Les chrétiens assyriens d’Irak

par | Résister et Construire - numéros 28-29

Dans notre article sur la situation des chrétiens d’Irak, nous avons laissé à part les chrétiens assyriens, qui représentent un cas particulier, et qui n’ont cessé d’être persécutés, comme on va le voir, depuis la création de l’Etat d’Irak.

Ils descendent des anciens As­syriens, fixés à l’origine dans la moyenne vallée du Tigre (région de F actuel Mossoul) et qui, après avoir fondé un empire puissant furent soumis aux Mèdes puis aux Perses. Ils embrassèrent très vite la religion chrétienne, sous la houlette du Patriarcat d’Antioche. Mais par la suite, les chrétiens grecs et latins d’une part, et certains Orientaux, de l’autre, se séparèrent au sujet de la relation entre la divinité et 1’humanité du Christ. Lorsque Nestorius, un Oriental originaire d’Antioche, accéda au siège de Constantinople, il s’en prit au terme de “Theotokos” (mère de Dieu) attribué à Marie, mais il fut condamné au Concile d’Ephèse (431). Une partie de l’Orient refusa ce concile, et ce fut le début de l’Eglise Assyrienne appelée également nestorienne. Par la suite, une partie importante de cette Eglise se détacha pour s’unir à Rome (Eglise Chaldéenne).

Au cours des siècles, les Assyriens qui parlent le syriaque (variante de F araméen parlé par le Christ) et qui étaient installés en Mésopotamie, ainsi que dans le Sud de l’Anatolie turque (montagnes du Hakkari) et dans l’Ouest de l’Iran actuel, furent victimes de l’oppression des divers conquérants, Perses, Arabes et Turcs (nombreux massacres et atrocités). Plusieurs milliers d’entre eux furent massacrés par les Turcs, dans le cadre du massacre des Arméniens de Turquie en 1915. Les Assyriens du Hakkari furent conduits par les Alliés à prendre les armes contre les Turcs, mais ils durent se replier vers le Sud, et ils retrouvèrent leurs coreligionnaires dans le foyer ancestral de Mésopotamie. Ils espéraient alors y jouir de droits nationaux dans la région de Mossoul, mais en réalité, ils furent la proie des Kurdes et du gouvernement irakien formé après le démantèlement de l’Empire Ottoman.

Le but du gouvernement de Bagdad est la disparition du peuple assyrien en tant qu’ethnie non-arabe et chrétienne, et depuis 1975, les autorités mènent à son égard une politique de répression visant à l’assimilation forcée et s’attaquant plus particulièrement à ses éléments nationalistes.

Par suite de ces persécutions, les Assyriens, citoyens de 2ème catégorie, privés de F espoir de leurs droits humains et nationaux, ont commencé il y a plusieurs décennies à quitter le pays, et cet exode continue. En particulier 80 000 Assyriens ont pu émigrer aux Etats-Unis, où fonctionne l’Alliance Assyrienne Univer­selle, qui a son siège à Chicago, mais qui a été créée en France, à Pau en avril 1968, et qui, par de nombreuses publications, s’efforce de défendre dans le monde entier la cause de l’autonomie assyrienne. Chronique des persécutions

En août 1933, la ville de Simele (Nord-Ouest de l’Irak) fut le théâtre d’un cruel pogrom anti-assyrien, au cours duquel plusieurs centaines de femmes, d’enfants, de vieillards et d’hommes désarmés furent massacrés par 1 ’ armée irakienne, à laquelle la population locale kurde s’associa de bon cœur. Les “exploits” des troupes furent célébrés officiellement par toutes sortes de festivités dans les villes et par des ré­compenses accordées aux “héros”.

