Nous publions de nouveaux extraits de la correspondance suscitée par les numéros de la revue que nous avons consacrés à certaines déviations du christianisme ainsi que les réponses de la rédaction à cette correspondance.

Nous avons eu une correspondance suivie avec M. l’Abbé Augustin Fontannaz de Sion, ancien rédacteur religieux du Nouvelliste et Feuille d’Avis du Valais et récemment décédé :

« Je lis habituellement avec intérêt votre publication Résister et Construire, bien que je ne sois pas d’accord avec toutes les thèses que vous défendez au sujet de l’évolution. Je ne vois aucune opposition entre la théorie correcte de l’évolution et la doctrine de la création. Dieu n’a pas créé un monde tout Fait, mais un univers en constante transformation et confié à la responsabilité des hommes.

Votre dernière publication de mai-août m’a grandement surpris, comme une révélation-massue. Je croyais dépassé le protestantisme anti-catholique primaire et sectaire, cette conviction se trouve confirmée par de nombreux amis pasteurs. Vous donnez une preuve éclatante du contraire dans votre chapitre La grâce infuse ou la grâce extrinsèque au croyant.

Me dispensant de faire une critique détaillée de votre présentation de la position catholique, je me contente de vous demander le secret de la logique qui vous permet de conclure que « les textes catholiques que nous venons de citer confondent constamment justification, régénération et sanctification ».

Mes convictions catholiques, ma formation théologique, les textes que vous avez cités ne me suggèrent en aucune façon un tel confusionnisme.

Pour mon instruction et celle de vos lecteurs, par souci de vérité fraternelle, je vous demande d’expliquer dans une prochaine publication comment vous parvenez à une telle conclusion. Une telle mise au point me semble nécessaire pour assurer la crédibilité de votre action.

Me réjouissant à l’avance de votre réponse publique, je vous présente, Monsieur, mes félicitations et mes vœux pour un apostolat fécond. »

Voici la réponse que nous lui avons adressée le 9 juillet 1990 :

« Je vous remercie vivement de votre lettre du 18 juin dernier. Votre intérêt pour notre travail est un encouragement pour nous. Vous soulevez un certain nombre de points auxquels il serait difficile de répondre de manière satisfaisante en une courte lettre. Je me permettrai cependant les remarques suivantes.

En ce qui concerne la possible conciliation entre la doctrine biblique de la création et les hypothèses des différentes formes d’évolutionnisme je ne soulèverai qu’un seul point qui pour moi sur le plan théologique est décisif. Il s’agit du rôle de la mort, d’une part dans l’œuvre du salut et, de l’autre, dans l’évolution. Si la mort précède la chute que peut alors signifier l’expression de Paul : « La mort est le salaire du péché » ou encore, « Par le péché la mort est entrée dans le monde ? » La mort substitutive du Christ à la croix, subissant à notre place cette mort judiciaire que nous méritions individuellement pour nos péchés et collectivement pour le péché originel d’ Adam, n’a plus alors aucun sens. Ainsi l’acceptation de la théorie de l’évolution ne peut que rendre toute la théologie chrétienne caduque.

Mais, par ailleurs, si la mort suit le péché de l’homme, lui est postérieur chronologiquement, qu’en est-il alors de l’évolution des espèces elles-mêmes dont l’homme serait le sommet ? Car la mort est le moteur de toutes les formes d’évolutionnisme. Sans mort il ne peut y avoir de sélection des espèces les plus aptes à assurer le développement transformiste de la vie. On peut voir ici sur le plan du débat des idées à quel point notre Seigneur Jésus-Christ avait raison de voir une opposition catégorique entre deux réalités inconciliables : le monde sous l’emprise de Satan et le royaume de Dieu. Il faut être ou évolutionniste ou chrétien : il n’y a pas de milieu. A moins, évidemment, d’avoir une notion dialectique de la vérité, n’être ni pour ni contre, bien au contraire, comme le disent souvent les vaudois.

Mais là n’est pas le point majeur que vous souleviez dans votre lettre. Vous considérez que nous relevons, à tort, une confusion dans la doctrine catholique entre justification et sanctification. Comme le montre admirablement le chanoine Bavaud dans son ouvrage sur la théologie de Pierre Viret nous nous trouvons ici face au cœur du différend théologique qui a opposé protestants et catholiques romains au XVI siècle.

Si je comprends bien l’enseignement catholique, la justification serait communiquée au croyant par le sacrement du baptême. Il parviendrait ainsi à l’état qu’on appelle la régénération baptismale. La sanctification progressive du justifié découlerait normalement de cette justification-régénération sacramentelle. La justification serait ainsi conçue comme une œuvre de la grâce infuse de Dieu communiquant directement au croyant la justice du Christ par l’action de l’Esprit-Saint au moyen du sacrement.

L’enseignement de Jésus-Christ, de l’apôtre Paul et des réformateurs est tout autre. La justification est une œuvre extérieure au croyant, une œuvre extrinsèque, qui s’est produite une fois pour toutes dans ce que le Christ a fait et subi à la croix et dans sa résurrection. Cette œuvre de rédemption parfaitement accomplie en Christ est mise sur le compte du croyant ; c’est l’imputation de la justice du Christ à celui qui croit.

Il n’est évidemment pas possible d’en rester là. Une œuvre totalement extérieure au croyant et qui ne lui serait communiquée que par une sorte de foi abstraite serait une œuvre vide de sens. Une justification non accompagnée de régénération et de sanctification progressive et de glorification finale serait, comme l’enseigne clairement l’apôtre Jacques, une fraude spirituelle, une supercherie, un mensonge. Ainsi la sanctification avec toutes les grâces qu’elle réserve au croyant est la conséquence normale d’une véritable justification.

Regardons un autre aspect du problème, celui de l’assurance du salut. L’assurance et la paix du croyant lui viennent de sa justification devant Dieu. En Christ, Dieu le voit déjà parfait, bien qu’en lui-même il doive encore être sanctifié. C’est grâce à cette justification parfaite en Christ que Paul, après les angoisses du septième chapitre des Romains peut s’exclamer :

Il n’y a plus aucune condamnation pour ceux qui sont en Jésus-Christ. (Romains 8:1)

C’est pour cela aussi que le Nouveau Testament attribue à tous les véritables chrétiens le titre de « saints » car, en Christ, ils sont véritablement sanctifiés, mis à part pour Dieu, parfaits. C’est à cette réalité que ce réfère l’apôtre Jean lorsqu’il écrit :

Or vous le savez, lui (le Seigneur) est apparu pour ôter les pêchés ; et il n’y a pas de pêché en lui. Quiconque demeure en lui ne pêche pas ; quiconque pêche ne l’a pas vu et ne l’a pas connu. (1 Jean 3:5-6)

En Christ nous sommes parfaitement justes. C’est cela la justification. Mais cette justification doit pénétrer dans nos vies, d’abord par la régénération, ou le baptême dans le Saint-Esprit, dont le sens exact est exprimé par le baptême d’eau. Par la régénération le Saint-Esprit nous fait participer à la mort et à la résurrection du Christ. C’est l’Esprit Saint qui nous communique la réalité de la justification.

