Lettre ouverte aux députés du Parlement européen à Strasbourg

par | Résister et Construire - numéros 22-23

Nous sommes heureux de pouvoir publier dans Résister et Construire cette lettre ouverte adressée aux députés du Parlement européen par notre ami catholique romain, Roberto de Mattei, directeur du Centro Culturale Lepante à Rome. Les lecteurs de notre revue ne peuvent avoir le moindre doute quant à notre attitude face aux erreurs doctrinales et ecclésiastiques de la fausse Église de Rome. Cependant, le rejet du système catholique romain ne saurait nous conduire à rejeter en bloc tout ce qui pourrait se trouver à l’intérieur de cette Église. Comme nous dit l’Écriture : « Examinez toutes choses, retenez ce qui est bon ; abstenez-vous du mal sous toutes ses formes » (I Thess. 5:21). Ainsi que nous l’écrivions dans l’éditorial de notre dernier numéro, nous croyons avec l’apôtre Paul que les dons et l’appel de Dieu sont irrévocables (Romains 11:28-29), autant pour Israél apostat que pour les Églises qui, elles aussi, ont rejetées la Parole de Dieu comme unique norme de foi et de vie. Ceci nous oblige à marcher humblement et à être attentifs à ce qui, dans ces Églises perdues, pourrait encore nous parvenir de la fidélité de Dieu et ainsi être utile à l’affermissement de son peuple. Un homme de Dieu aussi peu suspect de complaisance envers l’Église de Rome que le réformateur genevois, Jean Calvin, écrivait à ce sujet :

« Car comme saint Paul conclut que la grâce de Dieu ne se départira jamais des juifs pour ce qu’il les a une fois reçus en son alliance inviolable, ainsi nous pouvons dire qu’en tous les peuples que Dieu a une fois illuminés de son Évangile la vertu de sa grâce y demeurera éternellement. »[1]

C’est dans cet esprit que nous sommes reconnaissants de pouvoir reproduire cette lettre ouverte qui ouvrira les yeux de beaucoup de nos lecteurs sur le sens véritable du mouvement actuel vers l’unification de l’Europe.

La Rédaction

Rome, le 11 mai 1992.

Monsieur le Député,

Au nom du Centre Culturel Lepante, dont j’ai l’honneur d’être le président, je voudrais soumettre à votre attention quelques réflexions sur un débat important que vous avez déjà affronté et que vous devrez encore affronter avec vos collègues.[2]

Je me réfère au Traité de Maastricht adopté le 11 décembre 1991 dans cette ville néerlandaise par les chefs d’État et de gouvernement des douze pays de la Communauté Européenne pour faire démarrer la nouvelle organisation nommée l’Union Européenne.

Ce Traité, formellement signé le 7 février 1992 et qui, pour entrer en vigueur, doit être ratifié par les Parlements nationaux avant la date du 31 décembre de cette même année, suscite partout des doutes croissants et de vives perplexités : va-t-il conduire vraiment à une union et à un renforcement de l’Europe ou, au contraire, à sa désagrégation en le précipitant dans le chaos ? Le but de cette lettre est de fournir des éléments de réflexion à la discussion sur ce point capital.

Le rêve nihiliste de destruction de l’Europe

Au cours de cette année 1992, année du cinquième centenaire aussi bien de la découverte que de la civilisation de l’Amérique par les Européens, la civilisation européenne et chrétienne est soumise à un procès sans pareil.

L’Europe serait coupable d’avoir voulu imposer au reste du monde son modèle de civilisation, au lieu de « s’ouvrir à l’Autre », « sur ce qui n’est pas, n’a jamais été et ne sera jamais l’Europe »[3]; elle devrait renier sa propre identité pour récupérer l’« Altérité » qu’elle a refusée : les barbares, les Indiens, les musulmans seraient les dépositaires d’un « message culturel » incompris. L’Europe devrait donc renoncer « à cette ambition séculaire de centralité historique dont Colomb est le symbole »[4] se « déciviliser » et sombrer dans le tribalisme.

