Un des textes de l’Ecriture dont on a le plus abusé est Matthieu 7 : 1-2 : « Ne jugez pas, afin de ne pas être jugés. C’est au jugement dont vous jugez, de la mesure dont vous mesurez qu’on vous mesurera. » Contrairement à une opinion courante notre Seigneur n’interdit nullement ici l’exercice du jugement. Après tout, n’est-ce pas lui qui insiste si fortement : « Ne jugez pas selon l’apparence, mais jugez selon un juste jugement » (Jean 7 :24) ?

Ce que condamne ici notre Seigneur est le jugement exercé sur des bases personnelles ou non bibliques. Nous devons juger un juste jugement. La norme que nous employons sera immanquablement utilisée contre nous si nous jugeons sur des bases autres que celles de la loi de Dieu. Les normes humanistes qui fondent si souvent nos jugements seront utilisées contre nous, tant par Dieu que par les hommes eux-mêmes. Nous devons pratiquer un jugement juste, ou intègre, ce qui veut dire que c’est la loi de Dieu qui doit être notre norme.

Ceux qui disent, « N’ayez pas d’esprit de jugement ! », déclarent en fait : « Aucune norme n’est admise ! » Si des normes justes ne peuvent ainsi exister, ni dans la société, ni dans l’Eglise, ni dans l’Etat, alors nous nous retrouvons devant l’abolition pure et simple de toute loi et de toute moralité. Nous nous trouvons ici dans le monde du Marquis de Sade, monde où l’on peut faire n’importe quoi, où tout est légitime, sauf la Parole de Dieu.

Ainsi affirmer : « N’ayez pas d’esprit de jugement ! » met hors la loi la Bible elle- même, Bible qui nous donne cette loi divine, norme par laquelle nous devons vivre en Christ. Une telle attitude, radicalement opposée, comme elle l’est à toute forme de jugement, conduit à l’anarchie et la décadence. Est-ce un hasard qu’une génération comme la nôtre, qui insiste tant sur le fait qu’il ne faut pas juger, soit également la plus criminelle de toute l’histoire de l’Amérique ? Notre taux de meurtre croit d’une manière exponentielle. Les viols rapportés à la police ont, en une génération, augmenté de 700%. De nombreux vols ne sont tout simplement plus dénoncés car on prête l’attention disponible à des crimes plus « sérieux ». Ajoutons à ceci le libre cours de cet esprit de jugement arrogant si caractéristique des impies, des criminels et des dégénérés à l’encontre des chrétiens.

La société ne peut jamais se passer de jugements. Si les justes n’exercent pas un jugement marqué par la crainte de Dieu, les impies feront de leurs normes mauvaises la mesure par laquelle tous seront jugés.

Il est impossible à un quelconque domaine de la vie d’échapper au règne des jugements et des normes. Si nous exigeons de nos enfants qu’ils ne boivent pas de poison, est-ce faux de leur enseigner à juger entre ce qui est bien et ce qui est mal ? En exigeant que les gens conduisent leur voiture sur le bon côté de la route nous exerçons un esprit de jugement, autant pour leur bien que pour le nôtre. Alors, pourquoi ne serait-il pas égale­ment permis d’exiger d’eux qu’ils se conforment à des normes justes dans la sphère morale ?

Sur le plan moral l’affirmation : « N’ayez pas d’esprit de jugement ! » n’est rien d’autre qu’une exigence mauvaise. Elle devient proprement immorale lorsqu’il s’agit du refus de toute application de normes de sécurité ou de morale. Affirmer que la loi-parole de Dieu doit être à la base de tout jugement est un acte de piété chrétienne absolument indispensable. Nos normes individuelles ou nos goûts personnels n’ont ici rien à voir. La parole de Dieu a force de loi ; elle est obligatoire.

Cette hérésie nous enjoint à tout bout de champ : « N’ayez pas d’esprit de jugement ! ». Elle jouit aujourd’hui d’une telle popularité qu’il n’est guère surprenant de constater que les Eglises sont devenues pour la plupart antinomiennes, opposées à la loi de Dieu. Il n’est guère étonnant, d’ailleurs, que le thème du Dernier Jugement ait quasiment disparu de la prédication des Eglises. Je me demande si, au vu de la généralisation de pareilles bêtises, il ne se trouvera pas des personnes lors du Dernier Jugement pour apostropher de manière frénétique notre Seigneur en lui criant : « N’ayez pas d’esprit de jugement ! ».

Rousas John Rushdoony[1]

Chalcedon Report, N° 342, janvier 1994 (Post Box 158, Vallecito, CA 95251, USA).

[1] Le pasteur Rushdoony est le Directeur de l’Institut Chalcedoine Californie. Il édite le Chalcedon Report, un mensuel en langue anglaise consacré aux relations entre la foi chrétienne et le monde et qui est envoyé gratuitement à ceux qui le demandent. Il est l’auteur de nombreux ouvrages.