Comme vous le voyez, dans la perspective réformée la doctrine catholique confond l’œuvre particulière, unique, extrinsèque du Christ dans notre rédemption, avec l’application de cette œuvre au chrétien par le Saint-Esprit. La tradition catholique mélange ici deux œuvres radicalement distinctes : justification et régénération. Elle confond l’œuvre du Christ avec celle du Saint-Esprit. Il s’agit, à la rigueur, d’une atteinte à une saine compréhension du caractère des relations entre les membres de la Sainte Trinité. La rédemption est essentiellement l’œuvre du fils de Dieu ; l’application de cette rédemption, essentiellement celle de l’Esprit-Saint. Dans la perspective apostolique et réformée, la régénération n’est que le commencement de la sanctification sans laquelle nul ne verra Dieu. Elle trouvera son application ultime dans le dépouillement, par la mort du chrétien, de tout ce qui reste encore de mortel en lui, pour lui permettre d’être revêtu parfaitement de la justification en Christ. La résurrection de son corps et le renouvellement de toute la création au dernier jour seront les étapes finales de cette œuvre prodigieuse.

Mais ici-bas cette sanctification progressive n’est jamais parfaite. C’est pour cela que le même apôtre Jean dit également :

Si nous disons que nous n’avons pas de péché, nous nous séduisons nous-même, et la vérité n’est pas en nous. (1 Jean 1:8)

Pour le catholique, qui confond l’œuvre objective du Christ, la justification, avec l’œuvre subjective du Saint-Esprit, la sanctification progressive (application imparfaite et progressive de cette justification parfaite), il ne peut y avoir ici-bas de paix avec Dieu. Pour le catholique la doctrine réformée et apostolique d’une assurance actuelle du salut ne peut, en conséquence, qu’être signe de présomption et d’outrecuidance, car il sait bien que notre marche ici-bas ne peut jamais plaire entièrement à Dieu. Le catholique conséquent et droit agit comme si sa justice était en lui-même – quelle présomption ! – et non en son Sauveur ! Non ; notre assurance ne vient aucunement de notre propre justice, mais de celle qui a été placée sur notre compte en Jésus-Christ. Une telle assurance ne se fonde aucunement sur notre sanctification bien aléatoire mais sur la manière dont le Père nous regarde en Jésus-Christ son Fils, parfaits, sans taches ni rides, ni rien de semblable, irrépréhensibles.

Il est évident que de séparer le justification de la sanctification, comme si l’une pouvait exister sans susciter l’autre, est une erreur aussi grave que de les confondre. La lecture des Confessions de Foi de la Réforme montre que les réformateurs étaient conscients du danger d’un salut qui serait dépourvu des œuvres qui doivent nécessairement découler de toute vraie justification. Pour eux la prétention à un salut, sans la manifestation des œuvres découlant de ce salut, n’était qu’une contre-façon grotesque de la foi.

Pour terminer, remarquons simplement que cette doctrine catholique de la grâce infuse, qui efface la vraie doctrine biblique de la justification, fait reposer le salut sur des médiations humaines : ministères prétendument de succession apostolique, sacrements agissant de et par eux-mêmes, médiation de Marie et des saints, infaillibilité pontificale, Église conçue comme prolongement du Christ, etc. Ce système d’œuvres productrices de salut et bien différent de l’enseignement des apôtres et de leurs successeurs légitimes, les docteurs de la Réforme. Ces derniers font reposer le salut de l’homme uniquement sur la prédication fidèle de la Parole de Dieu, accompagnée de l’action du Saint-Esprit. Le prédicateur, tout en ayant sa part dans le plan de Dieu, reste un serviteur inutile, non un continuateur du Christ, comme le prétend la doctrine romaine pour l’Église dans son ensemble et, en particulier pour les détenteurs du pouvoir de l’ordre, les évêques. »

L’Abbé Fontannaz répondait le 13 juillet 1990 à notre lettre :

« Je vous remercie pour votre lettre du 9 juillet mais dois avouer qu’elle ne fait qu’augmenter ma déception car elle me semble manifester une méconnaissance totale de la théologie catholique. Je me contente de relever brièvement quelques points.

  1. La théologie catholique affirme nettement que la rédemption de l’humanité a été accomplie par le Christ, tout au long de sa vie et, plus spécialement, dans le sacrifice de la croix.
  2. L’application à l’homme de la rédemption ne se réduit pas à une simple imputation externe, elle provoque une véritable transformation intérieure par laquelle l’individu est délivré du péché et engagé dans une véritable relation de filiation à Dieu.
  3. Libéré du péché, l’homme reste cependant soumis aux conséquences du péché originel, placé dans un état de faiblesse spirituelle et morale, capable de trahir l’amitié divine.
  4. De là découle une exigence permanente de lutte pour combattre le mal et s’approcher autant que possible de la sainteté même de Dieu : devenez parfaits comme votre Père céleste est parfait. Cette marche vers la sainteté est l’œuvre de la grâce divine mais aussi des efforts de l’homme vivant de la foi. Dieu prend l’homme au sérieux, il le considère dans sa liberté et le rend en partie responsable de son salut.
  5. Vous prétendez que la tradition catholique « confond l’œuvre du Christ avec celle du Saint-Esprit ». En réalité, la tradition catholique est beaucoup plus humble, elle n’a aucunement l’outrecuidance de délimiter, déterminer, circonscrire les droits et compétences de chaque personne divine. Pleinement consciente de l’insuffisance de l’intelligence humaine, même illuminée par la grâce, elle affirme que toutes les actions divines ad extra sont l’œuvre de la Trinité entière.
  6. Je regrette de vous dire que ce que vous écrivez au paragraphe qui commence « Pour le catholique… il ne peut y avoir ici-bas de paix avec Dieu…» me semble relever d’une imagination délirante ou d’une désinformation malveillante plus que d’une étude sérieuse de la pensée catholique.
  7. Je m’étonne qu’un protestant sérieux puisse encore écrire que la « doctrine catholique… fait reposer le salut sur des médiations humaines » dans lesquelles vous intégrez pêle-mêle ministères, sacrements, médiation des saints, infaillibilité pontificale, Église, etc. Ne pensez-vous pas vous-même que vous en dites trop ?…

Je vous écris ces lignes sans acrimonie, mais avec une profonde tristesse. Je souhaite que vous vous sentiez un peu engagé dans une volonté sérieuse d’œcuménisme, ce qui impose un effort loyal de connaître réellement la pensée de « l’adversaire », autrement que par les présentations éculées et polémiques des époques des guerres de religions.