Le fondement de l’Europe, dans la vision historique de ces « théoriciens du chaos », serait « la perte des fondements »[5], sa caractéristique « de n’être pas identique à elle-même »[6]. Aucune identité historique et culturelle ne devrait survivre puisque rien au monde n’est stable et permanent et tout est dépourvu d’ordre et de sens : le Néant est la seule réalité qui doit s’affirmer dans l’histoire et dans la société : « De plus, nous devons reconnaître le rôle historiquement positif du néant […] Nous sommes incités à fonder notre citoyenneté européenne par rapport au Néant. »[7]

La vraie nature du Traité de Maastricht

Avant d’affronter le débat sur un accord politique aussi ambitieux que le Traité de Maastricht, ces thèses nihilistes sur l’Europe, thèses exposées dans la presse, dans des livres, lors de congrès, diffusées par les médias et amplement reprises par les hommes politiques, ne doivent être ni ignorées ni oubliées.

Il ne s’agit pas de se déclarer en général en faveur ou contre l’Europe, mais de comprendre le vrai problème de fond : quelle est notre conception de l’Europe ? Et quelle Europe est prévue par le Traité de Maastricht ? Les traités politiques et diplomatiques, en effet, ne se réduisent pas à de pures formules techniques, mais reflètent des visions politiques, des conceptions du monde et des aspirations idéales. Quelles sont-elles ?

Il ne s’agit pas seulement d’un marché unique…

Pour l’homme de la rue, l’Union Européenne n’est autre qu’un grand marché sans frontières, c’est-à-dire un seul « marché intérieur » européen, réalisé par la libre circulation des marchandises, des personnes, des services et des capitaux.

Cet Européen ordinaire qui fuit la discussion et ne saurait s’engager au-delà des problèmes les plus quotidiens se méfie des hommes politiques. Mais le pragmatisme des économistes lui inspire encore une certaine confiance. Le fait que l’unification de l’Europe soit aujourd’hui soutenue par les « techniciens » de l’économie le tranquillise et cela au point de voir dans une Europe unie la solution aux graves maux économiques et sociaux qui affligent, désormais de façon chronique, tous les pays occidentaux.

C’est pourquoi le premier malentendu à dissiper est celui de penser que l’organisation internationale prévue à Maastricht soit limitée à une union économique destinée à assurer uniquement des avantages et des profits à ses membres.

Dès les premières pages du Traité, en effet, la nouveauté est soulignée (au tit. II, art. GA1) qui précise que « les termes de ‘Communauté économique européenne’ sont remplacés par l’expression, ‘Communauté européenne’ ».

Quel est le sens de cette précision ? Celui de souligner la progressive évolution d’une communauté purement économique à une union surtout politique. L’unification économique constitue le moyen, l’union politique est le but à rejoindre.

… mais il s’agit d’un processus politique et culturel

La première caractéristique du Traité de Maastricht qui saute aux yeux est son aspect progressif. En effet, à partir du 1ᵉʳ janvier 1993, l’accord prévoit une série d’étapes strictement enchaînées les unes aux autres pour établir enfin le « caractère irréversible »[8] du passage à la dernière phase avant le 1ᵉʳ janvier 1999.

Dès lors, ce n’est qu’en regardant la fin dernière du Traité que les diverses phases intermédiaires prennent pleinement leur sens. Et si la phase initiale a un caractère économique, le point de chute est une profonde transformation politique de l’Europe. Or, quelle est la nature de cette transformation ? Nous affirmons, sans crainte d’être contredits et prête à un débat intellectuel sur ce sujet : Le projet de Maastricht ne prépare pas un processus d’unification européenne mais un processus de désagrégation des États Nationaux ; et puisque la structure même de l’Europe ne peut faire abstraction des États Nationaux, qui en constituent le fondement, la liquidation de ces États équivaut à la destruction de l’Europe entreprise au nom de l’Europe même !