La communauté des chrétiens assyriens a vu ses souffrances augmenter tout particulièrement à partir des années 1960. Entre 1969 et 1979, le pouvoir a fait raser 61 villages principalement peuplés d’Assyriens, et plusieurs dizaines d’autres villages connurent le même sort en 1988 et les années suivantes. Par ailleurs, cette communauté a été, tout comme les Kurdes, la cible des attaques aériennes chimiques menées par F armée irakienne. Au cours de l’été 1988, cinq villages assyriens de la vallée de la Subna ont été attaqués au gaz moutarde, et leurs habitants ont péri. Le nombre d’Assyriens gazés entre avril 1987 et août 1988 est évalué à 2 000. Après les attaques de la fin de l’été 1988, 4 à 6 000 Assyriens se seraient enfuis en Turquie et en Iran, et ils attendaient en Grèce et à Chypre d’être acceptés comme réfugiés en Europe et en Amérique du Nord.

La hargne du pouvoir s’en est également prise aux édifices religieux chrétiens. En 1979, on évaluait à 85 le nombre des églises ou monastères assyriens (ou chaldéens) détruits dans le Nord de l’Irak. En particulier le monastère de Mar Odisho, ville fondée au 4ème siècle et qui constituait un des lieux les plus sacrés des Assyriens, ainsi que celui de Mar Hanana, à Fahro, construit il y a 1300 ans, celui de Mar Guyomar, à Broari-Bala, vieux de 1400 ans, ou encore celui de Défi, rasé par les troupes du Génie en 1988.

Les chrétiens assyriens ont régu­lièrement été victimes de massacres, comme le 16 août 1969 (2ème année du régime du Parti Baas), où 29 femmes, 37 enfants et un vieillard ont été brûlés vifs par les troupes irakiennes dans une grotte proche du village de Dakan. Plus tard, en 1984, parvinrent des nouvelles inquiétantes faisant état de nombreuses arrestations et exécutions sommaires. En particulier eurent lieu à la mi-août les arrestations (confirmées par le Département d’Etat américain) de 153 chrétiens assyriens âgés de 21 à 70 ans, qui furent soumis àtoutes sortes de tortures. Ils avaient osé réclamer la reconnaissance de leurs droits nationaux, l’arrêt de la politique d’arabisation massive et le libre enseignement de leur langue syriaque. Le 6 février 1985, trois d’entre eux (2 ingénieurs et un conseiller commercial) furent pendus sans jugement, et d’autres exécutions eurent également lieu, dont celle d’un jeune assyrien âgé de 24 ans, le 15 juillet 1985. En 1987, la “Gesellschaftfür bedrokte Volker” (Association pour les Peuples menacés) de Gôttingen (Alle­magne) a signalé que des centaines de chrétiens assyriens du Nord de F Irak avaient été arrêtés, et qu’une dizaine d’entre eux avaient été exécutés sans jugement, tandis que l’archevêque de Ninive s’était réfugié en Iran avec 27 fidèles.

Par ailleurs, Y Alliance Assyrienne Universelle a signalé la “disparition” de 33 familles assyriennes, originaires surtout de villages autour de Duhok, lesquelles, après s’être réfugiées en Turquie et en Iran, étaient rentrées chez elles au début de 1989, sur la foi de l’amnistie officielle du 6 septembre 1988. On peut craindre pour la vie de ces 33 familles, dont l’Alliance donne d’ailleurs les noms et la composition (d’après Amnesty International). Cette crainte est justifiée, car d’autres familles qui s’étaient fiées à cette “amnistie officielle” ont été exécutées. C’est, par exemple, le cas d’une famille (parents et 2 enfants) qui a été tuée entre septembre et mi-octobre 1988. Elle s’était cachée après l’exécution d’autres membres de leur parenté, puis rendue aux autorités, et leurs corps portaient des marques de tortures. Autres victimes de cette amnistie non observée : le prêtre nestorien Shemon Slimon Zaya et onze de ses fidèles (dont des femmes et enfants), qui se sont fiés aux promesses de Saddam Hussein et sont rentrés au pays, après quoi ils ont été exécutés à Bagdad le 15 septembre 1989.

L’Association allemande men­tionnée plus haut estime que le régime de Saddam a tué environ 20 000 chrétiens assyriens (y compris ceux qui ont péri lors des attaques de villages assyriens par gaz).

