Une vision chrétienne de l’histoire Collectif : Révolution et Christianisme. Une appréciation chrétienne de la Révolution française, Éditions L’Âge d’Homme, Lausanne, 1992

Il va sans dire que la revue ne cautionne ni les positions franchement universalistes affichées publiquement depuis quelque temps par le professeur Pierre Chaunu, ni la théologie romaine dont le pape est l’incarnation. Notre politique est de laisser à nos collaborateurs une grande liberté dans leurs écrits ainsi que l’entière responsabilité de leur propos. Nous pensons, par ailleurs, que même des auteurs décrits erronés sont aptes à dire des choses fort justes auxquelles nous devons être attentifs. Notre devise est celle de l’Écriture elle-même : examinez toutes choses et retenez ce qui est bon. Nous espérons que nos lecteurs en useront de même avec ce qu’ils lisent dans Résister et Construire.

Rédaction

Depuis la préface concise écrite par l’historien prestigieux, Pierre Chaunu à la conclusion de la plume d’un pasteur réformé du canton de Vaud, Roger Barilier, cette dure critique de la Révolution française bourrée de faits élève bien haut l’étendard de la vérité historique et de la justice biblique. Bien que la plupart des auteurs de cet ouvrage soient des Protestants, la conclusion cite le pape Jean-Paul II sur la chute du communisme en Europe de l’Est : « Le monde redécouvre aujourd’hui, écrit-il, que loin d’être l’opium du peuple la foi au Christ est le meilleur garant et promoteur de sa liberté. » La Révolution française, l’ancêtre spirituel du communisme, chercha à écraser la foi au Christ et à sa Parole. Nous chrétiens, en obéissance au Christ, devons appliquer notre foi et la Parole de Dieu à toutes nos pensées et à tous nos actes. Ceci doit inclure les domaines de la politique et de la culture. Révolution et Christianisme est un modèle d’une telle obéissance.

Pierre Chaunu suggère que puisque la Révolution française a été présentée comme la petite école et l’alibi de la Révolution bolchévique, dans le renversement de cette dernière en Union soviétique, au moment même où les célébrations du bi-centenaire tiraient à leur fin, nous avons affaire au rire de Dieu dont nous parlent les Psaumes 2 verset 4 et 37 verset 13. La vraie révolution, écrit-il, est celle qu’opère notre Père céleste et qui doit être renouvelée chaque jour.

Jean Brun, professeur honoraire de philosophie à l’université de Dijon, contribue par une étude vigoureuse intitulée, Le veau d’or de la révolution, à détruire de nombreuses légendes concernant la Révolution française, par exemple la prise de la Bastille par le peuple de Paris d’où vient la fête nationale française. En réalité la Bastille ne fut pas prise mais se rendit à condition que les troupes qui la gardaient auraient la vie sauve. Mais elles furent immédiatement massacrées et leurs têtes promenées sur la pointe des baïonnettes. Pour ce qui concerne les « centaines de victimes de l’injustice » qui y étaient prétendument enfermées elles se limitaient en fait à cinq ou six criminels qui furent internés dans d’autres prisons le même soir. Une autre légende concerne le « recrutement volontaire » des armées de la Révolution. En réalité 800 000 des 1 200 000 hommes mobilisés de force en 1794 ont déserté. L’historiographie universitaire est largement silencieuse sur les atrocités qui furent commises au nom du veau d’or de la Révolution. Jean Brun nous en donne un échantillon horrifiant.

François Dreyfus de l’université de Strasbourg nous fournit quelques faits qui contredisent les promesses de la Révolution (« liberté, égalité, fraternité ») et ses pratiques véritables. Dans les faits 600 000 hommes à Paris dictaient à leurs 26 400 000 concitoyens ce qu’ils devaient faire. La Révolution conduisit à la centralisation du pouvoir. Ces célèbres « droits de l’homme » ne furent guère appliqués équitablement. La Révolution fut une catastrophe économique qui produisit comme fruit un nationalisme déséquilibré qui persiste jusqu’à ce jour.

Une des raisons pour lesquelles l’on considère encore souvent la Révolution française comme un bienfait pour l’humanité est l’ignorance générale des horreurs qui en sont issues, des destructions culturelles qui l’accompagnèrent et des ravages durables qu’elle produisit sur l’économie française. Jean-Marc Daumas, professeur d’histoire, montre le coût important de la Révolution française qui fut prolongé par les guerres napoléoniennes :

  • 400 000 morts pendant les guerres révolutionnaires, plus d’un million par celles de l’Empire ;
  • presque 17 000 personnes tuées par la guillotine et 35 000 par exécution sommaire ;
  • peut-être 400 000 personnes assassinées dans le génocide de l’ouest de la France organisé par les dirigeants révolutionnaires ; en plus de 200 000 autres victimes des batailles autour de Lyon, la Provence et le sud-ouest de la France. Un dirigeant préconisait la réduction de la population de vingt-cinq à cinq millions.

