« Ne regarde point derrière » Sodome et la Suisse

par | Résister et Construire - numéros 2-3

« Comment la cité fidèle est-elle devenue une prostituée ? Elle était pleine de droiture, la justice habitait en elle … »

Comment[1], en effet, la cité fidèle est-elle devenue une prostituée ? Ses rues sont devenues des pièges de perversité. Ses devantures exposent des photos provocantes. Ses journaux transmettent des propositions honteuses, colonne sur colonne, jour après jour. Ses librairies étalent des publications obscènes, côte à côte avec de la littérature classique pour mieux nous leurrer. Ses cinémas sont devenus des lieux de voyeurisme – au fait, toute pornographie n’est-elle pas du voyeurisme ? Nos foyers mêmes ne sont point à l’abri de ces immondices : elles s’insinuent par la fente de nos boîtes aux lettres ; elles captent notre attention lorsque nous regardons le petit écran dans l’intimité de nos soirées familiales.

L’invasion de la pornographie

L’invasion de la pornographie dans nos vies est-elle, comme certains disent, l’effet de quelques turbulences non maîtrisables dans les profondeurs ténébreuses de l’esprit d’une société, turbulences qui vont se calmer au bout d’un certain temps, sans intervention de notre part ? Si oui, au bout de combien de temps ? Voilà quelque 20 ans que le peuple proteste ; au fait, c’était autour de 1965-66 qu’on disait : « A présent nous sommes au plus bas ; « les choses » ne peuvent être pires, donc elles s’amélioreront inévitablement, fatalement – il ne peut point en être autrement. » Par « les choses », vous aurez compris qu’il s’agissait de l’invasion grandissante de l’obscénité, allant de pair avec la dégradation des mœurs, les agressions sexuelles, la consommation de drogues, les faillites conjugales et financières, et l’apathie civique.

Mais non, « les choses » ne se sont pas améliorées ; au contraire, à partir de 1969 elles se sont mises à tomber en chute libre : toujours malgré les protestations des citoyens, et malgré nos lois parfaitement claires et incontestables. Pour qui est de bonne foi, nos lois sont amplement suffisantes pour nous protéger du fléau de la pornographie. Pour qui est de bonne foi. N’est-ce pas ici l’indication que cette vague de perversité n’est pas la conséquence de turbulences psychologiques non maîtrisables, mais que ces turbulences sont justement maîtrisées, voulues, programmées ? Je vais vous dresser un calendrier qui, je pense, vous démontrera comment des forces occultes ont miné nos bonnes habitudes ; comment ces forces nous ont dépouillé de nos droits de défense et ont dévitalisé notre démocratie jusqu’au point où nos autorités mêmes se mettent en contravention aux lois qu’ils ont promis d’honorer, promis au Souverain et juré devant Dieu.

La pornographie : l’école du crime

La pornographie, pourquoi pas ? Les psychologues ont essayé de nous faire croire à la valeur thérapeutique de la pornographie ; vous avez tous, sans doute, entendu cette théorie : celui qui veut tuer son frère n’a qu’à regarder une bande dessinée qui traite du fratricide pour se mettre à aimer son frère ; celui qui veut faire sauter un coffre-fort, n’a qu’à étudier un film approprié pour renoncer au lucre mal gagné ; celui qui a tel autre mauvais penchant innommable, n’a qu’à puiser dans la réserve sans fond pour perdre son penchant. Si seulement… ! Nous savons que c’est exactement le contraire qui se produit. Le mal fascine ; le mal est contagieux. Nous pourrions nous référer à des rapports venus des États-Unis, de la France, de l’Allemagne, du Canada, de la Grande-Bretagne et d’autres pays pour nous convaincre que la pornographie ne fait que propager le mal.

