Les évangéliques face à la Parole de Dieu

par | Résister et Construire - numéros 26-27

PRÉAMBULE[1]

Ce sujet n’est pas de mon choix. Il m’a été proposé par les responsables de la Pastorale, et j’ai songé, de prime abord, à ne pas m’y astreindre, car je le jugeais contraignant. Réflexion faite, toutefois, j’en ai vu l’importance cruciale et l’actualité.

L’importance cruciale

En effet, Dieu s’est fait connaître, s’est révélé – quant à son être, ses attributs, ses desseins, ses œuvres, ses voies, ses exigences, ses jugements – dans et par sa Parole. Par conséquent, dans la vie individuelle et collective, tout gravite autour de la façon dont l’on se situe par rapport à cette Parole, qui est entièrement une avec Celui qui l’a proférée :

« Je serre ta parole dans mon cœur, afin de ne pas pécher contre toi. » (Psaume 119:11)

Dieu « en personne » est reconnu ou rejeté en fonction même de l’attitude prise face à la Parole qui le révèle.

Cela, nous le constatons dès le chapitre 3 de la Genèse. Adam et Ève se sont situés – hélas négativement – face à l’ordre formel et divin consigné en Genèse 2 :16-17. Ainsi, ils ont rejeté leur Suzerain, et tout ce qui en a découlé, « la suite de l’histoire », nous ne la connaissons que trop bien. Non seulement sommes-nous les témoins journaliers des effets désastreux de la désobéissance originelle, mais encore les vivons-nous dans notre chair. Le chapitre 5 des Romains est là pour nous le rappeler.

Plus que n’importe quelle autre, l’épître aux Hébreux insiste sur la solennité du fait que Dieu a parlé. C’est même par là qu’elle commence :

« Après avoir autrefois, à plusieurs reprises et de plusieurs manières, parlé à nos pères par les prophètes, Dieu, dans ces derniers temps, nous a parlé par le Fils… » (Hébreux 1:1-2)

Nous avons ici une déclaration liminaire et générale embrassant les deux Testaments. Le point culminant et final de la Parole inspirée, dans son développement à travers les siècles, est la révélation du Fils. Celle-ci coïncide avec l’achèvement du canon des Saintes Écritures. Dieu a parlé d’une façon définitive. Il a dit tout ce qu’il voulait dire, et l’on ne peut entendre sa voix, aujourd’hui, que dans ce qu’il a déjà dit.

Au chapitre deux, l’auteur de l’épître nous presse de « nous attacher aux choses que nous avons entendues, de peur que nous ne soyons emportés loin d’elles » (v. 1). Par là, il se réfère à l’annonce du « si grand salut », d’abord de la bouche du Seigneur lui-même et ensuite par les apôtres, la parole apostolique confirmant celle du maître et recevant, en même temps, le sceau de l’approbation divine par des signes, des prodiges, des miracles et des dons du Saint-Esprit, (v. 2-4).

Mais, dans tout ce passage, l’accent principal porte sur le fait que si le rejet de la loi – « la parole annoncée par les anges », au Sinaï, à travers la médiation de Moïse – a systématiquement et immanquablement entraîné de graves conséquences, le rejet de l’Évangile – dont Dieu le Fils en personne est le médiateur et, dans une pleine unité avec les apôtres, le proclamateur – nous expose à coup sûr à un jugement d’une rigueur bien pire encore :

« Comment échapperons-nous en négligeant (ou méprisant) un si grand salut ? » (v. 3)

Les chapitres trois et quatre, à partir de l’exemple dramatique de la première génération du peuple d’Israël sorti d’Égypte – morte dans le désert et privée de l’entrée dans le pays promis à cause de son incrédulité (3:19) – nous mettent sévèrement en garde contre l’endurcissement à l’ouïe de la bonne nouvelle du repos rédempteur en Christ :

« C’est pourquoi, selon ce que dit le Saint-Esprit : Aujourd’hui, si vous entendez sa voix, n’endurcissez pas vos cœurs, comme lors de la révolte, le jour de la tentation dans le désert… » (Hébreux 3:7-8)

Les chapitres six et dix abordent la question redoutable du terrible péché d’apostasie, le seul qui se situe au-delà du pardon de Dieu, et qui concerne ceux qui, après avoir « goûté la bonne parole de Dieu » (Hébreux 6:5), la rejettent consciemment, volontairement et définitivement. Cette faute marque un point de non-retour et expose à coup sûr à la malédiction divine (Hébreux 6:6–8). Hébreux 10 insiste aussi sur les conséquences irrémédiables de l’apostasie tout en soulignant qu’elles sont plus affreuses encore sous le régime de la grâce que sous celui de la loi, sous la Nouvelle Alliance que sous l’Ancienne :

« Celui qui a violé (ou méprisé) la loi de Moïse meurt sans miséricorde sur la déposition de deux ou trois témoins ; de quel pire châtiment pensez-vous que sera jugé digne celui qui aura foulé aux pieds le Fils de Dieu, qui aura tenu pour profane le sang de l’alliance, par lequel il a été sanctifié, et qui aura outragé l’Esprit de la grâce ? Car nous connaissons celui qui a dit : À moi la vengeance, à moi la rétribution ! Et encore : Le Seigneur jugera son peuple. C’est une chose terrible que de tomber entre les mains du Dieu vivant. » (Hébreux 10:28-31)

Pour clore sur l’importance cruciale du sujet traité – « Les Évangéliques face à la Parole de Dieu » – et avant d’aborder son actualité, une dernière citation de l’épître aux Hébreux :

« Gardez-vous de refuser d’entendre celui qui parle ; car si ceux-là n’ont pas échappé qui refusèrent d’entendre celui qui publiait des oracles sur la terre, combien moins échapperons-nous, si nous nous détournons de celui qui parle du haut des cieux, lui, dont la voix alors ébranla la terre, et qui maintenant a fait cette promesse : Une fois encore j’ébranlerai non seulement la terre, mais aussi le ciel… c’est pourquoi… montrons notre reconnaissance en rendant à Dieu un culte qui lui soit agréable, avec piété et avec crainte, car notre Dieu est aussi un feu dévorant. » (Hébreux 12:25–29)

L’actualité

Sous la Nouvelle Alliance comme sous l’Ancienne, l’état spirituel du « peuple de Dieu » – j’entends par là tous ceux qui, légitimement ou pas, se réclament de lui, le Seigneur lui-même connaissant ceux qui lui appartiennent (II Timothée 2:19) – a toujours été fonction de son attitude vis-à-vis de la Parole de Dieu, à la fois sur le plan des principes (la confession de foi) et de la pratique, de sa théologie et de son obéissance.

Dans la parabole des deux maisons, le Seigneur a précisé que la solidité de la demeure ne dépendait pas simplement d’une attitude théologique orthodoxe à l’égard de ses paroles, mais d’une mise en pratique, et que « celui-là seul qui fait la volonté de mon Père qui est dans les cieux » entrerait dans le royaume des cieux (Matthieu 7:24-27 et 21).

Or, il me paraît indéniable qu’en ce moment, les Évangéliques – ou la Mouvance Évangélique – ceux qui constituent, comme quelqu’un l’a dit, la Troisième Force entre Protestantisme officiel et institutionnel et l’Église catholique romaine, se trouvent à un tournant historique dans leur attitude à l’égard de la Parole de Dieu et confrontés à une situation extrêmement périlleuse. À moins d’un revirement radical, ils risquent de dériver de plus en plus, emportés par des courants malsains.

Nuances

Comme toujours des distinguos s’imposent, c’est évident, et je me garderai de « mettre tout le monde dans le même sac ». Attention aux généralisations hâtives et injustes ! Il y a encore d’excellentes choses dans le monde évangélique, des croyants et des églises fidèles à l’Écriture et au Seigneur, des gens qui discernent les courants corrupteurs et ont le courage de les dénoncer. Nous devons aussi rendre hommage aux chrétiens et aux institutions qui militent pour la défense de l’Évangile.

De plus, même parmi ceux qui sont touchés par certaines influences nocives, tous ne le sont pas au même degré et beaucoup retiennent des éléments fondamentaux de la foi.

Par ailleurs, « l’Évangélicalisme » – si je puis employer ce terme – ne présente pas partout le même visage. L’on ne peut donc pas simplement transposer ce qui se passe dans un secteur géographique à un autre. Il serait faux et absurde, par exemple, d’appliquer aux Évangéliques de la francophonie ce que Francis Schaeffer décrit et dénonce par rapport au Mouvement Évangélique et Néo-Évangélique des USA, dans son dernier livre, « The Great Evangelical Disaster », écrit en 1984, l’année même de sa mort.

Avertissement

Sous réserve de ce que je viens de dire, il faut toutefois se rappeler que le monde est petit, et ce, de plus en plus avec le formidable développement du réseau médiatique ; que ce qui se passe en un point du globe réagit de plus en plus rapidement sur l’ensemble de la planète ; que les modes et les vagues théologiques, même si elles partent d’outre-Atlantique – où se rencontrent souvent le meilleur et le pire – finissent toujours par atteindre notre vieux continent. Nous sommes de plus en plus perméables aux nouveaux courants de pensée.

Ainsi, après avoir signalé le danger de tout confondre et de tout niveler, je reviens quand même au fait que le monde évangélique francophone – et peut-être au-delà – présente aujourd’hui, et à grande échelle, des tendances, des orientations inquiétantes, en rapport étroit avec son attitude à l’égard de la Parole de Dieu. Nous sommes, je le crains, à une croisée historique des chemins.

Conclusion

Dans l’exposé qui va suivre, je souhaite – avec l’aide de Dieu – m’exprimer sans contrister l’Esprit Saint, qui est « l’Esprit de la grâce » (Hébreux 10:29), tout en disant le fond de ma pensée et ce qui me paraît conforme à la réalité et à la vérité scripturaire, car je crois parler au nom de convictions vraiment évangéliques, c’est-à-dire bibliques.

Mais je m’exprime aussi en tant que membre du monde évangélique – où j’ai beaucoup reçu, je ne l’oublie pas. Je ne prétends donc pas me distancer ou me désolidariser pharisaïquement. Si certains de mes propos sont critiques, je précise qu’il s’agit aussi d’« auto-critique ». Sans me mettre au-dessus de mes frères, je parle comme un membre affligé mais solidaire, dans l’esprit de Néhémie 1:4 : « Lorsque j’entendis ces choses, je m’assis, je pleurai, et je fus plusieurs jours dans la désolation. »

Mes propos n’ont rien d’académique non plus. J’ai été « sur le terrain », et tout ce que je dis reflète ce que j’ai vécu et vis encore en tant qu’acteur sur la scène évangélique depuis plus de vingt ans, en francophonie, particulièrement en Suisse Romande. Ce n’est qu’en automne 1991 que j’ai cessé d’être membre du Conseil de la FREOE (Fédération Romande des Églises et Œuvres Évangéliques), où j’ai siégé pendant huit ans. J’assiste régulièrement aux rencontres de la Pastorale Romande, dont je suis toujours membre.

Sans exagérer, j’estime que l’heure est grave, et, qu’avec d’autres, il faut élever la voix, sonner l’alarme, comme la sentinelle.

LES ÉVANGÉLIQUES FACE À L’INTANGIBILITÉ DE LA PAROLE DE DIEU

L’intangibilité de la Bible

Je suis issu d’un milieu évangélique très respectueux de la Bible, Parole de Dieu. Dès le premier quart de ce siècle, il a combattu frontalement ce qui portait atteinte à l’Écriture Sainte : la critique biblique, le rationalisme théologique, le néo-modernisme – « la Bible n’est pas la Parole de Dieu, elle la contient » – et, bien sûr, l’œcuménisme… sans parler d’autres « -ismes » !

Ceux qui m’ont enseigné étaient pénétrés du caractère sacré et de la majesté redoutable du texte biblique. Pour eux, il n’y avait pas de doute sur le fait que « ce que la Bible dit, Dieu le dit ». Ils auraient craint de porter une main profane sur la plus petite portion des Écritures, et leur approche peut se décrire dans les termes d’Exode 3:5 relatifs à la théophanie du buisson ardent :

« Ôte tes souliers de tes pieds, car le lieu sur lequel tu te tiens est une terre sainte ».

Eux-mêmes recouraient à cette illustration pour qualifier l’attitude à avoir vis-à-vis de la révélation scripturaire. Toucher à la Parole, par le doute, la critique, les réserves mentales, les insinuations, était à leurs yeux un acte de témérité, d’arrogance, de rébellion, extrêmement profane et hautement coupable. Rien de moins que l’apostasie.

Convaincus de l’intangibilité de la Bible, ils ont combattu avec vigueur tout ce qui la remettait en question.

Le fondement de la notion d’intangibilité

Il va de soi que cette notion repose sur la doctrine orthodoxe et historique de l’Église attestant l’inspiration, l’infaillibilité et l’inerrance des Écritures.

Pour mes conducteurs spirituels, cette doctrine était le « b-a ba » de la foi chrétienne, une proposition admise dès le départ, un postulat.

Et à ma connaissance – je veux dire parmi les Évangéliques que j’ai fréquentés et que je fréquente en francophonie – il n’y a pas, à l’heure qu’il est, de remise en cause ouverte, formelle, publique, de ces doctrines, et encore moins de négation directe et explicite.

