification et la sanctification, pierre d’angle du renouveau chrétien du XVI siècle, devint incompréhensible dans ce système de piété “vivante” qui ne voyait guère de sens à de telles distinctions théologiques.

    La tendance, déjà très manifeste dans l’arminianisme, à mettre l’accent sur la réponse humaine à la grâce de Dieu, se fortifia considérablement par l’importance donnée à l’expérience chrétienne, qui devint presque normative en elle-même. Cette démarche rompit nettement avec l’équilibre des réformateurs qui avaient tenu en une synthèse vivante et dynamique, tout à la fois une doctrine solide, une piété pleine d’espérance et une foi conquérante.

    Voici comment l’historien G.R. Cragg décrit certains aspects négatifs du piétisme :

    « La régénération était son thème majeur, et elle était définie, non comme doctrine théologique, mais comme l’expérience centrale et indispensable de tout véritable chrétien […] En intériorisant le Christianisme, les piétistes le rendaient souvent subjectif. […] Les sentiments tenaient une place si importante dans leur vie religieuse que le rôle de la raison en était fortement déprécié. L’intellect ne pouvant sonder les mystères de la destinée humaine, les sentiments et l’intuition devaient remplir ce rôle. L’attaque menée contre la raison était dirigée contre deux types d’adversaires : le théologien dogmatique et le libre-penseur rationaliste. Comme l’écrivait Zinzendorf : « Celui qui veut comprendre Dieu au moyen de son intelligence deviendra immanquablement un athée. » Le piétisme n’a pas su garder un équilibre convenable entre vitalité spirituelle et vigueur intellectuelle. Là se trouve son défaut le plus grave et la cause essentielle de sa stérilité théologique. […] Malgré la distance qu’il prenait à l’égard de tout débat théologique, le piétisme se voyait obligé d’insister fortement sur la responsabilité morale du chrétien[22]. »

    Plus loin Cragg, en commentant sur la durée relativement courte de l’influence de ce mouvement, tient des propos qui se situent au cœur de nos préoccupations les plus actuelles :

    « La manière dont le piétisme envisageait la doctrine était à la fois maigre et utilitaire. Il traitait la vie nouvelle simplement comme un processus subjectif, oubliant par là que la justification doit toujours être vue comme l’acte de Dieu. Il réduisait la conversion à la participation à une série quasi rituelle d’expériences devenues obligatoires. Une telle attitude impliquait que notre manière de sentir était déterminante pour notre acceptation par Dieu. Une pareille attitude est le signe certain que le légalisme a envahi la vie religieuse[23]. »

    Comme le fait remarquer très justement Donald W. Dayton, dont l’ouvrage, Les racines théologiques du pentecôtisme[24], va maintenant nous servir de guide dans la suite de cette histoire, une perte aussi grave de sens théologique conduit à court terme à ne plus percevoir les véritables dimensions de la vie spirituelle : on ne comprend plus, ni l’abîme du péché, ni l’immensité de la grâce. Une conséquence de cette réduction doctrinale et spirituelle fut l’idée présomptueuse et bien naïve que le chrétien régénéré pouvait entièrement surmonter son péché et parvenir, dans cette vie, à la perfection morale. Le chrétien n’était plus, à la fois parfaitement juste dans sa position de justifié en Christ, mais toujours obligé, dans sa vie ici-bas, de travailler avec crainte et tremblement à sa sanctification. Dans ce sens le piétisme préparait le chemin au perfectionnisme du méthodisme.