Mais il n’est pas nécessaire de nous édifier à la lecture d’exemples venant de l’étranger : balayons devant notre porte ! Je lis un article paru dans Le Matin du 8 mai 1986 :

« Dans le cadre de l’enquête sur la disparition samedi dernier (le 3 mai 1986) à Wetzikon (ZH), d’Edith Trittenbass, la police thurgovienne recherche un automobiliste barbu âgé de 25 à 30 ans. Cet homme aurait jeté, le même jour vers 17 heures, à Metzingen, une revue pornographique à une fillette de 10 ans. La police, qui n’avait toujours pas retrouvé la moindre trace de la petite Edith hier soir, recherche également le conducteur d’une voiture rouge qui a été vue dans la zone et à l’heure de sa disparition, de même que son sac d’école, rouge lui aussi. »

Édith n’a pas été retrouvée à ce jour.

Je lis un article paru dans le Vevey Riviera du 21 janvier 1986 :

« L’homme de 28 ans qui a violé, séquestré, blessé et tué avec un détachement qui révolte et déconcerte est-il le monstre que l’on croit sorti d’une de ces bandes dessinées qu’Edgar affectionnait à côté des revues pornos ? »

L’embarras des psychiatres (tiens !)

« Trop tard » disent les psychiatres, « pour un traitement quel qu’il soit. »

Nathalie, adolescente, n’est pas la seule victime de cette tragédie. Edgar, 28 ans, est aussi une victime. Il est le prototype de la personne au caractère instable, à l’enfance perturbée, qui, en d’autres circonstances, aurait peut-être pu mener une vie tranquille, modestement normale – en d’autres circonstances, c’est-à-dire, en des circonstances qui prévalaient jusqu’il y a 25 ou 30 ans. Il y avait aussi des Edgar dans le passé, bien sûr, mais alors la société était assez saine pour entourer, encadrer, soutenir, porter et supporter la personne fragile et vulnérable, lui permettant de se développer à son rythme. Ce n’est pas dire que la période avant celle de la pornographie envahissante fut absolument sans problèmes, sans tragédies, sans crimes. Certes non. Mais la société peut vivre avec un bouton sur le nez ; elle ne survivra pas à une gangrène galopante.

Il y a un Edgar qui somnole en chaque homme ; il y a une Grisélidis qui se cache en chaque femme. Le bon combat consiste précisément à maîtriser l’élément faible, de le façonner de sorte que, même que faible, il puisse spirituellement être utilisable – même si ce n’est que pour nous rappeler à l’humilité, à la prudence aussi – il ne faut jamais trop présumer de ses forces. Voilà la grande aventure de la vie ! La société, comme une chaîne, n’est pas plus forte que son plus faible maillon. Que fait-on lorsqu’on constate un maillon défectueux dans une chaîne ? On le renforce, n’est-ce pas ? on le ménage ; on le soulage ; on veille à ne pas le soumettre à l’effort de rupture. Or, les obscénités qui nous heurtent chaque jour nous soumettent tous – plus ou moins, bien sûr – à cet effort de rupture. Certains ne résistent pas. Edgar n’a pas résisté ; les assassins de Karen, Brigitte, Pascal, Patrick, la petite Espagnole, et Sarah, leurs assassins n’ont pas résisté. N’ont pas résisté les auteurs des 906 cas d’agressions sexuelles commis dans le seul canton de Zurich en 1981, dont 362 contre des enfants. La police zurichoise souligne le fait qu’il s’agit de 906 cas de plaintes déposées – en plus, il y a d’innombrables cas où le lésé hésite à porter plainte, et où les parents d’enfant agressé refusent de soumettre leurs enfants à des interrogatoires, estimant que l’enfant a été déjà trop traumatisé par l’agression, Dans sa conférence du mois d’août 1986, M. Laurent Walpen, commandant de la Police valaisanne, dit qu’en 1984 « il y eut en Suisse 2’363 enfants et adolescents qui furent l’objet de délits contre les mœurs ». M. Walpen ajoute : « Et encore, tous les cas n’ont sans doute pas été annoncés à la police ». Il parle aussi des suicides : « Une constatation troublante, en Europe, le suicide des jeunes est en augmentation constante et se trouve actuellement en deuxième position comme cause de décès, juste après les accidents de la route. » En Suisse, dit-il, nous déplorons chaque année environ 50 cas annoncés à la police de suicides de mineurs !

