Depuis quelque temps, sous l’influence de la corruption du bon usage de la langue ainsi que sous l’emprise croissante de spéculations universitaires oiseuses — il s’agit ici surtout de la linguistique — les traductions françaises de la Bible ont connu une dégradation inquiétante.
Nous sommes heureux de reproduire ici l’article du pasteur Jean-Marc Thobois, article que nous publions dans nos colonnes avec l’autorisation de la revue pentecôtiste, Expériences.[1] Nous sommes très reconnaissant à M. Thobois d’avoir sonné l’alarme si vigoureusement.
Si des milieux traditionnellement fidèles à la Bible déraillent, d’autres, heureusement, commencent à se rendre compte du danger qui menace le peuple de Dieu. Un auteur catholique, Claude Martingay, n’écrivait-il pas récemment :
« Quand on commence à entendre les textes de l’Évangile dans un sens analogique, voire mythique, l’aplatissement ou l’affadissement de la religion qui se réclame du Christ suit immédiatement.
Quand on perd de vue la destinée singulière, voire unique de chaque individu pour ne considérer que les avatars des sociétés et de leurs Assemblées, l’obscurcissement de la Révélation a déjà commencé.
Quand on en vient à définir la religion en fonction des réalités psychologiques, c’est que l’on s’apprête à remettre la vérité dans les mains des psychiatres et des psychanalystes.
Quand on ne voit plus en elle qu’une manifestation culturelle, c’est que F on préfère la pénombre des musées aux mystères des cœurs. (…)
Ce n’est pas tant la Révélation qui intéresse au premier chef, mais l’École qui s’en est emparée, qui prétend s’en être emparée. Comme si la Révélation pouvait se fonder en dehors de Lui ; comme si les conceptions des hommes étaient antérieures à son langage, à son autorité, à sa sagesse ! »[2]
Il nous faut prendre garde à l’évolution actuelle de nos milieux évangéliques qui sont aujourd’hui emportés par le vent impétueux de l’esprit de ce monde. Dans leur enthousiasme d’être à la mode ils vont jusqu’à soumettre les critères requis pour la traduction de la Bible au goût frelaté du jour ainsi qu’aux idées saugrenues d’intellectuels sans racines. Dans une société déboussolée et sans repères, nos nouveaux cultivés évangéliques se sont courageusement mis en tête de renoncer aux bornes établies par leurs pères et de se comporter avec la prudence, le goût et le savoir-vivre d’un monde désorienté et perdu.
La Rédaction
Une vingtaine de versions différentes de la Bible sont aujourd’hui disponibles en France.
Devant cette abondance, nombreux sont ceux qui s’interrogent et demandent : “parmi toutes ces versions, laquelle est la meilleure, laquelle convient-il de choisir ?”
Il y a encore quelques années de cela, la réponse aurait été : “mis à part la traduction des “Témoins de Jehova”, il n’existe pas de traduction tendancieuse ou malhonnête, chaque traduction répond à une intention et s’adresse à un public donné.”
Aujourd’hui nous ne pouvons plus avoir un jugement aussi irénique car, depuis quelques années, certaines traductions sont franchement tendancieuses, voire partisanes et donc dangereuses pour le lecteur non averti.
On peut craindre que cette tendance s’accentue encore quand seront publiées les traductions dites “inclusives” qui sont en voie d’élaboration.
Qu’est-ce qu’“une bonne traduction” ?
Traduire, c’est donc adapter le texte original à la langue française.
Prenons l’exemple du mot “foi” (hébreu : amen, emouna; grec : pistis), ; “foi” en français, c’est quelque chose d’irrationnel, une vague espérance dont on ne peut être sûr : “je crois”…, c’est-à-dire “il me semble”…, alors qu’en hébreu, 1’amen, c’est ce que j’ai reconnu pour vrai, ce qui est ferme, ce qui est solide. Donc emouna, c’est la certitude absolue.
La traduction, c’est donc l’art du compromis entre l’exigence de la fidélité au texte, la nécessité de restituer l’essentiel de ces textes de façon compréhensible au lecteur, et le souci d’un minimum d’élégance littéraire, notamment à l’occasion de la lecture dans le culte.