Les pertes entre 1789 et 1815 ont atteint le chiffre d’environ deux millions de victimes de l’anarchie, de la terreur et de guerres étrangères.

Avec la Révolution la France est entrée dans une période de crise démographique dont elle ne s’est pas encore remise. Contrairement aux idées de nos planificateurs démographiques une croissance zéro où un dé de la population est nuisible à la société.

La facture économique n’était pas moins lourde. Dans les campagnes les pauvres se sont appauvris tandis que les riches s’enrichissaient. En 1800 la production était à 60 % du niveau de 1789. Le commerce de la France ne retrouva son niveau de 1789 qu’en 1825. La France ne retrouverait jamais la proportion du commerce mondial qui était le sien avant la Révolution. Le développement industriel fut retardé d’un demi-siècle et la Révolution détruisit la marine française.

La Révolution française fut responsable d’un vandalisme organisé que Daumas appelle justement, « L’holocauste de notre patrimoine artistique. » Elle fut avant tout dirigée contre des trésors religieux détruits pour recouvrir des métaux précieux et des bijoux, et même le plomb des vitraux sans prix. Des tapisseries flamandes dessinées par Jules Romain, Dürer, Le Brun et Raphaël furent brûlées en avril 1797 dans le but prétendu de recouvrer quelques fils d’or et d’argent. Les tombeaux de rois inhumés depuis des siècles furent violés, les ossements jetés dehors et le plomb des cercueils fondu. Comme plus tard en Union soviétique, les Églises furent utilisées comme dépôts ou des étables. Des statues en bronze furent fondues et transformées en « boulets de canons patriotiques ».

Daumas montre également que la monarchie de Louis XVI commençait à connaître des réformes dans les années qui précédaient la Révolution. En 1787 l’Édit de Tolérance envers les protestants fut proclamé. Mais les réformes royales furent rejetées, la Révolution éclata et la France paya très cher sa révolte.

Pierre Courthial, doyen honoraire de la Faculté libre de Théologie d’Aix-en-Provence, dans sa contribution à ce livre montre que durant toute sa durée, de 1789 à 1799, la Révolution fut animée d’une idéologie explicitement anti-chrétienne. Il attire notre attention sur les critiques justifiées de la Révolution formulées par Edmund Burke, Friedrich Stahl et Grœn van Prinsterer. Ce dernier écrivait que s’il y avait quelque justification dans l’espoir formulé en 1789 pour une société où régneraient la liberté, l’égalité, la fraternité et la tolérance, cependant « ces idées, comme des branches détachées de l’arbre évangélique, furent empoisonnées par la sève révolutionnaire et ne surent que produire des fruits empoisonnés. La panacée mise au service d’une philosophie anti-chrétienne ne peut qu’aggraver le mal plutôt qu’apporter la guérison. La corruption du meilleur ne peut produire que le pire. » Contrairement à ce que l’on croit ce ne sont pas les aristocrates qui eurent le plus à souffrir de la Révolution, mais le clergé et les chrétiens les plus fervents. Courthial résume les prétendus Droits de l’Homme de la fameuse Déclaration de 1789 dans les six points importants suivants :

  • ce sont des droits humains sans Dieu, des droits abstraits qui sont en conséquence dépourvus de contexte, de famille, de patrie et d’histoire ;
  • ce sont des droits d’individus nés seuls et immédiatement adultes ;
  • ce sont des droits privés des devoirs correspondants ;
  • ce sont des droits qui ne tiennent aucunement compte des différences entre personnes réelles, tels le temps, le lieu, l’histoire, l’âge, le sexe, les circonstances ;
  • ce sont des droits qui tiennent l’individu, prétendument libre, dans un isolement fragile face à un État aux tendances totalitaires ;
  • ils libèrent en l’homme l’esprit de vengeance, la volonté de puissance, le goût pour les idéologies et les idées abstraites ainsi que le désir de n’obéir qu’à soi-même.

Dans leurs différents excellents travaux Marc Sherringham, professeur de philosophie à Strasbourg, et Alain Besançon, célèbre écrivain et journaliste, discutent les ressemblances et les parallèles entre la Révolution française, Lénine et Marx, et la Révolution russe.

Dans l’article central du livre (et le plus long) Jean-Marc Berthoud compare la Révolution française à d’autres révolutions, particulièrement celles qui eurent lieu en Russie, en Angleterre et aux États-Unis. Parce que l’Église en Russie n’enseigna ni au peuple ni au gouvernement tout le conseil de Dieu que renferme la Bible, elle n’a pas été capable de les aider à résister aux attaques du Marxisme révolutionnaire utopique. Les révolutions anglaise et américaine, inspirées par le Puritanisme, étaient d’un tout autre esprit que celles qui se sont déchaînées en France et en Russie, car elles cherchaient à appliquer les commandements de la Parole de Dieu. Cette étude appuyée par une documentation riche et variée devrait étre publiée séparément et largement diffusée en français et en anglais.