Vers le chaos économique

La Première phase du processus d’unification mis en place par le Traité de Maastricht prévoit, à partir du 1ᵉʳ janvier 1993, l’abolition des frontières politiques et économiques au sein de la Communauté et la création d’un grand marché unique européen.

Mais quelles seront les conséquences de ce virage économique pour notre Continent ?

Presque toutes les nations européennes fabriquent d’excellents produits, que ce soit des vins ou des tissus. En général, pour des raisons économiques évidents, favorisées par les mesures de protection douanière établies par les différents gouvernements, chaque nation est aussi le principal consommateur de ses propres produits. Une fois supprimée les barrières douanières il est inévitable que la curiosité propre à tout être humain poussera les consommateurs nationaux à essayer les produits provenant des autres nations. Avec la suppression des frontières douanières, par conséquent, les produits économiques de toute l’Europe circuleront dans toute l’Europe de telle façon qu’aucune industrie ne pourra plus compter avec certitude sur la garantie d’une base économique dans le pays où elle est installée. Les industries de tous les pays devront donc, à l’aide de la publicité, se disputer entre elles, tant les nouveaux marchés à conquérir que les débouchés traditionnels à défendre.

Les fromages français, la bière allemande ou les pâtes italiennes ne sont pas uniquement des produits commerciaux, mais également des symboles de cultures et de mœurs différentes. La guerre économique, menée avec toutes les armes de la technique publicitaire, se transformera en une guerre psychologique et politique. Le marché commun ressemblera bien plus à un champ de bataille qu’à un centre de rassemblement.

Les marchés les plus faibles seront envahis par les capitaux, les marchandises et les services étrangers bien plus compétitifs. Étant capables d’atteindre une dimension multinationale les grandes entreprises survivront. Quant aux plus petites il leur restera l’alternative, ou de continuer à survivre en état de satellisation économique (ayant été absorbées par les plus grandes) ou de faire faillite.

Comme nous le disons dans notre analyse du « projet Delors » : « Ce qui rend le scénario particulièrement inquiétant est que ce cataclysme sera imposé artificiellement d’en haut et ceci dans de très brefs délais, ce qui surprendra les plus faibles entreprises dans une situation d’impréparation générale. Il est facile de prévoir l’explosion d’une concurrence sauvage qui sèmera le chaos dans l’économie européenne. Dans le Marché Commun se livrera une bataille s’où aucun coup seront exclus. L’Europe, privée de ses points de repères historiques, c’est-à-dire de ses frontières nationales, et de ses barrières douanières, pourrait devenir la victime d’un chaos économique généralisé et dévastateur ».[9]

L’expropriation de la souveraineté monétaire

Les étapes successives prévues par le Traité de Maastricht sont :

La Deuxième phase (à partir du 1ᵉʳ juillet 1994) : création d’un Institut Monétaire Européen (IME) formé par les banques centrales des États membres.

La Troisième phase (à partir de 1997 et de toute façon avant le 1ᵉʳ janvier 1999) prévoit :

  1. La constitution d’un Système européen de banques centrales (SEBC), composé de la Banque centrale européenne (BCE) et des Banques centrales nationales (Tit. II, Art. 4A), qui deviendrait le seul à pouvoir « détenir et gérer les réserves officielles de change des États membres ». (Tit. II, art. 1052).
  2. L’instauration d’une monnaie unique purement fiduciaire, l’écu (Tit. II, art. 3A) qui devra remplacer les monnaies nationales. La BCE deviendrait ainsi la seule institution autorisée à exercer cette prérogative caractéristique de la souveraineté d’un État, l’émission de la monnaie.