Nous ne sommes pas, que je sache, dans la situation décrite par Francis Schaeffer dans « The Great Evangelical Disaster », auquel je me suis référé plus haut. Avec un grand courage et dans une grande souffrance, il dénonce, dans cet ultime et pathétique ouvrage, la catastrophique accommodation d’une importante partie de l’Évangélicalisme américain à l’esprit du monde, à la culture humaniste, même sur le plan moral. Et tout cela commence par une coupable dévaluation théologique de l’Écriture, soit le rejet explicite, chez beaucoup qui se disent « évangéliques », de son inspiration plénière, de son infaillibilité et de son inerrance. Pour Schaeffer, de larges secteurs de l’Évangélicalisme aux USA ont rejoint la position néo-orthodoxe : la Bible est crédible sur le plan « religieux », en ce qui concerne le message de la rédemption, mais cette crédibilité ne s’étend pas au champ des faits vérifiables, scientifiques, historiques. Même dans le domaine éthique, elle n’a pas d’absolus pour tous les temps et toutes les cultures. Autrement dit, elle ne peut pas parler avec autorité au niveau sociologique.

Pour ce qui est de l’Évangélicalisme en francophonie, encore une fois, la situation n’a rien, me semble-t-il, de comparable. Je ne pense pas non plus que l’on puisse nous appliquer ce que Wolfgang Bühne, dans la « Troisième Vague » (1992), dit du monde évangélique allemand :

« Le mouvement charismatique et, malheureusement aussi, une grande partie des évangéliques, pèchent par le fait qu’ils tolèrent dans leur sein une théologie libérale et critique à l’égard de la Bible. » (p. 121)

Remises en cause indirecte

Que l’on me permette toutefois de poser ici une question délicate : sans rejeter en principe la position historique de l’Église sur l’Écriture et tout en continuant à confesser, au plan doctrinal, sa pleine inspiration, ne peut-on pas indirectement et implicitement y porter atteinte par des concessions faites à certaines interprétations, ou par une espèce de tolérance ou d’indifférence vis-à-vis de ces interprétations ?

Pour être concret, je citerai l’exemple d’une certaine lecture :

  • Des trois premiers chapitres de la Genèse, où, sans nier l’historicité des événements rapportés – création, chute – on remet en question le caractère historique et littéral du récit lui-même. Cette subtile distinction n’est-elle pas la faille par laquelle le doute, tel un ver rongeur, peut s’insinuer ?
  • De passages bibliques classiques sur la relation homme-femme dans le couple et dans l’Église, pour légitimer un nouveau style de vie conjugale ou le ministère pastoral féminin. (cf. « La Bonne Nouvelle », No 2/1993, pp. 342 et 343).

Je me référerai également à l’adoption de plus en plus courante, pour les nouvelles versions de la Bible, du principe censé gouverner les traducteurs, à savoir celui de l’équivalence dynamique.

Comme l’explique R.L. Heldenbrand dans « Christianity and New Evangelical Philosophies » :

« La tâche du traducteur consiste, d’après cette vue, à amener le récepteur (le « destinataire ») à répondre de la même façon que les personnes à qui le message s’adressait originellement. »

« Selon Nida » – Secrétaire du Département Traductions de la Société Biblique Américaine – (qui a forgé l’expression « équivalence dynamique » sans être lui-même à l’origine du concept, bien antérieure), « les anciens traducteurs se focalisaient sur la forme du message (les termes de l’Écriture) ; mais lui voudrait que le traducteur moderne se concentre plutôt sur le récepteur. » (p. 31-32)

Par conséquent :

« Nida désire que le traducteur prenne plus de liberté avec le texte et le façonne en fonction de la réponse du récepteur. Par exemple, puisque les Musulmans se scandalisent de la doctrine de la Trinité, Nida prétend que les mots peuvent seulement décrire l’action de Dieu, jamais son essence… » (p. 33)

Il soutient même que :

« […] le point focal de la révélation biblique est l’événement. Dieu se révèle comme quelqu’un qui agit, parle, accomplit des miracles, mais ne décrit pas son essence. » (p. 37)

Ce qui est, bien sûr, en complet désaccord avec une série impressionnante de textes révélant ce que Dieu est, d’abord Exode 3:14 : « Je suis celui qui suis ».

Pour Nida, les mots ne sont que des symboles, et des symboles humains, des véhicules pour les idées. Et il distingue entre les mots et le message. Ce qu’il faut faire passer jusqu’au destinataire, c’est le message.

Nous touchons ici du doigt, pratiquement, une négation de l’inspiration des Écritures, même si elle n’est pas explicite, car, pour la Bible elle-même, les mots et le message ne font qu’un, et l’on ne saurait traiter à la légère les mots que le Saint-Esprit a lui-même inspirés sans altérer le message, la pensée de l’Esprit :

« Et nous en parlons (des choses que Dieu nous a données par sa grâce, cf. v.12), non avec des discours qu’enseigne la sagesse humaine, mais avec ceux qu’enseigne l’Esprit, employant un langage spirituel pour les choses spirituelles. » (I Corinthiens 2:13)

Le grec emploie « logoi » – paroles, mots – là où Segond traduit par « discours ». Logos (singulier), en Jean 1:1, 14, désigne « la Parole » éternelle, la deuxième Personne de la Trinité. Les mots exprimant la Vérité divine émanent de l’Esprit souverain. On n’a donc pas le droit de leur passer par-dessus ou à côté dans une traduction fidèle.

Porter atteinte, au nom du « dieu-communication », à l’intégrité du texte inspiré, c’est aller directement à l’encontre des défenses, d’affirmations et de menaces divines réitérées (cf. Deutéronome 4:2 ; 12:32 ; Proverbes 30:5, 6 ; Matthieu 5:17 à 19 ; Apocalypse 22:18, 19).

Au risque de paraître tout à fait déphasé et de choquer certains lecteurs, je crois que le choix et l’application du principe de l’équivalence dynamique pour les traductions de la Bible ne sont guère conciliables avec la fidélité et la crainte dues à Dieu.

Une autre façon de nier, sinon théologiquement, mais pratiquement, l’inspiration des Écritures, c’est de leur appliquer la méthode de la contextualisation. En bref, celle-ci consiste à adapter le message biblique à la culture, voire à la spiritualité du récepteur, par des emprunts à des éléments propres au « contexte » culturel et religieux de ceux que l’on veut évangéliser, éléments bien sûr étrangers à la tradition scripturaire.

Par exemple, la Quatrième Assemblée du Conseil Œcuménique des Églises, à Uppsala (Suède) en 1968, a fait des emprunts au socialisme marxiste. Mais l’on peut aussi emprunter aux religions non-chrétiennes, afin d’adapter l’Évangile à un « contexte » donné. Selon une formule propre au jargon œcuménique, la contextualisation authentique « résulte toujours d’une vraie rencontre entre la Parole de Dieu et le monde de Dieu », (en anglais : « between God’s word and God’s world ». Le jeu de mots est beaucoup plus sensible). Autrement dit, il y a interaction entre les idéologies de la société profane et le message biblique, ce qui ne peut manquer d’altérer l’Évangile en profondeur.

Que l’on s’adapte, « pédagogiquement », au contexte culturel et religieux où l’on se trouve, comme Paul l’a fait à Athènes (cf. Actes 17:15-34) afin d’atteindre l’auditeur là où il est et de l’amener à la vérité biblique intégrale, est une chose. Que l’on altère et dénature la Parole de Dieu pour la mettre au diapason de la culture constitue une démarche d’un tout autre ordre.

Les œcuméniques et certains évangéliques portent la responsabilité d’avoir échangé le message biblique intangible et immuable contre une « Parole flexible ». L’adaptation équivaut dans ce cas à une trahison, et à un reniement de la doctrine biblique de l’inspiration des Écritures. (cf. « Christianity and New Evangelical Philosophies », pp. 111 à 120).

LES ÉVANGÉLIQUES FACE À L’AUTORITÉ SOUVERAINE DE LA PAROLE DE DIEU

Règle de foi et de conduite

Voilà un vaste sujet et d’une brûlante actualité, simplement si l’on risque cette question : l’Écriture est-elle toujours, pour ceux qui se disent « évangéliques », l’unique et suprême règle de foi et de conduite ? Reconnaissent-ils ses absolus ? Les reconnaissent-ils comme ayant force de loi sur toutes leurs pensées et toute leur vie, tous les aspects de leur comportement, ou les confinent-ils à des zones bien délimitées ? Cherchent-ils à contourner ces absolus, à les relativiser ? Se plient-ils à l’autorité biblique ou tentent-ils de la « plier » à leur convenance ?

C’est un des problèmes abordés par Schaeffer dans « The Great Evangelical Disaster ». À regret, il ne peut échapper au constat suivant : sur l’avortement, le divorce, l’homosexualité, le féminisme, le pacifisme à tous crins, nombre d’évangéliques ont plié l’enseignement biblique à leur convenance, dans le sens de la culture humaniste où l’homme et le bonheur humain sont la mesure de tout.

Principe gouvernant la prédication

Mais la question de savoir si la Bible fait vraiment autorité sur nous se pose aussi ailleurs. Je pense à un domaine particulièrement sensible au sein de nos Églises en francophonie, un domaine dont dépend la santé spirituelle, morale et intellectuelle des croyants : je veux parler de la prédication.

Car si l’on peut, hélas, manipuler la Bible dans tout ce qui touche à la foi et au comportement, il en est de même avec la prédication. Et ici, il faut avouer, quoi qu’il nous en coûte, que ce mal ne date pas d’aujourd’hui. Depuis longtemps, nombre d’évangéliques – d’ailleurs à mon sens, avec une forte dose d’inconscience et de candeur – ont maltraité, dans leurs prédications, le texte divinement inspiré, lui faisant dire ce qu’il ne dit pas, lui imposant leur sens au lieu d’en exposer le sens véritable. Sur ce point, je fais aussi mon « mea culpa ».

Au lieu de se soumettre par une approche prudente, correcte et studieuse à la vérité objective révélée par le Saint-Esprit (Calvin dit de l’Écriture qu’elle est « l’école du Saint-Esprit »), ils l’ont souvent, par leur démarche superficielle, désinvolte, téméraire, ignorée ou escamotée. Or le prédicateur se doit, par déférence envers Celui qui est l’inspirateur et l’auteur de l’Écriture, de rechercher le sens réel du texte et, ensuite, de l’exposer fidèlement.

Paul n’insiste-t-il pas là-dessus dans certaines de ses exhortations à Timothée ? (cf. I Tim. 4:13 à 16 ; I Tim. 2:14, 15).

Au lieu d’être, dans nos sermons, les serviteurs de l’Écriture, nous pouvons nous en servir comme d’un « tremplin » commode pour affirmer et développer des vérités spirituelles indéniables, mais sans rapport avec notre texte de base et sans support dans ce texte.

Causes des lacunes dans la prédication

Cette attitude légère et plus ou moins irresponsable – même de la part de frères qui confessent de bonne foi et sans arrière-pensées la pleine inspiration et, par conséquent, l’intangibilité de la Parole de Dieu – a plusieurs causes, immédiates ou lointaines, individuelles ou collectives.

Par esprit d’équité, il faut reconnaître que certaines lacunes sont imputables à un arrière-plan et à une mentalité de type piétiste. Dans cette tradition, l’on juge souvent que les dispositions et les convictions du cœur ont plus d’importance que les aptitudes requises, et que la consécration est un substitut à la formation. Par expérience, j’ajoute que la crainte de l’intellectualisme desséchant et de l’orthodoxie morte a conduit, dans ces milieux, à un anti-intellectualisme tout aussi dangereux.

La responsabilité n’est donc pas simplement personnelle. Elle a une dimension communautaire.

La relative faiblesse de la prédication, chez beaucoup d’évangéliques, a d’évidentes répercussions sur la vie et l’état des Églises, dans bien des cas anémiques, sous-alimentées, dépourvues de solides fondements doctrinaux et de profondes convictions, sans maturité de jugement et donc sans discernement.

Cette faiblesse tient, ce me semble, à :

1. – L’absence d’une saine herméneutique

Pour que la prédication soit puissante, il faut respecter et appliquer des principes d’interprétation sûrs.

Mon but n’est pas d’en faire l’énumération, mais je signale que l’on recourt trop facilement, dans les milieux évangéliques, à l’interprétation symbolisante ou allégorisante, de sorte que l’on néglige l’essentiel, soit le sens premier, littéral et grammatical, voire historique, du texte. Le danger est toujours de passer à côté de l’élément central, de « faire du texte un prétexte ».

À ce propos, même s’il est vrai que Christ est l’objet des deux Testaments, l’on s’égare à vouloir à tout prix le découvrir partout dans les pages de l’Ancien y compris lorsque nous manquent les clés et la caution du Nouveau Testament.

Un autre danger, sur le plan de l’interprétation, est de découper par trop l’Écriture, en donnant au verbe « dispenser » de II Timothée 2:15 un sens particulier.

Même si l’on doit distinguer entre l’économie de la loi et celle de la grâce (Jean 1:17), il importe d’avoir une vision claire de l’unité des deux Testaments, de la continuité entre les deux, tout en reconnaissant qu’il y a progression dans la révélation, ce qui implique aussi des différences et des distinctions.