Cette étude est complétée par d’excellents travaux de la plume de deux anciens professeurs de la Faculté réformée d’Aix-en-Provence, William Edgar et Peter Jones qui détiennent maintenant des chaires aux États-Unis. Le livre se termine par un effort de réponse chrétienne aux défis que pose l’esprit révolutionnaire par Udo Middelmann, collaborateur de Francis Schaeffer et juriste et théologien ainsi que par la postface percutante du pasteur Barilier. Ceux qui ont rassemblé ces travaux fort instructifs ont accompli une tâche remarquable.

Révolution et Christianisme mérite d’être lu d’un bout à l’autre. C’est un contrepoison indispensable pour contrer l’esprit révolutionnaire qui sommeille toujours chez tant d’intellectuels en Occident et dans le Tiers-Monde. Il devrait être traduit le plus rapidement possible et publié dans le monde anglophone. Tant les chrétiens que les non-chrétiens devraient connaître la vérité concernant les nombreux mythes qui voilent la réalité de la Révolution française. Un tel livre serait de la plus grande utilité dans l’enseignement de l’histoire dans les écoles du degré secondaire. Je ne peux que vivement vous le recommander.

Ellen MYERS[1]

Wichita, USA

[1]      Ellen Myers est rédactrice de l’excellente revue américaine, The Creation Social Science and Humanities Quarterly, à commander à l’adresse suivante : 1429 N. Holyoke, Wichita, Kansas 67208, U.S.A.

Concepts pour une évangélisation bien particulière : R.A. Torrey, Comment amener les âmes à Christ, Maison de la Bible, Genève.

Ce n’est pas le premier et sans doute pas le dernier livre à avoir affligé mon cœur à un tel point. Et si parfois cette tristesse reste silencieuse et intérieure, elle engendre à d’autres instants des attitudes différentes : tel est le cas aujourd’hui.

D’autant plus que le livre nous occupant n’est rien d’autre qu’une des bases de notre évangélisation actuelle. Son auteur, Reuben TORREY, fait partie de la lignée des « grands évangélistes », lignée dont Billy GRAHAM et Michael CASSIDY sont issus. Comme le fait justement remarquer l’éditeur de mon volume personnel (Maison de la Bible, 1991), « les écrits du Dr. Torrey sont traduits en de nombreuses langues et édifient (ndr: sic !) encore d’innombrables croyants ». Phénomène traduit par le fait que nous en sommes déjà au douzième tirage de l’édition française.

La portée de cet ouvrage est donc considérable. À tel point que le présent article n’est pas seulement un commentaire non exhaustif du livre, mais qu’il s’agit aussi d’une esquisse de réflexion sur des pensées impies qui malheureusement contaminent la chrétienté. Puissent ces quelques lignes affermir la sainte Église universelle.

Ce livre possède une qualité certaine : il ne laisse pas longtemps son lecteur dans le doute. Peut-on trouver entrée en matière plus adaptée ? « Il y a certaines conditions générales et indispensables, dont dépend le succès dans l’art d’amener les âmes à Christ. Ces conditions sont heureusement simples, peu nombreuses et faciles à remplir. » (Torrey). Un mot trahit la pensée de l’auteur : « art ». Cette trahison a de graves conséquences, puisqu’elle nous permet de voir clairement dans quelle situation d’opposition fondamentale l’auteur se met avec l’apôtre Paul. Lisons 1 Cor. 2.3-4 « Moi-même j’étais auprès de vous dans un état de crainte et de grand tremblement : ma parole et ma prédication ne reposaient pas sur les discours persuasifs de la sagesse, mais sur une démonstration d’Esprit et de puissance, afin que votre foi ne soit pas fondée sur la sagesse des hommes mais sur la puissance de Dieu. » D’un côté, apporter l’Évangile est un art, et les hérauts de cette bonne nouvelle des artistes. De l’autre, nous avons affaire à un pauvre homme : il se sait faible et il a peur. Il ne fait recours à aucun artifice, mais il s’appuie sur une démonstration d’Esprit.

Différence radicale donc, puisque d’une part on compte sur l’homme, sur son intelligence, ses talents pour proclamer l’Évangile, alors que de l’autre on ne fait confiance qu’à Dieu, et on s’attend à une démonstration d’Esprit. On sait que Dieu est le seul Tout-Puissant, que Lui seul peut changer les cœurs. Le malaise apparaît donc dès la première ligne. Aussi Paul que Torrey sont convaincus du fait qu’il faut proclamer sans cesse le glorieux Évangile de Jésus-Christ. À la différence près que Paul reconnaît son incapacité et s’appuie entièrement sur son Seigneur, alors que Torrey cherche une méthode pour permettre à l’homme de convertir son prochain, de le « gagner à Christ » sans être intégralement dépendant de Dieu. C’est re-commettre le péché originel(quand Adam a désobéi à Dieu par volonté d’autonomie), et cela accorde une importance démesurée aux actes des hommes.