En particulier, selon le Traité, ce ne sont pas les gouvernements et les parlements, mais la Commission, qui déterminera, par l’intermédiaire de la Banque Centrale Européenne, les grandes orientations de la politique économique des États membres (Tit. II, art. 1032). La BCE est la seule institution qui puisse autoriser l’émission de billets de banque et en établir la quantité (Tit. II, art. 105A). Le Conseil peut même pénaliser des infractions à ces règles en imposant des amendes, en obligeant le dépôt d’un capital sans intérêt et en invitant la Banque Européenne d’Investissement à reconsidérer sa politique de prêts à l’égard du pays en question (Tit. II, art 104).

Cette perte de la souveraineté économique et monétaire des États européens est en réalité la perte d’un élément essentiel de leur souveraineté politique. Il s’agit là d’un aspect du Traité que l’ancien Premier Ministre britannique, Margaret Thatcher, avait très bien compris, car elle a à plusieurs reprises affirmé :« si on perd la souveraineté monétaire et de bilan, il ne reste pas beaucoup de souveraineté ».[10]

L’expropriation de la souveraineté politique

La voix prestigieuse du directeur de la Bundesbank a récemment rappelé que si par acte d’autorité on pouvait facilement créer une monnaie européenne unique, il était par contre bien plus difficile d’assurer la stabilité monétaire de l’Europe. Pour cela il faut rassembler des conditions économiques, politiques et psychologiques complexes[11].

Comment imaginer une unification économique et monétaire de l’Europe qui puisse être efficace s’il manque un cadre juridique et politique commun ? Car seul un tel cadre pourrait régler de problèmes comme ceux de l’immigration, de la drogue ou de la criminalité organisée et qui pourrait assurer les conditions nécessaires à une stabilité économique et monétaire.

Pour réaliser de telles conditions juridiques et politiques le Traité prévoit « le rapprochement des législations nationales dans la mesure nécessaire au fonctionnement du marché commun » (Tit. II, art G3h). Une telle harmonie politique et législative est en soi un bien à rechercher, (lorsqu’elle ne viole pas le droit naturel). Mais elle ne saurait être imposée par un diktat bureaucratique sous prétexte de faire fonctionner le marché commun. C’est vouloir priver les États nationaux de leur droit à gouverner la société civile.

La souveraineté est le signe distinctif essentiel d’un État. On pourrait la définir comme l’autorité suprême dont un État doit pouvoir disposer dans l’exercice de ses fonctions en vue d’atteindre le but qui lui est propre, le bien commun des citoyens[12], c’est-à-dire leur vie vertueuse en commun[13].

Selon le principe de subsidiarité, l’État peut bien déléguer certaines affaires, mais ne doit pas éliminer complètement sa propre souveraineté, ainsi qu’il en adviendrait avec le processus d’unification de Maastricht. Ce serait la fin des États nationaux.

Le but : super-État européen et micro-États régionaux

Ce transfert de pouvoirs et de compétences des gouvernements et parlements nationaux sera conduit dans deux directions : d’un côté vers les institutions supra-nationales, c’est-à-dire vers le « super-État » européen ; de l’autre vers des réalités régionales et municipales qui deviendraient de véritables micro-États. C’est dans cette ligne que se situe la nouvelle institution d’un « Comité des Régions » (Tit. II, art. 198A), destiné à soutenir le Conseil et la Commission qui constitueraient le « super-gouvernement » du « super-État ».

Le président de la Commission européenne, Jacques Delors, a expliqué le 5 octobre 1989, lors d’une conférence au Wissenschaftszentrum de Bonn, que « dans son essence » cela signifie « que les pouvoirs du gouvernement central sont partagés avec ceux de collectivités territoriales pré-existantes, en s’assurant que chaque décision soit prise au niveau le plus proche des citoyens ».