Dans son commentaire sur les Romains, John Murray fait cette sage remarque :

« Nous ne devons cependant pas négliger les différences résultant de la révélation progressive et des événements historiques liés à l’accomplissement de la rédemption », (p. 154 – à propos de Romains 4:17 à 25, en particulier du verset 23).

On fausse la perspective d’ensemble de l’Écriture et l’on se prive de beaucoup de richesse en la débitant en tranches.

2. – L’absence d’une exégèse rigoureuse et approfondie

Celui qui prêche a le devoir de chercher patiemment et honnêtement devant Dieu et avec tous les outils à sa disposition (dictionnaires, commentaires, concordances, etc.) le sens véritable du texte et l’intention de l’auteur. À cet égard, il faut s’enquérir avec soin de ce qui se trouve vraiment dans l’original et ne pas se fier à une seule version. J’ai constaté, avec dépit, que l’on peut bâtir de magnifiques développements sur des termes qui ne figurent pas dans l’hébreu ou le grec.

3. – L’absence d’une exposition systématique de l’Écriture

Récemment, des hommes de Dieu éminents ont remis en honneur, par le précepte et par l’exemple, « la prédication expositive » (expositary preaching) et ont plaidé pour qu’on y revienne. L’on entend par là, car « expositif » n’existe pas dans notre langue, une prédication suivie et continue sur une portion donnée de la Bible (un livre, une épître, un ensemble de chapitres, comme, par exemple, « Le Sermon sur la montagne »), où le prédicateur s’attache et s’astreint à exposer, donc à mettre en valeur, ce qui est dans le texte biblique, et à confronter ses auditeurs avec l’intégralité de la Parole. Il n’est rien de tel pour former l’esprit selon le moule de la vérité biblique, démolir les fausses conceptions et les fausses interprétations, et édifier l’Église.

Sans exclure la prédication thématique, ni la prédication ponctuelle (au coup par coup), je crois à l’excellence d’un exposé méthodique du texte inspiré. La santé, la solidité, la maturité de nos Églises en dépendent.

À titre personnel, si j’avais à « recommencer », je pratiquerais ce type de prédication beaucoup plus que je ne l’ai fait.

4. – L’absence du respect du principe de l’analogie de la foi

Les commentaires hésitent sur le sens de l’expression en Romains 12:6 : « Selon la grâce qui nous a été accordée, que celui qui a le don de prophétie l’exerce selon l’analogie de la foi ». « Analogie » signifie-t-il « proportion » ou « accord » ? « Foi » est-il à prendre au sens « subjectif » (la foi que le croyant exerce) ou « objectif » (le contenu de la révélation scripturaire) ?

Quelle que soit la signification de l’expression dans ce contexte-là, nous savons ce qu’elle veut dire dans l’usage théologique courant. Le principe de « l’analogie de la foi » exige qu’une doctrine, ou l’interprétation d’un passage biblique, s’accorde avec l’enseignement général de l’Écriture, y corresponde. Autrement, l’on introduit des déséquilibres et même de faux et dangereux points de vue. L’ensemble du témoignage scripturaire est un régulateur et un garde-fou.

Wolfang Bühne, dans « La Troisième Vague » montre clairement que l’enseignement de Peter Wagner et John Wimber sur les signes et les miracles va directement à l’encontre de l’ensemble du témoignage biblique, viole donc « l’analogie de la foi » (pp. 91 à 100, « L’Évangélisation de puissance » à la lumière de la Bible).

Conclusion

Face à l’importance croissante donnée dans le milieu évangélique en général aux phénomènes subjectifs, émotionnels, à l’expérience et aux « expériences », plus qu’à la vérité objective, immuable, « granitique » de la Parole de Dieu, l’on peut se demander si les prédicateurs ne vont pas se soustraire de plus en plus à l’autorité souveraine du texte inspiré, et si la Bible ne va pas être traitée de plus en plus cavalièrement.

Pour moi-même, je demande à Dieu la grâce de rester du nombre « de ceux qui tremblent devant les commandements de notre Dieu » (Esdras 10:3, cf. 9:4). Je parle, bien sûr, du respect dans la foi et l’amour.

LES ÉVANGÉLIQUES FACE À TOUT LE CONSEIL DE DIEU RÉVÉLÉ DANS LA PAROLE

L’exemple de l’apôtre

« Tout le conseil de Dieu »… La formule a trait à la prédication et à l’enseignement de l’apôtre Paul à Éphèse, cette importante ville de l’Asie Mineure, pendant trois ans, enseignement centré sur « la bonne nouvelle de la grâce de Dieu » (Actes 20:24).

En appuyant, dans son discours d’adieux aux anciens d’Éphèse, tout d’abord sur le fait qu’il n’avait « rien caché » de ce qui leur « était utile » (v. 20), puis en reformulant la même affirmation de façon positive : « … Je vous ai annoncé tout le conseil de Dieu sans en rien cacher » (v. 27) l’apôtre nous donne certes un exemple, mais, en même temps un avertissement : « Ne laissez pas dans l’ombre de précieux et indispensables éléments révélés du dessein rédempteur divin ! »

En le faisant, nous privons les âmes qui nous sont confiées d’un bien spirituel qui leur est destiné – car tout ce qui est révélé est utile – et nous péchons contre elles et les exposons, par défaut d’enseignement, à certains dangers.

En toute bonne conscience, Paul, se rappelant le passage d’Ézéchiel sur le rôle de la sentinelle (33:1 à 11), peut déclarer à ceux dont il prend congé :

« … Je suis pur du sang de vous tous, car je vous ai annoncé tout le conseil de Dieu, sans en rien cacher » (v. 26, 27).

La négligence quant à certaines doctrines relatives au salut

Disons-le franchement, il est des doctrines tout à fait bibliques, que la Réforme a mises en valeur, mais qui paraissent quasiment ignorées d’une masse de chrétiens évangéliques parce que l’on n’y touche guère dans leurs milieux. Soit qu’on les considère trop élevées et redoutables pour les simples croyants – Calvin lui-même parle des « timides » qui craignent de s’en instruire, Institution (Tome 3, p. 196) – soit que l’on juge qu’elles ne constituent pas le cœur de l’Évangile et qu’on peut les passer sous silence. Sans parler de ceux qui les rejettent (par-devers eux sinon ouvertement) ou, en tout cas, s’en méfient.

La croix isolée de son dessein rédempteur

S’il est vrai que la Croix de Jésus-Christ où le péché a été expié est le cœur de l’Évangile (cf. Romains 3:23 à 26, I Corinthiens 15:1 à 11, etc.), et que nous avons avant tout à prêcher « Jésus-Christ, et Jésus-Christ crucifié », l’œuvre du Fils au Calvaire est en même temps le point de convergence du merveilleux et éternel plan rédempteur de Dieu. Là s’est manifestée dans le temps et l’histoire la libre et souveraine grâce divine pour sauver les pécheurs :

« […] Souffre avec moi pour l’Évangile, par la puissance de Dieu qui nous a sauvés, et nous a adressé une sainte vocation, non à cause de nos œuvres, mais selon son propre dessein, et selon la grâce qui nous a été donnée en Jésus-Christ avant les temps éternels, et qui a été maintenant manifestée par l’apparition de notre Sauveur Jésus-Christ qui a détruit la mort et a mis en évidence la vie et l’incorruptibilité par l’Évangile. » (II Timothée 1:8 à 10)

Ainsi la Croix, « foyer » historique par lequel passe nécessairement l’accomplissement des promesses et du plan de rédemption, nous renvoie toujours à ce plan.

On ne peut donc prêcher avec fidélité le message de la Croix si on l’isole de :

  • L’élection absolument libre, avant la fondation du monde, de ceux que Dieu, dans son amour et sa miséricorde souveraine, a résolu de sauver (Éphésiens 1:3, 4 ; Romains 8:28, 29).
  • La prédestination à l’adoption en Jésus-Christ (Éphésiens 1:5, 11). Cela signifie que Dieu, dans sa toute-puissance et sa sagesse, va infailliblement nous amener au salut et nous conférer, par pure grâce, le statut de fils (cf. Galates 4:3 à 7).
  • L’appel efficace (Romains 8:30) ; II Thessaloniciens 2:13, 14 ; I Pierre 5:10 ; Jude 1 ; Apocalypse 17:14). Le Père, par l’action irrésistible de son Esprit (qui n’annule toutefois pas la responsabilité humaine) nous attire et nous unit effectivement à son Fils (Jean 6:44 ; I Corinthiens 1:9).
  • La justification gratuite en réponse à la foi (Romains 3:23, 24, 28 à 30 ; 5:1 ; 8:30). Il s’agit d’un acte juridique – définitif, irrévocable – d’acquittement et de réhabilitation devant Dieu, le Juge, et non de quelque chose qui se passe en nous.
  • La glorification avec Christ, lors de son retour (Romains 8:17, 18, 30 ; Colossiens 3:1 à 4 ; II Thessaloniciens 1:9, 10), événement comportant une triple implication :
    1. Dieu achèvera la sanctification des siens (I Jean 3:1 à 3).
    2. Dieu gardera les siens jusqu’à la fin, assurant leur sécurité éternelle (Romains 8:31 à 39). D’où « la persévérance finale des saints ».
    3. Dieu opérera « la rédemption de notre corps » par la résurrection, (Romains 8:23-25 ; Philippiens 3:20, 21).

En d’autres termes, et selon J. I. Packer, il faut voir l’œuvre accomplie au Calvaire à la lumière de la doctrine de la souveraineté absolue de Dieu, seul auteur de notre salut.

Résumant la théologie calviniste dans une formule concentrée : « Dieu sauve des pécheurs »[2], il poursuit ainsi :

« La force de cette affirmation ne doit pas être atténuée en brisant l’unité de l’œuvre de la Trinité, ou en partageant la réalisation du salut entre Dieu et l’homme, qui en assurerait une partie décisive, ou en faisant pédale douce (c’est-à-dire : en évitant d’appuyer) sur l’incapacité du pécheur afin qu’il puisse partager la gloire du salut avec son Sauveur. Le seul aspect de la sotériologie[3] calviniste que les Cinq points[4] s’efforcent d’exprimer, et que l’arminianisme[5] rejette, peut se formuler ainsi : les pécheurs n’ont aucun moyen de se sauver eux-mêmes ; leur salut a été, est et sera en totalité l’œuvre du Seigneur à qui en revient la gloire pour toujours. Amen. »

Les conséquences négatives de l’annonce partielle du conseil de Dieu

Peut-on nier que, souvent, nos Églises souffrent de maladies spirituelles et présentent des troubles « chroniques » par défaut d’enseignement sur la souveraineté de Dieu en général, et la souveraineté de sa grâce dans le salut des pécheurs en particulier ?

Que de chrétiens flottants, mal établis, perturbés de façon presque continue ! Si l’épître aux Hébreux dit qu’il « est bon que le cœur soit affermi par la grâce » (cf. 13:9), le manque de stabilité, d’assurance, d’équilibre, de santé spirituelle, de solidité parmi nous tient précisément au fait que beaucoup n’ont pas encore compris que le salut vient entièrement de Dieu, du « Dieu de toute grâce », comme l’apôtre Pierre le qualifie (cf. I Pierre 5:10). Il est frappant que ce texte, où la souveraineté divine dans le salut est affirmée : « Dieu… qui vous a appelés en Jésus-Christ à sa gloire éternelle », fasse de Dieu lui-même à la fois la cause et le garant de l’achèvement de la bonne œuvre commencée en nous :

« … vous perfectionnera lui-même, vous affermira, vous fortifiera, vous rendra inébranlables. A lui soit la puissance aux siècles des siècles ! Amen ! » (I Pierre 5:10b et 11)

Nos progrès spirituels sont étroitement liés à la compréhension de la merveilleuse grâce de Dieu en Jésus-Christ (cf. II Pierre 3:18).

De l’Évangile tronqué à l’évangélisation défectueuse

Nous sommes dans « la décennie de l’évangélisation », mais comme le signalait un frère lors d’une prédication, si l’on veut évangéliser – ce qui est louable – encore ne faut-il pas le faire n’importe comment et en disant n’importe quoi.

Il est clair que l’évangélisation contemporaine manque singulièrement de contenu biblique, théologique, et que la réduction au minimum du « message » va produire des fruits décevants. Les demi-vérités – ou la vérité prêchée partiellement – ne peuvent en toute logique enfanter autre chose, même si Dieu, dans sa grande miséricorde, emploie cette vérité fragmentaire pour attirer des âmes à Christ. Il le fait malgré les graves déficiences de ce type d’évangélisation.

Cela ne veut pas dire que nous devrions aborder de façon brutale, inopportune, intempestive, et d’un coup – lorsque nous évangélisons – toutes les doctrines qui font partie du Conseil de Dieu. La sagesse et le doigté s’imposent.

Calvin lui-même, à la suite d’Augustin, invite à la prudence sur ce point, car il faut se garder « tant qu’il sera possible, de scandaliser », et de troubler « les simples »[6].

Et de fait, en se focalisant par trop sur l’élection et la prédestination, certains prédicateurs peu avisés ont passé à côté de la proclamation centrale de Christ crucifié et ressuscité, objet de la foi, et ont traumatisé pour longtemps des âmes sensibles. Je l’ai constaté moi-même sur le champ missionnaire.