D’ailleurs Torrey lui-même le reconnaît sans peine. « Il nous est promis que nous sommes responsables devant Dieu de tout le travail que nous aurions pu faire, et de toutes les âmes que nous aurions pu gagner, si nous avons été revêtus de cette puissance (ndr baptême du Saint-Esprit (re-sic !)). Nous sommes coupables si tout ce travail n’a pas été accompli et si toutes ces âmes n’ont pas été gagnées. » Le message est clair : s’il ne s’agit pas d’une espèce de salut par les œuvres, nous avons pour le moins affaire à une magnifique apologie de l’activisme. Que l’homme soit responsable de la proclamation de l’Évangile, c’est clair. Mais dans le cadre défini par Jésus Lui-même, et par l’action du Saint-Esprit : il n’y a aucune place pour la culpabilité. Dans notre cas, ce n’est plus Dieu qui est souverain, qui suscite des ouvriers pour convertir qui Il veut, mais c’est l’homme qui a entre ses mains le salut de son prochain : perspective on ne peut moins biblique, vous en conviendrez. Dieu n’est plus le Maître ; Il dépend du bon vouloir de ses créatures. De plus, une question se pose : comment un homme de bonne volonté, à qui Dieu promet la paix, peut-il vivre avec l’idée que c’est lui qui a envoyé son prochain aux peines éternelles ?

Nous avançons dans la lecture de ce livre et nous remarquons que l’idée initiale revient en force. Nous lisons : « Vous pouvez par exemple choisir l’âme que vous désirez gagner et faire vos plans d’attaque. Après avoir fait connaissance, entourez-la d’attentions, d’affection, prouvez-lui de l’intérêt par des actes, et alors, quand le terrain sera ainsi bien préparé, amenez la grande question sur le tapis. » Torrey parle d’attaque et s’évertue à mettre sur pied un impressionnant dispositif stratégique. Paul nous exhorte à être remplis de l’Esprit (Eph 5:18) : quelle différence ! Et pourtant, lorsque l’on regarde de loin, cette différence avec l’enseignement de Paul n’apparaît pas. Les fruits de l’Esprit ne sont-ils pas patience, amour, bienveillance, etc.(Ga 5:22) ? Ne serait-ce pas exactement ce que Torrey attend de nous ? Mais derrière cette apparente unité se cache un terrible venin. Les fruits de l’Esprit ne sont pas des outils que l’on utilise après se les être fabriqués. Ce sont des grâces de Dieu qui croissent et qui mûrissent tout au long de notre pèlerinage chrétien. L’antithèse entre le maître de guerre et l’humble homme attendant tant de Dieu est à nouveau radicale. Et si Dieu utilise ces qualités pour attirer des hommes à Lui, c’est parce qu’elles sont dans Sa nature, et qu’une fois régénérés, nous y prenons aussi part. Dans la conversion il n’y a aucune place pour le calcul humain ; tout n’est que grâce. Les pensées de Dieu ne sont-elles pas infiniment plus élevées que les nôtres ? Je ne sais si Dieu se rit ou s’il pleure sur ces spéculations.

Mais le paroxysme est atteint à la page 19, où nous lisons : « c’est alors (après toute une petite cuisine humaine, digne des plus grands scolastiques du Moyen Âge) qu’elle sera préparée à répondre à votre prochaine question » qui sera celle-ci : « Voulez-vous accepter pour Sauveur Celui qui a pris vos péchés sur Lui ? ». Comment un tel homme de Dieu peut-il se substituer de la sorte au Saint-Esprit Lui-même ? N’est-ce pas le travail de ce Dernier d’affliger les cœurs et de les préparer à recevoir Jésus-Christ par la foi ? Ce passage est significatif de tout l’esprit de ce livre. Combien de fois ne voit-on pas notre évangéliste mettre ses mains humaines, donc corrompues et sales, dans ce qui est l’œuvre parfaite et miraculeuse de la conversion, opérée par Dieu seul ? Il est affreux de voir cet homme penser arriver à changer les cœurs par sa casuistique. Mais nous savons que cette merveille de grâce et d’amour est réservée à Dieu.