Devant toutes ces persécutions, de nombreux chrétiens assyriens ont continué à quitter le pays, c’est ainsi qu’avant la Guerre du Golfe, environ 300 familles partaient chaque année. Après l’invasion du Koweit par l’Irak en 1990, 5000 à 10000 chrétiens se sont réfugiés en Turquie, où ils vivaient dans des conditions déplorables. Après la Guerre du Golfe et lors de l’insurrection des Kurdes, d’autres ont suivi l’exode vers la Turquie, et en été 1991, on signalait que plusieurs centaines de chrétiens, hébergés dans le camp de Silopi, refusaient de rentrer en Irak.

Actuellement (fin 1992), le Nord de 1 ’ Irak échappe pratiquement à F autorité de Saddam Hussein puisque les Kurdes y ont organisé une région autonome de fait, et les chrétiens s’y sentent plus libres, mais leur avenir dépendra du comportement des Kurdes à leur égard. En 1992, ils ont pu ouvrir à Dohuk une librairie chrétienne et une bibliothèque de prêt, cela grâce à F aide fournie par l’organisation “Portes Ouvertes ” et deux autres organisations européennes (une allemande, une suédoise). Par ailleurs, quelques prêtres assyriens ont profité de la nouvelle liberté pour distribuer des Bibles aux familles.

Faisant le bilan de la situation, “Portes Ouvertes” signale que sur les 200 ou 300 villages chrétiens du Nord de F Irak, la moitié a été soit rasée au bulldozer, soit dépeuplée au moyen de gaz toxiques, de sorte qu’il ne resterait qu’environ 100 villages encore habités par des chrétiens assyriens.

Les persécutions au quotidien

Tel est le sort collectif des chrétiens assyriens d’Irak, et nous pourrions en rester là, mais il nous semble que notre étude doit considérer plus en détails le sort particulier de certains de ces frères et sœurs en Christ, afin de bien réaliser toute l’étendue de leurs souffrances. Or, cela est possible grâce à un épais dossier que possède “Résister et Construire”, et qui provient de la représentation à Chypre d’un service de Y Eglise Presbytérienne des U.S.A. Ce service a établi au cours de l’été 1991 dix- neuf dossiers détaillés relatifs à des chrétiens assyriens (au nombre d’une quarantaine au total) réfugiés dans cette île après avoir quitté l’Irak à la suite de toutes les persécutions dont ils furent victimes et que l’on peut résumer ainsi : persécutions d’ordre religieux; persécutions d’ordre éthique et politique, avec des efforts d’assimilation, notamment par des pressions incessantes exercées dès le lycée sur tous ces réfugiés pour les faire adhérer au Parti Baas; mauvais traitement dans l’Armée; difficultés pour trouver un emploi ; villages évacués et rasés en 1978; tortures et viols.

  1. Samuel Lahdo (né en 1958). Dès sa prime jeunesse, remarque qu’ avant de sortir dans la rue, sa mère et d’autres femme chrétiennes cachaient leurs croix portées au cou.

Pendant la guerre avec l’Iran, constate que parfois des soldats chrétiens sont tués par des soldats musulmans qui se trouvent derrière eux. Craignant un tel sort, il va jusqu’à payer un bakchich pour que sa plaque d’identité porte la mention “musulman”! A été arrêté et torturé en 1990 après la fuite de ses soeurs et de son beau-frère, lequel avait été également arrêté, et sauvagement torturé pendant 3 mois pour l’amener à collaborer avec la police secrète irakienne.