    Le méthodisme

    John WESLEY (1703-1791) fut sans doute la conquête la plus importante du mouvement piétiste. Même si Wesley est incontestablement un des géants de l’histoire de l’Église, il joua cependant un rôle crucial dans l’histoire des origines évangéliques du Pentecôtisme. A ses dons exceptionnels de prédicateur de l’Évangile, où il rivalisait avec les plus grands noms de son siècle, tels que George WHITEFIELD (1714-1770) et Jonathan EDWARDS (1703-1758), il joignait un don extraordinaire pour l’organisation des communautés chrétiennes qu’il fondait. Si nous devons ici critiquer certaines de ses orientations théologiques, dont les conséquences ultérieures furent particulièrement néfastes, il nous faut d’abord reconnaître l’immense bien que produisit son ministère infatigable dans toutes les îles britanniques, et surtout parmi les couches les plus pauvres d’une population déracinée et ébranlée par le traumatisme social de la révolution agricole et paupérisée par la révolution industrielle, alors dans sa première phase, particulièrement brutale.

    Wesley était l’héritier autant de l’arminianisme que du piétisme. Sa prédication était certes marquée par l’action souveraine de la grâce divine transformant les cœurs et les vies des hommes et des femmes qui écoutaient la proclamation de la Bonne Nouvelle, mais sa théologie mettait l’accent sur la participation active de l’inconverti à son salut et insistait, comme selon la mode piétiste, sur l’aspect central de l’expérience dans la vie chrétienne. Les préoccupations essentielles de Wesley n’étaient pas doctrinales, et sa théologie plutôt incohérente et contradictoire. Différents historiens ont donc pu lui prêter, sans trop déformer sa pensée, des vues assez variées. Sur un point, cependant, nous devons constater que son influence joua un rôle capital sur la route qui mène au Pentecôtisme : c’est sa théorie de la perfection accessible au chrétien par une expérience entièrement distincte de la régénération.

    En ce qui concerne sa sotériologie Wesley était bien plus centré sur l’œuvre de Christ que ne le furent ses successeurs méthodistes du XIX siècle. Wesley, selon l’historien Wood,

    « se rendait compte que la tâche spécifique du Saint-Esprit était de glorifier le Fils et d’appliquer les bienfaits de la rédemption du Christ[25]. »

    Même sur le plan de la sanctification, il enseignait la doctrine biblique d’une croissance graduelle dans la grâce et dans la sainteté, mais il avait été profondément marqué par sa conversion chez les frères moraves et par leur enseignement sur la possibilité d’une vie chrétienne parfaite. Il avait aussi été marqué par certains aspects de l’enseignement mystique catholique. Ces différentes influences l’ont conduit à préconiser pour le chrétien adulte, déjà avancé dans la voie de la sanctification, une deuxième expérience lui conférant une sainteté entière. Dans le processus de sanctification graduelle l’on parvenait à une expérience instantanée de sanctification totale. A partir de 1772, Wesley était pleinement convaincu de la possibilité d’une telle expérience. Mais il a toujours témoigné n’avoir jamais fait cette expérience lui-même. Pour Wesley,

    « Il est certain que tout nouveau-né en Christ a reçu le Saint-Esprit et que l’Esprit témoigne à son esprit qu’il est enfant de Dieu. Mais cela ne veut aucunement dire qu’il aurait obtenu la perfection chrétienne[26]. »

    Une telle conception de la perfection chrétienne implique de toute évidence une notion insuffisante de la gravité du péché et de l’étendue de son emprise sur l’homme. Comme c’est la Loi divine qui nous donne la mesure de notre péché, il s’ensuit que de telles conceptions doivent partir d’une notion défectueuse de la Loi. C’est en effet ce que nous trouvons chez Wesley. Pour lui,

    « Le péché est la transgression d’une loi connue. […] La transgression involontaire d’une loi divine ou inconnue est appelée péché de manière impropre[27]. »

    Une telle définition du péché simplifie beaucoup le problème de la sanctification. Mais, comme c’est bien souvent le cas, ses disciples allèrent beaucoup plus loin que leur maître. Joseph BENSON, dont les vues arminiennes furent la cause directe de la rupture finale entre Whitefield et Wesley, et plus particulièrement John FLETCHER (1729-1785), le successeur attitré de Wesley, commença à utiliser pour cette deuxième expérience l’expression, devenue depuis classique, de Baptême de Pentecôte du Saint-Esprit. Il serait intéressant de savoir s’il s’agit ici de la première utilisation de cette expression dans ce sens. Dans une lettre datée du 7 mars 1778, adressée à sa future épouse, Fletcher écrit,