Vous aimez la cuisine ? Moi aussi, merci. Mais pas lorsque la conversion en est l’ingrédient principal. Il m’est donc extrêmement douloureux de lire des lignes comme celles-ci (page 16) : « Dans les chapitres suivants, nous énumérerons tous les différents états d’âme que l’on peut rencontrer, mais le point capital est de savoir discerner à quelle catégorie tel ou tel individu appartient ». Ainsi, si vous avez à faire à un discuteur, allez à la page 79, si votre mari est un calculateur, rendez-vous à la page 85, si le vôtre est sceptique, la page 69 vous attend, etc. Franchement, cela est indécent. Même si ce genre de classement possède un aspect pratique qui pourra en aider plus d’un, il n’en est pas pour autant acceptable.

Ces pages sont très instructives. Nous voyons en effet dans la Bible que l’être humain n’est de toutes façons pas libre de choisir Dieu ; le libre arbitre n’existe plus depuis la chute. Mais si, comme certains le prétendent, Dieu n’est pas le maître de la destinée éternelle de chacun, l’homme ne manquera pas de s’approprier un tel règne. Si ce n’est pas Dieu qui tient les rênes du salut, notre évangéliste voudra véritablement endoctriner l’homme à croire qu’il est lui-même le maître de sa recherche de Dieu. Ce livre est l’exemple type d’une telle tentative. Nous trouvons là toutes les recettes pour humilier, pour émouvoir, pour faire peur, etc. Mais les grandes vérités sont absentes ; un livre de préparation à l’évangélisation est un livre délivrant les doctrines fondamentales, instruisant ainsi l’homme sur Dieu tout en apprenant à aimer d’un amour divin. Si l’homme se rebelle contre la souveraineté de Dieu, c’est qu’il y voit une atteinte à son propre honneur. Mais paradoxalement, il se retrouve aussitôt enfoncé dans des concepts aussi aliénants que ceux cités ci-dessus. Lorsque l’homme ne se courbe pas devant l’Évangile libérateur de notre Seigneur et Sauveur, il se voit aussitôt enchaîné par le mensonge.

Et ce mensonge de porter du fruit. Lisons la page 25 : « En faisant lire ces passages aux personnes que vous tâchez d’amener à Christ, il est très utile de leur faire mettre les adjectifs possessifs à la première personne : Il était blessé pour mes (pour « nos ») péchés, brisé pour mes (pour « nos ») iniquités, etc. » (Ésaïe 53). N’est-ce pas là tordre le sens des Écritures ? À nouveau, seul le Saint-Esprit est habilité à faire cette transition. Si le prophète a écrit « nos », il avait sans doute ses raisons. Par ce changement humain, nous trouverons des personnes pour qui ce verset n’aura aucune signification profonde, et qui tout de même le prononceront ; cela tient plus de la psychologie que de l’action de Dieu dans nos cœurs. Je suis affligé de voir jusqu’où peut mener ce pragmatisme évangélique ; on perd de vue que Dieu est Saint et omnipotent, on cesse d’être attentif au monde spirituel et on entre dans le royaume de « l’utilité », idole à laquelle on est prêt à sacrifier même le sens des Saintes Écritures. Il est grand temps que nous réaffirmions les grands principes de la foi, ce qui n’a rien du fruit d’un endoctrinement psychique et sentimental mais qui ne découle, je le répète, que de la grâce de Dieu.

Malheureusement, de telles erreurs ne viennent que rarement seules. Et notre livre n’a rien d’une exception confirmant cette règle. Que lit-on à la page 43 ? «Je (Forrey) lui (un homme) dis alors qu’il ne connaissait que la moitié de l’Évangile, celle qui nous parle du Sauveur crucifié. « Par la foi en son sang, vous aviez trouvé le pardon et la paix. Mais Jésus est aussi le Seigneur ressuscité auquel toute puissance a été donnée. Il a donc le pouvoir de vous donner la victoire sur vos mauvaises habitudes. » Paul, quant à lui, nous dit que Jésus a été livré pour nos offenses et qu’Il est ressuscité pour notre justification (Ro 4:25). C’est lui aussi qui écrit que Christ « s’est humilié lui-même en devenant obéissant jusqu’à la mort, la mort sur la croix. C’est pourquoi aussi Dieu l’a souverainement élevé… » (Ph 2:8-9). Il est intéressant de remarquer que l’apôtre « unifie » l’œuvre du Christ. J’entends par là qu’il lie directement incarnation, crucifixion et résurrection. Nous devons comprendre que ces différents événements historiques ne peuvent être pris séparément ; c’est parce que Christ a été obéissant jusqu’à la mort qu’il a été souverainement élevé. Prendre la crucifixion sans la résurrection (faire une dichotomie mentale nullement biblique) est absurde. (Il est bon de lire 1 Cor 15.12-19). De tels raisonnements reviennent presque à confesser que Christ a échoué dans son œuvre du salut. Comment peut-on être chrétien et accepter cela ? Si tel avait été le cas, il n’y aurait pas un seul homme destiné au salut !