Il me plaît de constater que plus aucun penseur catholique ne se permet une présentation aussi caricaturale de la théologie protestante. Veuillez croire, cher Monsieur, à ma considération et à ma volonté d’œuvrer avec vous pour que triomphe la vérité du Christ, ou mieux la vérité de Dieu-Trinité. »

Le 1er août 1990 nous lui adressions la réponse suivante :

J’ai lu et relu avec beaucoup d’attention vos sept points. Ils m’ont frappé par leur forte ressemblance avec ce qui est enseigné sur la sanctification dans les milieux évangéliques calvinistes que je fréquente. Mais ils diffèrent fortement de ce que nous pouvons connaître de la foi catholique par les documents de base de votre Église tels, par exemple, le Dumeige… (Gervais DUMEIGE : Textes doctrinaux du Magistère de l’Église sur la Foi catholique, Éditions de l’Orante, Paris, 1975. Ou encore, The Church Teaches. Documents of the Church in English Translation, Tan Books, Rockford (Illinois) 1973).

À votre premier point je vous demanderais : L’œuvre de rédemption accomplie par le Christ est-elle complète en elle-même ou faut-il y ajouter des œuvres humaines et ecclésiastiques (choix de l’homme, mérites humains, sacrements agissant par eux-mêmes, etc.) ? En termes théologiques, le semi-pélagianisme de Thomas d’Aquin (en contraste avec l’enseignement de Paul, d’Augustin et de Calvin) est-il une hérésie, oui ou non ?

Je suis entièrement d’accord avec votre deuxième point bien que certaines précisions seraient nécessaires pour éviter toute ambiguïté. En particulier il serait utile de savoir quels sont les moyens de grâce indispensables à l’accomplissement d’une telle transformation.

Vos troisième et quatrième points demanderaient peut-être une formulation plus précise. Certes, l’homme qui est libéré du péché, de la condamnation qu’il méritait et qui était portée par Jésus-Christ est ainsi justifié devant Dieu. Mais en lui-même il est encore pécheur et doit lutter avec les forces que le Saint-Esprit lui donne contre les restes du péché (la chair), contre le monde et contre le diable (Romains 7). Cependant, ceux que le Père a donnés au Fils, le diable peut-il encore les arracher de sa main ? Voyez Jean 17. L’homme est indubitablement responsable de sa sanctification, sanctification à laquelle il doit travailler de toutes ses forces avec ce vouloir et ce faire que Dieu lui donne par le Saint-Esprit. Mais serait-il responsable de sa justification, de sa régénération, lui qui sans Dieu était mort dans son péché et qui en Christ, et par le Saint-Esprit, doit renaître à la vie éternelle ?

En cinquième lieu il est clair que l’on ne peut pas séparer les actions de la Sainte Trinité, Dieu est Un. Mais la Parole de Dieu nous enseigne explicitement qu’il y a des choses qui sont du ressort de l’une ou de l’autre des personnes divines. C’est du Père que le Fils est éternellement engendré. C’est le Père qui envoie le Fils. C’est le Fils qui meurt sur la croix. C’est l’Esprit qui communique au croyant tout ce que le Christ a fait pour lui. En affirmant de telles choses on ne sépare aucunement les personnes divines et on ne va pas au-delà de ce qui est révélé.

Votre sixième point mériterait d’être explicité. La doctrine de l’assurance du salut fait-elle aujourd’hui partie de l’enseignement infaillible du magister ? Si oui, il faut abroger certains canons du Concile de Trente.

Pour le septième voulez-vous dire qu’aujourd’hui les médiations humaines et ecclésiastiques ne jouent plus aucun rôle dans la théologie catholique ? De telles affirmations, par rapport à Marie, ont coûté fort cher au curé Grégor Daillard de Grächen dans le Haut Valais qui, comme vous le savez fort bien, fut excommunié séance tenante pour avoir mis publiquement en doute le dogme non biblique, mais catholique romain, de l’Assomption de la Vierge.

Enfin, l’unité que nous devons rechercher n’est-elle pas celle qui nous unit au Christ de plus en plus étroitement ? L’unité entre nous, l’unité entre les chrétiens séparés, ne peut que découler de notre unité avec Dieu, de notre amour et de notre fidélité aux enseignements de notre Seigneur. Le reste n’est que faux semblants. En attendant ne nous faut-il pas être honnêtes les uns avec les autres dans nos divergences elles-mêmes et cela dans un esprit de charité, de vérité et de foi, car ce n’est que Dieu qui peut changer nos pensées et nos cœurs ? »

Nous avons aussi pu entretenir une fort utile correspondance avec le Chanoine Georges Bavaud de Fribourg suite à notre article sur « Les racines évangéliques du pentecôtisme ». Le Chanoine Bavaud nous écrivait en date du 27 juin 1990 :

« Dans votre article : « Les racines évangéliques du pentecôtisme », vous me faites l’honneur de citer mon ouvrage sur le « Réformateur Pierre Viret », mais je ne crois pas que vous ayez bien compris la position catholique sur le mystère de la justification. Le pardon de nos fautes repose entièrement sur la passion rédemptrice du Christ, et, pour rejoindre une expression chère à la Réforme, le chrétien doit constamment demander au Sauveur de le couvrir du manteau de sa justice (expression qui évoque ici les mérites infinis de Jésus). Mais cette prière ne suffit pas pour que le pécheur soit justifié. Il doit recevoir la grâce de la conversion (la metanoia). Saint Pierre enseigne en effet : « Convertissez-vous donc et revenez à Dieu afin que vos péchés soient effacés » (Actes 3:19). C’est à la lumière de cette doctrine que le catholicisme considère que la justification et la sanctification sont le même acte divin qui nous arrache en même temps au péché (justification) et nous donne la vie d’enfants de Dieu (sanctification).

Sur ce point, Viret – vous l’avez cité – nous plaint, catholiques, d’être aveugles. Mais a-t-il suffisamment réfléchi à la différence qui existe entre un tribunal humain et celui de Dieu ? Lorsqu’un prisonnier est absous, le verdict du juge doit être suivi d’un second acte, celui du geôlier qui lui ouvre les portes de la prison. Au contraire, le verdict divin du pardon est par lui-même créateur de justice. Pensons au récit de la création. « Que la lumière soit. Et la lumière fut » (Genèse 1:3). La distinction si forte que les Réformateurs expriment entre justification et sanctification n’est-elle pas inspirée par un certain anthropomorphisme ?

A propos du mouvement charismatique, je ferai cette remarque : si les membres d’un groupe relativisent le baptême qu’ils ont reçu enfants, ils font évidemment fausse route. Mais si les rencontres de prières permettent un épanouissement de la grâce baptismale, alors ils peuvent s’appuyer sur l’Écriture. En II Timothée 1:6, saint Paul demande à son disciple de « raviver le don de Dieu qui est en toi depuis que je t’ai imposé les mains. » Si l’on doit raviver le don de l’ordination lorsqu’on est ministre, le chrétien doit demander à l’Esprit de raviver le don de la grâce baptismale.