La plupart des versions tiennent compte de ces trois impératifs tout en privilégiant l’un ou l’autre.
Parmi les versions qui insistent sur la fidélité au texte, citons la version à la Colombe.
Les traductions comme la Bible des moines de Maredsous, la Bible de Dhelly, insistent davantage sur l’intelligibilité du texte.
Enfin, d’autres traducteurs privilégient la beauté du style littéraire, comme par exemple, la Bible de la Pléiade, ou la version Synodale, malheureusement introuvable aujourd’hui sur le marché français.[3]
Toutes ces versions sont des versions honnêtes et représentent un bon compromis entre les trois exigences mentionnées plus haut.
Bibles annotées : danger !
On peut s ’ interroger quand on arrive dans le domaine des Bibles annotées, telle que la “Bible de Jérusalem”, ou la “TOB” (Traduction Œcuménique de la Bible).
Ces Bibles sont largement influencées par le libéralisme théologique qui nie l’inspiration véritable de la Parole de Dieu. Outre le fait qu’elles contiennent les livres apocryphes, elles sont accompagnées d’un appareil de notes qui, lorsqu’elles ont un caractère historique, géographique, archéologique, linguistique, exégétique etc., présentent un intérêt non discutable pour une meilleure compréhension du texte, mais qui, lorsqu’elles s ‘ appuient sur les présupposés de la critique rationaliste qui nie F autorité de la Parole de Dieu, peuvent être éminemment dangereuses.
Pour ce qui est de la traduction elle- même, cette option libérale s’y retrouve à un degré moindre, mais certains passages sont manifestement traduits dans une optique rationaliste. Au niveau de la “TOB”, on peut aussi signaler le caractère très inégal de la traduction de F Ancien Testament, dû à la multiplicité des traducteurs.
La Bible de Pierre de Beaumont va jusqu’ à mettre en caractères plus petits des passages jugés “moins importants aujourd’hui” ; au nom de quoi certains traducteurs s’arrogent-ils le droit déjuger ce qui est moins important aujourd’hui ? Ne dépassent-ils pas le rôle du traducteur, humble serviteur du texte biblique, pour s’en faire le juge ? On est loin du respect du texte biblique ! et du texte sacré – qui justement ne l’est plus – mais est réduit à un objet qu’on dissèque selon des “méthodes scientifiques”.
Venons-en maintenant aux “versions modernes”, notamment la version dite “en français courant”, et plus récemment la Bible dite “du Semeur”.
Des traductions basées sur de dangereux a priori
Comme son nom l’indique, la Bible “en français courant” se veut une Bible populaire, employant un vocabulaire de base accessible à tous. Quel qu’honorable que soit cette intention, elle nous conduit néanmoins à nous poser quelques questions.
Ne risque-t-on pas d’appauvrir le texte biblique à trop vouloir le simplifier ?
Remplacer “repentez-vous” par “changez de comportement”, c’est faire d’une conséquence seconde de la repentance l’essentiel, alors que la repentance c’est d’abord un changement d’état d’esprit et de cœur. Quand on sait qu’il s’agit là d’un des mots clé de la Bible, on ne peut que s’inquiéter de cette dérive.
On objectera qu’il s’agit là de notions qui ne sont plus compréhensibles aux hommes de la rue. Or force est de constater que lire la Bible, c’est quand même acquérir un minimum de connaissances de vocabulaire biblique. Il existe dans la Bible, comme dans tout autre ouvrage, des termes qui lui sont spécifiques.
Dans ce cas, les expressions qui risquent de ne pas être comprises par le lecteur moyen sont en général expliquées par des notes ; pourquoi n’en serait-il pas ainsi pour la Bible ?
