Il serait faux de supposer qu’un mot aura forcément le même sens pour tout le monde. Par exemple, le mot « Dieu » a beaucoup de définitions différentes, et cela même si on se limite aux pays de l’Occident. Et si nous englobons le monde entier, nous ne manquerons pas d’y rencontrer des sens bien étranges. C’est la foi de l’homme ainsi que sa culture qui définit le sens des mots. Toute définition est déterminée par la religion, car il s’agit ici d’une tâche éminemment religieuse. Ceci est vrai depuis que Dieu ordonna à Adam de nommer – c’est-à-dire de définir – les animaux.
Les nombreuses définitions de la liberté peuvent être classées en deux grandes catégories et il est inutile de lutter pour la liberté sans savoir ce pour quoi nous militons. Le conflit qui caractérise notre époque se situe, d’une part, entre une vision d’une liberté affranchie de la loi, une liberté antinomienne, une licence anarchique et, de l’autre, une liberté vécue sous l’autorité de Dieu de sa loi.
Récemment un artiste ayant eu entre ses mains un exemplaire du Chalcedon Report manifesta une très violente réaction. Nous étions, à ses yeux, des fascistes, des ennemis de la liberté. Il cita entre autres, pour preuve, un article d’Otto Scott consacré à l’expérience de libre distribution de la drogue à la Platz Spitz à Zurich, qui prouvait que nous étions contre les homosexuels, contre la drogue, etc. Nous étions en conséquence, aussi contre l’art. En somme, pour lui, autant l’art que la liberté ne représentait autre chose que l’anarchie, la promotion de tout ce qui est anti-chrétien et contraire à l’observation des lois.
Aussi les défenseurs de la liberté ne sont manifestement pas tous dans le même camp. Ceux qui croient que la liberté c’est de vivre sans loi peuvent bien maudire les chrétiens considérés comme des fomenteurs de haine et vomir leur venin sur eux au nom de la liberté. Ils pensent sincèrement défendre la liberté contre un pouvoir maléfique !
Au cours des années, j’ai eu connaissance et ai entendu parler de bien des professeurs d’université qui volaient régulièrement des livres de grande valeur de bibliothèques universitaires, sous prétexte qu’ils sauraient eux-mêmes mieux apprécier ces ouvrages que d’autres lecteurs. Dans le World News Digest du 18 juin 1992, nous lisons le récit des difficultés rencontrées par le directeur de la Bibliothèque du Congrès, le Dr James Billington. Il a dû fermer les réserves aux employés de la bibliothèque « en raison du nombre incroyable de vols perpétrés ». Les dirigeants du syndicat des bibliothécaires lui déclarèrent qu’ils avaient parfaitement droit à prendre ces livres. Quand Billington informa les chefs syndicalistes de sa décision ils furent particulièrement outrés d’entendre dire que les pires délinquants n’étaient autres que des détenteurs de doctorats. Les chefs du Syndicat réclament à présent la tête du Dr Billington.
Le droit de voler ? Ce n’est guère autre chose que la conclusion logique de la foi en une liberté antinomienne, liberté affranchie de toute loi. Devons-nous alors être surpris d’apprendre que même des pasteurs et des prêtres se rendent trop souvent coupables de détournements de fonds d’églises ou de péchés sexuels ?
Il ne peut exister de société statique. En effet, toute société suit la logique de sa propre foi avec toutes les conséquences normales que celle-ci doit entraîner. Une foi antinomienne, une foi sans loi, ne peut que conduire au mépris de plus en plus ouvert des lois. Et c’est de ce phénomène croissant que nous sommes témoins. Nous voyons des professeurs, des gangs de criminels de rues et des émeutiers se réclamer du droit au vol. Leur foi est animée d’une croyance commune : en un antinomisme radical qui est leur définition de la liberté.
Notre Seigneur, dans Jean 8:33 et suivants, nous montre clairement ce qu’est la liberté. Premièrement, les hommes qui sont sans loi sont des pécheurs et comme tels, les serviteurs ou les esclaves du péché. Le péché originel n’est rien d’autre que le désir de l’homme d’être son propre dieu, sa propre loi (Gen. 3:5). Mais en réalité, le péché ne peut que l’asservir davantage et le rendre désespérément mauvais. Deuxièmement, c’est Christ qui nous rend libres et qui fait de nous une nouvelle création (II Cor. 5:17). Il nous rend capables de vivre dans l’obéissance à la loi, quoique imparfaitement sur cette terre, et fait de nous le peuple de sa justice (Romains 8:4). C’est la loi de Dieu et non l’anarchie qui devient alors notre mode de vie.