La pornographie et les affaires ?

La pornographie est comme la drogue en ce sens que le « consommateur » cherche toujours des sensations plus fortes, pour compenser l’accoutumance. Nous nous rappelons le cas d’Arthur B., trouvé mort par strangulation dans son appartement, les mains liées derrière le dos. L’article de la presse titrait : « Crime ou accident ? » Accident ? Comment au monde un homme étranglé, les mains liées derrière le dos, aurait-il pu trouver une mort accidentelle ? Les journalistes nous ont expliqué comment, deux jours plus tard. Arthur B. était un homme d’une certaine importance dans le monde des affaires, puisqu’il dirigeait la chaîne d’hôtels Nova Parc.

Ce mot « affaires » nous permet la transition à l’aspect financier de la vente de la pornographie. On parle des millions qui sont brassés par des commerçants en obscénités – et évidemment, il serait ridicule de gâcher la fleur de la jeune génération si ce commerce n’était pas lucratif, n’est-ce pas ? Toutefois, nous vous livrons nos observations durant ces deux années écoulées, pour ce qu’elles valent. Tout d’abord, nous n’avons vu que peut-être six clients passer à la caisse pour acheter un livre de bandes dessinées. Les autres lisent sur place, sans acheter. Surtout les enfants, chaque après-midi après l’école on voit une grappe d’enfants autour de l’étalage de bandes dessinées dans les librairies et aux grandes surfaces. Le prix d’un livre de bandes dessinées varie entre 5 francs et 43 francs. L’horreur se mesure au prix – mais, en général les livres se vendent à meilleur marché dans les grands magasins.

Reste la télévision où nous sommes tous appelés à contribuer aux frais des programmes bons ou mauvais.

A propos de la télévision justement : il y a deux ans qu’un ami du Tessin nous a téléphoné pour exprimer son grand étonnement et son indignation après avoir vu le film « L’Homme blessé » au programme de la Télévision suisse romande, ceci le jeudi 29 novembre 1984, à 22 h 20. Ce film ne laisse rien à l’imagination sur les ébats entre homosexuels. Nous n’avons pas pu nous empêcher de penser à Sergio, pas encore 14 ans, qui avait pris l’habitude de regarder la télévision jusque tard dans la soirée – il faudra peut-être expliquer les circonstances : Sergio avait perdu son père l’année précédente, et sa mère, bouleversée par cette perte, et presque dépassée par la responsabilité d’élever trois fils, cette mère n’arrivait plus à avoir l’œil à tout. Combien de Sergio ont vu ce film en Suisse, dans l’intimité du foyer familial ?

Ce film, « l’Homme blessé », a fait l’objet d’une plainte auprès de l’Autorité indépendante d’examen des plaintes en matière de radio-télévision. Cette autorité n’est pas entrée en matière et un recours de droit administratif a été déposé au Tribunal fédéral suisse. Ce recours a été rejeté par le Tribunal fédéral suisse dans la mesure où il était recevable. Ce film pervers est donc libre pour distribution.

Regardons les faits du point de vue de la mère de Sergio : elle paye la concession à la radio et à la télévision ; elle contribue, par ses impôts, à payer les dettes de la radio/télévision (car leur dépassement du budget est notoire) ; elle contribue aux frais de l’amorphe mais officielle (ou amorphe car officielle) Autorité indépendante d’examen des plaintes en matière de radio-télévision à Berne, et, puisque cette autorité s’est déjà démontrée complètement inefficace, elle participe encore aux frais d’une association régionale privée qui reçoit les plaintes d’auditeurs/téléspectateurs, association qui, lorsqu’elle dépose plainte, voit sa plainte rejetée par le Tribunal fédéral suisse, organe de justice, de sagesse et d’honneur, dont les frais sont également à la charge du contribuable ! Donc, la mère de Sergio est appelée à financer par cinq fois le scandale causé à son enfant !