Ainsi que nous l’avons mentionné plus haut, n’est-on pas en droit d’attendre du lecteur moyen un minimum d’effort de compréhension de ces notions de base ? Il n’est pas acceptable de remplacer le mot “expiation” par “sacrifice” ou par “apaiser la colère de Dieu contre le mal”. Considère- t-on le lecteur moyen comme incapable d’un tel effort ? Dans ce cas, n’y aurait-il pas une vision paternaliste du public vis-à- vis duquel des clercs “qui eux savent”, condescendent à s’abaisser pour mettre à sa portée un savoir qui. de toute façon le dépasse ? Ou bien sommes-nous en présence d’un aspect de la pédagogie moderne selon laquelle il faut “apprendre sans effort en partant du vécu”, à partir de notions familières au lecteur et en s’abstenant de tout ce qui pourrait le dépayser ?
En outre, la Bible “en français courant” se veut “une étude scientifique de l’art de traduire par concordance véritable entre le texte original et la version française. On reçoit des informations du texte récepteur et on les reformule en français”, c’est-à-dire que l’on remodèle totalement le texte original en s’affranchissant totalement du littéralisme.
Une telle manière de faire peut être enrichissante parfois, à condition que le traducteur ait bien compris la pensée essentielle du texte ; s’il l’a fait, il en dégage “la substantifique moelle” pour le grand bien de ses lecteurs, mais s’il se trompe, cela peut être gravissime … Prenons deux exemples, l’un anodin, l’autre infiniment plus redoutable :
De nombreux psaumes commencent par cette expression “la menasteah”, qu’on traduit en général par “au chef des chantres” ou “au chef de chœur”. La version “en français courant” traduit ainsi : “du répertoire du chef de chœur, psaume appartenant au recueil de David …” On voit tout de suite que nous ne sommes plus dans le littéralisme, car le mot “répertoire” n’existe pas dans le texte original. L’idée n’en est pas obligatoirement absente, mais elle n’est pas non plus certaine. On peut aussi bien comprendre cette expression comme : “dédiée au chef de chœur”, ou bien, “écrit par le chef de chœur”. Les traducteurs ont fait un choix, sont-ils sûrs qu’il est le bon ? Et si leurs méthodes “scientifiques” s’avéraient demain erronées, comme souvent dans de tels cas ?
Peut-on faire parler Jésus comme un Français du XXème siècle ?
Autre exemple plus grave, dans l’évangile de Luc ch. 1, v. 15, l’ange annonce à Zacharie, le père de Jean- Baptiste, la naissance de ce dernier en ces termes : “il sera rempli du Saint-Esprit dès le sein de sa mère”. Or la version “français courant” traduit : “il sera rempli du Saint- Esprit dès sa naissance”. Il s’agit manifestement d’un contresens au vu des versets 41 et 44 du même chapitre où Jean-Baptiste dans le sein de sa mère est visité par le Saint-Esprit quand retentit la voix de Marie.
Est-ce parce qu’ils étaient conscients de cette contradiction que les traducteurs du “français courant” ont traduit le verset 41 par “l’enfant remua dans son sein”, au lieu de “tressaillit dans son sein” ? Où veut-on en venir ? Veut-on insinuer qu’un enfant ne peut être visité par le Saint-Esprit avant sa naissance, qu’il ne peut donc être un être humain tant qu’il est dans le sein de sa mère, et justifier ainsi l’avortement ? Il y a des fautes qui ne sont pas neutres ni innocentes !
A-t-on vraiment le droit de faire parler Jésus comme un homme du XXème siècle ? Jésus n’était pas un Français du XXème siècle mais un juif du 1er siècle qui s’est incarné dans une culture. On assiste à une volonté de déculturiser l’Evangile qui n’est pas sans rappeler les aberrations de certaines théologies indigènes et autres tentatives d’inculturation qui aboutissent alors à “jeter le bébé avec l’eau du bain”, pour reprendre une expression populaire ! Jésus ne disait-il pas : “les paroles que je vous dis, je les dis comme le Père me les a dites”. La forme des paroles de Jésus n’est donc pas un détail indifférent ; s’en affranchir, c’est prendre le risque de dénaturer le message lui-même.
La “Bible du Semeur” : une traduction tendancieuse ?
Le même type de critique peut être formulé à l’endroit de la Bible “du Semeur”, d’autant plus redoutable qu’elle se veut 1 ‘émanation du courant évangélique. La Bible “du Semeur” obéit à la même philosophie “du français courant”.