    « Vous trouverez mes vues sur cette question (celle de la perfection chrétienne) dans les sermons de Wesley sur la Perfection chrétienne et sur le Christianisme biblique, avec cette différence que j’établirais une distinction plus précise entre le chrétien baptisé par la puissance pentecostale du Saint-Esprit et le croyant qui, comme les apôtres après l’ascension du Seigneur, n’est pas encore rempli de cette puissance[28]. »

    Fletcher allait jusqu’à parler (comme le faisait un Joachim de FIORE, (1132-1202) au Xllè siècle de trois époques spirituelles, celle du Père, celle du Fils et celle du Saint-Esprit. Notre époque, celle du Saint-Esprit, serait caractérisée par cette seconde expérience du baptême du Saint-Esprit en vue d’accéder à la puissance spirituelle. Fletcher ici s’est évidemment fortement distancié de l’enseignement de Wesley, mais ces vues nouvelles étaient promises à une belle carrière. Nous commençons à découvrir les racines historiques précises du pentecôtisme. Ce fut en Amérique que se trouva le terrain favorable à l’épanouissement de ces nouveautés.

    Le perfectionnisme américain de Charles Finney à A.J. Gordon

    Jusqu’à la fin du XVIIIe siècle, le méthodisme n’eut que fort peu d’emprise sur la vie des Églises américaines. Mais, déjà en 1820, la situation avait bien changé, car les méthodistes étaient aussi nombreux que les baptistes, alors en pleine expansion. Vers le milieu du XIX siècle, le méthodisme était devenu la force religieuse dominante des États-Unis. L’optimisme et la confiance en l’homme, caractéristiques de cette époque, se reflétaient dans l’arminianisme et le perfectionnisme méthodiste.

    C’est entre autres par les labeurs infatigables de Charles FINNEY (1792-1875) dans l’évangélisation que fut répandue, à travers cet immense pays, la doctrine méthodiste d’une perfection chrétienne obtenue instantanément par une expérience distincte de la nouvelle naissance. Cette doctrine était enseignée au Collège d’Oberlin où Finney était professeur. À ses débuts, Oberlin fut présidé par Asa MAHAN. C’est là que la recherche passionnée d’une entière sanctification aboutit à l’expérience d’un Baptême du Saint-Esprit, censé conférer à celui qui le recevait une sainteté parfaite immédiate. Le perfectionnisme d’Oberlin était essentiellement de caractère méthodiste avec, en plus, un légalisme de type kantien, où la conscience de chacun établissait pour soi-même ses normes morales selon les limites de ses capacités personnelles. Dans son Cours de Théologie Systématique, Finney affirmait que,

    «(…) la loi morale n’exigeait rien de plus que la droiture de l’intention […] la sincérité ou la droiture de l’intention sont les équivalents de la perfection morale[29]»

    Finney avait adopté la « Nouvelle Théologie » pélagienne populaire dans les milieux unitariens de l’époque. Cela rendait son perfectionnisme bien facile. Il devient évident que le perfectionnisme ne peut que se manifester là où les exigences de Dieu sont considérablement abaissées. l’américanisation de la théologie méthodiste entraîna sa sécularisation, du moins partielle. Le passage se faisait imperceptiblement de la révélation à la raison, de la vision de l’homme foncièrement pécheur à celle d’un homme naturel, moralement neutre par essence, de la libre grâce de Dieu au libre arbitre humain[30]. Il n’est guère possible de surestimer l’influence qu’exerça la spiritualité d’Oberlin dans les milieux évangéliques américains pendant tout le XIX siècle. Sa vision arminienne et même pélagienne de l’homme orienta toute la pratique et la théologie de l’évangélisation américaine qui se sont développées par la suite.