Ce qui importe, c’est que celui qui évangélise mette l’accent sur la souveraineté de la grâce de Dieu dans le salut du pécheur, c’est-à-dire sur le fait que Dieu est l’auteur du salut d’un bout à l’autre, dès l’éternité et jusque dans la gloire.

Ainsi le pécheur apprend qu’il est incapable de se sauver lui-même, ou de contribuer à son salut, c’est-à-dire, selon l’ironique formule de J. J. I. Packer, « d’aider Dieu à le sauver ». En effet, à cause de sa totale dépravation – aux yeux du Dieu absolument saint et devant la Loi – inhérente à sa nature pécheresse héritée d’Adam, le Rebelle, il est foncièrement incapable du moindre mouvement vers Dieu (cf. Romains 3:9 à 18). Au contraire d’Adam avant la chute, il ne dispose pas du libre-arbitre, car « quiconque commet le péché est esclave du péché » (Jean 8:34, Colombe : cf. Romains 6:16, 17, 20 ; II Pierre 2:19). Il ne peut donc de lui-même, comme si cette faculté lui appartenait en propre, se tourner vers son créateur et rédempteur, ni « se décider pour Christ ». La situation réelle est juste à l’opposé. Le pécheur perdu dépend entièrement de Dieu pour que son cœur soit incliné de façon efficace et décisive en sorte qu’il se repente et croie en Christ pour son salut.

Alors que l’évangélisation moderne, avec son « décisionnisme », (pauvre substitut à la notion biblique de « conversion ») fait appel à la volonté de l’homme déchu comme si elle était libre, la Bible montre à celui qui est mort par ses offenses et par ses péchés qu’il appartient à Dieu de lui communiquer, par sa grâce, la repentance et la foi, ce qui n’exclut pas la responsabilité personnelle du pécheur de se repentir et de croire.

Conclusion

Ce n’est pas un hasard si l’apôtre, dans son discours d’adieux aux anciens d’Éphèse, avec la référence à la proclamation de « tout le conseil de Dieu », mentionne deux fois la grâce (vv. 24 et 32), la grâce qui, seule, sauve. Ni s’il nomme, comme élément intrinsèque de sa prédication, la repentance envers Dieu (v. 21), doctrine souvent escamotée aujourd’hui. Ni s’il lie la repentance à « la foi en notre Seigneur Jésus-Christ » (v. 21), indiquant par là qu’il n’est pas de vraie foi sans repentance. Ni s’il désigne Jésus-Christ comme « notre Seigneur », alors qu’on a trop tendance à le réduire au rôle de Sauveur.

De plus, la centralité de l’œuvre expiatoire de la Croix, et son efficacité, sont en bonne place : « Prenez donc garde à vous-mêmes, et à tout le troupeau sur lequel le Saint-Esprit vous a établis évêques, pour paître l’Église du Seigneur, qu’il s’est acquise par son propre sang » (v. 28).

Comme le dit fort bien J. I. Packer :

« Christ n’a pas acquis un hypothétique salut pour d’hypothétiques croyants, une simple possibilité de salut pour ceux qui éventuellement croiraient ; il a obtenu un salut effectif pour le peuple qu’il a choisi. »[7]

Quand on prêchera enfin la grâce qui sauve de A à Z, on aura de vraies, solides et durables conversions… et moins de gens qui boitent dans nos Églises.

LES ÉVANGÉLIQUES FACE À LA PLEINE SUFFISANCE DE LA PAROLE DE DIEU

Un dérapage significatif

Nous touchons ici un point où la dérive parmi les Évangéliques est sensible et des plus inquiétantes.

En effet, donner l’impression que nous n’avons pas dans l’Écriture, ce « trésor » dont parle avec amour l’auteur du Psaume 119, TOUT ce dont nous avons besoin, c’est s’inscrire en faux contre un triple témoignage :

  • D’abord celui de l’Écriture elle-même (II Timothée 3:16, 17). La pleine suffisance de la Bible (v. 16b et 17) découle de sa pleine inspiration (v. 16a).
  • Ensuite, celui de l’Église universelle :

« Cette Parole est la règle de toute vérité et contient tout ce qui est nécessaire au service de Dieu et à notre salut ; il n’est donc pas permis aux hommes, ni même aux anges, d’y rien ajouter, retrancher ou changer. » (Confession de La Rochelle – réformée – 1559 ; Article 5 : L’autorité de l’Écriture).

« Tout le conseil de Dieu, c’est-à-dire tout ce qui est nécessaire à la gloire du Seigneur ainsi qu’au salut, à la foi et à la vie de l’homme, est expressément consigné dans l’Écriture ou doit en être déduit comme une bonne et nécessaire conséquence ; rien, en aucun temps, ne peut y être ajouté, soit par de nouvelles révélations de l’Esprit, soit par les traditions humaines. » (Confession de Westminster, – anglicane – 1649 ; Chapitre I, Article 6 : L’Écriture Sainte).

  • Enfin, le témoignage des croyants se fondant sur l’Écriture et nourris de l’Écriture, à quelque époque que ce soit et où que ce soit.

Puisque je me suis référé à l’auteur du Psaume 119, écoutons son témoignage :

« Je vois des bornes à tout ce qui est parfait : Tes commandements n’ont point de limites. » (v. 96)

Constats attristants

L’attitude présente et très répandue au sein du monde évangélique face à la Bible constitue une négation en tout cas implicite de la toute-suffisance de l’Écriture, et parfois même explicite et formelle.

Cela est tangible dans plusieurs domaines :

L’évangélisation

C’est par là que je commence, pour faire suite à ce que j’ai déjà dit plus haut sur ce sujet.

Même si la Parole a encore sa place, à des degrés différents, dans l’évangélisation contemporaine – gloire à Dieu ! – pratiquement sa pleine suffisance est pour ainsi dire niée par tout ce que l’on se croit obligé de mettre à « côté d’elle ».

Inhibés, imbibés, dominés par la culture ambiante, alors qu’ils devraient être gouvernés par l’Écriture, les chrétiens ne font plus confiance à la seule Parole vivante et permanente de Dieu pour qu’il opère ce qu’il veut opérer dans les cœurs, aujourd’hui comme hier.

Les moyens humains auxquels ils recourent pour évangéliser montrent qu’ils cherchent l’efficacité ailleurs, en dehors de la seule arme divine qu’ils possèdent, « l’épée de l’Esprit qui est la Parole de Dieu » (Éphésiens 6:17). Paul, qui ne sépare pas la Parole de l’Esprit, ajoute dans ce même passage :

« Priez pour moi, afin qu’il me soit donné, quand j’ouvre la bouche, de faire connaître hardiment et librement le mystère de l’Évangile, pour lequel je suis ambassadeur dans les chaînes, et que j’en parle avec assurance comme je dois en parler » (v. 19 et 20).

L’apôtre, lui, était exclusivement préoccupé de faire connaître, par la prédication, et avec assurance divine – rien de plus et rien de moins – la vérité révélée d’en haut concernant le salut.

Il semble qu’en fait beaucoup d’évangéliques, au lieu de compter sur la toute-suffisance de la Parole, semence incorruptible qui agit mystérieusement, efficacement et surnaturellement dans les cœurs (cf. I Pierre 1:22 à 25), ont déplacé leur confiance sur le spectacle médiatique qu’ils ont soigneusement préparé, comme si la Parole avait besoin des moyens audio-visuels, des vedettes du chant et de la musique pour se frayer un chemin jusqu’à la conscience des auditeurs.

Tout ce fatras, avec les sketches, les mimes, les clowns, et « tutti quanti », ne sont qu’un boisseau mis sur « la lampe qui brille dans un lieu obscur » (cf. II Pierre 1 : 19). La lumière de la Parole est étouffée.

De surcroît, le « show » évangélique est une manipulation des âmes, indigne de ceux qui, plus que quiconque, devraient avoir le respect de la personne humaine, faite à l’image de Dieu. Nous n’avons pas le droit de soumettre notre prochain à des pressions psychologiques pour le manœuvrer.

Paul, à Corinthe, malgré ce qu’il savait de la culture locale (on prisait la philosophie et l’éloquence) a refusé de recourir à ce que je qualifierais d’expédients, soit de ressources à la mesure et à la portée du calcul humain. Personnellement dans la plus grande faiblesse, il a fait confiance à la pleine suffisance du message biblique, celui de la Croix, auquel le Saint-Esprit rend toujours témoignage (cf. I Corinthiens 2:1 à 5).

La foi fondée sur un « show médiatique » s’effondrera. Seul ce qui repose sur la Parole et la puissance de Dieu tiendra. C’est l’unique fondement suffisant.

Jusqu’à maintenant, je me suis limité à des faits qui relèvent d’une négation implicite de la toute-suffisance de la Parole de Dieu.

Avançons d’un pas. Dans le Mouvement de « La Troisième Vague », apparu vers 1980, cette toute-suffisance est explicitement, ouvertement et théologiquement niée.

Le problème nous concerne de près puisque les évangéliques égarés à la tête du Mouvement, Wimber, Wagner, Yonggi Cho et Bonnke, organisent des séminaires en Suisse et en France et cherchent à rallier l’aile « conservatrice » des Églises multitudinistes.

Le rejet, au sein du monde évangélique, du principe cher à la Réforme, SOLA SCRIPTURA – avec son corollaire de la pleine suffisance de l’Écriture – constitue une étape historique vers l’apostasie.

Alors que la Bible elle-même affirme la pleine efficacité du message inscripturé ou prêché pour convaincre et sauver (cf. Jean 5:24 ; 17:6 à 8, 20 ; Jean 20:30, 31 ; Romains 10:17 ; I Corinthiens 1:17, 18, 22 à 25 ; Éphésiens 1:13 ; Jacques 1:18, 21) ; alors que le livre des Actes est ponctué par cette phrase : « La parole de Dieu se répandait de plus en plus (croissait) » (6:7 ; 12:24 ; 19:20), l’un des textes ajoutant « le nombre des disciples augmentait beaucoup à Jérusalem, et une grande foule de sacrificateurs obéissaient à la foi », les protagonistes de « La Troisième Vague », eux, disent que le message prêché n’est pas suffisant en soi. Sans « les signes et les miracles », il serait comme une lettre morte. En fait, pour eux, le message qui convainc, qui triomphe des résistances, c’est la démonstration miraculeuse. C’est à elle qu’ils donnent même la prééminence – en porte-à-faux avec tout l’enseignement scripturaire, et, en particulier, des textes comme Luc 16:29 à 31, Jean 12:37, 38 – en soutenant que la résistance du pécheur à l’Évangile ne peut être ébranlée que par « une rencontre de puissance » (Power Encounter), une démonstration surnaturelle visible, tangible.

Ils oublient deux choses : primo, que la génération contemporaine de Jésus-Christ a eu la pleine démonstration visible et tangible et ne s’est pas convertie mais endurcie, selon le texte de Jean indiqué ci-dessus en référence ; secundo, que la puissance surnaturelle est dans la Parole inspirée prêchée fidèlement, à laquelle le Saint-Esprit rend toujours témoignage.

La « démonstration d’Esprit et de puissance » à laquelle Paul se réfère (en I Corinthiens 2:4) n’est pas, comme ils le pensent, extérieure à son message prêché, ou « à côté » – par exemple dans les signes, les prodiges et les miracles qui authentifiaient son apostolat, (cf. II Corinthiens 9:12) – mais dans son message lui-même, seule interprétation en accord avec le chapitre un sur la prédication de la Croix, où celle-ci est mise en contraste et en opposition avec la recherche des miracles (les Juifs) et de la sagesse humaine (les Grecs) (cf. I Corinthiens 1:17 à 25).

La vie de l’Église

On constate de plus en plus, dans maintes Églises évangéliques, que la Parole de Dieu n’est plus vraiment au centre du culte et de la piété, même si l’on peut admettre des « variantes » par rapport au style ou à la forme du culte.

La Bible ouverte et bien en vue, dans les temples protestants, indiquait clairement l’importance donnée à la Parole prêchée et enseignée à la communauté rassemblée. Le « plat de résistance » était certainement le sermon, pour édifier les fidèles dans la vérité qui sauve.

Le sermon, de nos jours, souvent de caractère léger et anecdotique, ou chapelet de pensées non structurées ou d’applications sans véritable exposition, n’est-il pas devenu une sorte de « hors-d’œuvre » servi à côté de ce qui a pris sa place (l’a détrôné), à savoir les prières, les témoignages, les « partages » ? Le tout arrosé – à profusion – de musique, rarement sacrée, et de chants pas toujours aptes à élever l’âme vers Dieu et à la disposer à l’écoute sérieuse, recueillie, de la Parole.

Ajoutons à cela une véritable inflation de la louange et de l’adoration, de type plutôt sentimental et superficiel, qu’un professeur d’Institut a qualifiée « d’enzyme – substance sécrétée par un organisme – glouton ».