Si vous avez la rubrique « Courrier des lecteurs », j’accepte volontiers que vous publiez ma réaction. »

Nous avons répondu le 9 juillet 1990 comme suit au chanoine Bavaud :

« Je vous remercie de votre bonne lettre du 27 juin dernier. Je tiens ici encore à vous féliciter et à vous dire toute notre reconnaissance pour le travail si précis, si respectueux des textes et si édifiant que vous avez consacré à la théologie d’une des figures les plus remarquables et, malheureusement les plus méconnues, de la Réforme du XVI siècle, Pierre Viret.

Votre lettre me laisse croire que la question de la distinction – non la séparation – de l’œuvre et, en conséquence, de la doctrine de la justification de celle de la sanctification n’a guère fait de progrès dans les discussions entre catholiques et réformés depuis les célèbres disputes du XVIsiècle. Il est curieux que l’enseignement biblique sur les deux étapes de l’œuvre de Dieu en notre faveur, la justification en Christ, et la sanctification qui est son application à nos vies, soit toujours si méconnu des docteurs catholiques, malgré tout ce que l’on prétend dire et faire en faveur de l’œcuménisme. Certes, à leur décharge, nous devons constater que rares sont aujourd’hui les protestants, et même les évangéliques, qui comprennent le sens de la grande reconquête des réformateurs et qui savent et osent publiquement défendre cet enseignement apostolique. Il est quand même réjouissant que ce point de vue ait pu, du moins en partie, être entendu lors de la conférence donnée par le Professeur Antony Lane du London Bible College à la Cathédrale de Lausanne le 19 mai 1990 pour célébrer le IX centenaire de la naissance de Bernard de Clairvaux.

Je ne puis que constater ici que la justification qui, selon l’apôtre Paul, est en Christ uniquement, est ramené par vous, et cela dans la grande tradition romaine, à l’homme lui-même. Mais ce n’est pas ce que nous pouvons faire, notre prière, notre conversion, ni même notre foi qui nous justifie, mais uniquement Christ crucifié et ressuscité pour les pécheurs. L’apôtre Pierre, dans le discours que vous citez en Actes 3, avant d’appeler les Juifs à la conversion, leur présente d’abord l’œuvre objective et extérieure à l’homme qu’est la rédemption accomplie une fois pour toutes en Christ. C’est l’Évangile qui nous sauve, pas notre foi, notre conversion, nos prières. Cette question constitue l’axe même de l’Évangile, axe faussé par le semi-pélagianisme thomiste et catholique du Moyen Âge et redressé par Dieu, pour notre salut, par la Réforme du XVI siècle. Car Paul ne prêche jamais la conversion du pécheur, mais Christ crucifié. Cet Évangile c’est,

« la parole de la croix… folie pour ceux qui périssent, mais puissance de Dieu pour nous qui sommes sauvés. »

Le don de la foi, la conversion, la régénération et toute la suite des grâces reçues, dont est tissée la vie du chrétien, ne sont que les conséquences de cette œuvre du Christ à la croix et de la prédication fidèle de cet Évangile aux perdus. Il s’agit de l’application au croyant par le Saint-Esprit de l’œuvre parfaite du Christ, mort et ressuscité pour notre justification.

L’œuvre de création que vous comparez par sa puissance efficace à l’œuvre du salut est, elle, une manifestation directe de la toute puissance du Dieu Trinitaire, Père, Fils et Saint-Esprit. Mais notre salut, la nouvelle création, est d’un caractère différent dû à la nécessité de résoudre le problème du péché. Elle passe d’abord par l’œuvre de justice et d’amour manifestée en Christ sur la croix. Justice de Dieu en ce qu’il accomplit en Jésus-Christ le jugement qui nous est dû. Miséricorde de Dieu du fait que le seul juste, Jésus-Christ, a été puni pour nous pécheurs. Si l’on dit, comme vous le faites, que la notion de justice divine manifestée à la croix n’est, au fond, qu’une image anthropomorphique, une accommodation aux conceptions humaines à ne pas prendre à la lettre, vous évacuez l’attribut divin de justice en faveur de son seul amour. Vous fabriquez là un dieu à l’image de vos préférences théologiques idolâtres et non conformes à la réalité divine elle-même telle que toute la Bible nous la révèle. Vous détruisez cette unité divine telle que la décrit, par exemple, ce texte si extraordinaire du psalmiste :

J’écouterai ce que dit Dieu, l’Éternel ;

Car il parle de paix à son peuple et à ses fidèles,

Pour qu’ils ne retournent pas à la folie.

Oui, son salut est proche de ceux qui le craignent,

Afin que la gloire demeure dans notre pays.

La bienveillance et la vérité se rencontrent,

La justice et la paix s’embrassent ;

La vérité germe de la terre,

Et la justice se penche du haut des cieux.

L’Éternel aussi donnera le bonheur,

Et notre terre donnera ses produits.

La justice marchera devant lui

Et marquera ses pas sur le chemin. » Psaume 85:9-14

C’est à la croix, hors de nous, que se passe cet événement décisif où la bienveillance et la vérité se rencontrent, où la paix et la justice s’embrassent. C’est là, à Golgotha, entièrement hors de nous-mêmes, que se produit l’évènement déterminant d’où découlent notre conversion, notre régénération, notre sanctification, notre glorification. C’est en Christ, à la croix, que je suis mort à mes péchés, à ma nature pécheresse ; c’est en Christ, dans sa résurrection que j’ai accès à sa parfaite justice. Tout cela doit être proclamé comme se produisant en un seul lieu, en un seul moment, à Jérusalem dans le lieu dit du Crâne, sous le gouvernement romain du procurateur Ponce Pilate. C’est cela l’Évangile. Tout autre enseignement ne peut être qu’une falsification de la Bonne Nouvelle. Ainsi, ce n’est jamais ce qui ce passe en nous qui nous sauve.

Pour ce qui concerne vos remarques relatives au charismatisme, je serais assez d’accord avec vos formulations s’il s’agissait, non du baptême sacramentel des petits enfants, mais de baptême du Saint-Esprit par lequel la Troisième Personne de la Sainte Trinité nous communique tout ce qui est à Christ. Il est clair que le Saint-Esprit renouvelle continuellement en nous cette œuvre première. Mais là n’est malheureusement pas ce que les charismatiques et les pentecôtistes entendent par le « Baptême du Saint-Esprit », seconde expérience spirituelle de type initiatique et gnostique, séparant les initiés des profanes à la manière de l’hérésie des Cathares, pour ne citer qu’un exemple.

Nous recevions du Chanoine Bavaud la réponse suivante, datée des 17 juillet 1990 :

« Étant le remplaçant du curé de Broc, j’ai reçu votre réponse qui m’a été transmise de Fribourg. Je vous remercie. Je n’ai pas l’intention d’entreprendre un long dialogue. Je voudrais simplement dissiper quelques malentendus.