    En 1845 déjà, un des professeurs d’Oberlin, John MORGAN, publie un article important sous le titre du Don du Saint-Esprit, dans la revue du Collège. Il y écrivait,

    « Le baptême du Saint-Esprit dans sa plénitude pentecostale n’est pas uniquement le privilège de l’Église primitive. C’est celui de tous les croyants. […] (il ne doit pas être confondu avec) l’influence de l’Esprit de Dieu par lequel les pécheurs sont convertis[31]. »

    A partir du réveil de 1857-1858 le vocabulaire s’inspirant de la Pentecôte commence à envahir tous les milieux évangéliques aux États-Unis. Le courant dominant, favorable à l’expérience d’une sanctification immédiate, s’appuie de plus en plus sur l’imagerie de la Pentecôte pour propager son message. Mais à partir de la Guerre de Sécession, l’accent porte beaucoup moins sur un baptême de sainteté que sur celui de puissance. Au fur et à mesure que l’on avance dans le siècle l’intérêt grandit pour tout ce qui concerne le Saint-Esprit. L’Esprit dont il est question devient maintenant égocentrique plutôt que christocentrique. Il témoigne de plus en plus de lui-même et accomplit de moins en moins sa tâche, apparemment révolue, de communiquer au chrétien tout ce qui concerne le Seigneur Jésus-Christ. S’il n’accomplit plus les tâches pour lesquelles le Christ l’a envoyé à la Pentecôte, il nous faut nous demander s’il s’agit en fait du même Esprit. En 1874, le pasteur David Steele, dans son Guide à la sainteté, exhorte les chrétiens à,

    « cesser de discuter sans fin sur des subtilités relatives à la question de la sanctification entière ou de la perfection chrétienne, mais bien plutôt de crier à Dieu de toutes leurs forces pour recevoir le baptême du Saint-Esprit[32]. »

    Tous ceux qui recherchent une vie plus profonde, selon les critères de la perfection méthodiste, sont emportés par ce courant. Relevons quelques dates qui marquent la croissance de ce mouvement :

    a) 1859

    Phœbe PALMER, dans son livre, La promesse du Père, évoque le thème de la pluie de l’arrière-saison, en partie pour justifier son ministère de femme-évangéliste, mais aussi pour inciter ses lecteurs à rechercher le « baptême entier du Saint-Esprit » qui a la vertu de conférer la puissance spirituelle à tous ceux qui le reçoivent.

    b) 1870

    Asa MAHAN, alors président du Collège Adrian dirigé par des méthodistes perfectionnistes, publie son ouvrage célèbre sur le Baptême du Saint Esprit, aujourd’hui encore un des piliers de la théologie pentecôtiste. C’est de là que date véritablement la doctrine du baptême du Saint-Esprit comme seconde œuvre décisive de la grâce, postérieure au salut, pour revêtir le croyant d’une puissance pour le service.

    c) 1867

    Au mois de juillet de cette année, fondation de la célèbre Association nationale de réunions d’évangélisation en plein air pour promouvoir la sainteté. Le but explicite est de promouvoir par des réunions publiques l’expérience pentecostale du baptême du Saint-Esprit,

    «… une expérience précise, positive, consciente et instantanée[33]. »

    La dernière décennie du XIX siècle voit la généralisation de ce genre de rencontre pentecôtiste dans la plupart des milieux évangéliques aux États-Unis. Il y a comme une obsession générale en faveur de l’actualisation dramatique de l’expérience de la Pentecôte. Les formulations de Fletcher ont totalement submergé aussi bien le calvinisme traditionnel que les explications proprement wesleyennes d’une sanctification entière.