Le professeur M. Carrez la définissait ainsi : la Bible “du Semeur” se veut à l’intersection de la théologie et de la linguistique”. C’est clair ! Nous avons donc affaire à une traduction tendancieuse, basée sur des a priori théologiques, ce qui est la définition même “d’une mauvaise traduction ”.
L’honnêteté intellectuelle exige en effet du traducteur qu’il mette de côté ses présupposés théologiques pour se mettre à l’écoute du texte biblique et se laisser interpeller par lui. Dans la Bible “du Semeur”, Alfred Kuen fait l’inverse.
Ainsi la “prophétie” devient le “don de transmettre des messages inspirés de Dieu”. Les “prophètes” sont des “porte-paroles de Dieu”, “se repentir” devient “changer de vie”, l’“avorton” dont Paul se glorifie en 1 Corinthiens ch. 15 devient “un moins que rien”. Il y a manifestement une tendance à vouloir à tout prix “faire original”. Passons sur des contresens sans grande importance tel Philippiens ch. 1, v. 13, où “le prétoire” devient “la garde prétorienne”, ce qui n’est plus la même chose, pour arriver à des contresens plus graves.
Romains ch. 7, v. 14 est traduit par : “la loi est inspirée par le Saint-Esprit” au lieu de “la loi est spirituelle”, c’est-à-dire vient du ciel, de Dieu, non seulement dans son inspiration mais dans son essence. C’est donc bien plus qu’être seulement inspiré par le Saint-Esprit.
D’autres traductions sont ouvertement tendancieuses. En Matthieu ch. 5, v. 32, A. Kuen traduit comme le grec 1 ’ exige “celui qui divorce d’avec sa femme – sauf en cas d’infidélité -1’expose à devenir adultère”. Or, en Matthieu ch. 19, où la structure de la phrase est la même, nous trouvons ceci : “celui qui divorce et se remarie commet un adultère – sauf en cas d’infidélité”. Il faut préciser que dans le texte original, le “sauf en cas d’infidélité” porte sur la possibilité de la séparation et non sur celle du remariage. Le texte est donc violenté. Est-ce pour faire admettre dans les milieux évangélique la possibilité du remariage des divorcés ?
On le voit, une porte dangereuse a été ouverte, on peut se demander où cela s’arrêtera.
L’Alliance Biblique universelle et française a pendant ces dernières années fait un travail remarquable dans le domaine de la diffusion de la Bible. Pourtant, depuis un certain temps, une orientation redoutable a été prise, non seulement parce qu’on diffuse des Bibles avec apocryphes (TOB, “français courant”) mais aussi à cause des notes et des traductions qui contiennent des a priori théologiques inacceptables pour les évangéliques et pour tout homme qui veut aborder le texte biblique en toute objectivité et sans rail conditionnant.
Si cette tendance devait se poursuivre et s’accentuer, il deviendrait alors impératif pour les milieux évangéliques de veiller à ce que soient publiées des traductions non biaisées. Le travail de l’association “Viens et Vois” à Lyon pourrait être le signe avant-coureur de cette évolution. Cette association diffuse déjà la Bible à 12 francs français et accomplit un travail remarquable qui mérite d’être encouragé.
Face à la dérive actuelle qui altère ce domaine fondamental qu’est la traduction de la Bible, il convient d’être vigilant et de choisir une traduction sûre.
Jean-Marc THOBOIS
[1] Expériences, N° 91, 1993.
[2] Una Voce Helvetica, janvier 1994.
[3] Signalons en passant que lors de la parution de la Bible en français courant, les autorités compétentes de l’Eglise Evangélique Réformée du canton de Vaud (Suisse) se sont débarrassées du stock important de Bibles Synodales en leur possession en les jetant tout bonnement au pilon afin de les remplacer par la Bible en français courant. C’est ainsi que des milliers de Bibles furent détruites par décision ecclésiastique. Ajoutons que plusieurs sociétés bibliques refusèrent de reprendre ce stock de Bibles à leurs yeux vraiment dépassées ! (Réd.)