Ce projet réalise bien le plan que quelques années auparavant le socialiste Peter Glotz avait exposé dans son livre, Manifeste pour une nouvelle Gauche européenne dans lequel il souhaite « la fin de l’État national en Europe » qui « sevrait se réaliser non seulement par l’unification trans-nationale mais aussi par la régionalisation et la décentralisation »[14] et il désignait « la création d’une Union européenne » comme « perspective à long terme de l’unification européenne ».[15]

il s’agit là d’une nouvelle version du grand dessein de la Gauche qui a toujours été et sera toujours l’anarchie, c’est-à-dire le « monde nouveau » que, selon Bakunin, doit surgir « sur les ruines de toutes les Églises et de tous les États »[16]. Il précise même que pour cela « les socialistes révolutionnaires s’organiseront en prévision de la destruction ou mieux, si on veut utiliser un mot moins percutant, en vue de la liquidation des États »[17] « pour que sur les ruines puissent surgir de libres unions organisées par le bas grâce aux libres fédérations des municipalités en province, des provinces en nations, des nations en États unis d’Europe. »[18]

Une bombe à retardement : la citoyenneté européenne

Dans cette perspective de destruction se situe un chapitre du Traité de Maastricht qui constitue une vraie bombe à retardement au cœur de notre continent : l’attribution d’une « citoyenneté européenne » à tous les citoyens des États nationaux en voie de disparition.

Le problème de la citoyenneté nationale ou européenne doit être vu à la lumière du scénario contemporain. La faillite du socialo-communisme à l’Est et le grave échec de la décolonisation au Sud ont ouvert un flux important de migrations vers l’Europe. On ne possède pas de statistiques dignes de foi sur la portée réelle de cette immigration, mais sans aucun doute ce phénomène est en croissante augmentation et s’accompagne d’un inquiétant déclin démographique de notre continent. Le fait que, le 1ᵉʳ novembre 1991, les ministres des vingt-sept pays européens se soient rencontrés à Berlin pour en discuter, démontre qu’il ne s’agit pas d’un problème d’importance secondaire.

Le Traité institue « une citoyenneté de l’Union » à accorder à « toute personne ayant la nationalité d’un État membre » (Tit. II, art. 81). Mis, pour ce qui concerne la concession de la citoyenneté aux immigrés extra-communautaires, il n’existe actuellement aucune homogénéité législative parmi les États membres de l’Union : on trouve des législations plus permissives et d’autres plus strictes. Il n’est pas difficile d’imaginer que ces flux migratoires convergeront vers les pays où la citoyenneté est plus facile à obtenir pour se déplacer ensuite, par voie « inter-communautaire », vers les pays que gardent les frontières « extérieures » moins ouvertes.

C’est bien pour cela, dira-t-on, qu’il faut donner la priorité à ce sujet dans le cadre du rapprochement des législations nationales prévu par le Traité. Mais si on est tellement sûr que ce rapprochement ne va pas tarder, pourquoi ne pas faire précéder l’institution de la citoyenneté de l’Union par l’uniformité législative parmi les États ?

Les immigrés à la conquête des structures politiques

Selon l’article 8A1 du Traité, chaque citoyen de l’Union « a le droit de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres ». La vraie portée de cet article se comprend à la lumière de celui qui suit et qui donne « à tout citoyen de l’Union résidant dans un État dont il n’est pas ressortissant », « le droit de vote et d’éligibilité aux élections municipales dans l’État membre où il réside, dans les mêmes conditions que les ressortissants de cet État. » (Tit. II, art. 8B1) et « le droit de vote et d’éligibilité aux élections au Parlement Européen dans l’État membre où il réside » (Tit. II, art. 8B2) sous réserve de modalités que seront établies respectivement avant le 31 décembre 1994 et avant le 31 décembre 1993, par le Conseil Européen.

Voici les conséquences à prévoir :

  1. Le premier but du migrant extra-communautaire sera d’obtenir la citoyenneté de l’Union. Faute d’une législation rigoureusement uniforme, il choisira donc le Pays qui lui permet l’accès le plus facile à la citoyenneté nationale : celle-ci, automatiquement, lui obtiendra la citoyenneté européenne.
  2. Successivement, une fois qu’il aura obtenu la citoyenneté européenne, il pourra grâce au droit de circulation, se déplacer vers le lieu de résidence de son choix sur le territoire de l’Union où il pourra exercer ses droits politiques.
  3. Le droit de vote et d’éligibilité dont il jouira, lui permettront de pénétrer dans les structures politiques, soit au niveau local, soit au niveau européen, les seuls niveaux qui comptent après la dissolution des États nationaux.