Pour revenir sur la question de la rentabilité de la pornographie, elle reste posée : ce commerce est-il réellement lucratif ? y aurait-il peut-être une motivation autre que financière pour expliquer l’usurpation de notre littérature, de nos passe-temps, de nos journaux par la pornographie ? Un ancien conseiller national a avoué avoir reçu des sommes d’argent de l’URSS pour des buts « culturels ». Peut-être que ce qui est interdit à l’est, est tout juste assez bon pour nous. En tout cas, la première question posée par la douane, lorsqu’on passe de l’ouest à l’est, est : « Haben Sie Porno ? » qui veut dire « Avez-vous de la pornographie ? »

Petit calendrier de la porno

Je pense qu’il est temps de jeter un coup d’œil au calendrier que j’ai pu dresser principalement grâce aux renseignements fournis par mes amis et correspondants. Il commence au début de ce siècle :

1920

Voici un extrait de « Parti ouvrier et Religion » écrit par Lénine (1870-1924) : « Nous devons combattre la religion, c’est l’ABC de tout matérialisme, et par conséquent du marxisme… Mais le marxisme n’en reste pas à l’ABC. Il va plus loin. Il dit, il faut savoir combattre la religion… La lutte antireligieuse ne peut se borner à des prêches abstraits, elle doit être liée à la pratique concrète du mouvement de classe, qui tend à supprimer les racines sociales de la religion. »

Deux mots, diamétralement opposés, ressortent de ce passage ; ce sont : « matérialisme » et « religion ».

Nous oublions parfois que le décalogue est la forme perfectionnée, l’expression idéalisée de la loi naturelle. Il est la charte divine pour maintenir l’équilibre exquis de la création. En parlant de ce qui est naturel, il faut bien comprendre que la pornographie qui est accessible de nos jours, et jusqu’aux rayons de livres pour enfants, n’a rien de naturel. Le lecteur quitte le domaine de la raison pour basculer dans celui du délire.

1937

Voici un extrait du procès-verbal de la séance du Tribunal cantonal de Berne du 1ᵉʳ novembre 1937 (Die 1. Strafkammer des Obergerichts des Kantons Bern) : « Il n’est personne parmi nous qui n’ait eu l’occasion de se rendre compte que des misérables spéculent odieusement sur l’excitation de nos bas instincts et s’efforcent de corrompre systématiquement ce qui constitue les réserves morales du pays. Par les dispositions qui vous sont soumises, on veut essayer de réagir contre ces graves abus ; nous recommandons l’adoption des dispositions concernant la répression de la littérature pornographique que vous avez sous les yeux. »

1939

La guerre éclata, marquant une pause dans l’invasion par la pornographie, et remettant de l’ordre dans les esprits des exhibitionnistes qui se baignaient les seins nus sur la Côte d’Azur – oui, les femmes se baignaient les seins nus déjà dans les années 30 ; ce n’est donc pas une trouvaille osée des années 80. On remarque la rapidité foudroyante du retour au bon sens en cas de désastre : qu’il s’agisse d’une catastrophe naturelle, politique ou financière, on retrouve automatiquement le nord et les valeurs éternelles. C’est alors que les femmes remettent leur soutien-gorge, que le nombre d’athées diminue à vue d’œil et que tout le monde se jette à genoux pour implorer la miséricorde de Dieu.

A propos d’exhibitionnisme, à une vieille amie qui avait travaillé 18 ans comme infirmière auprès des aliénés à Soleure et à Zihlschlacht, j’ai demandé quel était le premier symptôme de la maladie mentale. Sans un instant d’hésitation, elle m’a répondu : l’exhibitionnisme.

