L’arianisme (doctrine d’Arius – c.250-c.336 – qui niait la divinité du Fils de Dieu, de Jésus-Christ. – réd.) n’a pas encore été enterré, il est aujourd’hui plus à la mode et plus diffusé que jamais. Il s’est répandu comme l’âme dans le corps de l’Europe contemporaine. Si vous considérez la culture de l’Europe, vous verrez, caché au fond, l’arianisme ; tout s’y limite à l’homme, et à lui seul, et on a réduit le Dieu-Homme, le Christ, aux limites de l’homme. C’est par le ferment de l’arianisme que s’est développé la philosophie de l’Europe, sa science et sa civilisation, et en partie sa religion. Partout et systématiquement, le Christ est rabaissé à l’homme « pur » : par suite le Dieu-Homme est désincarné. Continuellement Arius accomplit son travail. La « religion dans les limites de la raison pure » de Kant, n’est rien d’autre que la nouvelle édition de l’arianisme. Si nous mesurons le Christ à la mesure de Kant, quel résultat croyez-vous que nous aurons ? Nous aurons un Christ-Homme, un Christ sage, mais jamais un Christ Dieu-Homme. Si nous jugeons le Christ avec le critère de Bergson, ce que nous aurons n’est à nouveau en rien supérieur à l’homme simple. Ainsi ce critère unique, et l’autre, et tous les critères de toutes les philosophies selon l’homme, abaissent le Dieu-Homme, le Christ, jusqu’à l’homme.
La science moderne n’est pas en-deça de la philosophie dans sa conception arienne du Christ. Le Protestantisme, par beaucoup de ses représentants, a de beaucoup surpassé l’arianisme et Arius lui-même. Les divers Sociniens (Socinus (1439-1604) était un unitarien, il niait la doctrine de la Trinité – réd.) et partisans de Schleiermacher sont forcément les alliés d’Arius pour désincarner le Dieu incarné. Le Papisme, avec son éthique (la casuistique – réd.), est à bien des égards arien. Ne reconnaît-on pas quelle métaphysique se tient derrière cette effrayante éthique ? Tous ensemble ont réussi à empoisonner les grandes masses d’Europe par l’arianisme grossier. Qui ne reconnaît l’arianisme grossier de nos intellectuels ? La plupart disent souvent : le Christ est un grand homme, un sage, le plus grand des philosophes, mais il n’est en rien un Dieu.
D’où vient qu’il y a tant d’arianisme aujourd’hui ? De ce que l’homme est devenu aujourd’hui la mesure de tout, la mesure de toutes choses visibles et invisibles. Mesurant tout à lui-même, l’homme européen rejette tout ce qui dépasse l’homme. Cette étroite mesure restreint le Dieu-Homme à l’homme. Le carcan du péché étouffe l’intellect orgueilleux de l’homme, et il ne voit pas et ignore toute réalité plus grande que lui-même. C’est l’exploit de la foi dans le Dieu-Homme, le Christ, surpassant l’intellect, qui brise ce carcan et ouvre l’intellect aux réalités infinies. Le Premier Concile œcuménique (Symbole de Nicée 325 – réd.) a défini une fois pour toutes le rôle de l’intellect dans l’explication de la personnalité du Dieu-Homme, le Christ : son rôle est d’obéir. La foi conduit au christianisme, c’est l’intellect qui est conduit. La science est le fruit de la foi agie par l’amour et opérée dans l’espérance.
Père Justin POPOVITCH
Justin POPOVITCH : L’homme et le Dieu-Homme, L’Âge d’Homme, Lausanne, 1989, p. 140-141. Le Père Popovitch (1894-1979) de nationalité serbe est un des plus éminents théologiens orthodoxes de ce siècle. Le premier volume de sa dogmatique, Philosophie orthodoxe de la vérité, vient de paraître aux mêmes Éditeurs.