    d) 1877

    Même le célèbre prédicateur D.L. MOODY (1837-1899) fait – selon la formule reçue – l’expérience de ce baptême. En 1877 il publia dans ses Discours doctrinaux un sermon intitulé « Le baptême du Saint-Esprit pour le service ». Il y écrit :

    « Dans un certain sens, et d’une manière restreinte, le Saint-Esprit habite tout croyant ; cependant, il existe aussi un autre don qui pourrait être appelé le don du Saint-Esprit pour le service. Ce don me semble être tout à fait différent et séparé, tant de la conversion, que de l’assurance du salut. Dieu a beaucoup d’enfants qui n’ont pas de puissance et la raison en est qu’ils n’ont pas le don du Saint-Esprit pour le service[34]. »

    Moody réaffirme la nécessité d’une deuxième expérience dans son livre très populaire, La puissance secrète, publié en 1881.

    e) 1899

    Reuben A. TORREY, qui succède à Moody à la tête de son Institut Biblique (à sa mort en 1899), est un partisan enthousiaste du Baptême du Saint-Esprit comme seconde expérience. Il répand cet enseignement par de nombreux ouvrages, tels que : Comment obtenir la plénitude de la puissance (1897) et Le baptême du Saint-Esprit (1895).

    f) 1875

    En Angleterre, à partir de 1875, le mouvement de Keswick avance dans les mêmes eaux, mais de façon assez prudente. La première moitié du XIX siècle avait vu le ministère de celui qu’on appelle le précurseur du mouvement charismatique, Edward IRVING (1792-1834), qui était parvenu par ses excès à effrayer la plupart des milieux évangéliques britanniques de son époque[35]. La fin du XIX siècle est plus propice à de nouvelles orientations. A Keswick, on s’intéresse davantage à la deuxième expérience du Saint-Esprit comme réponse au problème du péché que comme source de puissance. Asa Mahan porte ce mouvement de sainteté sur les fonts baptismaux peu de temps avant sa mort, et Moody assure des rapports fructueux avec le revivalisme américain. Ce mouvement anglais exerce une influence notoire sur des hommes d’envergure comme A. B. SIMPSON (1843-1919), fondateur de l’Alliance chrétienne et missionnaire[36], R.A. TORREY, Andrew MURRAY, pasteur sud-africain, auteur d’un grand nombre d’ouvrages d’édification, et A.J. GORDON, fondateur du célèbre Gordon-Conwell College aux États-Unis. Gordon, par une étude renouvelée du livre des Actes liée à ses expériences dans le travail de réveil, arrive à la conclusion éminemment pentecôtiste que,

    «… les Écritures semblent enseigner qu’il existe une deuxième étape dans la croissance spirituelle, étape distincte et séparée de la conversion ; parfois séparée de cette dernière par un laps de temps assez long, parfois presque simultanée. Nous parvenons à ce stade spirituel par un renouvellement particulier du Saint-Esprit et pas simplement par une croissance régulière[37]. »

    Le mouvement de Keswick eut un important prolongement à travers l’influence et des écrits de Jessie PENNLEWIS et d’Evan ROBERTS, célèbre prédicateur du Réveil du Pays de Galles, et de leur journal, le Vainqueur. Cette influence s’est, d’une façon inattendue, étendue jusqu’à nos jours par le moyen des écrits nombreux de Watchman NEE, également partisan des idées de Keswick et marqué par l’enseignement mystique et platonisant de Mme Penn-Lewis[38].

    La conclusion logique du développement que nous venons d’esquisser nous la tirerons du livre remarquable de Donald Dayton, qui nous a servi de guide pour une partie importante de notre voyage :

    « Au milieu des années quatre-vingt-dix du siècle passé toutes les branches des mouvements de Sainteté et de Vie Abondante, ainsi que les milieux de Réveil d’une manière générale, enseignaient tous, sous une forme ou sous une autre, le baptême dans le Saint-Esprit […] Ce ne fut donc guère un accident si le pentecôtisme apparut lorsqu’il le fit. Tout ce qu’il fallait était l’étincelle qui mettrait le feu aux poudres[39]. »

    Cette étincelle fut le parler en langues, signe miraculeux prouvant de toute évidence que la Nouvelle Pentecôte était enfin arrivée. Les ondées de l’arrière-saison avaient décidément commencé à tomber.