Tout cela est certes à côté du modèle divin tel que nous l’avons en Colossiens 3:16 :

« Que la parole de Christ habite parmi vous abondamment (avec richesse, Colombe) ; instruisez-vous et exhortez-vous les uns les autres en toute sagesse, par des psaumes, par des hymnes, par des cantiques spirituels, chantant à Dieu dans vos cœurs sous l’inspiration de la grâce. »

Ce texte nous montre plusieurs choses : la centralité de la Parole, sa richesse et sa prédominance dans la vie de l’Église, le fait que tout le reste est ordonné à cette même Parole, la louange et l’adoration découlant de la révélation – dans les cœurs – de la merveilleuse grâce de Dieu manifestée en Christ.

Dans certains milieux, aujourd’hui, la Parole de Dieu est ravalée au point que l’on considère « la prophétie », « un parler sous l’inspiration immédiate », comme une « actualisation ou une concrétisation de ce qu’on trouve dans la Parole de Dieu » (« La Troisième Vague », p. 172).

Où est, dans tout cela, la médiation indispensable de l’Écriture ?

Lors du « Congrès de Nüremberg pour le réveil et l’édification de l’Église » (7-10 novembre 1991), où Peter Wagner était présent, on est allé jusqu’à dire que « la parole prophétique sortie de la bouche d’une personne était plus pertinente que la parole écrite » (p. 172, idem).

La cure d’âme

Le monde évangélique se trouve littéralement inondé par un flot de littérature psychologique dite « chrétienne », traitant des traumatismes psychiques et de la guérison intérieure et où l’on se sert de concepts, de la terminologie et des recettes humanistes pour analyser, décrire et tenter de soigner les troubles de l’âme humaine.

Une saine réaction se dessine heureusement depuis quelques années, mais, en général, on oublie que la cure d’âme – désignée aujourd’hui comme « la relation d’aide » – devrait être théocentrique – et non l’inverse – car c’est Dieu qui nous a créés et qui nous connaît parfaitement, cette prérogative relevant bien sûr de son omniscience :

« Éternel ! tu me sondes et tu me connais, tu sais… tu pénètres… Une science aussi merveilleuse est au-dessus de ma portée… Où irai-je loin de ton Esprit, et où fuirai-je loin de ta face ? » (Psaume 139:1-7. Cf. Jérémie 17:9, 10).

« Sonde-moi, ô Dieu, et connais mon cœur ! Éprouve-moi, et connais mes pensées ! Regarde si je suis sur une mauvaise voie, et conduis-moi sur la voie de l’éternité ! » (Ps. 139:23, 24).

David, excellent théologien de l’omniscience et de l’omniprésence de Dieu, était fort en avance – en fait de psychanalyse et de psychothérapie – sur les chrétiens déboussolés de la fin du XXᵉ siècle !

On oublie aussi que l’Écriture, dans un passage très dense de l’épître aux Hébreux, lie indissolublement Dieu qui nous connaît dans les moindres recoins de notre être et dans toutes nos profondeurs – au point que « tout est nu et découvert aux yeux de Celui à qui nous devons rendre compte » – et sa Parole, capable de nous fouiller dans nos retraites les plus secrètes et nos méandres les plus sinueux, jusqu’à discerner ou juger, car elle est vivante et opérante, les sentiments et les pensées du cœur, et même nos intentions (cf. Hébreux 4:12, 13).

La cure d’âme effective est celle qui se pratique à la lumière et sous la sauvegarde de la révélation biblique. La lampe de la Parole et le scalpel de la vérité divine sont les outils dont nous avons besoin dans ce travail délicat. La vérité qui blesse porte aussi en elle le pouvoir de guérir puisqu’elle procède de Celui dont il est dit : « Il fait la plaie, et il la bande ; il blesse, et sa main guérit » (Job 5:18).

Dans ce domaine aussi, si exploité et galvaudé de nos jours, la Parole est la vérité suffisante pour affranchir. Elle seule. (Cf. Jean 8:32, 36).

La vie chrétienne

L’hymne à la Parole de Dieu qu’est en son entier le plus long Psaume (119) montre avec éloquence la conviction et le parfait contentement d’un croyant pour qui n’existe qu’une source de révélation (cf. v. 18, 97 à 105, 130, 160). Voilà un homme pieux de l’Ancienne Alliance qui en remontrerait à de soi-disant « Évangéliques » – possesseurs des deux Testaments – et à qui ce don extraordinaire ne suffit pas ! !

En effet, l’égarement spirituel de certains va jusqu’à admettre l’existence d’une autre source de révélation à côté de l’Écriture.

Wagner, par exemple, reconnaît deux sources de révélation, « à savoir la Bible et l’expérience chrétienne… », ce qui laisse le champ libre pour de nouvelles révélations, extra-bibliques. Il convient toutefois « que toute nouvelle révélation devait être examinée à la lumière de la Parole de Dieu, car la Bible demeure la référence suprême » (« La Troisième Vague », p. 175).

Quant à Wimber, jusqu’à plus ample informé, et selon l’analyse de W. Bühne, « il prétend que la Bible elle-même ne saurait nous mettre à l’abri de la puissance de Satan, car celui-ci pourrait déformer notre compréhension ». Wimber dissocie donc la marche fidèle avec le Seigneur de l’attachement à la Bible ! D’un côté, il souligne l’importance d’une communion personnelle avec le Seigneur, mais d’un autre côté, il enseigne que cette communion résulte de l’action du Saint-Esprit, indépendamment de la Bible.

D’après Wimber, la relation intime avec Jésus n’est pas quelque chose que Dieu accomplit en nous lorsque nous nous tournons vers Christ ; la communion avec le Seigneur ne peut pas non plus, toujours selon Wimber, s’établir et s’approfondir seulement par un contact familier avec l’Écriture. Il s’agirait plutôt d’une relation qui se tisse à partir de révélations nouvelles de Dieu et s’en nourrit. Wimber enseigne que nous devons prier pour avoir une plus grande passion pour Jésus et apprendre à écouter sa voix à n’importe quel moment.[8]

Et voici le verdict de Wolfang Bühne, auquel je souscris sans réserve :

« Les responsables de ce mouvement deviennent de faux prophètes lorsqu’ils affirment : – qu’une relation intime avec Jésus peut s’établir grâce à de « nouvelles révélations » et à des inspirations du Saint-Esprit, indépendamment de la Parole de Dieu. Cette doctrine provoque un glissement du « Jésus de l’Histoire et de la Croix », à un « Jésus de l’intuition » ; de plus, elle nous expose à nous fonder sur le sol mouvant de nos états d’âme.

En affirmant cela, nous n’exagérons nullement. En effet, bien que John Wimber et son équipe lisent la Bible, ce sont leurs expériences subjectives qui sont décisives pour interpréter l’Écriture, et non une réflexion objective.

Le chemin est ainsi ouvert à l’homme pour façonner Dieu à son image, car la voix intérieure est terriblement sujette à caution. Même Jack Deere, un très proche collaborateur de Wimber, souligne le fait que « la voix intérieure » pourrait être inspirée par Satan, ou par autrui, ou simplement provenir de nos propres pensées. »[9]

L’idée d’une deuxième source de révélation, à côté de la Bible, non seulement, comme le dit Bühne, « ouvre la voie à des doctrines et pratiques démoniaques » (Idem, p. 108) – que cette deuxième source soit la tradition (catholicisme romain) ou l’expérience (Troisième Vague, Mouvement charismatique) – mais tombe sous l’anathème biblique (Galates 1:8, 9 ; Apocalypse 22:18, 19).

Cette conception récuse en effet ce que le Dieu qui ne ment point atteste solennellement, à savoir que nous avons dans l’Ancien et le Nouveau Testament TOUT ce qu’il a décidé de nous révéler et TOUT ce dont nous avons besoin, soit le caractère unique, complet, achevé et parfaitement suffisant de « la foi qui a été transmise aux saints une fois pour toutes » (Jude v. 3).

LES ÉVANGÉLIQUES FACE À L’IMPÉRATIF DE L’OBÉISSANCE A LA PAROLE DE DIEU

La ligne de partage

J’emprunte ce sous-titre au chapitre deux du dernier ouvrage de Schaeffer, « The Great Evangelical Disaster ».

Pour illustrer son propos, l’auteur se sert d’un fait naturel, « la ligne de partage des eaux ». Il montre que le Rhône et le Rhin, qui prennent leur source très près l’un de l’autre dans le même massif, finissent par aboutir – malgré leur étonnante proximité au départ – dans des directions tout à fait opposées, l’un, dans la Méditerranée, l’autre, dans la Mer du Nord.

Ainsi en va-t-il parmi les Évangéliques : ceux-ci, au départ, peuvent sembler très proches les uns des autres, sans différences perceptibles, et quand même se retrouver, un jour, sur le plan spirituel, aux antipodes.

Pour Schaeffer, la ligne de partage ou de démarcation n’est autre, finalement, que le principe pur et simple de l’obéissance à tous les niveaux à la Parole de Dieu. Là où la désobéissance intervient, si infime paraisse-t-elle à première vue, elle risque de conduire à de graves déviations.

Les implications incontournables de la vérité

La droite confession théologique de l’inspiration plénière, de l’autorité souveraine, de l’infaillibilité et de l’inerrance de l’Écriture, doit nécessairement nous amener, dans « la logique de l’obéissance », à des prises de position. C’est ce qui s’est passé avec Luther, Calvin, et tant d’autres. Leur théologie n’est pas restée « platonique » et eux-mêmes ne sont pas restés « iréniques » ! Ils sont entrés dans la mêlée. Sinon pas de Réforme !

Bien avant eux, l’apôtre Paul avait donné l’exemple. Face au judaïsme et aux judaïsants il était descendu dans l’arène :

« Quelques hommes, venus de la Judée, enseignaient les frères, en disant : Si vous n’êtes circoncis selon le rite de Moïse, vous ne pouvez être sauvés. Paul et Barnabas eurent avec eux un débat et une vive discussion… » (Actes 15:1, 2).

Dans l’épître aux Galates, se référant à la même hérésie et aux mêmes hérétiques, qu’il qualifie de « faux frères… furtivement introduits et glissés parmi nous, pour épier la liberté que nous avons en Jésus-Christ, avec l’intention de nous asservir », il ajoute :

« Nous ne leur cédâmes pas un instant et nous résistâmes à leurs exigences, afin que la vérité de l’Évangile fût maintenue parmi vous » (Galates 2:4, 5).

L’exigence de la défense, du maintien et de l’application de la vérité a amené Paul à une vigoureuse prise de position, à rejeter le « diktat » des judaïsants.

Cette même exigence l’a contraint à résister à Pierre, son aîné dans l’apostolat, et à le reprendre publiquement (cf. Gal. 2:11 à 14).

Dans les deux cas, il y a eu « confrontation ». Paul agissait sous l’impératif du maintien intégral de la vérité révélée, non seulement sous son aspect théologique mais aussi dans son application pratique.

Il est vital que les croyants individuels et l’Église marchent « droit, selon sa vérité de l’Évangile », car il y a une orthodoxie de la marche aussi bien que du CREDO (cf. v. 14 de Galates 2).

Opter pour le silence, la neutralité, la conciliation, et, au bout du compte, le compromis, est une désobéissance flagrante à la vérité biblique. C’est se dérober aux droits souverains qu’elle a sur notre conscience.

La polémique peut être, parfois, une « œuvre de la chair ». Mais la recherche de la paix à tout prix, même au détriment de ce que Dieu a révélé une fois pour toutes, tout autant !

Nous devons nous rappeler l’affirmation de notre Seigneur : « Ne croyez pas que je sois venu apporter la paix sur la terre ; je ne suis pas venu apporter la paix, mais l’épée » (Matthieu 10:34).

Cela ne contredit en rien l’Évangile de la réconciliation, de la paix avec Dieu et avec le prochain par la Croix (cf. II Corinthiens 5:18 à 21 ; Éphésiens 2:13 à 18 ; Colossiens 1:19, 20).

Le contexte immédiat de Matthieu 10:34 parle de la confession publique de notre foi, du témoignage rendu à Christ (v. 32 et 33). Nous savons que ce témoignage, quand il est fidèle, provoque « la contradiction » (cf. Luc 2:34), amène la division là où elle est la plus douloureuse, dans la famille (Matthieu 10:35 à 39). Et même dans les Églises, surtout en période d’apostasie.

Bien sûr, les prises de position à cause de la vérité peuvent coûter cher. Il y va de notre « confort » personnel, de notre popularité, de nos amitiés souvent. Mais voulons-nous sauvegarder tout cela au prix de la lâcheté, d’une coupable mollesse ?

Les compromis coûtent encore plus cher à long terme, et ils sont méprisables.

J’aimerais à ce propos rappeler le cinglant reproche de Churchill aux hommes politiques qui avaient, à Munich, en 1939, capitulé devant Hitler :

« Vous avez voulu sauver la paix au prix du déshonneur. Vous avez le déshonneur, et vous aurez quand même la guerre. »

Je regrette de le dire, mais la lâcheté règne largement dans le monde évangélique (et je ne pense pas maintenant aux seuls Évangéliques des USA), comme s’il n’avait plus de convictions viscérales à défendre.

Et le silence aussi, un silence honteux, complice de la trahison spirituelle qui est en train de se perpétrer.

