Situation critique des Chrétiens au Soudan

par | Résister et Construire - numéros 16-17

Immense pays de 2’500’000 km carrés mais peuplé de seulement 24 millions d’habitants, le Soudan (dont le Nord appartient au monde arabo-musulman tandis que le Sud se rattache à l’Afrique Noire) n’a aucune unité, ni géographique ni ethnique. C’est bien un des pays les plus éprouvés du monde, car non seulement il est le théâtre d’une guerre civile interminable et de nombreux coups d’État, mais encore il est marqué par le regain de pratiques esclavagistes à peine camouflées, et il souffre d’une famine qui actuellement prend des proportions alarmantes. Et les chrétiens de ce pays, qui déjà subissent les divers fléaux mentionnés ci-dessus, sont en outre cruellement persécutés par les musulmans, et de plus en plus en proie au fanatisme des intégristes islamiques.

La population du Soudan comporte 73 % de musulmans (Arabes, Berbères arabisés, également des Noirs) qui vivent dans les provinces du Nord et du Centre, ainsi que 17 % d’animistes et 9 % de chrétiens. Les animistes et la plupart des chrétiens sont des Noirs, les uns et les autres vivent principalement dans les provinces du Sud, provinces ravagées par la guerre civile qui oppose les forces gouvernementales nordistes (musulmanes) à l’« Armée de Libération du Sud-Soudan » du Colonel John GARANG. Il s’agit là de la reprise d’un premier conflit armé qui avait commencé en 1955 (dès l’indépendance du pays) pour se terminer en principe en 1972 ; mais il s’était poursuivi de façon latente, pour reprendre sur une grande échelle en 1983, quand le Général NIMEIRI, chef de l’État, décida d’introduire dans tout le pays la « charia », cette loi islamique qu’il voulait appliquer même aux non-musulmans.

La situation dans le Sud est donc devenue catastrophique, et dès 1987 Mgr WAKO, évêque de Khartoum, parlait d’un « réel » génocide, tandis qu’en 1988 il écrivait : « Tout est détruit, il n’y a plus d’écoles ni d’hôpitaux, la famine se répand, et tous ceux qui le peuvent s’enfuient vers le Nord. La situation de ces gens ne peut être pire. » Et pourtant elle n’a cessé d’empirer, car en 18 mois à partir de la mi-1988 il y a eu 600’000 morts au Sud-Soudan, qui en 1989 fut touché de plein fouet par – l’aggravation de la famine.

Esclavage

Deux courageux professeurs musulmans de l’Université de Khartoun ont publié en 1987 un livre révélant, avec témoignages à l’appui, l’esclavage dont sont victimes, avec les animistes, les chrétiens du Soudan. Selon ces auteurs 3’000 à 7’000 Dinkas, membres de la principale tribu du Sud et en majorité catholiques, étaient en 1987 victimes des esclavagistes à la suite de nombreuses razzias effectuées par les musulmans contre leurs villages. D’autres preuves de ce commerce d’esclaves chrétiens ou animistes ont d’ailleurs été recueillies par l’Anti-Slavery Society de Londres, qui a envoyé à ce sujet un rapport détaillé aux Nations Unies. D’autre part en janvier 1990 le Révérend Abbas GABOUSH, pasteur anglican soudanais, a accordé à une revue allemande une interview dans laquelle il a donné des exemples très précis d’enfants et de jeunes noires du Sud réduits en esclavage, puis rachetés par ses confrères ou par lui-même. De nombreux soldats gouvernementaux s’empareraient de jeunes au Sud, pour les revendre dans le Nord : des filles de 17 à 18 ans, des garçons de 10 ou 11 ans. Prix : 100 à 2’000 FF pour les garçons, un peu plus pour les filles.

Massacres de chrétiens

En 1964 des catholiques de cette tribu noire des Dinkas se sont réfugiés dans la ville de Diein, à l’ouest du pays, où ils ont vécu en bonne intelligence avec les Arabes musulmans, mais les 27 et 28 mars 1987 ces derniers ont organisé contre eux un véritable massacre, au cours duquel plus de 1000 chrétiens ont trouvés la mort après une chasse à l’homme sans merci à travers la ville, la plupart ayant été brûlés vifs.

Selon une dépêche des Pères Blancs d’Afrique reçue en R.F.A. fin novembre 1989, des soldats musulmans ont assailli des villages chrétiens dans la région de Lagawa (dans le Kordofan, province au centre du pays), et ils ont massacré plus de 200 chrétiens de façon horrible.