    CONCLUSION

    L’on affirme souvent que ce sont les chrétiens les plus assoiffés de vie spirituelle réelle qui se laissent prendre dans les pièges du charismatisme. Si être spirituel signifie se confier en ses expériences subjectives sans se soucier des enseignements dé l’Écriture Sainte, c’est sans doute le cas. Mais l’histoire théologique et spirituelle que nous venons de retracer prouve de toute évidence le contraire. De l’arminianisme au pentecôtisme, en passant par le piétisme et les divers mouvements de sainteté, nous assistons à une lente désintégration théologique et spirituelle qui détruit l’héritage de notre Foi. Les Lettres de Feu de Miles J. STANFORD, publiées en 1973 en français par la revue Résister[40], montrent, on ne peut plus clairement, à travers l’exemple tragique d’Evan Roberts, à quoi peut aboutir la deuxième expérience : à la dépression, à l’impuissance psychique la plus complète et à des attaques de forces mauvaises contre lesquelles il n’y a pas de défense. Ce n’est pas pour les exposer à de telles épreuves que le Père donne le Saint-Esprit à ses enfants. Sans doute ces mouvements religieux ont des prétentions grandioses ; mais où est donc leur force spirituelle, morale et politique ? L’apparence de la piété est là, et la plus spectaculaire des apparences, mais où est la réalité de la foi, la fidélité à la Parole de Dieu, le fruit du Saint-Esprit ? L’erreur de tous les mouvements dont nous avons fait un bref survol est de confondre, comme l’avait fait bien avant eux l’Église romaine, justification et sanctification. Notre perfection est en Christ et non en nous-mêmes. En Lui nous sommes sans tache, purs et irrépréhensibles. Mais notre pèlerinage terrestre est une marche, une course, vers un but que nous visons, la perfection, la sainteté parfaite. Cette perfection du corps, de l’âme et de l’esprit, nous ne l’atteindrons que dans le monde à venir où tout ce qui est mortel en nous sera absorbé par la vie sans fin et sans limites que notre Seigneur et Sauveur Jésus-Christ nous a définitivement acquise par sa mort et sa résurrection. Avec un des plus fidèles défenseurs de la Foi du siècle passé, J.H. Merle d’Aubigné, nous disons :

    « Cependant, Messieurs, il y a quelque chose à faire dans ce moment ou une guerre universelle semble engagée. Il faut maintenir les fortes doctrines de la foi, car elles sont le roc sur lequel la maison de Dieu doit subsister. Pour vaincre la fausse sagesse des Grecs et la fausse puissance des Juifs, il faut glorifier Christ crucifié, qui, dit saint Paul, est la sagesse de Dieu et la puissance de Dieu[41]. »

    Jean-Marc BERTHOUD

    [1]      Étude donnée pour le Groupe de Réflexion Biblique, Vevey (Suisse), 27 février 1988

    [2]      Gervais DUMEIGE : Textes doctrinaux du Magistère de l’Église sur la Foi Catholique (Imprimatur 1969), Édition de l’Orante, Paris 1975, 558 pp.