  1. Janeit Yousifi (née en 1967). Lors d’une conversation avec d’autres femmes, a maudit le régime de Saddam Hussein. Dénoncée par une de ces femmes, qui était membre de la Sécurité Nationale, elle fut arrêtée, détenue pendant 15 jours et violée.
  2. Robert W. Khamis (né en 1973). Persé­cuté au lycée, où l’adjoint du proviseur ne cesse de le harceler pour l’obliger à adhérer au Parti Baas, et un jour s’apprête à le battre devant la classe, l’obligeant à se défendre. Renvoyé pour 2 ans, il suit des cours du soir, mais le Parti veut l’obliger à rejoindre un camp d’entraînement militaire. Refuse et se cache.
  3. Samir Anu (né en 1958). En 1978, les autorités ont fait évacuer son village (au Nord), puis incendié toutes les maisons et fermes, rasées ensuite au bulldozer. La population fut parquée au Sud, dans un camp de tentes, sans eau ni électricité, et traitée comme du bétail. Son père et son frère aîné sont arrêtés, torturés et détenus 6 mois, accusés d’aider les Kurdes. Lui- même réussit à quitter le camp, reprend ses études à Kirkouk, terminées en 1980, mais on l’incorpore dans l’Armée et l’envoie au front contre l’Iran. On ne cesse de le tracasser pour l’obliger à adhérer au Parti, mais il refuse, et son père et son frère sont de nouveau arrêtés. On l’envoie en patrouille en territoire ennemi, bien qu’il fasse partie d’une équipe médicale, et il découvre que l’on cherche à le tuer par derrière. Après dix ans dans l’Armée, il demande un emploi au Ministère de la Santé, mais il est éconduit, car il est chrétien et non membre du Parti. Il considère que pour les chrétiens assyriens, le principal problème est qu’à l’époque ils ne pouvaient ni pratiquer librement leur religion, ni parler leur langue syriaque.
  4. Jani Narsa (né en 1958). Tout comme dans le cas ci-dessus, son village (au Nord) a été détruit, et la population parquée dans des camps au Sud. Son frère aîné a été emprisonné. Lui-même a été incorporé dans l’Armée de 1978 à l988, et envoyé au front. On veut l’obliger à adhérer au Parti, mais il refuse. Il découvre qu’on veut le tuer par derrière, et on lui dit que c ’ est parce qu’il est chrétien et qu’il n’a pas le droit de tuer un musulman (donc un soldat ennemi iranien ! ) Il se plaint des mauvais traitements endurés par les chrétiens assyriens, qui n’ont pas de liberté religieuse et ne peuvent se réunir à l’Eglise ni célébrer les fêtes religieuses. En outre, à l’école, les enfants assyriens doivent étudier le Coran.
  5. Ninos Jebrail (né en 1969). Pendant sa scolarité on veut le faire adhérer au Parti malgré son jeune âge. Il refuse, et dès lors fait l’objet de discriminations. En outre, il doit suivre les cours d’instruction religieuse avec les musulmans.
  6. Hilani NIissan (née en 1940). Son fils a beaucoup souffert dans l’Armée lors de la guerre contre l’Iran. Les soldats musulmans le tourmentaient et lui répétaient qu’il n’avait pas le droit de tuer un soldat musulman ennemi. En 1983, il fut gravement blessé à la jambe droite, qui fut sauvée après de multiples opérations, mais raccourcie, de sorte qu’il avait besoin de béquilles. Il demanda alors à être réformé, ce qui lui fut refusé parce que chrétien et non membre du Parti ! Et il fut renvoyé au front en première ligne, malgré ses béquilles, ce qui l’amena à déserter lors d’une permission en 1984, et à s’enfuite à l’étranger. Pour cette raison, son père fut arrêté, tor­turé et détenu pendant une longue période.
  7. Mellis Khamo (né en 1951). Son père a passé de nombreuses années en prison. Lui-même fut arrêté en 1983 pendant son service militaire et emprisonné 2 mois sur une fausse dénonciation émanant du Parti. A l’expiration de son service, le Parti veut obtenir son adhésion, mais il refuse et est détenu pendant une semaine. Emprisonné pour la même raison pendant 4 mois en 1987, avec tortures et sévices sexuels.