Au XVI siècle, les Réformateurs n’ont pas critiqué les catholiques parlant du mystère de la Croix, car nous avons toujours prêché que Jésus a expié nos péchés en offrant à Dieu un acte d’amour que compense surabondamment la malice de nos fautes. Pour toute l’humanité a été constitué un trésor de grâce capable de sauver tous les hommes.

La controverse a eu pour objet l’application des fruits de la rédemption. Comment chaque chrétien est-il justifié ? Les catholiques enseignent : c’est par le même acte que Dieu justifie et sanctifie l’homme pécheur en changeant le pôle de sa vie par la contrition. Les Réformateurs prêchaient que l’acte par lequel Dieu justifie l’homme et ne lui impute pas ses fautes est distinct de l’acte par lequel il le sanctifie. J’ai demandé à un professeur protestant, Pierre Bühler de Neuchâtel, si notre position était contraire à l’Écriture. Il m’a répondu : « Non, bien qu’il préfère l’explication des Réformateurs. »

Dans votre réponse, vous accentuez tellement les divergences que vous risquez de rendre impossible un accord œcuménique (au moins un rapprochement).

Le 21 juillet notre aimable correspondant ajoutait :

« En me promenant dans la nature, j’ai songé à votre réponse : je ne retire rien de ce qui je vous ai écrit, mais il y a un aspect que je n’ai pas mentionné. Vous déclarez :

Ce n’est pas… notre prière, notre conversion, ni même notre foi qui nous justifie, mais uniquement Christ crucifié et ressuscité pour les pécheurs.

Vous auriez entièrement raison, si nos actes de foi et d’amour venaient entièrement de nous. Mais leur origine est en Christ. Il nous justifie en nous convertissant. Nous ne sommes que d’humbles causes secondes.

Je retrouve la position catholique dans ces lignes d’Alexandre Vinet :

On a dit que la sagesse chrétienne est d’être tranquille comme si Dieu faisait tout, et d’agir comme s’il ne faisait rien. Disons mieux : disons qu’il fait tout. Il nous a fait, nous qui faisons ; il fait en nous la volonté et le faire ; il fait par nous tous ce que nous faisons ; mais il le fait par nous et ne veut pas le faire autrement. (Homilétique, 1873, p. 24).

A ces mises au point, de retour de vacances le 31 juillet 1990, nous répondions :

« Il me semble qu’une différence claire et amicale est nettement préférable à une unité factice, à l’ambiguïté et à l’imprécision. Des hommes comme le professeur Pierre Bühler ou le Dr Billy Graham ne perçoivent plus le caractère précis de l’enseignement de l’Écriture sur le salut. Cela n’est guère surprenant car, tant la théologie rationaliste ou néo-orthodoxe des protestants, que le manque de théologie navrant des évangéliques, ne permettent plus de discerner ce que dit l’Écriture elle-même. Permettez-moi de vous dire très humblement que le Professeur Bühler vous a induit en erreur, certes sans le vouloir : la position que vous défendez en tant que fidèle catholique romain n’est pas fidèle à l’Écriture ; il en va même dans cette question de votre salut éternel. Vous écrivez que, « Jésus a expié nos péchés en offrant à Dieu un acte d’amour que compense surabondamment la malice de nos fautes ». Ce n’est pas ainsi que parle l’Écriture. L’amour du Christ pour les pécheurs se manifeste dans sa soumission aux exigences exactes de la justice divine. Sans l’obéissance du Christ la justice divine aurait été irrémédiablement offensée par nos fautes. C’est notre identification à la mort du Christ et à sa résurrection qui nous sauve. C’est notre croissante identification par la foi à ces actes accomplis parfaitement (« une fois pour toutes » nous dit l’épître aux Hébreux) qui est notre progressive sanctification. La grâce rédemptrice de Dieu n’est jamais séparée de l’œuvre du Christ sur la croix. Il ne s’agit aucunement d’un réservoir suffisant de grâces constitué par les souffrances du Christ pour le salut de tous les hommes, qu’ils soient identifiés objectivement, par la foi, à l’acte d’expiation et à la résurrection, ou non. Les doctrines de l’élection divine, de l’adoption des élus et de la réprobation des perdus sont toutes parfaitement bibliques, même si aujourd’hui elles ne sont guère populaires. Voici comment Paul parle du salut :

Mais en ceci, Dieu prouve son amour envers nous : lorsque nous étions encore pécheurs, Christ est mort pour nous. À plus forte raison, maintenant que nous sommes justifiés par son sang, serons-nous sauvés par lui de la colère. Car si, lorsque nous étions ennemis, nous avons été réconciliés avec Dieu par la mort de son Fils, à bien plus forte raison, étant réconciliés, serons-nous sauvés par sa vie. (Romains 5:8-10)

Sa mort nous justifie, nous réconcilie avec Dieu qui était juridiquement en colère avec nous ; sa vie, sa résurrection, nous sauve, nous régénère, nous sanctifie et le texte ajoute, nous glorifie.

Dans l’Écriture le mot grâce appliqué à l’œuvre salvatrice du Christ garde essentiellement le sens de pardon, de rémission d’une peine. Ce qui scandalise ceux qui mettent leur unique confiance en Jésus-Christ est l’enseignement catholique qui ajoute les œuvres du chrétien et celles du sacerdoce à la tâche parfaitement accomplie du Christ.

Ainsi sont créés de nouveaux intermédiaires entre Dieu et les hommes. Ainsi est abolie la grande innovation de la nouvelle alliance : la fin des médiations humaines de l’ancienne alliance, sacrifices, sacerdoce, prophètes, en faveur de la seule médiation, celle de Dieu Lui-même qui en la personne de Jésus-Christ son Fils, vrai homme et vrai Dieu, et en celle du Saint-Esprit, a accompli la prophétie merveilleuse de Jérémie :

Voici que les jours viennent,

— Oracle de l’Éternel –

Où je conclurai avec la maison d’Israël

et la maison de Juda

Une alliance nouvelle,

Non comme l’alliance que j’ai conclue avec leurs pères,

Le jour où je les ai saisis par la main

Pour les faire sortir du pays d’Égypte,

Alliance qu’ils ont rompue,

Quoique je sois leur maître,

— Oracle de l’Éternel –

Mais voici l’alliance

Que je conclurai avec la maison d’Israël,

Après ces jours-là,

— Oracle de l’Éternel –

Je mettrai ma loi au-dedans d’eux,

Je l’écrirai sur leur cœur ;

Je serai leur Dieu,

Et ils seront mon peuple.

Celui-ci n’enseignera plus son prochain,

Ni celui-là son frère, en disant :

Connaissez l’Éternel !

Car tous me connaîtront,

Depuis le plus petit d’entre eux jusqu’au plus grand.

— Oracle de l’Éternel –

Car je pardonnerai leur faute

Et je ne me souviendrai plus de leur péché.