1957

Extrait des « Cahiers Pédagogiques » N°3, du 1er décembre 1957 : « Le bon et le mauvais, le beau et le laid, le faste et le néfaste se réfugient au magasin des vieilles lunes et, au droit pur, se substitue le droit du plus fort. »

1960

Pendant les années soixante, la Suisse subit une véritable pollution par l’obscénité. le peuple proteste ; l’opinion générale est que le plancher a été atteint. Leurs protestations sont ridiculisées par la presse. Curieusement, dans presque tous les cas de protestation, les autorités judiciaires suivent le point de vue des journalistes, ceci malgré nos lois parfaitement claires et saines. Il y a juste assez d’exceptions dans les jugements pour déboussoler le peuple.

1969

C’est autour de 1969 que les autorités scolaires introduisent des cours d’éducation sexuelle. Les parents protestent. Éducation sexuelle… éducation sexuelle… comment éduque-t-on un enfant sexuellement ? Sans aucun doute, certains éducateurs avancent avec prudence. D’autres cependant sont sans scrupules – ou disons, pour leur laisser toutes les chances, qu’ils sont sans discernement. Même le médecin qui figurait parmi ceux qui lançaient l’idée de l’éducation sexuelle, même lui faisait des remarques difficilement acceptables, à tel point que les paysans du Gros-de-Vaud disaient : « Le pauvre docteur n’a plus toute sa tête ! » Un instituteur dans un bourg de la Broye permettait à ses élèves de 12-13 ans de tenir un journal intime où il était permis d’inscrire toutes les saletés qui leur passaient par la tête, y compris le collage de photos obscènes.

J’ouvre une parenthèse pour faire un saut chronologique : une mère de famille genevoise s’est plainte si souvent et si énergiquement à propos des cours de sexologie, que le directeur de l’école a changé la désignation du cours : désormais il s’appelle « Information sexuelle » – je ne sais pas si le contenu a subi une modification analogue. Pour donner un autre exemple, je sais qu’une jeune fille, exaspérée par les propos sur des questions sexuelles durant la leçon de catéchisme, a quitté la classe en protestant contre ce genre d’enseignement.

Le « Brückenbauer » No11 du 12 mars 1986 nous donne un récit de la méthode d’éducation préconisée tout récemment par un instituteur zurichois et approuvée par le Dr Jacques Vontobel du Pestalozzianum, méthode permissive (de la permissivité dite « naturelle ») avec « attouchements pour sentir la différence entre garçons et filles ». Cet article n’a pas tardé à susciter des protestations, en forme d’excellentes lettres écrites par des parents indignés, dans le « Brückenbauer » No16 du 16 avril 1986. Six lettres contre le cours de sexologie ont paru, et une seule lettre pour – cette dernière écrite par un instituteur !

Toujours entre parenthèses, en 1982, un autre instituteur zurichois avait une méthode très individuelle également de concevoir l’éducation sexuelle : il distribuait à des élèves un « manuel » avec un texte et des dessins de la plus vile perversité. Lorsque des parents protestent au moyen d’une lettre publiée dans un petit journal régional, ce sont ces parents qui se voient condamnés à une amende très élevée pour diffamation, sur plainte de l’instituteur ; l’instituteur, cependant, n’a pas été inquiété (référence : Obergericht des Kantons Zürich, 1. Strafkammer Nr 7/82 A).

Je ferme ici la parenthèse pour reprendre mon calendrier :

1970

Dès cette date, les mœurs tombent en chute libre. Le peuple proteste encore et toujours. Les journalistes biaisent le problème en parlant de « liberté d’expression ». Un peu partout, des autorités judiciaires ne donnent pas suite aux nombreuses plaintes et protestations – est-ce par crainte ? par connivence ? Au canton de Vaud, une pétition contre la pollution morale, munie de 16’560 signatures, est présentée le 15 mai 1974 au chancelier d’État.

Aucune suite positive n’est donnée à cette pétition, pas plus qu’aux autres protestations, notamment une plainte déposée, aussi en 1974, par F.L. contre le commerçant en pornographie qui nous est devenu familier et qui avait vendu une publication obscène à un garçon de 12 ans.