L’hégémonie de l’Islam en Europe ?

On ne saurait ignorer qu’une grande partie des immigrés extra-communautaires appartient à la religion islamique et que l’Islam, contrairement à la doctrine chrétienne, ne connaît pas de distinction entre la sphère civile et la sphère religieuse, mais totalise le sacré et le profane dans une vision globale de la vie et de l’univers.[19]

Déjà maintenant les représentants islamiques en Europe demandent pour leur religion les mêmes droits que les législations nationales reconnaissent aux autres communautés religieuses. Cela signifie : la reconnaissance civile de la polygamie, l’enseignement islamique dans les écoles, l’exonération du travail pour les fêtes musulmanes et ainsi de suite. Le jour où des millions de musulmans obtiendront la citoyenneté de l’Union européenne, il est facile d’imaginer qu’ils s’organiseront en un mouvement politique qui présentera ses candidats aux élections municipales et au Parlement européen.

Selon le Traité, ce sont les partis politiques européens « à exprimer la volonté politique des citoyens de l’Union » (Tit. II, art. 138 A). Un « Parti Islamique Européen », de par diffusion sur tous les territoires de l’Union, sa force de cohésion tant politique que religieuse, ses moyens financiers et ses liaisons internationales, pourrait bien devenir le parti leader du Parlement européen. On parviendrait ainsi à une hégémonie politique de l’Islam en Europe, à une Europe pacifiquement soumise, ou mieux encore, pacifiquement livrée par les Européens eux-mêmes.

Comment éviter, entre autres au niveau municipal, une concentration éventuelle d’un grand nombre d’immigrés dans quelque ville ou région européenne ? Qui pourrait empêcher à ces citoyens européens, qui jouissent du droit de circulation, de séjour et de vote, de choisir une des villes européennes les plus caractéristiques et riches en histoire pour en faire une « île islamique » et pour y élever leurs minarets ?

Pour sortir du chaos : sauver les États nationaux

Ces hypothèses se placent dans une situation assez inquiétante.

L’économie occidentale que « repose aujourd’hui sur de gigantesque pyramides de dettes »[20], selon les mots du prix Nobel français, Maurice Allais, révèle de plus en plus son extrême vulnérabilité ; les problèmes sociaux, tels la criminalité ou la drogue, sont la manifestation du profond vide culturel et moral de notre société. À la suite de l’auto-décomposition du communisme une grande vague dissolvante est partie de l’Est pour arriver en Occident avec tous ses ferments de décomposition. L’Islam jette son ombre inquiétante sur l’Europe. Le chaos menace notre continent aujourd’hui plus que jamais auparavant dans son histoire, du moins depuis les invasions des barbares…

Est-il raisonnable dans une telle situation de penser à la liquidation des États nationaux pour avancer vers une Union européenne aux contours si nébuleux et confus ? Les États nationaux constituent actuellement le seul facteur d’ordre et de stabilité dans ce processus de désagrégation que a saisi l’Europe. L’idée de vouloir les dissoudre constitue, dans la situation actuelle, un suicide politique qui rappelle celui achevé par la monarchie et la noblesse française en 1789.

L’Europe face à un choix : suicide ou renaissance chrétienne

Monsieur le Député,

L’Europe se trouve aujourd’hui devant un choix historique.

La ratification du Traité de Maastricht impliquerait la disparition très rapide des États nationaux. Cela conduirait à la désagrégation de l’Europe qui sombrerait dans l’anarchie et le tribalisme. Il s’agit d’un véritable parcours suicide que les théoriciens de la Nouvelle Gauche revendiquent avec cohérence.