Jérémie 31:31-34

Dans le sens d’une restauration de la médiation du sacerdoce et du magister judaïque, dont les tâches étaient de se tenir entre Dieu et les hommes et de les enseigner, l’Église catholique romaine est revenue aux pratiques de l’ancienne alliance, elle s’est profondément judaïsée. Il est évident que pour tout vrai chrétien ce n’est pas l’accord œcuménique ou le fait que nous nous rapprochions les uns des autres qui importent en premier, mais seulement l’accord véridique entre chrétiens, notre conformité à la Parole de Dieu et le fait qu’ensemble nous nous rapprochions de Dieu lui-même.

Pour ce qui est de votre seconde lettre sur notre participation à l’œuvre de Dieu, il nous faut à nouveau distinguer la justification qui est une œuvre à laquelle nous ne participons aucunement par nos actes de la sanctification où Dieu fait en nous le vouloir et le faire de telle sorte que nous pouvons et devons faire tous nos efforts pour parachever notre salut avec crainte et tremblement. Car, comme le dit Paul encore, ce n’est plus moi qui vit, mais Christ qui vit en moi. Le texte de Vinet que vous citez se rapporte manifestement à cette dernière. Il semble ici combattre la fausse passivité de ces chrétiens qui, se fiant à leur justification, pensaient pouvoir se passer de tout effort moral ou spirituel, erreur également constamment combattue par les réformateurs à l’exemple de l’apôtre Jacques. »

Ainsi se terminait cette correspondance amicale.

Sur ces questions nous recevions une lettre importante en anglais (que nous traduisons) d’un autre de nos lecteurs catholiques, M. Peter Wilders de Monaco, qui fait un travail remarquable pour combattre les erreurs pernicieuses de l’évolutionnisme. Voici ce qu’il nous écrivait en date du 28 juin 1990 :

« Dans votre article, « Les racines évangéliques du Pentecôtisme » vous partez de l’affirmation, parfaitement exacte, que pour résoudre les difficultés doctrinales, philosophiques, spirituelles et morales auxquelles les Églises doivent faire face, il nous faut nous adresser aux sources des erreurs et non simplement à leurs conséquences. Vous prenez comme exemple la doctrine du salut et le problème des charismatiques.

La majeure partie de votre article traite du salut et de ses aspects distincts, la sanctification et la justification, ainsi je limiterai mes remarques à vos arguments sur ce sujet. Votre recherche des origines de ce problème se dirige essentiellement sur les Réformateurs protestants. Vous citez quelques extraits de sources catholiques qui vous conduisent à la conclusion que l’Église catholique ne fait pas de distinction entre la justification et la sanctification. En fait, votre conclusion est erronée, la justification, au-travers du baptême, est le moyen de la sanctification. Mais ceci n’est pas directement l’objet de mes remarques. Le point que je veux soulever est celui-ci : même si vous pensez que votre argument est plus juste que celui de l’Église catholique sur quelle base peut-on arriver à déterminer qui a raison ?

Bien sûr l’on peut prendre position pour ou contre l’enseignement catholique, mais en dernier ressort ce que tous doivent connaître c’est la Vérité. C’est dans ce domaine de la Vérité que l’Église catholique, comme vous le savez, prétend avoir une position particulièrement forte. Les Églises protestantes, comme cela est fort bien connu et comme le confirme votre article lui-même, défendent des opinions diverses, même sur une seule question doctrinale. Quand il s’agit de l’ensemble des doctrines dont la Vérité représente l’enseignement de Dieu et notre seul moyen de salut, les différences entre les religions non-catholiques sont énormes et même à l’intérieur d’une « Église » l’on ne se trouve pas toujours d’accord. Ceci, bien sûr, paraît inévitable car chacun se réclame de la Bible comme son autorité et chacun prétend être inspiré par le Saint-Esprit dans son interprétation. Mais aucun de ces interprètes différents n’admet le fait que les interprétations de la Bible ne peuvent provenir du Saint-Esprit que si la source de ces interprétations est elle-même inspirée de Dieu. En d’autres mots il est assez présomptueux de croire que tout individu possède la grâce de recevoir une interprétation divine. Ceci ne peut évidemment pas être vrai car autrement toutes les interprétations seraient d’accord.

Dans l’Ancien Testament il y avait toujours une autorité d’inspiration divine : les prophètes. Dans le Nouveau Testament la situation doit logiquement être la même. L’Église catholique affirme que le Vicaire du Christ comme successeur de l’apôtre Pierre, agissant seul ou en accord avec les évêques, successeurs des autres apôtres, est investi de cette autorité divine. L’Église catholique appuie sa prétention sur l’Écriture. Si l’on désire prouver que l’Église ait toujours interprété l’Écriture de cette façon nous n’avons qu’à recourir aux lettres et autres documents échangés entre les membres de l’Église dans les premiers siècles de son existence. Ces documents confirment que le Pape a toujours été considéré comme la tête de l’Église revêtue de l’autorité suprême. Ils confirment également que l’interprétation des doctrines essentielles telles celles de la transsubstantiation, de la confession, etc., étaient alors les mêmes qu’elles sont aujourd’hui dans l’Église catholique.

Il est, en plus, seulement logique que le Christ n’ait pas donné l’enseignement qu’il avait transmis aux apôtres (l’interprétation de l’Ancien Testament, le sens de ses propres paraboles, etc.) sans établir une autorité inspirée du Saint-Esprit pour prévenir que toute autre interprétation que la sienne ne soit donnée à ses paroles. Comme le montrent les documents, de nombreuses paroles sont prononcées au nom de Dieu avec un tout autre sens que celui que leur attribuaient les apôtres ou leurs disciples. Ignorer la garantie de Vérité qu’offre l’Église catholique n’est sûrement pas sage.

Quiconque me dit : Seigneur, Seigneur ! n’entrera pas forcément dans le royaume des cieux, mais celui-là seul qui fait la volonté de mon Père qui est dans les cieux. Beaucoup me diront en ce jour-là : Seigneur, Seigneur ! N’est-ce pas en ton nom que nous avons prophétisé, en ton nom que nous avons chassé des démons, en ton nom que nous avons fait beaucoup de miracles ? Alors je leur déclarerai : Je ne vous ai jamais connus, retirez-vous de moi, vous qui commettez l’iniquité.