Le chef du Département de justice et police de la Confédération, voyant que les juges ne viennent pas aux lois, prend l’initiative d’amener les lois aux juges : il crée une commission d’experts pour la révision du Code pénal. Mal lui en a pris, car sa commission compte 23 juristes et/ou responsables de justice et de police sur 31 membres. Leurs conclusions ont soulevé un rugissement de colère de la part du souverain : baisse de l’âge légal de l’enfance en matière sexuelle de 16 à 14 ans ; l’inceste libre entre adultes ; l’homosexualité libre ; la pornographie devrait être librement accessible aux adultes, étant elle aussi, un cas de « crime sans victime » (il faut être « expert » pour trouver une formule pareille !). Crime sans victime, sans victime et surtout sans auteur, le crime parfait, alors ! Entendez-vous, enfants d’infortune ? Vous voilà anonymes et sans droit, enfants objets d’abus sexuels, de séquestration, de violation, d’assassinat – vous êtes victimes d’un « crime sans victime ».

1981

Nous sommes début 1981, et avant que l’année ne soit close, vous serez 362 à être souillés dans le seul canton de Zurich – comme mentionné tout à l’heure.

L’Association vaudoise de Parents chrétiens lance un « Appel à la prière », début 1981, après l’annonce de l’élaboration des dispositions de l’avant-projet régissant les infractions contre la vie et l’intégrité corporelle, les mœurs et la famille. Probablement que, sans la déclaration radiodiffusée de l’ancien procureur général du canton de Vaud, M. Willy Heim, quelques semaines avant sa retraite, nous n’aurions jamais su que la réaction désapprobatrice de la Suisse romande ne fusse qu’un écho de la même réaction à travers le pays tout entier. Donc, au contraire de ce qu’on veut bien nous faire croire, le souverain est contre la perversité dans les mœurs, et contre le libre étalage de la pornographie.

Notons en passant que, depuis le 1er avril 1981 et par la volonté du Grand Conseil la censure cinématographique pour les adultes n’existe plus dans notre canton.

Combat contre la pornographie destinée aux enfants

Notre combat personnel a débuté en décembre 1984, lorsque, à la recherche d’un livre comme cadeau de Noël pour Julia, petite-nièce, âgée alors de 12 ans, en nous dirigeant vers les contes pour enfants, nous passions des étalages de bandes dessinées : ceci dans la librairie la plus renommée de la Suisse romande. Pâle-mêle avec des Mickey, Tintin et Schtroumpf, se trouvaient, et se trouvent encore aujourd’hui, des bandes dessinées dont les couvertures ne cachent rien de leur intention malpropre.

Très, très naïfs il y a deux ans, nous avons pensé que nos autorités ignoraient cet état de choses et qu’une lettre les mettant au courant serait suffisante pour que tout rentre dans l’ordre. Un petit doute, cependant, vu la bassesse de la perversité étalée, nous a fait soupçonner que le vendeur ne fusse pas un débutant en la matière. Voilà pourquoi j’ai adressé des copies à différents niveaux de nos organes responsables et/ou intéressés (ou qui devraient l’être !). Le directeur de la librairie m’invite à discuter de la chose de vive voix – après Noël, bien entendu, pour ne pas bousculer les ventes durant les fêtes. En substance, ce directeur a dit trois choses : 1) « Où dois-je mettre ces publications ? » (Au sous-sol, naturellement). 2) « Les douanes laissent passer cette littérature, j’ai donc le droit de la vendre ». (Plus tard, la direction générale des douanes se défend de la façon suivante : «… le soussigné se permet d’ajouter exceptionnellement une remarque personnelle : ne franchit la frontière que ce qui a été commandé à l’étranger à partir de la Suisse… » – vous aurez compris que le libraire ne vend que ce que les douanes laissent passer, et les douanes ne passent que ce que le libraire a commandé…). Troisième remarque du directeur : « Si vous pensez que ce que je vends est mauvais, allez donc plus haut dans la rue où vous verrez pire. » Je suis monté(e) plus haut dans la rue, où j’ai vu une quantité incroyable de bandes dessinées – je ne sais pas si elles étaient pires, car je n’ai jamais, à aucun moment, systématiquement cherché le pire. Les bandes dessinées ont été choisies rapidement du dessus du tas. En tout cas, j’ai écrit une autre lettre ; cette fois-ci, le directeur de la seconde librairie m’a téléphoné pour me conseiller d’aller faire une tournée dans les grands magasins. Entre-temps, l’un des pasteurs de la cathédrale est allé contrôler mes dires, les a confirmés, et a poussé plus loin jusqu’aux deux autres librairies dans la même rue. Encore une lettre, adressée aux quatre librairies de la rue du Bourg, lettre qui contenait la phrase fatale (mais véridique !) : « En somme, vous vous livrez à une sorte de proxénétisme en exploitant les faiblesses de vos concitoyens : car, les publications abominables que vous exposez n’ont rien à voir avec les histoires « joyeuses » ou libertines d’antan – elles sont d’une perversité démentielle, et certainement malsaines pour adultes comme pour enfants. »

