Pourquoi dans une fosse obscure et inconnue
Est la chair de Calvin par la mort détenue ?
De ce docte Calvin, tant et tant redouté
De Rome ruineuse et de la Papauté.

Duquel les gens de bien désirent la présence,
Et de qui les méchants craignent même l’absence ;
De qui vertu pouvait – tant il était vêtu
Et orné de grands dons – apprendre la vertu.

En l’admirable cours de son heureuse vie
Pour compagne ordinaire il eut la modestie.
Elle enterra Calvin de ses deux propres mains.

O moncelet poudreux, que ton hôte t’honore !
Qu’il y a de tombeaux ore entre les humains
Jaloux et désireux de l’heur qui te décore.

Théodore de Bèze

Traduit du latin par Simon Goulurt

D’autant que le témoignage du fils pour son père ne peut pas être du tout hors de soupçon, qu’on connaisse donc, ô Calvin, par tes déportements, que tu as été un excellent instrument en la main de Dieu tout puissant et tout bon, qui par ton ministère a parachevé la restauration de la vraie religion, heureusement commencée par certains autres quelques années auparavant. Car c’est toi spécialement, à la doctrine, diligence et zèle ardent duquel, la France et l’Écosse se rendent redevables du rétablissement du royaume du Christ au milieu d’elles. Les autres Églises, éparses en nombre infini par tout le monde, confessent t’être grandement obligées pour ce regard. De cela soient témoins, premièrement tes livres qui vivront à jamais et que tous hommes doctes et craignant Dieu, reconnaissent être dressés avec tel jugement, de si solide érudition, et d’un style si beau, que l’on ne saurait trouver homme qui jusqu’à présent ait exposé plus dextrement l’Écriture sainte.

Et pour l’autre bande de témoins, voici les furieux mathéologiens, ennemis jurés de la vérité de Dieu, qui ont écumé toute leur rage contre toi avant et après ta mort. Mais cependant, tu jouis auprès de Jésus-Christ ton maître des loyers dont il récompense ton fidèle service. Et vous Église du fils de Dieu, continuez d’apprendre des livres de ce grand docteur, qui ayant la bouche close ne laisse toutefois (malgré l’envie) de vous enseigner encore aujourd’hui. Quant à vous, sophistes, monstres détestables et voués à la perdition, en continuant d’aboyer après ce saint et docte théologien, découvrez de plus en plus votre sottise et méchanceté, afin que l’on vous siffle et maudisse, en attendant que le juste juge vienne pour rendre à chacun selon ses œuvres. Au reste, Calvin devenu phtisique à cause de ses veilles et abstinence trop grandes, mourut à Genève l’an mille cinq cent soixante-quatre, le vingt-septième jour de mai, étant en l’âge de cinquante-quatre ans, vingt-cinq desquels il avait employés en la charge de pasteur et docteur de cette Église par lui dressée et affermie, non sans grandes difficultés, et qu’il avait heureusement gouvernée avec ses doctes compagnons au ministère durant ce temps. Il fut enterré sans aucune pompe, comme il en avait donné charge expresse, et fut regretté comme père de tous ceux de Genève et de plusieurs fidèles épars en diverses parties du monde. Entre les autres je fus un de ceux qui déploraient son trépas par une épigramme latine qui a été tourné en français ci-dessus.

Ce sonnet et l’évocation de la vie de Calvin qui le suit sont tirés de l’ouvrage de Théodore de Bèze : Les vrais portraits des hommes illustres en piété et doctrine, Genève, 1581, p. 121-122. (Slatkine Reprints, Genève, 1986)