D’autre part, le refus du processus dissolvant mis en place par le traité de Maastricht constitue une démarche nécessaire pour la renaissance de l’Europe.

Si le mot Europe suscite encore aujourd’hui tant de souvenirs et d’espoirs, c’est parce elle est déjà une réalité. Cette réalité n’a pas été inventée à Maastricht en 1991, mais elle est née à Rome la nuit de Noël de l’an 800 avec le Saint Empire de Charlemagne, et même avant cette date, à Subiaco et à Montécassino d’où la réforme religieuse de Saint Benoit pris son essor.[21]

En reprenant les paroles de saint Pie X dans sa célèbre Lettre Apostolique, Notre Charge Apostolique[22] et celles de Léon XIII dans son encyclique tout aussi célèbre Immortale Dei[23], nous pourrions dire que l’Europe « ne doit pas être inventée » mais « a existé et existera toujours ». Elle est représentée par la civilisation chrétienne qui autrefois, bien que composée de nations très différentes entre elles, avec des mœurs et des traditions très variées, était unie para une seule philosophie de vie, celle de l’Évangile. « L’Europe – affirme Jean-Paul II – est chrétienne dans ses racines mêmes […] Dans les différentes cultures des Nations européennes, soit en Orient soit en Occident […] coule une même lymphe puisée à une unique source ».[24] La défense de notre civilisation occidentale et chrétienne ne pourra se faire que par la défense de ces nations et de ces cultures. C’est dans la diversité des États nationaux européens que s’exprime en effet la richesse culturelle de l’Europe ainsi que son identité historique et morale.

Le processus révolutionnaire qui depuis plus de cinq siècles a atteint la Civilisation chrétienne, est l’expression d’une négation de cette Europe, de son identité et de son histoire : le but ultime et cohérent de ce processus est le nihilisme anarchique et tribal de la Nouvelle Gauche.

Un traité intouchable ?

Le Traité de Maastricht est si peu « intouchable » que le processus d’unification européenne ne peut et ne doit être considéré comme « irréversible ». Il ne l’est déjà plus puisque la Grande-Bretagne et le Danemark se sont réservé le droit de ne pas passer à la troisième phase.

Il est cependant important de souligner que si aujourd’hui il existe un mythe que s’est écroulé, c’est bien celui de l’« irréversibilité historique », c’est-à-dire d’une certaine cohérence des événements que se succèdent et dont le sens n’est compris que par quelques-uns placés à l’« avant-garde » du temps présent. Quand un socialiste parle d’« irréversibilité historique », la pensée court immédiatement au grand nombre de ces prophéties échouées qui ont caractérisé l’histoire de la gauche européenne tout au long des deux derniers siècles ; mais les socialistes, héritiers des Illuministes et de Hegel, insistent quand même de façon opiniâtre à se considérer les interprètes du « sens de l’histoire ». Ainsi, quand il était question de l’unification de l’Allemagne, Willy Brandt prophétisait qu’elle n’était pas réalisable avant la fin du siècle[25] ; aujourd’hui, qu’il est question de l’unification, François Mitterand prophétise qu’elle se fera sûrement avant la fin du siècle.

Le fondement de ces prophéties est toujours le même : le néant. Par contre, la seule prévision sérieuse qu’on puisse faire pour cette fin de siècle, c’est celle de l’échec de toutes les fausses prophéties socialistes et du triomphe, cette fois irréversible, de la vérité. C’est au nom et pour le service de cette vérité que nous nous adressons à vous, pour vous demander d’intervenir, dans un lieu si prestigieux et significatif que le Parlement Européen, pour combattre l’esprit et la lettre du Traité de Maastricht.