Cette phrase m’a valu une plainte pour diffamation, et a mis en branle la machine de la presse – car le pornographe a presque toute la presse à sa dévotion. Cependant, cette publicité, très désagréable pour nous, a eu un revers imprévisible : j’ai reçu un flot de correspondance encourageante. Je me trouvais soutenue non seulement par mes amis, mais par des inconnus qui sont devenus de véritables amis depuis lors. L’un d’entre eux m’a appris que Francisco de Quevedo, écrivain, poète et érudit espagnol du XVII siècle avait écrit : « Les délinquants font moins de mal qu’un mauvais juge. » !

J’ai omis de dire que très souvent le courrier reçu était accompagné de dossiers complets sur des expériences antérieures vécues en Suisse romande (ce qui m’a permis d’établir le calendrier), et sur les protestations contre la pornographie dans d’autres régions de notre pays. Par exemple, dans le canton de Soleure, l’Association Pro Veritate a déposé plainte une trentaine de fois depuis 1971 contre la projection de films obscènes. Cette association a eu gain de cause une seule fois en 1974 ; on serait tenté d’ajouter que Pro Veritate avait gagné une seconde fois : en effet, en 1986, le Tribunal cantonal soleurois avait retiré le film « Le Fantôme » – « Das Gespenst » (film obscène et blasphématoire). Cependant, un groupe d’intellectuels et de journalistes ont fait recours auprès du Tribunal fédéral suisse pour demander la cassation du jugement soleurois. Le Tribunal fédéral suisse a décidé de libérer le film « Le Fantôme ».

Comment nos autorités se défilent

Malgré les protestations répétées de la part du peuple, nos autorités s’obstinent à répandre le mythe que la pornographie est un problème de la société (se croient-elles des extra-terrestres ?) et que l’application des lois 200, 204, 211, 212 et 261, pourtant démocratiquement instituées, aboutirait à la dictature. Comprend qui peut. D’ailleurs, c’est un slogan que nous avons entendu dans la bouche de deux magistrats, d’un journaliste et d’un pornographe.

Il faut se rendre compte que la plupart de nos responsables sont convaincus que, si mal il y a, la faute n’est pas la leur.

Le Ministère public de la Confédération ne fait que statuer sur le maintien ou la levée du séquestre de publications et objets revêtant un caractère immoral et découverts lors d’une vérification par les autorités douanières qui séquestrent provisoirement de telles publications et objets de provenance étrangère. Mentionnons ici que, selon nos observations, 97 %, pour ne pas dire 100 % des publications obscènes nous arrivent de l’étranger. J’exclus de ce pourcentage les annonces immorales qui paraissent chaque jour dans nos journaux, revues et catalogues.

En outre, le Ministère public de la Confédération nous informe que plus de 80 envois, d’un poids total d’environ 10 tonnes, ont été séquestrés en 1985. Cependant, un calcul rapide me montre qu’environ 10 tonnes de publications pornographiques entrent dans notre pays chaque semaine, de provenance étrangère. Ce calcul couvre seulement les livres, revues et bandes dessinées ; les vidéocassettes n’y sont pas incluses.