  8. Yousif Shino (né en 1959). En 1980, on veut l’obliger à adhérer au Parti, mais il refuse. Nouvelles pressions à deux reprises en 1989, nouveaux refus, après quoi on mit le feu à son bureau d’architecte, et on 1 ’ emprisonna ainsi que son associé. Il passa 7 mois en cellule. Sa femme, qui avait aussi refusé d’adhérer au Parti, fut renvoyée de son emploi et par la suite soumise par la police secrète à un interrogatoire et à des bru­talités qui provoquèrent une fausse-couche.
  9. Edmund Gorges (né en 1962). Em­prisonné un mois et demi en 1984 pour refus d’adhérer au Parti. Arrêté à nouveau en 1986 ainsi que son frère parce qu’ils avaient refusé de collaborer avec la police secrète. Détenus 15 jours et torturés à plusieurs reprises.
  10. Julit lshaya (née en 1951). A beaucoup souffert dès son enfance et pendant toute sa scolarité : “Je n’ai pas oublié tous ces jours, et leur souvenir ne m’a jamais quittée. On a voulu m’obliger à renoncer à ma propre langue et à ma religion, et à me convertir à l’Islam, mais j’ai sans cesse refusé. On m’a tourmentée et menacée de m’emprisonner. On a essayé de me faire écraser par une auto, mais Dieu m’a sauvée.” Après ses études, elle fut employée en 1975 dans la Northern Oil Company. Chaque semaine on essaya de la faire adhérer au Parti, mais elle refusa chaque fois, et dès lors ne perçut que son salaire de base, sans les primes et allocations. Deux de ses frères ne purent trouver d’emploi après leurs études, parce qu’ils refusaient d’adhérer au Parti. Trois autres frères furent maintenus 11 ans dans l’Armée et menacés de mort pour des refus analogues.
  11. Kaldoun Zaya (né en 1958). Renvoyé du lycée pour refus d’adhérer au Parti. Maintenu 13 ans dans F Armée, période au cours de laquelle il a été soumis à de fréquentes pressions pour l’obliger à adhérer au Parti. Lors de chacune de ses permissions à Bagdad, il a été filé par la police et parfois emmené au Service de Sécurité, et chaque fois il fut interrogé au sujet de trois de ses frères émigrés au U.S.A., giflé, frappé avec une canne et menacé d’électrochocs.
  12. Jari Zaya (né en 1973). Jeune frère du précédent. “En tant qu’Assyriens, nous vivons en Irak comme des citoyens de seconde catégorie, haïs par la population musulmane, ainsi que par le régime brutal de Saddam Hussein et par ses agents.” Pendant sa scolarité, il fut sans cesse, ainsi que son frère, soumis à des pressions pour l’obliger à adhérer au Parti. De temps à autre, ils étaient interrogés à l’école et maltraités par des membres du Parti. En 1990, on l’a prévenu que son refus d’adhérer entraînerait des “conséquences insoupçonnées”, menace qu’il considéra comme très grave, car de nombreux jeunes Assyriens dans son cas avaient disparu. C’est pourquoi lui et son frère quittèrent le pays avec l’aide de leur mère, qui après cela fut inquiétée pendant plusieurs mois par les agents du Parti.
  13. Salwa Ishak (née en 1972). “En Irak la vie est très dure pour les chrétiens, en particulier à l’école et au lycée, où ils sont vraiment persécutés.” Pendant l’année préparatoire au baccalauréat, son professeur principal (femme) qui est un membre en vue du Parti Baas, lui ordonna à plusieurs reprises d’y adhérer, ajoutant qu’en cas de refus, elle ne pourrait poursuivre ses études, mais elle refusa (ainsi d’ailleurs que la moitié de la classe, composée surtout de musulmanes). Par la suite cette personne vint un jour dans la classe de travaux d’artisanat et lui ordonna encore d’adhérer au Parti ; lors de la discussion qui suivit, elle frappa son élève à la cuisse droite avec un outil pointu, et il fut nécessaire d’emmener celle-ci à l’hôpital. Renvoyée de son lycée pour son hostilité au Parti, cette jeune chrétienne trouva un emploi à Bagdad dans un atelier de confection dirigé par un musulman, mais quand le Parti apprit cela, ce patron fut l’objet de menaces et obligé de la renvoyer. Par la suite, trois hommes et trois femmes de la police politique vinrent à trois reprises aux abords de son domicile, et chaque fois la battaient publiquement dans la rue avec un morceau de bois, notamment sur la tête, ce qui provoqua des maux de tête qu’elle ressentait encore à Chypre en 1991.