    [3]      Op. cit. p. 347

    [4]      Op. cit. p. 347

    [5]      Op. cit. p. 349

    [6]      Op. cit. p. 350

    [7]      Qu’il s’agisse ici véritablement de l’enseignement traditionnel de l’Église romaine est abondamment prouvé par la lecture des catéchismes de la Contre-réformation : Catéchisme du Concile de Trente, Éditions Itinéraires, nᵒ 137, septembre-octobre 1969) et Catéchisme de St. Pie X, Éditions Itinéraires, nᵒ 116, septembre-octobre 1967 Cet enseignement ne fait que reprendre, pour l’essentiel, celui de St. THOMAS D’AQUIN : Traité sur la grâce, Somme Théologique (1a-2ae Questions 109-114), Éditions de la Revue des Jeunes, Desclée et Cie, Paris-Tournai, 1929. Nous retrouvons ce même enseignement dans l’ouvrage du Cardinal Charles JOURNET : Entretiens sur la grâce. Éditions St. Augustin, Saint-Maurice, 1969, 229 pp. Ce dernier a été un des plus lucides et de plus vigoureux adversaires, dès le début des années vingt, tant du libéralisme protestant que de l’œcuménisme naissant qui témoignait déjà des tendances adoctrinales et socialisantes si largement répandues en cette fin du XX siècle dans tous les milieux chrétiens. Voyez ses remarquables ouvrages, Charles JOURNET : L’esprit du Protestantisme en Suisse. Nouvelle Librairie Nationale, Paris, 1926, 220 pp. Charles JOURNET : L’Union des Églises. Bernard Grasset, Paris, 1927,301 pp. Sur le point précis de la doctrine de la grâce infuse, l’enseignement de l’Église catholique n’à guère varié depuis Vatican Il, ainsi qu’en témoigne une conférence à Lausanne (26.1.1988) du Cardinal SUENENS.

    [8]      Charles JOURNET : Entretiens sur la grice, p. 93

    [9]      JOURNET : op. cit. p. 17 et 19

    [10]    JOURNET : op. cit. p. 97

    [11]    Chanoine Georges BAVAUD : Le réformateur Pierre Vire (1611-1671. Sa théologie, Ed. Labor et Fides, Genève, 1984, (341 pp.) p.189. Sur tout ce débat fondamental entre les réformateurs et l’Église romaine, voyez l’ouvrage magistral de Martin CHEMNITZ : Examination of the Council of Trent, Concordia, St. Louis, 1971-1986 (4 vols.) Sur la question de la justification par la foi seule, voyez T. 1 p. 455-552. Sur la doctrine de la justification, voyez également l’ouvrage classique de James BUCHANAN : The Doctrine of Justification, Baker, Grand Rapids, 1977,514 pp.

    [12]    Nos citations proviennent toutes de l’ouvrage magistral du chanoine Bavaud qui, en lui-même, constitue l’une des meilleures expositions de la Foi réformée disponibles en français aujourd’hui.

    [13]    Georges BAVAUD : op. cit. p.189-190

    [14]    G. BAVAUD : op. cit. p. 190

    [15]    G. BAVAUD : op. cit. p. 190

    [16]    Ibidem p. 190

    [17]    Ibidem p. 191

    [18]    Le Petit Catéchisme de Westminster, Question 35, Les textes de Westminster, Éditions Kerygma, Aix-en-Provence, 1988, p. 73

    [19]    Stuart OLYOTT : Un précis de la Foi chrétienne (texte non publié). Sur la doctrine biblique de la sanctification, voyez : John MURRAY : Sanctification, Collected Writings, Vol Il, p. 275-317 Banner of Truth, Edinburg, 1977. Voyez également la thèse de maîtrise remarquable de A.B.R. CLARK : Romains 7:14-26 et la doctrine de la sanctification, Faculté libre de Théologie réformée, Aix-en-Provence, 1987, 195 p.

    [20]    François LAPLANCHE : Orthodoxie et prédication. L’œuvre d’Amyraut et la querelle de la grâce universelle, P.U.F., Paris, 1965

    [21]    Voyez l’ouvrage toujours actuel de John L. GIRARDEAU : Calvinism and Evangelicel Arminianism compared as to election, reprobation, justification and related doctrines, Sprinkle Publications, Harrisonburg, 1984 (1890), 574 p.