Évoquant l’infiltration néo-orthodoxe en Amérique dans les Églises évangéliques, Schaeffer ne peut que déplorer le silence des leaders et leur passivité quand il aurait fallu se mobiliser pour la cause de la défense de l’Écriture et de la foi :

« Quelques voix solitaires se sont élevées. Autrement, ce fut un grand, vaste silence ».[10]

De même, en relation avec « Le Conseil International sur l’Inerrance Biblique », formellement organisé le 16 mai 1977 à Chicago, il fait remarquer qu’il « n’a pas eu l’appui de la plupart des leaders évangéliques, et que ces derniers n’ont manifesté aucun élan pour cette cause », (Idem, p. 186, dans une note relative au chapitre 2).

La loyauté envers Christ, le Seigneur de l’Église

L’obéissance à l’Écriture va de pair avec une fidélité sans faille à l’égard de la Personne de Jésus-Christ puisque lui-même a démontré en toutes circonstances sa totale soumission à la Parole de Dieu (cf. Matthieu 5:17, 18 ; Matthieu 26:56 ; Luc 24:24 à 27, 44 à 47 ; Jean 10:35).

On parle beaucoup « d’amour » envers notre bien-aimé Sauveur dans les cercles évangéliques, mais presque jamais de loyauté envers lui, le Seigneur et l’Époux de l’Église. Et pourtant, la loyauté est la forme première de l’amour dans le domaine conjugal ! Les protestations d’amour, sans la loyauté, n’ont aucune valeur. Une femme infidèle peut-elle clamer son amour ?

On parle aussi, et à profusion, « d’amour envers nos chers frères », mais s’agit-il de cet amour dans la vérité prônée par Jean (cf. II Jean 1 et 2, III Jean 1), ou de cet amour conjoint à la confession de la vérité recommandée par Paul (cf. Éphésiens 4:15), amour qui peut parfois nous amener à différer d’avec nos frères, voire à nous opposer à eux ?

Sans pécher par excès de sévérité, je crois qu’il s’agit plutôt et dans bien des cas d’un amour de complaisance et de fausse tolérance, faible, veule, sentimental et non spirituel, qui mène droit aux compromis, aux mésalliances, aux redditions, aux reniements.

Mais la Bible parle sans ambages de loyauté envers Christ et envers l’Évangile, et justement dans un texte où notre Seigneur est désigné comme notre Époux divin :

« Oh ! si vous pouviez supporter de ma part un peu de folie ! Mais vous me supportez ! Car je suis jaloux de vous d’une jalousie de Dieu, parce que je vous ai fiancés à un seul époux pour vous présenter à Christ comme une vierge pure ! Toutefois, de même que le serpent séduisit Ève par sa ruse, je crains que vos pensées ne se corrompent et ne se détournent de la simplicité à l’égard de Christ. Car, si quelqu’un vient vous prêcher un autre Jésus que celui que nous vous avons prêché, ou si vous recevez un autre esprit que celui que vous avez reçu, ou un autre évangile que celui que vous avez embrassé, vous le supportez fort bien » (II Corinthiens 11:1 à 4).

« La simplicité à l’égard de Christ » (fin du verset 3) désigne un attachement sincère, fidèle, le contraire de la déloyauté dont Ève s’est rendue coupable – sous les perfides insinuations de Satan – envers son créateur et suzerain.

L’avertissement s’inscrit dans un contexte où il est question d’un autre Évangile, d’un autre esprit et d’un autre Jésus, et de la présence et de l’action du Serpent comme séducteur à travers ses instruments, « de faux apôtres, des ouvriers trompeurs, déguisés en apôtres de Christ » (v. 13 et 14).

À force de « flirter » avec l’erreur, de côtoyer et de tolérer ceux qui, dans le monde dit chrétien, la propagent et en sont les ténors et les représentants, l’on risque bien de tomber dans ce que l’Ancien Testament qualifie d’adultère spirituel et de prostitution, et de trahir notre Époux divin, Jésus-Christ. (Cf. Jérémie 3:6 à 10 ; Osée 2:4 ; 4:12, 13). Qu’aura-t-on fait alors du principe biblique de la pureté de l’Église ? (Cf. II Corinthiens 11:2).

C’est le thème poignant traité par Francis Schaeffer dans « The Church Before the Watching World », 1972 (« L’Église devant le monde qui observe »).

Le risque d’un compromis historique avec l’œcuménisme au nom de l’évangélisation

Le compromis, comme à Munich, peut s’habiller des plus beaux atours.

Aujourd’hui, il se pourrait bien, et c’est paradoxal, qu’au nom de l’évangélisation – seul dénominateur commun – l’on sacrifie l’Évangile biblique au profit « d’un autre évangile… qui n’est pas l’Évangile » (cf. Galates 1:6, 7).

Ce que j’avance là n’est pas une supposition gratuite, tant s’en faut.

En 1986, à Amsterdam, Billy Graham, en réponse à une question sur la collaboration avec des catholiques romains et d’autres partenaires non-évangéliques dans un ministère œcuménique et l’évangélisation, a tenu ce propos :

« L’évangélisation est à peu près le seul mot sur lequel nous puissions nous unir… Nos méthodes différeraient et il y aurait parfois des débats même sur le message, mais pas de débat sur le fait que nous devons évangéliser. Je pense qu’il y a ici une œcuménicité que l’on ne peut vivre sous aucune autre bannière. » (Magazine « Foundation », Mars-Avril 1992, p. 19).[11]

Évangéliser ensemble quand il y a « débats même sur le message », donc sur le contenu doctrinal à prêcher, c’est le comble de l’absurdité, d’une part, et de la mauvaise foi d’autre part, car c’est donner l’impression d’une unité qui n’existe pas.

Mais cette volonté d’évangéliser en commun entraînera aussi, c’est inévitable, une trahison du message, qui devra être acceptable pour tous. Certaines doctrines, qui sont partie intégrante de l’Évangile biblique, seront escamotées. Par exemple, pour ne pas choquer les catholiques, on évitera de parler du « salut par la foi seule, sans les œuvres, les sacrements et les mérites humains » (Idem, p. 21).

N’est-il pas troublant qu’un Père catholique des USA puisse faire l’évaluation suivante :

« En ce qui concerne le contenu dogmatique spécifique[12] des sermons de M. Graham, il n’y a rien de nature à mettre des catholiques mal à l’aise ou à éveiller leur méfiance » ? (Idem, p. 120).

Quittons la scène américaine pour l’européenne et signalons des points de repère de la marche des Évangéliques vers un compromis historique avec l’œcuménisme.

Les Forums protestants

Depuis quelques années, en Suisse, les Évangéliques si peu enclins à prendre des positions nettes, tranchantes, que ce soit vis-à-vis du libéralisme, du pentecôtisme ou du charismatisme, sont entrés dans un périlleux dialogue avec l’œcuménisme. Ce dialogue est censé déboucher sur « une action commune », précisément sur le terrain de l’évangélisation.

Sur l’initiative du protestantisme officiel, œcuménique et pluraliste (on tolère diverses théologies dont le degré de fidélité à la Bible est très variable), deux Forums ont eu lieu à Berne en 1988 et 1990 sur le thème : « La Suisse, terre de mission ».[13]

Y participaient, avec l’Église Nationale Protestante et la Société Biblique Suisse (d’obédience œcuménique) divers représentants du monde évangélique, dont l’Alliance Évangélique Suisse, le FREOE, la V.F.G. (un organisme de Suisse alémanique similaire à la FREOE) et Campus pour Christ.

La démarche récente du protestantisme officiel semble indiquer un changement d’attitude vis-à-vis des Évangéliques, regardés auparavant plutôt comme des « parents pauvres ».

Cet intérêt et cette sympathie ont quelque chose de « nouveau » mais on a le droit de s’interroger sur ce qui les motive. Le protestantisme officiel (je parle du système) serait-il en train de changer en profondeur, de se laisser juger par la Parole qu’il s’est permis depuis si longtemps de juger, de passer au crible de la raison déchue ? Est-il en train de réajuster ses positions doctrinales et de se rapprocher de la « théologie évangélique » ? Si c’était le cas, je serais le premier à crier « alléluia ».

Observateur, à titre personnel, au dernier de ces Forums, je n’ai malheureusement aucune raison de croire à un vrai changement. J’ai pu constater moi-même l’effrayante cacophonie théologique et l’absence quasi totale de consensus doctrinal.

Malgré cela, l’appel à prier « ensemble », à travailler « ensemble », à évangéliser « ensemble », est revenu comme un leitmotiv et la plupart des Évangéliques présents – si l’on fait abstraction de quelques rares et nobles exceptions – ont offert l’image d’une masse amorphe, d’un troupeau qui va « dans le courant ».

Sur le plan individuel, il y a sans doute bien des protestants très troublés par l’état de notre société, par les ravages de la déchristianisation dans nos pays, par le déclin de leurs églises, et sincèrement concernés par l’évangélisation.

Je crains toutefois que, pour le leadership protestant, « l’évangélisation commune » serve une stratégie visant à envelopper les Évangéliques pour les attirer de plus en plus dans le giron œcuménique.

Quant à la proposition de collaboration, elle repose sur cet argument en trompe-l’œil selon Jean 17, suivant lequel la mission de l’Église est inséparable de l’unité de l’Église. Par conséquent, nous devons nous unir pour évangéliser.

Mais jamais l’on ne définit, du côté œcuménique, à partir d’une exégèse sérieuse de Jean 17 d’abord qui sont ceux qui font réellement partie de l’Église, et, ensuite, en quoi consiste et sur quoi repose l’unité de l’Église. En pesant mes mots, je dis que l’on est en face d’une exploitation honteuse et malhonnête de Jean 17… et de « la bêtise humaine ». C’est du pragmatisme pur.

Document commun entre responsables de communautés réformées et évangéliques du Canton de Vaud

M. Jean Hoffmann, dans le No 2 (Mars-Avril 1993) de la « Bonne Nouvelle », a présenté ce document, aussi ne vais-je pas l’analyser.

Il a été rédigé sous l’égide de COREAME – le « Comité de Relation Avec la Mouvance Évangélique » – un groupe de pasteurs et de laïcs de l’Église Protestante officielle, en collaboration avec des responsables évangéliques du Canton de Vaud émanant du Pentecôtisme, de La Ligue pour la Lecture de la Bible, des Assemblées Évangéliques de Suisse Romande. Ces dernières étaient représentées par deux membres influents. L’un deux appartient au conseil de la FREOE.

Des responsables des Églises Apostoliques Évangéliques – dont l’un est président de la FREOE depuis novembre 1992 – deux représentants en vue de Jeunesse en Mission (JEM), et, enfin, le Directeur actuel de l’Institut Biblique d’Emmaüs, ont participé à une séance de travail.

Quelques remarques

  • Les Protestants, dans la rédaction de ce document, ont apparemment le rôle moteur et directif, comme dans les Forums.
  • Le document est une ingénieuse synthèse des points de convergence et de divergence. Chaque fois, l’on s’efforce de souligner la justification biblique des thèses en présence, la complémentarité théologique et spirituelle des points de vue.

Ainsi, on donne l’impression qu’il n’y a pas de fossé infranchissable et que, en fin de compte, la jonction est possible et, surtout, hautement souhaitable.

  • Jamais, dans ce document, la Bible n’est désignée comme la Parole de Dieu inscripturée et le seul document révélé où Dieu parle. Il y a une brève allusion aux « textes inspirés » (p. 15, seconde moitié, avec deux références significatives aux « lectures » qu’on en fait) sans aucune qualification quant à cette inspiration.

Nous trouvons aussi cette définition ambiguë et jésuitique : « Nous reconnaissons ensemble que la Bible est le lieu prioritaire par lequel Dieu nous parle » (idem, p. 15). « Prioritaire » implique que Dieu parle aussi ailleurs.

  • Jamais la Bible n’est invoquée comme la seule et souveraine autorité en matière de foi et de conduite, et donc la seule référence pour trancher en cas de désaccords.
  • Jamais non plus la fidélité à l’Écriture n’est mentionnée comme la pierre de touche de la vraie piété et la condition sine qua non de l’unité.

La question est esquivée et déplacée habilement par cette déclaration qui peut faire illusion :

« Nous nous reconnaissons les uns et les autres comme des communautés héritières du grand mouvement de la Réforme et ayant une même volonté de fidélité à l’amour gratuit et libérateur du Dieu vivant, Père, Fils et Saint-Esprit tel que la Bible le révèle » (p. 6, milieu. Il y a des formules trinitaires, comme ici, mais le mot « Trinité » ne figure point dans le document).

  • Le courant et la théologie œcuméniques syncrétiques apparaissent ici et là et avec une certaine netteté :

« Bien des réformés, à cause de leur rapport au monde (primat d’un schème de liaison), de leur conception de l’Église (multitudiniste) et de leur compréhension de l’Évangile (la grâce précède la foi), sont ouverts à reconnaître l’action du Saint-Esprit déjà à l’œuvre dans le monde (éléments positifs de la société, la culture, voire dans les religions non-chrétiennes).

« L’Évangélisation » consistera dès lors à faire germer le salut qui a déjà été semé (en particulier par le baptême) et à expliciter le Christ de l’Évangile déjà implicitement à l’œuvre dans la vie des interlocuteurs » (idem, p. 12, deuxième moitié).