  14. Sarjoun lshak (né en 1973). Frère de la précédente. Ayant refusé d’adhérer au Parti, il fut persécuté au lycée par le professeur musulman – une femme – et accusé d’être membre du parti d’opposition (clandestin) Dawa. Contraint de redoubler deux classes, puis renvoyé du lycée.
  15. Frank Yousif (né en 1962). En 1980, on refuse de l’inscrire à l’Université car il n’ a pas voulu adhérer au Parti, ni suivre l’instruction pré-militaire. En 1986, il fut faussement accusé de travailler avec un parti d’opposition, puis arrêté, détenu quatre mois et torturé. Il alla ensuite se réfugier dans les montagnes du Nord, où il vécut dans une caverne près de Zako de 1986 à 1988 ! Sur la foi de l’amnistie proclamée en septembre 1988, il quitte son refuge mais fut arrêté, maltraité et emprisonné pendant un an et demi.
  16. Ashor Shamoail (né en 1952). En tant que chrétien et non-arabe, il a dû passer 12 ans au service militaire, période pendant laquelle il fut soumis à des traitements brutaux. Après sa libération, il n’a pu trouver d’emploi à cause de son refus d’adhérer au Parti. Dans une lettre adressée en juillet 1991 au Conseil Œcuménique des Eglises, il décrit ainsi la situation des chrétiens assyriens d’Irak : “… Etant chrétiens, et plus spécialement des vestiges de 1 a culture assyrienne, nous ne pouvons trouver en Irak ni paix, ni tranquillité, ni justice. Les efforts continus du gouvernement pour nous contraindre à abandonner notre héritage sacré sont maintenant sans limites. Le Parti Baas et Saddam Hussein sont déterminés à extirper notre nom de l’histoire du pays. Nous sommes chrétiens, de race assyrienne, nous ne sommes pas arabes et nous ne pouvons accepter une conversion à l’Islam… »
  17. Joliana Jajy (née en 1962). Belle-sœur du précédent. Ouvrière dans un atelier de confection à Bagdad, elle refuse d’adhérer au Parti et subit alors des sévices sexuels de la part de membres de ce parti. En février 1990, elle est faussement accusée de vol, arrêtée et torturée (sévices sexuels, courant électrique, flagellation). En juillet 1991, à Chypre, elle souffrait encore physiquement et psychologiquement de ces traitements.
  18. Edmun Pawol (né en 1960). A cause de son refus d’adhérer au Parti, il a été emprisonné et torturé à plusieurs reprises pendant son service militaire, et également accusé de négligence dans le service et de manque de loyauté envers l’Irak. Son père (né en 1930), également réfugié à Chypre, ne trouvait pas de travail parce qu’il était chrétien et refusait d’adhérer au Parti Baas. Accusé d’être membre du parti d’opposition Dawa, il fut emmené à six reprises au commissariat, et battu. Sa sœur (née en 1962), réfugiée elle aussi, avait refusé d’adhérer au Parti et à l’association des étudiants. On l’accusa alors d’avoir des mœurs légères, elle fut détenue 15 jours au commissariat, où elle fut maltraitée (notamment sévices sexuels) de sorte qu’elle dut être hos­pitalisée. On relèvera en particulier l’obsti­nation dont fait preuve le pouvoir pour obliger ces Assyriens, en particulier les jeunes, à adhérer au parti Baas. Cela illustre bien la politique d’assimilation brutale menée à leur encontre. Certes, on pourrait penser que cette adhésion sous la menace ferait d’eux de bien piètres “militants”, mais une fois pris dans cet engrenage, ils seront broyés sous la main de fer impitoyable des cadres du Baas, et ainsi amenés à perdre toute personnalité et à prendre leurs distances par rapport à leur identité d’Assyriens chrétiens.

Puissent les chrétiens d’Occident se sentir en communion avec “tous ceux qui, en quelque lieu que ce soit, invoquent le Nom de Notre Seigneur Jésus- Christ, leur Seigneur et le nôtre” (I Corinthiens 1 : 2), donc en particulier avec tous ces chrétiens assyriens.

Frédéric Goguel

Février 1993