Et si Torrey se trompait dans son diagnostic ? Connaître la « moitié de l’Évangile », est-ce bien sérieux ? Connaît-on Dieu, si l’on ne connaît que Son amour et que Sa toute-puissance nous échappe ? Connaît-on Christ si la résurrection ne nourrit pas notre foi jour après jour ? Mais Dieu est miséricordieux ; Torrey nous dit quelques lignes plus bas que cet homme comprit enfin la résurrection. Je dirais plutôt que cet homme s’est converti. Une attache à un évangile ne menant personne au salut ne fait pas le chrétien ; gloire à Dieu ! Mais l’Évangile, le vrai, est une puissance pour le salut de quiconque croit.

Peut-être serez-vous heureux de voir le présent article prendre fin. Encore un peu de patience, le « meilleur » est pour la conclusion. Lisons la page 46 :

« Une jeune dame refusait un jour de venir au Sauveur, disant qu’il y avait trop de choses à sacrifier. Pour toute réponse, je lui dis,

— Croyez-vous que Dieu vous aime ?

— Certainement.–

— Jusqu’où vous a-t-il aimée ?

— Jusqu’à donner Son Fils pour mourir à ma place.

— Croyez-vous que s’il vous a tant aimée, jusqu’à donner Son Fils pour vous, Il vous demandera de sacrifier quoi que ce soit ?

— Non, répondit-elle.

— Dans ce cas, pourquoi ne pas l’accepter tout de suite ?  Ce qu’elle fit. »

Incroyable ! Parlons-nous vraiment du même Sauveur ? Le Jésus de la Bible nous dit que « quiconque ne porte pas sa croix et ne me suit pas ne peut être mon disciple » (Luc 14:27). C’est lui aussi qui renvoie le jeune homme riche, pas prêt au sacrifice (Mc 10:17-27) (à propos de ce récit, et plus généralement de l’évangélisation, il est vivement conseillé de lire le magnifique livre de W. CHANTRY, Le Maître à l’œuvre, publié chez Europresse 1991). Enlevez le renoncement à soi de votre message et vous ne prêchez plus l’Évangile. Jésus n’est pas sauveur, il n’est pas seigneur non plus. Il est Seigneur et Sauveur. Il est complètement hérétique de penser que Jésus nous sauve sans vouloir régner sur nos vies. La mortification du vieil homme, qui peu à peu cède la place à l’homme régénéré par l’Esprit du Sauveur, entièrement dévoué à Christ est une vérité largement exprimée dans la Bible ; un pot de Tippex et beaucoup de patience viendra en aide aux disciples de Torrey. Mais qu’arrivera-t-il à cette pauvre femme ? Torrey ne nous le dit pas. Il y a de fortes chances qu’elle eut de graves problèmes spirituels. Si une véritable piété ne nous lie à Dieu, nous sommes dans les mains du diable. Mes frères, mes sœurs, je vous supplie de bien (re) considérer la chose ; une telle erreur est grave non seulement en ce qu’elle est une offense à la seigneurie de Christ, mais encore qu’elle mène sûrement de nombreux chrétiens à la débâcle.

D’aucun déploreront la parution d’un tel article. Ils y verront une attaque à l’unité de l’Église. Mais ne soyons pas humanistes : si l’Église doit être universelle, n’oublions pas qu’elle doit aussi être sainte. Son unité doit avoir Jésus-Christ comme unique fondement : elle ne s’obtiendra donc que quand nous tous lèveront les yeux vers sa majesté. Vouloir l’unité en regardant à l’homme est faux : la vérité révélée est première, l’unité en découle. Les deux choses ne sont pas opposées, bien au contraire. Mais elles le deviennent lorsque l’unité devient première. Dans cette perspective ce sont les hommes, et non plus Dieu qui sont au centre, contrairement à ce qu’exige la Bible. Chers amis, le corps du Christ n’est pas soumis à un régime démocratique, où chacun a son mot à dire au sujet de la vérité. Il s’agit plutôt d’une monarchie, ayant Christ pour Souverain absolu, Maître de tout et de tous.

D’autres trouveront qu’il est plus important d’annoncer Christ au monde que de se quereller entre chrétiens au sujet de détails. N’oublions pas de bien regarder quel évangile nous apportons au monde, et comment nous le faisons. S’il est clair que le devoir de tout chrétien (et pas seulement de ceux ayant reçu ce soi-disant « baptême du Saint Esprit ») est d’annoncer Christ, il est tout aussi important de le faire en Esprit et en Vérité. Et non en chair et en spéculations, comme semble vouloir nous proposer Torrey.

Sainte Église de Dieu, réveille-toi ! Purifie-toi et rejette toute souillure. Tourne-toi vers ton divin Berger et abandonne toute œuvre vaine. Respecte le quatrième commandement, repose-toi de tes propres œuvres et laisse Dieu travailler en toi !