On signale également que d’autres massacres de chrétiens se sont déroulés, à une date non précisée (fin 89-début 90) dans la ville de El Jebelin, faisant 214 victimes selon les autorités soudanaises, tandis que des sources non gouvernementales parlent de 2000 morts.

Par ailleurs le pasteur suédois Erik-Gunner Erikson, qui en été 1988 a visité des camps de réfugiés soudanais situés en Éthiopie près de la frontière, a recueilli auprès de ces réfugiés des témoignages de massacres à grande échelle perpétrés par des militaires musulmans dans des villages du Sud-Soudan en majorité chrétiens, et cela parfois dans des conditions de férocité inouïes. Dans un village, 1000 personnes ont été tuées, 600 dans un autre, 300 ailleurs, etc. Selon les évaluations faites par ce pasteur sur la base de ces témoignages, le nombre des victimes de tous ces massacres pourrait s’élever à environ 25’000.

Autres persécutions et exactions

Les chrétiens sont victimes en permanence d’une loi datant de 1962 et selon laquelle aucune église ne peut être construite au Soudan sans autorisation de l’État. Or les demandes présentées sont systématiquement repoussées.

Par ailleurs les chrétiens n’ont aucun accès aux média officiels, qui diffusent uniquement la foi islamique. Bien plus, ces média et même quelques responsables gouvernementaux accusent les chrétiens d’être des blasphémateurs qui ne méritent pas de vivre.

D’une façon générale, la situation des chrétiens du Soudan est telle que Mgr. Wako, évêque de Khartoum, et Mgr. Makram, évêque d’El Obeïd (Province de Kordofan) n’hésitent pas à déclarer que sous la pression constante des intégristes islamiques, ces chrétiens sont menacés d’extermination.

La situation est effectivement grave dans le diocèse de Mgr. Makram, où les musulmans s’en prennent particulièrement aux dirigeants laïques, notamment aux catéchistes, dont un grand nombre ont été assassinés (certains d’entre eux furent crucifiés). En 1988 des prêtres furent chassés de leur paroisse. En février 1988 six catéchistes furent arrêtés à El Lagawa, fouettés et condamnés à deux ans d’exil dans une ville perdue. A partir d’avril 1989 des démonstrations et des scènes de violence ont encore fait des victimes parmi les catholiques noirs de cette même province du Kordofan, dans laquelle des églises, des centres sociaux et des écoles catholiques ont été soumis à rude épreuve.

C’est ainsi que l’église d’El Nahud a été attaquée par une centaine d’intégristes islamiques, qui ont détruit tous les livres et textes religieux, et terrorisé les 60 personnes qui s’y trouvaient (dont 40 enfants réfugiés du Sud), après quoi ces vaillants défenseurs de l’Islam se sont répandus dans la paroisse, pillant et saccageant notamment la maison occupée par des religieuses. Le centre de prière d’El Kamlin a de son côté été complètement détruit par le feu.

La situation et également très grave à Omdurman (une des trois cités qui composent Khartoum), puisqu’un groupe de musulmans a attaqué la maison occupée par les Sœurs de Mère Térésa, blessant gravement la supérieure et que le centre chrétien de Gala’a, situé dans cette ville, a été détruit par un incendie criminel le 30 avril 1989.

Nous sommes mal renseignés sur les protestants du Soudan, qui sont minoritaires ; toutefois on sait avec certitude que le pasteur Mataboush, âgé de trente ans, a été arrêté en 1988 et qu’il croupit dans la prison d’El Obeïd, après avoir été condamné à trente ans de prison à cause de ses activités d’évangélisation parmi les musulmans.

Les intégristes musulmans

Comme on l’a vu plus haut, le Général Nimeïry avait décidé en 1983 d’appliquer la charia, la loi islamique, dans tout le pays, donc aussi aux non-musulmans. En avril 1985 sa chute entraîna la suspension de l’application des dispositions pénales de cette loi, mais l’armée rebelle réclamait son abrogation définitive, et non la seule suspension, donc elle refusa de déposer les armes. Mais de son côté le Front National Islamique (F.N.I.) du Dr Hassan El Tourabi, n’a cessé depuis cette date de réclamer la remise en vigueur de la charia.