Ainsi quiconque entend de moi ces paroles et les met en pratique sera semblable à un homme prudent qui a bâti sa maison sur le roc. La pluie est tombée les torrents sont venus, les vents ont soufflé et se sont portés sur cette maison : elle n’est pas tombée, car elle était fondée sur le roc. Mais quiconque entend de moi ces paroles, et ne les met pas en pratique sera semblable à un homme insensé qui a bâti sa maison sur le sable. La pluie est tombée, les torrents sont venus, les vents ont soufflé et se sont abattus sur cette maison : Elle est tombée et Sa ruine a été grande. (Matthieu 7:21-27)

Malgré le modernisme qui ravage l’Église catholique aujourd’hui… le dépôt de la Foi hérité des Apôtres demeure intact. »

Voici notre réponse :

« Vous rapportant au dernier numéro de Résister et Construire (nᵒ 11-12) vous me faites remarquer que je n’ai pas compris la distinction qu’établit le Magister de l’Église catholique entre justification et sanctification. J’aurais ignoré dans mon analyse la signification et l’importance de la justification baptismale communiquée parle sacre ment du baptême et sa relation avec la sanctification qui en découlerait. La doctrine catholique de la justification baptismale placerait la justification dans l’enfant baptisé qui, par cet acte sacramentel, serait régénéré pour la vie éternelle. Sans entrer dans les questions capitales des pouvoirs que l’Église catholique confère aux prêtres et de la valeur ré-créatrice du sacrement en lui-même, il faut comprendre que c’est cette notion même de l’identification de la justification et de la régénération que combattaient les réformateurs. Pour les docteurs de la Réforme du XVIsiècle, qui en ceci suivaient l’apôtre Paul de très près, la sanctification qui commence avec la régénération (justification baptismale pour les catholiques) n’est que l’application personnelle au croyant des bienfaits acquis pour lui par l’œuvre objective du Christ à la croix. Ainsi la justification-sanctification catholique (sanctification des réformés) est uniquement une œuvre se manifestant à l’intérieur du croyant, une œuvre intrinsèque pour utiliser le terme théologique propre.

La doctrine biblique de la justification, rétablie dans sa pureté par les réformateurs du XVI siècle, est tout autre. Il s’agit d’une œuvre extérieure au croyant, œuvre parfaitement accomplie en Christ (et non pas en nous) et que la grâce de Dieu nous impute, met sur notre compte. Par la justification nous sommes déclarés justes et non faits justes. Ainsi cette œuvre ne fait pas du croyant un juste (au sens de la doctrine catholique) ; elle ne fait que lui imputer la justice parfaite du Christ : Dieu le voit ainsi au travers de l’œuvre de Christ, couvert du manteau de la justice du Christ. Cette justification extérieure est suivie nécessairement de la sanctification qui inclut régénération, conversion, croissance dans la sainteté, glorification, c’est-à-dire la transformation du chrétien à l’image du Christ. C’est la croissance dans la grâce, l’application croissante, par le Saint-Esprit, à tous les aspects de la vie du croyant de tout le contenu de l’œuvre du Christ à la croix. C’est pour cela que l’apôtre Paul affirme si fortement qu’il n’y a plus aucune condamnation pour ceux qui sont en Jésus-Christ (Romains 8:1). C’est la base inébranlable de notre libre accès auprès de Dieu, de notre assurance en Christ, de notre espérance, malgré le fait que chaque jour nous devons confesser nos fautes à Dieu et être purifiés de ces fautes par le sang du Christ.

Mais votre lettre aborde un tout autre sujet, sujet de la plus haute importance. Comment devons-nous, pouvons-nous avoir une connaissance certaine de la Vérité ? Vous conviendrez que le sujet est immense et qu’il n’est pas possible de lui donner une réponse tant soit peu complète dans le cadre d’une simple correspondance. Cependant, permettez-moi de faire les quelques remarques suivantes.

Ce que nous combattons tous les deux est évidemment le subjectivisme doctrinal. Il est intéressant de remarquer que c’est contre ce subjectivisme même que luttaient les réformateurs au XVI siècle. Comme vous le faites très justement remarquer ce subjectivisme peut se situer au niveau de l’interprétation individuelle. Mais, comme le remarquèrent Luther et ses collègues réformateurs, ce même phénomène subjectif se manifeste également au niveau des Églises et, bien sûr, aussi au niveau de l’enseignement prétendument infaillible de l’Église romaine. Les attaques des réformateurs contre certains enseignements de l’Église catholique sont souvent caractérisées par une démarche polémique – démarche plus tard reprise par Bossuet contre les protestants eux-mêmes – qui consiste à relever les variations sans fin des enseignements du Magister infaillible. C’est après un tel inventaire, souvent conduit de façon assez humoristique, qu’ils en venaient à montrer que ces enseignements variables du Magister étaient surtout contraires aux enseignements clairs de l’infaillible Parole de Dieu elle-même. Vous admettrez sans peine que les variations modernes du Magister infaillible de l’Église romaine ont pris, depuis cinquante ans, des proportions impressionnantes. Jusqu’à nouvel avis je ne vois pas que l’Église catholique romaine ait renoncé à sa prétention à détenir une infaillibilité dogmatique. Ce qui laisse soupçonner que sa conception de la vérité aurait de tout temps eût un caractère plutôt dialectique, variable en fonction des circonstances.

Comment pouvons-nous alors connaître la Vérité de manière certaine ? La question est d’importance, car il en va de notre salut lui-même. Il me semble que la solution nous est ici donnée par notre Seigneur lui-même, en particulier dans l’Évangile selon saint Jean. Examinons quelques-unes de ses paroles.

Si quelqu’un veut faire sa volonté (celle du Père) il reconnaîtra si cet enseignement vient de Dieu. (Jean 7:17)

Et plus loin dans le même Évangile nous lisons :

Comme il parlait ainsi, plusieurs crurent en lui. Jésus dit alors aux Juifs qui avaient cru en lui : Si vous demeurez dans ma parole, vous êtes vraiment mes disciples ; vous connaîtrez la vérité et la vérité vous rendra libres. (Jean 8:30-31)

Ceux qui suivent le Christ, les disciples, doivent persévérer dans la Parole du Christ (c’est-à-dire « faire la volonté du Père »), alors ils connaîtront la vérité (« reconnaîtront si cet enseignement est de Dieu »). Le chemin de la connaissance de la vérité se rapporte ici à la foi, à l’obéissance et à la persévérance du chrétien. Si la vérité est objective, extérieure à l’expérience que nous avons d’elle, l’accès à cette vérité passe par l’adhésion intérieure du chrétien. Il ne s’agit pas de quelque chose qui s’impose uniquement par la contrainte ou l’influence d’une autorité extérieure et qui pourrait, alors, ne représenter qu’une adhésion uniquement intellectuelle ou émotionnelle et qui ainsi se passerait de la foi et de l’obéissance persévérante du chrétien.

Car le Saint-Esprit qui a inspiré les Écritures Saintes en a fixé le canon ; il en a aussi fidèlement préservé le texte au travers des âges. Ce Saint-Esprit, Dieu lui-même, illumine également l’intelligence de ceux qui lui obéissent.