Bertrand Rickenbacher

Une évangélisation selon le Nouveau Testament : Walter Chantry, Le maître à l’œuvre, Europresse, Chalon-sur-Saône 1991

Walter Chantry dans Le maître à l’œuvre pose une question fondamentale qui devrait tourmenter tout chrétien : pourquoi l’église qui, par le passé, et sans grands moyens médiatiques, a plusieurs fois changé la face du monde, a-t-elle aujourd’hui si peu d’impact sur la société ? Ou, plus précisément, pourquoi les nombreux chrétiens issus des campagnes d’évangélisation moderne sont-ils incapables d’endiguer la déchristianisation croissante de l’occident et le délabrement moral qui en résulte ?

Ces inconfortables questions ont poussé Walter Chantry à s’interroger sur la conception moderne de l’évangélisation et ceci par le biais d’une comparaison méticuleuse entre la manière de procéder de Jésus lui-même lors de son entretien avec le jeune homme riche et celle des évangélistes modernes. Au terme de cette minutieuse confrontation entre deux manières d’être et d’agir, qui n’ont, on le découvre, rien de commun, Walter Chantry arrive à la conclusion que la plupart des conversions obtenues par les méthodes d’évangélisation modernes, si étrangères à celles du Christ, ne sont que de pseudo conversions, des formes vides auxquelles ne correspondent aucune réalité intérieure qui en ferait la force et la vitalité. Inutile de chercher plus loin la cause de l’inefficacité de l’église : un bon nombre des chrétiens qui la peuplent n’en sont pas vraiment.

Si la manière d’évangéliser de nos modernes missionnaires diffère tant de celle de Jésus, c’est fondamentalement parce que la théologie qui la sous-tend est, sinon totalement différente, du moins assez hérétique pour produire des fruits pourris. Regardons d’un peu plus près avec Walter Chantry comment se comporte Jésus avec le jeune homme riche, sujet idéal pour tout évangéliste moderne. Aux questions empressées de ce jeune homme plein de zèle religieux, Jésus ne se propose pas immédiatement comme sauveur personnel mais répond d’abord en mettant l’accent sur le caractère de Dieu, sa sainteté parfaite, implicitement opposée à la perversité de l’homme pécheur. Il poursuit en insistant sur la loi de Dieu, reflet de cette sainteté et miroir dans lequel l’homme peut découvrir le péché qui corrompt son cœur et sa volonté. Là on s’attendrait à ce que le jeune homme réponde qu’il a essayé d’obéir méticuleusement à toute la loi mais qu’il n’y est jamais parvenu parfaitement, et peut-être qu’alors le Christ lui eût répondu qu’il était proche du royaume des cieux. Mais, ô surprise, par sa réponse le jeune homme riche montre que malgré toutes ses bonnes dispositions à l’égard de Jésus et des choses religieuses, il n’est qu’un propre juste qui n’a rien compris à l’esprit de la loi, même s’il en a scrupuleusement respecté la lettre. Il n’a pas saisi non plus le caractère fatal du péché qui l’habite, ni l’impossibilité de s’en détourner. Sa réponse est sincère, autant que son obéissance. Il est intimement persuadé d’avoir obéi à la loi de manière satisfaisante et, d’un point de vue strictement humain, sans doute a-t-il raison. Jésus, lui, n’est pas dupe de cette sincérité et lui assène alors le coup de grâce : « va, vends tous tes biens, donne-les aux pauvres et suis-moi » mettant ainsi à nu les péchés particuliers qui rongent son cœur, à savoir l’idolâtrie (de ses richesses), la cupidité et son manque d’amour pour son prochain. Cette dernière injonction du Christ n’est pas un commandement supplémentaire pour personne hyper-spirituelle, mais tout simplement une reformulation de la loi (selon l’esprit de cette loi et non plus selon la lettre) parfaitement adaptée au cas de ce jeune homme et qui a l’immense mérite de lui révéler la vraie nature de son péché.