La Direction générale des douanes m’informe que leurs bureaux ne sont pas autorisés à étendre leur action au-delà de ce que la loi prévoit !

Un responsable vaudois, tout en trouvant les bandes dessinées « d’une vulgarité affligeante », fait savoir que « la poursuite de telles infractions appartient au Ministère public. »

Après examen, la Municipalité de Lausanne décide de transmettre les bandes dessinées pornographiques à la direction de police. La Direction de police, tout en admettant le goût pour le moins douteux de certaines bandes dessinées, écrit : « Nous constatons que vous avez adressé copie de votre lettre au Procureur général et nous estimons dès lors que l’affaire a été soumise à qui de droit, votre texte ayant vraisemblablement valeur de plainte ».

Un magistrat vaudois annonce publiquement qu’il n’est pas la conscience, la morale, la pudeur, la décence – il n’est qu’une boîte aux lettres. D’ailleurs, la pornographie n’est pas qualifiée.

Toutefois, le Ministère public de la Confédération la qualifie : « Jusqu’à rentrée en vigueur du nouveau droit, reste applicable l’article 204 du Code pénal, qui n’établit pas de distinction entre pornographie dure et douce… Pour notre part, nous considérons comme obscènes – au sens de la disposition précitée – les publications du genre de celles dont vous nous avez soumis des photocopies. » Sommes-nous étonnés par cette déclaration téméraire ? Non, pas ! L’explication suit : « L’application de cette disposition légale ressortit toutefois aux autorités cantonales de poursuite pénale. »

Les crimes sexuels, les rapts d’enfants et les suicides (même de jeunes enfants) ne cessent d’augmenter. Le SIDA aussi. Et alors, que font nos Autorités ? Il serait logique et naturel qu’elles disent : « Assez à présent ! Nous avons dépassé les bornes. Il faut faire volte-face et retourner au bon sens. La solution au problème du SIDA réside justement dans le retour aux bonnes mœurs. » Voilà la recommandation que nous serions en droit d’attendre de nos Autorités. Mais, nos Autorités pratiquent une autre logique ; elles disent : « Hop, la cochonnerie » (avec mes excuses auprès des cochons 1) « et vous pouvez continuer sans vous faire de soucis, car nous allons prendre un certain nombre de vos francs pour la recherche sur le SIDA. Entre-temps, évitez les pratiques sexuelles anales et orales avec des partenaires occasionnels, et évitez l’échange de seringues et d’aiguilles avec d’autres personnes, et utilisez des préservatifs de bonne qualité. » Ainsi, nos autorités mêmes se mettent en contravention à l’article 211 du Code pénal !

Nos responsables irresponsables ont peut-être raison. Dans un sens, oui. Les générations futures ne vont pas les blâmer. Dans dix ans leurs noms seront oubliés. Non, les générations à venir vont nous interroger, nous : « Peuple suisse, comment êtes-vous tombé si bas ? »

« Comment la cité fidèle est-elle devenue une prostituée ! Elle était pleine de droiture, la justice habitait en elle ; et maintenant, des meurtriers…

« Tes princes sont des rebelles et des compagnons de voleurs ; tous ils aiment les présents et courent après les récompenses …

« C’est pourquoi, voici ce que dit le Seigneur, l’Éternel des armées, le Puissant d’Israël : Ah ! j’aurai satisfaction de mes adversaires, je me vengerai de mes ennemis !…

« Je rétablirai tes juges tels qu’ils étaient autrefois, et tes conseillers tels qu’ils étaient au commencement ; après cela on t’appellera ville de la justice, cité fidèle. » Ésaïe 1:21-26

Adèle Lapp-Reinhard[2]

[1]      Conférence donnée pour l’Association vaudoise de Parents chrétiens à Lausanne, le 27 novembre 1986. Les sous-litres sont de la rédaction.

[2]      Mme Adèle Lapp est ménagère de confession catholique qui mène depuis quelques années un combat solitaire très courageux contre la pornographie adressée aux enfants.