    [22]    G.R. CRAGG : The Church and the Age of Reason, 1648-1789, Penguin Books, 1966 (1960), p. 104-105

    [23]    CRAGG op. cit. p. 106

    [24]    Donald W. DAYTON : Theologicel Roots of Pentecostalism, Asbury Press, Grand Rapids, 1987, p. 37

    [25]    A.S. WOOD : John Wesley, Theologian of the Spirit, Theological Renewal, 6, June-July 1977, p. 26. Cité par DAYTON, op. cit, p. 44. Pour tout ce qui suit, je suis profondément redevable au livre remarquable de Donald DAYTON.

    [26]    DAYTON, op. cit. p. 50. Voyez aussi le numéro spécial de la Revue réformée, No., 146, 4, 1986 consacré à Whitfield et Wesley.

    [27]    Cité par : Olivier BAUDRAZ : De la sanctification selon Watchman Nee (Mémoire de Maîtrise, Faculté libre de Théologie réformée d’Aix-en-Provence, 1984, 121 p.) Voyez aussi : Antoine SCLUCHTER : George Whitefield et John Wesley. Une controverse sur l’évangélisation (Mémoire de Maîtrise, Faculté libre de théologie réformée d’Aix-en-Provence, 1984, 210 p.)

    [28]    DAYTON, op. cit, p. 50. Fletcher, qui à l’origine s’appelait FLECHERE, venait de Suisse romande. Il s’établit en Angleterre en 1750.

    [29]    Voyez l’ouvrage irremplaçable sur tout ce mouvement de “sainteté” et en particulier sur Charles FIN NEY, de Benjamin B. WARFIELD : Perfectionism, Presbyterian and Reformed, Philadelphia, 1974 (1958) (464 p.) p. 70 Sur la théologie de Charles FINNEY, voyez l’étude de Charles HODGE : Finney’s Lectures on Theology, Essays and Reviews : Selected from the Princeton Review, Carter, New York, 1857 (Princeton Review, 1847) Reproduit dans le recueil : Mark A. NOLL (ed.) : The Princeton Theology 1812-1921, Presbyterian and Reformed, Phillipsburg, 1983, p.165-175 Clive TYLER : Charles Finney and the Disappearance of Revival ln : The Way ahead Cary Publications, Sussex, 1974 Miles J. STANDFORD : Fini Finney in : Lettres de feu, Résister, Genève, 1973, p.37-40 Il vient de paraître une étude fondamentale sur la vie et l’œuvre de Charles Finney par Keith J. HARDMAN : Charles Grandison Finney 1792-187& Revivalist and Reformer, Syracuse University Press, Syracuse (N.Y.) 1987

    [30]    DAYTON : op. cit. p. 68

    [31]    DAYTON : op. cit. p. 72

    [32]    DAYTON : op. cit. p. 79

    [33]    DAYTON : op. cit. p. 90

    [34]    DAYTON : op. cit. P. 102

    [35]    Arnold DALLIMORE : The Life of Edward Irving. The Fore-Runner of the Charismatic Movement Banner of Truth, Edinburgh, 1983, 188pp.

    [36]    A.W. TOZER : Wingspread. A.B. Simpson : A Study in Spiritual Altitude, Christian Publications, Harrisburg, 1943, 143pp.

    [37]    A.J. GORDON : The Two-Fold Lifei or Christ’s Work for Us and Christ’s Work in Us., Reveil, 1895, p. 33 et 46 Dayton op.cit. p. 106-107

    [38]    Viz : Olivier BAUDRAZ : De la sanctification selon Watchman Nee, op. cit. Miles J. STANDFORD : Lettres de Feu, op. cit.

    [39]    DAYTON op. cit. p. 107-108

    [40]    Miles J. STANDFORD : Lettres de feu, op.cit.

    [41]    J. H. MERLE-D’AUBIGNE : L’expiation de la croix, Beroud, Genève, 1867, p. 9.