C’est face à l’opinion publique européenne que nous vous demandons votre collaboration, tout en vous offrant la nôtre, fermement convaincu, qu’aujourd’hui toutes les forces doivent s’unir pour défendre les États nationaux, l’Europe et la Civilisation chrétienne, dangereusement menacés par le nihilisme et le chaos, et avec la même certitude qu’il n’existe de force sur laquelle fonder cette bataille hors de Celui sans Lequel nous ne pouvons rien (Jean 15:5), mais avec l’aide Duquel tout est possible (Phil. 4:13), même la résurrection d’une civilisation glorieuse, telle que l’a été et le sera l’Europe au XXIᵉ siècle.

Roberto de Mattei

[1]      Jean CALVIN : Fidèle parmi les papistes, Genève, 1543. Cité par Pierre CHAUNU : L’aventure de la réforme, Éditions Complexe, Paris, 1991, p. 40-41.

[2]      Le Procès-verbal du 7 avril 1992 montre les évidentes perplexités des parlementaires européens. Voyez PE 160.902.

[3]      Jacques DERRIDA : L’autre cap, Éditions de Minuit, Paris, 1991, p. 75

[4]      Jean CHESNAUX : Triomphalisme européen, déchirure planétaire, in Le Monde Diplomatique, décembre 1991, p. 24.

[5]      Edgar MORIN : Penser l’Europe, Gallimard, Paris, 1987, p. 67.

[6]      Jacques DERRIDA : L’autre cap, Éditions de Minuit, Paris, 1991, p. 16.

[7]      Edgar MORIN : Penser l’Europe, Gallimard, Paris, 1987, p.174.

[8]      Voir le Protocole sur le passage à la troisième phase de l’Union économique et monétaire, joint au Traité.

[9]      Roberto de MATTEI : 1900–2000. Due sogni si succedano : la Costruzione, la Distruzione, Fiducia, Roma, 1990, p. 44.

[10]    Corriere della Sera, 25.6.1990. Voyez surtout son Discours de Bruges du 20.9.1988.

[11]    Die Zeit, 7.2.1992. Voir aussi Zeitschrift für das gesamte Kreditwesen, 15.2.1992.

[12]    Aristote, Politique, IV, c.5, 1336 b, 22-30.

[13]    Saint Thomas d’AQUIN : De regimine principum, I, 15.

[14]    Peter GLOTZ : Manifest für eine Neue Europäische Linke, Siedler Verlag, Berlin, 1985, p. 81-82.

[15]    Ibidem, p. 82.

[16]    Mikail BAKUNIN : La Commune e lo stato, tr. it., Samona e Savelli, Roma, 1972, p. 55.

[17]    Ibidem, p. 55-56

[18]    George WOODCOCK : L’annarchia, tr. it., Feltrinelli, Milano, 1980, p. 182.

[19]    Voir par exemple Alessandro BAUSANI : L’Islam, Garzanti, Milano, 1987, pp. 11, 37.

[20]    Maurice ALLAIS : L’Europe et les États-Unis après Maastricht : questions et réponses, Le Figaro, 6.2.1992.

[21]    Le 2 octobre 1964 a Montecassino, Paul VI proclamait Saint Benoit patron d’Europe. Jean-Paul II, dans sa Lettre Apostolique Egregiae Virtutis du 31.12.1980 (in Insegnamenti di Giovanni Paolo II, vol. II, 2, 1980, p. 1833-1836) proclamait co-patrons d’Europe, avec Saint Benoit, les saints Cyrille et Méthode, les apôtres des pays slaves.

[22]    Saint Pie X : Lettre Notre Charge Apostolique du 25. 3.1910 in Acta Apostolica Sedes, vol 2 (1910), p. 612.

[23]    Cfr. Léon XIII, Encyclique Immortale Dei du 1.11.1885 in Acta Sanctae Sedes, vol. XVIII, p. 169.

[24]    Jean-Paul II, dans sa Lettre Apostolique Euntes in Mindum du 25.1.1988 (in Insegnamenti di Giovanni Paolo II, vol. XI, 1, 1988, p. 220)

[25]    Der Spiegel, 23, 1988, p. 148.