Pour les chrétiens authentiques, la vision antinomienne de la liberté est synonyme d’esclavage. Le monde, de par sa politique actuelle, aspire activement à l’esclavage qui est considéré par les hommes de notre temps comme le summum de la liberté. Nos politiciens parlent de la liberté comme le faisait Lénine pour qui ce mot masquait les contrôles de l’État et l’esclavage. Tous ceux qui rejettent la Loi de Dieu, rejettent par là même les fondements de notre liberté et se placent ainsi, dans une certaine mesure, dans les camps des hommes sans loi.
Il est parfaitement inconséquent et stupide de vouloir s’opposer à notre culture homosexuelle actuelle, de prétendre détester la croissance rapide des contrôles totalitaires de l’État et de se plaindre de l’immoralité croissante qui nous environne, tout en cautionnant par notre antinomisme la définition que le monde donne de la liberté : une absence de toute loi.
Cette doctrine porte l’empreinte du mal et de la perversion. Ces dernières années on a trouvé comme nouvelle définition de la liberté le droit de harceler un orateur. C’est une idée courante parmi bien des étudiants de nos universités pour lesquels il s’agit du droit de faire taire tous ceux avec lesquels ils ne sont pas d’accord.
D’autres, tout en niant que la nature humaine ait un quelconque caractère fixe qui lui soit propre, insistent néanmoins sur le fait que la liberté serait un attribut essentiel de l’homme. Force est de reconnaître que cette volonté d’être libre de Dieu et de sa Loi est une attitude fondamentale de l’homme déchu. Le philosophe anglais du XIXᵉ siècle John Stuart Mill considérait la liberté comme une fin en soi. Il lui accordait une valeur absolue et souveraine tant qu’elle touchait à l’existence de l’homme. La seule limite à une telle liberté consistait à ce que l’homme ne nuise pas à son prochain. Mais qui pouvait affirmer une telle chose ? Qui pouvait prétendre contraindre un être entièrement souverain ? L’idée anarchiste que se faisait Mill de la liberté ne reposait sur rien d’autre que sur la notion purement arbitraire qu’il s’en faisait. Par ailleurs, dans son Essai sur la liberté il expose la doctrine suivante : « Nous ne pouvons jamais être certains que l’opinion que nous cherchons à étouffer soit fausse, et même si nous en étions convaincus, le fait de la réprimer serait un acte mauvais. » Cela signifie dans les faits que toute propagande favorable à un mal quelconque devrait être protégée. La liberté devient ainsi le seul, l’unique absolu. La doctrine antinomienne de la liberté finit par renverser et rejeter toute légitimité possible à la loi et cela en faveur d’une liberté conçue comme un absolu, en fait le seul bien.
Le conflit se situe clairement entre une liberté conçue comme affranchie de toutes les contraintes de la loi et une liberté qui se soumettrait à la loi, plus précisément à la loi Dieu. Il nous est impossible d’œuvrer au développement d’une société libre parce que placée sous l’autorité de Dieu sans discerner clairement les alternatives placées devant nous. L’incompréhension de ce qu’est la véritable liberté nous a déjà coûté très cher. Sous la bannière d’une fausse liberté, les hommes se précipitent vers l’esclavage.
R.J. Roushdoony
- Le Dr Rushdoony – un des meilleurs théologiens de l’heure actuelle, auteur de nombreux livres – est le directeur du Chalcedon Report d’où est extrait cet article, (No. 328, novembre 1992). Il a été traduit de l’anglais par Bertrand Rickenbacher. Nous recommandons vivement cet excellent mensuel à tous nos lecteurs qui lisent l’anglais. Il s’agit, à notre avis, de la meilleure revue chrétienne disponible traitant du combat de l’Église de Dieu face aux forces qui cherchent aujourd’hui à la détruire et à faire disparaître toute présence du Christianisme de notre monde.