Nous sommes témoins de ces choses (de la mort et de la résurrection de Jésus-Christ), de même que le Saint-Esprit que Dieu donne à ceux qui lui obéissent. (Actes 5:32)

Nous ne sommes heureusement pas de ces gnostiques qui attendent la Vérité d’une pure illumination contemplative. Mais par l’obéissance de la foi nous travaillons à amener toutes nos pensées révoltées contre Dieu en captivité à l’obéissance de Jésus-Christ (Romains 12:1-2 ; II Corinthiens 10:5). Cela veut dire qu’il ne peut y avoir de croissance dans la vérité sans croissance dans la sanctification. La recherche de la vérité sans volonté d’obéissance à ce que l’on connaît déjà de la Parole de Dieu ne peut qu’aboutir à l’orgueil et, avec l’orgueil, à des montagnes d’erreurs. C’est ce qui, dans une grande mesure, est arrivé chez les innombrables dissidences protestantes. Mais il est évident que l’Église romaine n’est pas, elle non plus, à l’abri d’un tel danger, loin de là. Car Dieu ne donne pas ses perles aux pourceaux, de quelque dénomination qu’ils soient.

Un début de connaissance du cœur humain nous ferait comprendre sans peine un tel état de choses. L’Écriture ne nous dit-elle pas que notre cœur est trompeur par-dessus tout ? Mais la Providence ne nous a pas abandonnés à un si triste état. La venue du Saint-Esprit à la Pentecôte a vu l’accomplissement de la prophétie de Jérémie annonçant la nouvelle alliance où la loi serait dans le cœur de tous les élus qui auraient tous une connaissance personnelle de Dieu. (Jérémie 31:33-34).

Ceci ne veut évidemment pas dire que l’Église de Dieu n’a besoin ni de docteurs, pour l’édification des fidèles, ni d’études sérieuses, ni de respect pour les enseignements du passé. Mais ces docteurs ne possèdent pas une autorité semblable à celle des apôtres et des prophètes de la révélation biblique. Leur parole n’est pas non plus un prolongement de celle du Christ ainsi que l’entend la tradition catholique pour les affirmations infaillibles du Pape. Malgré les avertissements les plus nets de l’apôtre Jean dans l’Apocalypse, l’Église romaine, en s’attribuant à elle-même une infaillibilité dogmatique d’origine divine, a abouti à son auto-divinisation. Même si en théorie l’Église catholique affirme l’inspiration de l’Écriture, dans la pratique elle a constamment surajouté ses propres paroles humaines au canon infaillible clos de l’Écriture Sainte :

Je l’atteste à quiconque entend les paroles de la prophétie de ce livre : Si quelqu’un y ajoute, Dieu ajoutera (à son sort) les plaies décrites dans ce livre. Et si quelqu’un retranche des paroles du livre de cette prophétie, Dieu retranchera sa part de l’arbre de vie et de la ville sainte, décrits dans ce livre. (Apocalypse 22:18-19)

Où donc trouver purgatoire, assomption de la vierge, primauté des évêques de Rome, sacrifice perpétuel de la messe, etc., dans l’Écriture ?

Mais pour tous ceux qui sont véritablement attachés au Christ, qui le connaissent en vérité comme leur unique Sauveur et Seigneur, qui mettent toute leur confiance en sa seule grâce mais qui, cependant, divergent encore sur des points qui ne mettent pas en cause leur salut, Paul donne le conseil suivant :

Nous tous qui sommes des hommes faits ayons cette pensée, et si sur quelque point vous avez une pensée différente, Dieu vous révélera aussi ce qu’il en est. Seulement au point où nous en sommes parvenus, avançons ensemble. (Philippiens 3:15-16)

Pour clore cette rubrique des réactions de nos lecteurs, citons ces remarques datées du 10 septembre 1990 de M. Roger Barilier, anciennement pasteur de la Cathédrale de Lausanne :

« Je crois pourtant discerner dans votre exposé sur les « Racines évangéliques du pentecôtisme », une faille qui n’atténue pas l’erreur pentecôtiste ou charismatique, mais qui me semble affaiblir votre propre position. Dans les différentes étapes allant de l’arminianisme au pentecôtisme, en passant par le piétisme et le méthodisme, vous oubliez l’anabaptisme. C’est là, me semble-t-il, que se trouve la racine première de toute la dérive que vous condamnez avec raison. L’anabaptisme, et sa forme atténuée du baptisme, répond exactement au diagnostic que vous faites de cette dérive : « un enseignement centré moins sur Dieu et sur l’œuvre objective de notre salut, que sur les sentiments, les dispositions et la volonté des hommes perdus », « l’accent mis sur la réponse humaine à la grâce de Dieu », l’oubli du fait que « la justification précède notre régénération et notre sanctification » (je vous cite). Or vous êtes baptiste, et les « évangéliques » le sont généralement. C’est là leur première erreur. Ayant cédé à l’hérésie sur ce point, ne manquez-vous pas d’autorité pour dénoncer celle du pentecôtisme, qui ne fait après tout que découler du baptisme et de sa vision subjective et expérimentale de la conversion ? »

Voici notre réponse :

« Le phénomène baptiste dans l’histoire est assez complexe. Il suffit ici de faire remarquer que j’appartiens à la branche calviniste du baptisme. Cette branche a été marquée par des personnalités telles que John Bunyan, auteur du Voyage du pèlerin, que l’éminent théologien calviniste du XVII siècle, John Owen, considérait comme le plus remarquable prédicateur de son temps. Au XIX siècle nous trouvons dans les rangs des calvinistes baptistes un Charles Haddon Spurgeon, le plus grand des prédicateurs de son époque en Angleterre. Une partie importante du calvinisme britannique aujourd’hui est baptiste. Sur presque tout, sauf le baptême bien sûr, ils partagent les convictions de la réforme calviniste du XVI siècle, en particulier l’anti-individualisme de la doctrine de l’alliance. (Voyez à ce sujet la défense de la doctrine de l’alliance par le pasteur réformé baptiste, David KINGDON : Children of Abraham. A Reformed Baptist View of Baptism, the Covenant, and Children, Carey Publications, Haywards Heath, 1973.) II existe, il est certain, un baptisme individualiste marqué par une attitude non-confessionnelle, et souvent piétiste. Ce baptisme a des origines diverses dont certaines branches remontent aux Hutterites (dont Zwingli noya bon nombre dans la Limmatt) et les disciples de Mennon Simon au Pays Bas. Ces baptistes méconnaissent en général la doctrine de l’alliance et ont des tendances piétistes, rationalistes et individualistes. Les débuts historiques du mouvement de déviation que j’ai cherché à décrire dans mon étude ne sont pas du tout à trouver chez les baptistes (d’importance insignifiante à l’époque) mais bel est bien chez les réformés à tendance arminienne, d’abord aux Pays-Bas. Puis, à mesure que la foi réformée cédait face à la montée du rationalisme, on retrouva cette erreur pernicieuse dans tous les pays protestants. Il est clair que s’il fallait choisir entre le baptisme et la théologie de l’Alliance (choix qui n’est heureusement pas nécessaire) je me rangerais sans hésiter dans le camp des pédo-baptistes véritablement calvinistes. C’est cette perspective qui permet le rassemblement en bonne communion fraternelle dans la même Pastorale de Dijon des calvinistes, tant pédo-baptistes que baptistes. »