Finalement, Jésus laisse repartir notre homme les mains vides, sans assurance prématurée sur son salut mais aussi sans faire pression d’aucune manière sur sa volonté, sans tentative pour le convaincre à tout prix et sans essayer de le séduire par d’alléchantes promesses démagogiques. Il le laisse aller méditer sur la profondeur du péché qui aliène sa volonté, sur le coût exorbitant d’une véritable repentance, pour qu’un jour peut-être, il revienne à lui brisé par une vraie conviction de péché et d’impuissance, ou au contraire ne revienne jamais et s’enfonce davantage dans l’idolâtrie. À ses disciples effarés, il explique l’incapacité de la volonté humaine à se détourner du péché, à moins que Dieu n’intervienne lui-même en faveur de cette volonté et cela même chez le plus religieux, le plus honnête et le plus scrupuleux des hommes. On comprend alors mieux pourquoi il n’a pas insisté pour convaincre le jeune homme riche de le suivre, ni n’a fait pression sur sa volonté : Jésus sait qu’une décision charnelle en sa faveur, décision née d’une volonté corrompue et non de celle de Dieu, ne vaut rien et ne ferait en aucun cas avancer sa cause. Dieu veut des Isaac né selon la grâce, et non des Ismaël né selon la chair et les efforts humains. Examinons maintenant, toujours en compagnie de Walter Chantry, quelle serait l’attitude des évangélistes modernes confrontés au même genre de personne. Walter Chantry affirme que considérant les bonnes dispositions de ce « client idéal », ils auraient tôt fait de lui soutirer une repentance purement verbale, puis, moyennant quelques promesses et quelques menaces, de lui arracher sa « décision pour Christ ». Réduisant tout l’évangile à quelques formules creuses, ils lui exposeraient brièvement qu’il suffit de se repentir et de croire au Seigneur Jésus pour être sauvé, sans expliciter davantage ce que cela signifie ni ce que cela implique comme douloureuse prise de conscience et comme coûteux renoncements, sous entendant de ce fait que la foi n’est qu’une simple adhésion intellectuelle à une série de propositions. Ainsi que le souligne Walter Chantry, on se demande qui serait assez fou ou assez sûr de l’au-delà pour refuser un tel marché : la vie éternelle contre l’acceptation de quelques vérités. Après lui avoir fait remplir sa carte de décision, ils se substitueraient au Saint Esprit, seul habilité à donner une conviction dans ce domaine, et le renverraient chez lui certain de son salut éternel. Bardé de cette assurance mortelle, il serait finalement inaccessible à une véritable repentance puisque persuadé d’être déjà passé par elle. Finalement, ce pseudo-chrétien, continuant à servir ses idoles tout en croyant servir Dieu lui-même, viendrait gonfler les statistiques évangéliques et affaiblir les forces de son église.

Comment en est-on arrivé là ? Pour Walter Chantry la réponse se trouve dans la superficialité doctrinale et théologique des évangéliques, défaut héritée d’une tradition piétiste, ainsi que dans leur tendance à tout simplifier à l’extrême par un souci plus moderne d’efficacité et de rentabilité. Toute leur théologie est basé sur quelques versets tels que « Dieu a tant aimé le monde qu’il a donné son fils unique afin que quiconque croit en lui ne périsse point mais qu’il ait la vie éternelle » (1 Jean 3:16) considérés indépendamment du reste de l’enseignement biblique, ainsi que sur une conception de l’homme et de la nature de sa volonté héritée des théologiens arminiens et des philosophes humanistes bien plus que de la tradition biblique. Présupposant l’homme libre de choisir entre Dieu et le péché, ils mettent tout l’accent sur l’homme et sur sa volonté au lieu de le mettre sur Dieu et sa loi et font tout leur possible pour le convaincre de croire, puisque c’est en croyant qu’on a la vie éternelle. Ils ne comprennent plus que là foi est un don de Dieu et non le produit de la volonté naturelle et que toutes les décisions obtenues par leurs vains efforts ne sont le plus souvent que de pieuses velléités.

À partir de là, on voit que tout ce qui est bon pour convaincre et séduire est bon pour évangéliser. De ce fait, il n’est pas étonnant de constater que les méthodes des évangélistes (même si ceux-ci n’en ont pas conscience) ressemblent à s’y méprendre à celles des publicitaires et autres spécialistes du marketing bien plus qu’à celles du Christ. En effet, leur but (à court terme) et leur cible sont les mêmes. Dans les deux cas il s’agit de convaincre le chaland potentiel (un homme libre de choisir mais hautement manipulable) qu’il a besoin du produit qu’ils ont à offrir et cela en utilisant tout l’arsenal de la persuasion, de la séduction et de la pression sociale. Étant bien entendu que la fin justifie les moyens, même s’il faut pour cela solder la vérité. On est bien loin de Jésus et de ses méthodes et c’est pour cela, Walter Chantry est formel, que les fruits de telles pratiques sont si décevants. Le remède ? Là aussi, Walter Chantry n’hésite pas à affirmer qu’il faut remodeler notre manière d’évangéliser sur celle du Christ : apprendre à redécouvrir le caractère de Dieu, apprendre à spiritualiser la loi et à l’appliquer de manière précise à nos contemporains plus pharisiens que jamais. On peut alors espérer qu’ils soient brisés par la grâce de Dieu et que convaincus de leur péché et de leur impuissance à s’en détourner, ils crient à Dieu de les secourir. À ce moment-là, et seulement à ce moment-là, ils seront prêts à entendre parler du Christ comme seul sauveur possible.

Laurence Benoit

Lausanne