La doctrine de subsidiarité du point de vue biblique et réformé

par | Résister et Construire - numéros 22-23

On a parfois rapproché le principe catholique de subsidiarité de celui développé par le théologien et homme d’État hollandais de la fin du XIXᵉ siècle et du début du XXᵉ, Abraham Kuyper. Cet enseignement fut fortement développé par son successeur, le philosophe calviniste Hermann Dooyeweerd. Il s’agit de la doctrine de la souveraineté de chaque institution (ou ordre de pensée) dans son propre cercle.

Mais, malgré des ressemblances certaines, surtout dans les effets sociaux de ces deux doctrines, elles témoignent d’orientations très différentes.

Pour la doctrine sociale catholique (fortement influencée ici par Aristote) le principe de subsidiarité assure la relative autonomie des corps intermédiaires entre l’individu et le grand tout, l’État, ou entre les Églises locales et l’Église catholique romaine. Il s’agit d’une conception pyramidale et totalisante de la société. Cette doctrine a cours dans la conception romaine de l’Église : toute autorité ecclésiastique découlerait d’un point central et totalement souverain, le Pape.

Pour la vision réformée de la société, Dieu accorde à chaque institution légitime et indépendante une sphère, un cercle d’action et une autorité qui ne dérive pas nécessairement d’une autorité terrestre supérieure, mais de Dieu lui-même, duquel découle directement tout pouvoir ici-bas. Car toute autorité (pas seulement celle de l’État) provient de Dieu (Romains XII). Certes la famille, l’école, l’Église locale, l’entreprise, font partie d’ensembles plus grands avec lesquels ils entretiennent des rapports variés. Ils sont tous, par exemple, soumis, de manière certes variable, aux lois de la société à laquelle ils appartiennent. Mais ils ne peuvent en aucune manière être considérés simplement comme des corps intermédiaires (comme le veut la doctrine catholique de subsidiarité) entre l’individu et l’État, tenant leur légitimité institutionnelle d’un pouvoir terrestre supérieur. Il s’avère même qu’une autorité première, le canton suisse par exemple, puisse déléguer une partie de son autorité à un organisme plus vaste, la Confédération Helvétique. De même cette autorité supérieure qu’est la famille peut déléguer certains de ses droits (éducatifs par exemple) à une institution de son choix, tout en gardant le droit de reprendre cette autorité déléguée. Comme autorité subsidiaire, seconde, l’État peut intervenir pour un temps strictement limité dans le cadre de l’autorité première, la famille, lorsque celle-ci se montre défaillante.

Une vision pyramidale de l’autorité sociale telle qu’implique le principe de subsidiarité dont on nous rabat les oreilles depuis le Traité de Maastricht, contient des germes certains de totalitarisme. Il va sans dire que la perspective réformée d’une société faite d’institutions plurielles (on pourrait parler ici d’un ordre féodal ou fédéraliste) qui affirme l’autonomie sociale des éléments dont est faite la société, ne saurait être confondue avec le pluralisme idéologique de nos démocraties sans Dieu ni Loi. Car cette conception plurielle de la légitimité ultime des institutions doit être soumise et couronnée par l’autorité, placée au-dessus de toutes les institutions humaines – Église et État compris – de la loi souveraine de Dieu révélée dans la Bible, Ancien et Nouveau Testament, ordre suprême établi par Dieu pour la vie et le bien de sa création.

Jean-Marc BERTHOUD