En avril 1989 l’Assemblée Nationale a officialisé par 154 voix contre 53 la suspension de la charia aussi longtemps que durerait la guerre civile, décision qui souleva les protestations du propre président de l’Assemblée, qui était membre du FNI et des autres députés de cette obédience. Mais cette victoire du bon sens fut de courte durée, car le 30 juin suivant une junte militaire sous les ordres du Général Omar al Bechir s’empara du pouvoir, qu’elle détient toujours. Mais ce sont des gens du FNI qui l’exercent, car ils n’ont cessé d’accroître le nombre et l’influence des membres et sympathisants du Front associés au pouvoir. C’est ainsi qu’en avril 1990 trois d’entre eux devinrent ministres et procédèrent à une épuration systématique. Mais dès son putsch de juin 1989 la junte, qui avait dissous le Parlement et interdit les formations politiques et syndicales, avait déjà commencé une répression féroce contre ses opposants, tandis que le FNI appliquait son programme d’islamisation au sein de l’Armée et des organes du pouvoir.

En 1989 le FNI avait d’ailleurs tenu à Khartoum une conférence secrète au cours de laquelle fut établi un « plan d’islamisation profonde du pays », afin que le Soudan soit musulman en l’an 2000[1]. Bien entendu la charia fut remise en vigueur. Le 7 décembre 1989 le Colonel El Amin Khalifa, membre de la junte, annonça que « la magistrature n’était désormais plus liée par ce qu’il est convenu d’appeler le suspension de la législation islamique ». Le pouvoir judiciaire était donc désormais libre de trancher (y compris les mains, bras ou jambes) selon la charia.

Tandis que des « Forces populaires de Défense » furent recrutées parmi les jeunes du FNI et entraînées par des spécialistes iraniens, un « Comité des 40 » contrôle au nom de la junte tous les organismes de sécurité et les incite à la répression. Ceux-ci déploient donc un grand zèle, de sorte que diverses organisations humanitaires signalent l’incarcération de plusieurs centaines « d’opposants » (voire un millier). Un certain nombre d’officiers qui avaient demandé que cesse la mainmise du FNI sur l’Armée furent arrêtés en avril 1990, et 28 d’entre eux furent condamnés à mort et exécutés.

L’islamisation menée actuellement par la junte militaire et le FNI confirme bien que l’avenir de la communauté chrétienne au Soudan parait de plus en plus compromis, comme le craignent les deux évêques mentionnés plus haut. On pourrait d’ailleurs craindre que la guerre du Golf persique ne rende cette situation encore plus tragique. Il ne faut en effet pas oublier que la junte et le FNI ont pris le parti de l’IRAK, de sorte que les masses musulmanes du Soudan ne seront certainement pas insensibles aux appels hystériques à la « guerre sainte » proférés sans cesse par le dictateur de Bagdad.

Guerre civile et famine

Nous ne pouvons quitter le Soudan sans insister sur ces deux fléaux[2] qui frappent ce malheureux pays. Les combats se poursuivent dans le Sud, à l’avantage global des rebelles, et les populations chrétiennes et animistes continuent donc à supporter le poids de ce qui est probablement la tragédie la plus sérieuses dans le monde aujourd’hui. Dans les zones affectées par les combats la situation de centaines de milliers de personnes déplacées est en effet dramatique, car elles manquent de tout. Fin 1989 le chef de la junte avait d’ailleurs bloqué les transports de vivres vers le Sud et pratiquement obligé les organisations humanitaires à partir. Au début de 1989 la situation alimentaire à Juba (capitale du Sud, 100’000 habitants plus 150’000 réfugiés) était telle que les rations étaient réduites à 200 gr. de maïs par jour et par personne. Et Mgr Lukudu, évêque de Juba, déclarait que le Sud-Soudan était le théâtre d’un véritable génocide, puisque la guerre et la famine y auraient fait 600 000 victimes en 18 mois de mi-1988 à fin 1989.

Mais la famine s’est depuis étendue au reste du pays, car la récolte de 1990 a été très mauvaise, et dès la fin de l’été on signalait une grave disette dans le Kordofan (province juste au SW de Khartoum). Des « émeutes de la faim », durement réprimées, ont d’ailleurs éclaté en novembre dans la capitale et dans plusieurs villes. Et la FAO (organisation de l’ONU pour l’agriculture et l’alimentation) a été en mesure, s’appuyant sur des données économiques précises, de prévoir avec certitude pour le Soudan une famine encore plus sévère, telle que cinq millions de Soudanais pourront être menacés de mort en 1991 si aucune mesure n’est prise. Que le Seigneur sauve ces malheureuses populations et protège les chrétiens contre l’Islam intégriste !

 Frédéric GOGUEL

[1]      Il s’agit là d’un plan d’ensemble, que nous avons exposé dans l’article paru dans le Nº 13-14 de ce bulletin (page 31) et qui résulte de la « Conférence islamique » réunie en 1980 à Lahore (Pakistan).

[2]      En réalité quatre fléaux, avec les coups d’État répétés et l’intégrisme islamique !