Il est aussi question des « traces de la lumière du Christ en dehors de l’Église » (idem, p. 15, premier paragraphe, entendez « les non-chrétiens »).

  • L’universalisme – désigné comme une « sotériologie… inclusive » (idem, p. 13, milieu) – affleure aussi dans ce document.

En conclusion : que des « Évangéliques » aient pu participer à sa rédaction et en approuver le contenu[14] est une iniquité. C’est agir contre l’injonction d’Éphésiens 5:10 et 11 :

« Examinez ce qui est agréable au Seigneur ; et ne prenez point part aux œuvres infructueuses des ténèbres, mais plutôt condamnez-les ».

Mais c’est aussi dramatique, l’indice d’une descente vertigineuse, et un pas décisif vers l’abandon de la foi biblique.

Conférences mondiales sur la mission et l’évangélisation

Du côté œcuménique et du côté évangélique ont eu lieu en 1989, à intervalle très rapproché, respectivement à San Antonio (USA) et à Manille (Philippines), des rassemblements d’importance stratégique sur le thème en référence.

De tels événements, même s’ils se passent fort loin de chez nous, ont des incidences sur la vie de nos communautés, et nous concernent de très près au plan spirituel et dans le combat de la foi. En effet, dans un monde comme le nôtre, la distance géographique ne compte plus. La preuve ?…

Au dernier Forum Protestant (novembre 1990), un séminaire était consacré à San Antonio et Manille. Les « prolongements » et les « retombées », parmi nous, de ces congrès internationaux sont indiscutables.

San Antonio

Deux mots sur le rapport officiel cautionné par l’Église Réformée de France. Je relève essentiellement trois lignes de force :

  • Ouverture marquée aux spiritualités non-chrétiennes et aux fidèles des autres religions, même s’il est question de « la seigneurie salvatrice de Christ », de la « présence décisive de Dieu en Christ », et du fait que « notre salut est en lui » (p. 9).
  • Influence nette, omniprésente de la théologie de la libération. Le concept de « lutte » socio-politique, sans exclure le recours à la violence, revient constamment.

« La révolte de ceux qui s’élèvent contre l’injustice est la puissance créatrice de Dieu pour les êtres humains et pour le monde entier… » (p. 15).

« Cette souffrance et cette lutte trouvent leur expression dans les actions non violentes, dans les luttes armées là où toutes les formes de résistance non violentes ont été tentées et écrasées, ou dans d’autres formes d’affrontement, selon les situations » (p. 16).

« L’Église devrait parler de la lutte et de la souffrance de ceux qui résistent de différentes manières pour que triomphe la justice ; elle devrait aussi y participer » (p. 16 et 17).

  • Impératif absolu de l’unité entre tous les chrétiens et renforcement des liens déjà existants, ainsi que de l’engagement à l’œcuménisme :

« La mission au-delà des frontières s’appuie sur deux principes essentiels : promouvoir l’unité entre tous les chrétiens et renforcer les liens entre les communautés, au niveau local ».

« L’engagement à l’œcuménisme est aussi un impératif ».

« Ce que nous souhaitons, c’est une multiplicité d’expériences qui tenteraient de mettre en pratique ces principes (directeurs) et, par là, renforceraient les activités œcuméniques à tous les niveaux (local, national et international) » (p. 45-48).

Que les Évangéliques, si naïfs, se le tiennent pour dit : les avances œcuméniques et les propositions de collaboration n’ont rien de l’élan spontané de la charité. Elles obéissent à des « principes directeurs » soigneusement élaborés, en haut lieu ; elles sont concertées et planifiées. Si les Évangéliques ne savent pas où ils vont, les Œcuméniques, pour eux, suivent une ligne bien définie et savent parfaitement ce qu’ils font.

Le péril est d’autant plus réel qu’un certain nombre d’Évangéliques sont déjà gagnés, sinon aux thèses œcuméniques, du moins à la collaboration avec l’œcuménisme. Ainsi – et pour en finir avec la conférence de San Antonio – la revue HOKHMA nous révèle ce qui suit :

« Signalons la présence à San Antonio d’un nombre important d’« évangéliques » et que 149 d’entre eux ont signé une lettre invitant les participants du congrès de Manille à plus de collaboration. » (No 46-47, 1991, p. 7 et 8, note 10).

Après cela, comment s’étonner que les organisateurs de la conférence de San Antonio expriment le vœu, qu’à l’avenir, il n’y ait plus deux mais un seul Congrès Mondial sur la Mission et l’Évangélisation. Ils évoquent donc la perspective d’une jonction entre les Œcuméniques et les Évangéliques sur ce terrain.

« Ayant pris note du fait que deux conférences mondiales sur la mission se réunissent séparément en cette année 1989 à San Antonio et à Manille, nous demandons à la CME[15] et à toutes les Églises et organisations représentées à la Conférence de travailler à l’avenir en vue d’une conférence commune » (p. 11 du Rapport sur San Antonio, lettre d, sous la rubrique : L’unité dans la mission et la mission dans l’unité).

Cette perspective, plausible mais odieuse, a aussi été saluée avec espérance par la Fédération des Églises Protestantes de Suisse lors du dernier Forum.

Manille

Ce deuxième Congrès International pour l’évangélisation du monde s’inscrivait directement dans le prolongement de celui convoqué à Lausanne en 1974 par Billy Graham. C’est pourquoi on le désigne aussi comme « Lausanne II ».

Son thème était : Proclamer le Christ jusqu’à ce qu’il vienne : appel à toute l’Église à apporter tout l’Évangile au Monde entier.

a) La Déclaration de Lausanne et le Manifeste de Manille

Lausanne I s’est largement fait connaître par le document final, « La Déclaration de Lausanne ». Ce texte – dans la rédaction duquel John Stott a joué un rôle majeur – est en quelque sorte devenu un modèle et un signe de ralliement pour une foule d’Évangéliques.

Manille ou Lausanne II, quinze ans après, a rassemblé ses affirmations dans un Manifeste où figurent sans conteste d’excellentes choses.

Par exemple, l’unicité de Jésus-Christ – seul chemin pour aller au Père – est fortement réaffirmée, ce qui ferme la voie au syncrétisme.

Mais l’on note, par rapport à « La Déclaration de Lausanne » :

  • D’une part, un plus fort accent sur les implications sociales et politiques de l’Évangile, une insistance sur les pauvres, les opprimés, les oppressions, les injustices, etc.

Je ne crois pas que cette accentuation soit due simplement au fait que Lausanne II ait eu lieu dans un pays du Tiers-Monde. À force de côtoyer et de fréquenter les tenants de l’œcuménisme, les Évangéliques épousent des aspects de leur théologie.

  • D’autre part, un élément nouveau, soit la référence au surnaturel, à la puissance de l’Esprit Saint dans le sens des signes, des prodiges et des miracles, ce qui prouve que le « lobby » charismatique a « pesé » dans la rédaction du Manifeste de Manille.

b) L’événement spirituel caractéristique de Manille

Cela correspond exactement avec le fait historique qui a caractérisé la Conférence : La jonction (ou la fusion), dans le Mouvement de Lausanne, des Évangéliques de type traditionnel et des charismatiques. Ceux-ci ont réalisé une percée spectaculaire et ont cessé d’être marginaux.

Ici encore les Évangéliques classiques sont tombés dans un compromis qui fera date.

« Évangélisation 2000 »

C’est le nom que l’on donne à la campagne d’évangélisation « lancée par le rédemptoriste Tom Forrest (USA) avec le soutien officiel du pape Jean-Paul II ». Elle a pour objectif de « préparer pour le 2000ᵉ anniversaire de Jésus-Christ un monde évangélisé dans sa grande majorité ». Elle poursuit un autre but : offrir en présent au Christ une chrétienté plus unie. De gros efforts sont déployés dans ce sens.

Des jeunes catholiques sont formés à l’évangélisation par Jeunesse en Mission… (« La Troisième Vague », p. 109 bas et 110 haut).

D’après W. Bühne, Thomas Wang, ancien directeur du Mouvement de Lausanne, avec d’autres évangéliques connus, entreprend un effort semblable sous le sigle « A.D. 2000 ».

Mais pour en revenir à l’initiative catholique, ajoutons que « John Wimber – et avec lui toute la Troisième Vague – soutient la Campagne « Évangélisation 2000 » ; il n’hésite pas à considérer l’initiative du pape, de faire des dix dernières années de ce siècle « la décennie de l’évangélisation », comme « l’une des plus grandes choses qui se soient faites dans l’histoire de l’église » (« La Troisième Vague », p. 110 bas et 111 haut).

Cette décennie de l’évangélisation est le prétexte d’appels de plus en plus pressants à l’unité chrétienne, de telle sorte que les Évangéliques se trouvent pris en tenailles entre l’œcuménisme protestant, qui sollicite leur collaboration, et l’œcuménisme catholique, qui milite pour la même cause. La récente campagne d’évangélisation de Billy Graham pour toute l’Europe – à partir d’Essen – a servi de « catalyseur » pour promouvoir l’action commune de protestants-évangéliques-charismatiques et catholiques.

Dans cette fraternisation « contre-nature », où est le respect des implications pratiques de la Vérité de l’Évangile ? Les lignes de démarcation doctrinales sont tout simplement foulées aux pieds.

Le piège du dialogue illicite

Il est évident que tout dialogue n’est pas faux pourvu que l’on reste fermement sur le terrain de la Parole de Dieu sans jamais le lâcher un instant et en refusant de descendre sur un autre terrain. Quand on observe cette règle, c’est l’adversaire qui lâche pied.

L’exemple le plus frappant est celui de la tentation dans le désert. Dans l’affrontement qui s’est produit entre le Seigneur (entièrement sous le contrôle du Saint-Esprit et dans le sillon de la volonté de son Père) et le diable, ce dernier a été vaincu, désarmé, mis en fuite par le « il est écrit » (Matthieu 4:1 à 11). Ne lit-on pas au verset 11 : « Alors le diable le laissa » ? C’est lui qui part, défait !

Mais nous avons un tout autre dialogue, désastreux – et désastreux pour l’humanité entière – celui d’Ève avec le serpent. Là, le terrain de la Parole infaillible de Dieu a été lâché… Ève est entrée dans le jeu, la « dialectique » de l’ennemi, et elle a fini par être séduite – c’est-à-dire attirée hors du chemin – par la ruse du diable, le menteur.

Nous devons nous rappeler que, lui, n’est jamais « neutre », qu’il a un dessein précis de perdition et de ruine.

L’attitude selon Dieu, biblique, est celle de la fermeté inébranlable, de l’intransigeance, du refus du dialogue trouble, compromettant.

À cet égard nous avons un modèle de comportement en la personne de Néhémie, qui, flairant le piège du dialogue malhonnête, ambigu, le déclina quatre fois dans les mêmes termes :

« Ils m’adressèrent quatre fois la même demande, et je leur fis la même réponse » (cf. Néhémie 6:1 à 5).

Il rejeta encore une tentative de chantage (6:5 à 9) puis déjoua une manœuvre d’intimidation (6:10 à 13). Il n’était vraiment pas « à la sauce évangélique » !

Quant à Esdras, il refusa la collaboration avec les infidèles au langage œcuménique dans l’entreprise de la reconstruction du temple :

« Ce n’est pas à vous et à nous de bâtir la maison de notre Dieu ; nous la bâtirons nous seuls à l’Éternel, le Dieu d’Israël, comme nous l’a ordonné le roi Cyrus, roi de Perse » (Esdras 4:1 à 3).

Et dire que dans l’entreprise autrement glorieuse de la construction de l’Église de Jésus-Christ, les Évangéliques perdent peu à peu et de plus en plus leurs points de repère, les distinctifs divins, et s’enfoncent dans le méli-mélo religieux, le cerveau lavé par la répétition obsédante et hypnotique du mot magique : « ensemble ».

« Faire un bout de chemin ensemble, travailler ensemble, prier ensemble, évangéliser ensemble… »

Oh ! si les Évangéliques pouvaient se réveiller, voir le danger, et, retrouvant la trempe d’Esdras, de Néhémie, et de tous les résistants, rompre le dialogue et sortir du filet du compromis qui les enserre de plus en plus !

LES ÉVANGÉLIQUES FACE AU DIEU QUE LA PAROLE RÉVÈLE

Ce sujet mériterait en soi un traitement approprié et un développement substantiel, mais je me contenterai d’une simple « amorce », c’est-à-dire d’indiquer des pistes de réflexion.

Étant parti du problème de l’attitude des Évangéliques face à la Parole de Dieu, je ferme la boucle en posant le problème connexe de leur attitude vis-à-vis du Dieu de la Parole. Quelle est – au fond – leur conception de Dieu ?

Précisons tout de suite, avant d’aller plus loin, que je n’ai pas en vue ici les Évangéliques encore enracinés dans la saine tradition biblique, mais la frange, ou plutôt la fraction déviante et extrémiste. Toutefois il est à craindre, puisque même « un peu de levain fait lever toute la pâte » (Galates 5:9), que cette fraction affecte la masse toute entière. D’ailleurs, des assemblées jadis fidèles ont déjà été pénétrées par cette influence, et celle-ci, il faut le reconnaître, gagne du terrain de jour en jour. La situation est d’autant plus critique que les Évangéliques répugnent à ôter le mal du milieu d’eux, à exercer la discipline selon Dieu. Ils s’exposent ainsi à une contamination rapide sur une grande échelle.

Dans la révélation glorieuse qu’Ésaïe a eue de Dieu « l’année de la mort du roi Ozias », vers 737 avant Jésus-Christ (cf. Ésaïe 6:1 à 9) nous savons par l’apôtre Jean que c’est Christ lui-même, avant l’incarnation, que le prophète a vu (cf. Jean 12:37 à 41) deux attributs ressortent particulièrement : LA MAJESTÉ, LA SAINTETÉ. C’est si éclatant, si insoutenable même, que les séraphins se couvrent la face (v. 2) et que le prophète crie sa détresse sous la terrible conviction de son indignité, de sa misère d’homme pécheur (v. 5). Heureusement la grâce du Seigneur, qui ôte le péché et qui appelle au service, se manifeste aussi (v. 6 à 9).

Ce qui fait défaut chez une catégorie d’Évangéliques, c’est le sens spirituel de la Majesté et de la Sainteté de Dieu. Ils semblent ignorer la grandeur royale et la sainteté redoutable de Celui auquel ils s’adressent et dont ils proclament le Nom.

La souveraineté de Dieu détrônée

Ainsi, l’on voit des gens égarés qui, oubliant que Dieu est souverain – « le Seigneur assis sur un trône très élevé » (v. 1) – pensent avoir prise sur lui, pouvoir fléchir sa volonté et même l’amener à changer ses plans. Un livre de Frère André vient de paraître sous ce titre impertinent : « Et Dieu changea ses plans… parce que son peuple osa le lui demander » (Portes Ouvertes, 1992). Quelle audace en effet ! Elle confine au blasphème.

La technique de visualisation ou d’incubation de Paul Yonggi Cho et la puissance créatrice de la parole exprimée (cf. « La Troisième Vague », p. 57 à 67), nous montrent un Dieu prisonnier de l’homme, en quelque sorte à ses ordres :

« Le rêve, ou la vision, constitue le support qu’utilise l’Esprit Saint dans le but de construire quelque chose pour nous… Les rêves et les visions constituent les matériaux avec lesquels le Saint-Esprit va travailler… Le Saint-Esprit veut dialoguer avec nous, mais il ne peut le faire sans nos rêves et nos visions… » (p. 59).

« Revendiquez et parlez le langage de l’assurance car vos paroles sont appelées à créer. Dieu a parlé, et le monde entier a été créé. Votre parole est la matière dont l’Esprit se sert pour créer » (Idem, p. 65).

Le Saint-Esprit souverain serait-il donc à la remorque de l’homme ? A-t-il besoin, pour créer, d’une matière préexistante ? C’est l’ordre inverse de Genèse 1 et du Psaume 33:6.

Cela explique pourquoi Yonggi Cho se permet de parler au Saint-Esprit avant de monter en chaire et de lui dire : « Allons-y ! » (Let us Go).

Encore une citation éclairante :

« Jésus est lié à ce que vous proclamez. Comme vous pouvez libérer la puissance de Jésus par le moyen de la parole que vous prononcez, vous pouvez aussi créer la présence du Christ. Si vous ne proclamez pas clairement la parole de la foi, le Christ ne peut pas être libéré… Rappelez-vous que le Christ dépend de vous et de votre parole pour libérer la présence » (p. 65 et 66).

Voler à Dieu l’initiative, lui enlever sa souveraineté, en faire un objet de manipulation, c’est se substituer à lui et se poser en « démiurge ». Il y a dans cette attitude une espèce d’auto-déification.

La sainteté de Dieu bafouée

Dans un monde profondément déchristianisé – je pense surtout à l’Occident où sévit un néo-paganisme atterrant (magie, astrologie, spiritisme, culte de la terre-mère, etc.) – est-il étonnant que l’on glisse insensiblement vers une notion païenne de Dieu ?

Ne court-on pas le risque, même au sein de l’Église, d’échanger, sous l’action d’influences profanes, le Dieu de sainteté parfaite de la révélation biblique, dont l’approche exige la révérence et la foi, contre ce que j’appellerais un Dieu de Festival que l’on peut traiter n’importe comment. En effet, si l’on perd conscience de l’abîme qui nous sépare de lui, d’abord parce qu’il est le Créateur et nous les créatures, ensuite parce qu’il est la perfection absolue, immaculée, et nous des pécheurs impurs, s’instaurera dans notre culte une familiarité, un sans-gêne tout à fait déplacé.

La Bible nous parle de fêtes de l’Éternel, mais il s’agissait de « saintes convocations », d’où la solennité n’était pas absente.

Aujourd’hui, dans la sphère évangélique, il est souvent question de « festivals ».

Le rapport sur la Conférence de San Antonio parle positivement du dynamisme de « la religiosité populaire », et, aussi, de « l’aspect festif de la religiosité ».

Dans l’esprit de l’apôtre Paul, « la fête », la vraie, le culte authentique rendu à Dieu, ne peut en aucun cas s’assimiler à une spiritualité sauvage, anarchique, désordonnée, à quelque chose qui ressemble au délire, à une ivresse spirituelle :

« Christ, notre Pâque, a été immolé. Célébrons donc la fête, non avec du vieux levain, non avec un levain de malice et de méchanceté mais avec les pains sans levain de la pureté et de la vérité. » (I Corinthiens 5:6 à 8)

La fête doit être compatible avec la pureté et la vérité. Elle se célèbre dans une atmosphère spirituelle limpide, sous le signe de la sainteté.

Nous devons sérieusement nous demander de quelle source procèdent les phénomènes et les manifestations extraordinaires que l’on attribue aujourd’hui presque automatiquement au Saint-Esprit, l’irruption des « miracles », des « prodiges », des « prophéties », des « baptêmes de puissance », des « visions », etc.

S’agit-il vraiment d’un retour en force de l’Esprit, dont on oublie qu’il ne saurait cautionner l’erreur puisqu’il est « l’Esprit de vérité », ni agir contre l’un quelconque de ses attributs, ou du déferlement de forces obscures de séduction propres au paganisme ?

La question est posée de façon très pertinente dans une analyse lucide sur « Le Mouvement Charismatique » parue à Labor et Fides en 1981, et due à la plume de Madame Françoise Van der Mensbrugghe.

Se souvenant du livre de K. et D. Ranaghan (des Charismatiques américains), « Le retour de l’Esprit » (1972), et de celui du philosophe Jean Brun, « Le retour de Dionysos » (1976, Les Bergers et les Mages), elle met sous le titre de son étude : « Retour de l’Esprit ? Retour de Dionysos ? ».

Est-ce le Dieu de sainteté qui produit tout cela ou « le dieu » du vin, de l’ivresse (de toutes les ivresses), de la danse, du spectacle, du rire, du délire, de la frénésie, de l’extase, le Dionysos[16] des Grecs et le Bacchus[17] des Latins ?

Sans vouloir forcer le rapprochement, la danse « religieuse » a sa place dans certaines Églises évangéliques charismatiques, et l’Esprit serait à l’origine d’un « saint rire », d’une joie enivrante (cf. « La Troisième Vague », p. 43 et 44, 50 et 51). Et que dire de ceux qui tombent à la renverse, « terrassés par l’Esprit » ?

Un tel désordre ne saurait venir du Dieu de sainteté, car, dans ces manifestations mêmes, celle-ci est bafouée.

CONCLUSION

Très probablement, parmi les frères évangéliques qui se donneront la peine de lire cette analyse, un bon nombre ne se reconnaîtront pas dans la description que je fais. Peut-être penseront-ils à un parti pris négatif de ma part, à un point de vue de type pessimiste, obsessionnel et déformant, à une projection de l’esprit. Je ne serais pas surpris que l’on parle même de caricature.

Mais en fait, je ne demande pas à chaque évangélique de se reconnaître dans le tableau plutôt sombre que j’ai brossé. Il y a trop de diversité dans la Mouvance Évangélique pour que tous les aspects soulevés collent à chacun. Il se peut même qu’aucun de ces aspects ne caractérise certains d’entre nous.

Je rappelle que, dans le préambule, j’ai bien précisé que je traitais de courants, d’orientations et de tendances qui se font jour dans les milieux évangéliques, les traversent, les agitent et influent sur eux.

Aussi demanderai-je simplement à mes lecteurs d’examiner en conscience si ces courants existent oui ou non, et s’ils ne représentent pas une sérieuse menace pour le « modèle évangélique » vraiment conforme à la Parole de Dieu.

Aucun de nous ne peut se laver les mains. Ce qui se passe dans la grande famille spirituelle à laquelle nous appartenons et que nous aimons concerne directement chacun de nous.

Si les dangers signalés dans ces pages souvent sévères sont réels, alors supplions le Seigneur d’intervenir et de provoquer un sursaut salutaire parmi nous.

« Fais-nous revenir vers toi, ô Éternel, et nous reviendrons ! Donne-nous encore des jours comme ceux d’autrefois ! Nous aurais-tu entièrement rejetés, et t’irriterais-tu contre nous jusqu’à l’excès ? » (Lamentations de Jérémie 5 : 21, 22)

Paul-André Dubois[18]

BIBLIOGRAPHIE

Ouvrages

— The Great Evangelical Disaster, Francis A. Schaeffer, 1984 (Crossway Books)

— The Church Before the Waïching World, Francis A. Schaeffer, 1972 (Inter-Varsity Press)

— Christianity and New Evangelical Philosophies, Richard L. Heldenbrand, 1989 (Words of Life, U.S.A.)

— Le Maître à l’œuvre, Walter Chantry, 1991 (Europresse)

— Le Mouvement Charismatique, Françoise van der Mensbrugghe, 1981 (Labor et Fides)

 La Troisième Vague, Wolfang Bühne, 1992 (CLV – Maison de la Bible)

— Canons de Dordrecht, 1988 (Fondation d’Entraide Chrétienne Réformée)

— Confession de La Rochelle, 1988 (Éditions Kerygma)

Revues

 Foundation (Mars-Avril 1992, Volume XIII, Issue 2. Editor : Dr. M.H. Reynolds)

 Hokhma, no 46-47, 1991

 La Revue Réformée, 1992 (no 175- 1992-5-Tome XLIII)

Documents

— Conférence du Conseil Œcuménique sur la Mission et l’Évangélisation, San Antonio, 1989 (Église Réformée de France)

 Document Commun entre responsables de Communautés réformées et évangéliques du Canton de Vaud, 1992-Lausanne (COREAME)

Cassette

— L’évolution du monde évangélique aux USA, Guy Barret (Conférence du 17.11.91, Paris).

[1]      Conférence donnée à la Pastorale de Dijon (13-16 avril 1993).

[2]      J. I. PACKER : Le Salut Biblique et l’Annonce de l’Évangile, (La Revue Réformée, No 175 – 1992 / 5, p. 7).

[3]      Sotériologie : doctrine du salut.

[4]      Cinq points : Dépravation totale – Élection inconditionnelle – Expiation limitée – Grâce irrésistible – Persévérance des saints. Ces cinq points, récapitulés sous le mot anglais “TULIP”, correspondent aux Canons du Synode de Dordrecht (1618-1619).

[5]      Arminianisme : d’Arminius, pasteur hollandais (1560-1609). Théologie qui, en rejetant entre autres l’élection inconditionnelle et la sécurité éternelle des croyants, nie la souveraineté absolue de la grâce de Dieu. “Pour l’arminianisme, le salut dépend ultimement de l’homme lui-même, la foi étant considérée, en quelque sorte, comme son œuvre et non, par conséquent, comme celle de Dieu en lui.”J.I. Packer, Idem, p. 4.

[6]      Institution de la Religion Chrétienne, Tome 3, p. 432.

[7]      J.I. PACKER : Idibem, p. 10.

[8]      “La Troisième Vague”, p. 104. C’est nous qui soulignons.

[9]      Idem, p. 104 et 105. C’est nous qui soulignons.

[10]    Francis SCHAEFFER : “The Great Evangelical Disaster”, p. 58.

[11]    C’est nous qui soulignons.

[12]    C’est nous qui soulignons.

[13]    On note, dans certains secteurs, un curieux virage de l’œcuménisme, qui, il n’y a pas si longtemps, ne voyait la mission de l’Église que sous l’angle de « l’humanisation » – l’amélioration des conditions de vie des multitudes défavorisées – et ne parlait guère d’évangélisation et de témoignage, mais de « présence au monde » et d’action sociale.

[14]    Je cite : “Texte rédigé et approuvé en l’an de grâce 1992 à Lausanne”, p. 17.

[15]    Commission Mission et Évangélisation du Conseil Œcuménique des Églises.

[16]    Langage évidemment figuré puisque les « dieux » de la mythologie n’ont aucune existence objective (cf. I Corinthiens 8 : 5-6). Ils ne sont que vanité. Toutefois cela n’empêche que, derrière ces faux dieux, se trouvent des puissances ténébreuses démoniaques bien réelles (cf. I Corinthiens 10:19 à 21).

[17]    Idem.

[18]    Paul-André a exercé tout son ministère dans l’Action Biblique, d’abord comme missionnaire au Portugal et au Brésil, puis comme pasteur à Lausanne et finalement comme Directeur de l’École Biblique de Genève.